• hier
"Ce jour-là, une partie de moi est morte" : 10 ans après, l'imprimeur de Dammartin-en-Goële, otage des frères Kouachi, livre un récit poignant sur ces heures qui ont changé sa vie à tout jamais . Michel Catalano publie "L'imprimeur de Dammartin : 10 ans après, l'otage des terroristes se raconte", paru le 2 janvier aux éditions du Cherche Midi. Il est l'invité de Amandine Bégot.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 06 janvier 2025.

Category

🗞
News
Transcription
00:00RTL Matin
00:02Avec Amandine Bégaud et Thomas Sautot
00:05Il est 8h15, l'interview d'Amandine Bégaud.
00:07Il y a 10 ans, il s'est retrouvé, bien malgré lui, au cœur de l'actualité
00:10et d'un cauchemar qui allait bouleverser sa vie.
00:12Michel Catalano est l'imprimeur chez qui les tueurs de Charlie Hebdo
00:16traqués par la police ont débarqué.
00:1810 ans après, l'otage des terroristes a choisi de se raconter
00:21dans un livre qui s'appelle « L'imprimeur de Damartin »
00:24et qui est publié au Cherche Midi. Bonjour et bienvenue à vous.
00:26Bonjour Michel Catalano et merci beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:29Vous avez été le dernier à échanger avec les frères Kouachi
00:35avant qu'ils ne soient tués dans l'assaut du GIGN.
00:38On va bien sûr revenir sur ces 10 ans, 10 ans de cauchemar
00:43et c'est ce que vous racontez dans ce livre.
00:45Comment allez-vous aujourd'hui ?
00:47C'est une question à laquelle j'ai du mal à répondre bien, évidemment.
00:51En fait, je vais mieux. Voilà, j'espère qu'un jour, en tout cas,
00:55je pourrais le dire, mais pour l'instant, effectivement,
00:58ça reste 10 ans difficiles et surtout dans ces périodes-là.
01:01C'est une période auquel je me prépare chaque année
01:06et chaque année, j'ai un peu de mal. Oui, c'est une période difficile.
01:09« Je vais mieux », ça veut dire qu'on n'oublie pas, jamais ?
01:11Jamais. On ne peut pas oublier, c'est ancré en moi
01:14et j'avoue qu'en écrivant ce livre, ça m'a permis quand même d'avancer
01:18de façon importante parce que ça m'a permis aussi
01:22de mettre des mots à tous les mots, M-A-U-X,
01:26que j'avais ressentis pendant toute cette période
01:28et que j'ai encore du mal à supporter à certains moments de ma vie.
01:33Mais ça veut dire quoi ? Vous y pensez tous les jours ?
01:35Au moins une fois par jour, oui.
01:37Il y a quelque chose qui me rappelle, qui me replonge dans ce que j'ai vécu.
01:40Alors évidemment, ça ne se voit pas, heureusement.
01:43J'ai même aujourd'hui, de plus en plus souvent,
01:47des sourires qui viennent naturellement.
01:49J'ai vécu pendant un certain temps où j'étais triste presque tous les jours.
01:52Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, dans la plupart du temps,
01:55j'ai quelque chose qui me ramène à ça quand même, d'une manière ou d'une autre.
01:58Mais quoi par exemple ?
02:00Un bruit, un attentat, quelque chose de désagréable, une contrariété.
02:07Tout ça me replonge indirectement dans les ressentis que j'avais
02:11et le mal que j'ai eu ce jour-là.
02:14C'est comme une cicatrice sur laquelle il y aurait toujours une blessure
02:17sur laquelle quand on appuie dessus, ça fait mal encore.
02:20Ce n'est pas complètement évacué.
02:21Alors ce 9 janvier 2015, vous étiez en train de boire un café avec Lilian,
02:25l'un de vos salariés.
02:27Il est 8h25 quand soudain vous voyez sur le parking de votre entreprise
02:30un homme entièrement vêtu de noir.
02:32Vous comprenez tout de suite de qui il s'agit ?
02:35Alors en fait, tout de suite non,
02:38parce que mon cerveau a dû refuser au départ.
02:40J'ai cru que c'était des gendarmes au départ.
02:42Et puis très vite, j'ai compris.
02:43Mais effectivement, quand je dis très vite, c'est très très vite.
02:46C'est que vu l'arme, j'ai reconnu le lance-roquette et l'arme qu'ils avaient à la main
02:50et je savais que c'était eux.
02:51J'ai compris tout de suite.
02:52Il faut rappeler qu'on est le 9 janvier,
02:54deux jours après bien sûr cet effroyable attentat contre Charlie Hebdo,
02:57que les polices et les gendarmes de toute la France
03:00sont en train de les rechercher,
03:02qu'il y a une traque qui s'organise en région parisienne
03:04et notamment vers chez vous.
03:06Et alors le pire, ça m'a stupéfaite quand j'ai lu votre livre,
03:09vous le racontez, c'est que la veille, avec Lilian, votre salarié,
03:12vous vous êtes dit, imagine, il débarque ici.
03:16Oui, alors j'avoue que c'est quelque chose qui nous a marqué tous les deux
03:20et lui en plus a réfléchi à où il allait se mettre,
03:23ce qui est assez incroyable.
03:24Il le raconte dans ses interrogatoires.
03:26Absolument, c'est incroyable parce qu'effectivement, je ne sais pas pourquoi,
03:30on a naturellement pensé à ça.
03:32J'avoue qu'aujourd'hui, je n'ai plus ce même réflexe d'imaginer
03:37mais c'est vrai qu'on y a pensé, on l'a dit.
03:40C'est vrai que c'était en plus, malheureusement à l'époque,
03:43un peu sous le ton de la plaisanterie parce qu'on ne s'imaginait pas une seconde,
03:46mais vraiment pas, qu'ils allaient venir chez nous.
03:49La suite, Lilian va se cacher, ça aussi,
03:54mais ça nous a stupéfait d'ailleurs dès le début.
03:56Il y a dix ans, quand on a su toute cette histoire,
03:59vous lui demandez de se cacher.
04:01Votre souci premier, c'est d'abord de le protéger
04:05et puis il y a ces échanges avec les frères Coachie.
04:09Quelle image vous gardez d'eux aujourd'hui ?
04:12Justement, c'est d'abord Lilian qui m'a un peu sauvé la vie
04:19parce que ça m'a permis de me concentrer complètement sur cette tâche que j'avais
04:22qui était de tout faire pour qu'ils s'en sortent vivants.
04:25Du coup, il m'a donné la force nécessaire à pouvoir être calme,
04:29converser avec eux.
04:31Quand je dis converser, j'ai surtout répondu
04:33pour essayer d'être le plus calme possible
04:35et faire en sorte qu'ils soient le moins énervés par mes propos.
04:41Donc j'étais très dans la réflexion de ce que je pouvais dire
04:45et j'avoue que j'ai compris, grâce au livre d'ailleurs,
04:48comment j'ai pu avoir ce comportement vis-à-vis d'eux
04:51parce que même moi, j'ai mis beaucoup de temps à comprendre
04:54comment j'ai pu rester extrêmement calme.
04:57J'ai plus de mal aujourd'hui à raconter
04:59et j'ai plus d'émotions aujourd'hui quand j'en parle
05:02que le jour même où, à partir du moment où j'avais accepté que j'allais mourir.
05:06Parce que vous étiez convaincu que vous alliez mourir ?
05:08Oui, convaincu.
05:09Au départ, je me suis dit, il faut que je fasse quelque chose
05:11parce que j'étais convaincu que j'allais mourir.
05:13C'est une situation psychologique qui est très forte.
05:19Alors après, il y a l'assaut.
05:21Lilian qui m'est sauvé.
05:23Vous le prenez dans vos bras.
05:25La première chose que vous faites d'ailleurs en sortant,
05:27c'est de dire, il est caché, il faut le trouver, il faut le protéger.
05:31Et puis, il y a après.
05:33Et alors ça, c'est ce qui est assez stupéfiant dans votre livre.
05:36C'est que ce que vous avez vécu, ce n'est pas seulement une journée d'horreur,
05:39mais c'est dix ans d'horreur.
05:41Parce que derrière, il a fallu reconstruire.
05:43Que sur le moment où tout le monde vous dit,
05:45ben oui, on sera là, on va être là, etc.
05:47Et puis qu'il faut batailler.
05:49Batailler avec les assureurs, notamment,
05:51qui vous proposent, j'allais dire, Peanuts au départ pour reconstruire.
05:53Je crois qu'ils vous proposent 200 000 euros.
05:55Il vous en faut près de 2 millions.
05:57C'est quoi ? C'est la double peine, ça ?
05:59Oui, c'est pour ça que je tenais...
06:02En fait, ce livre, je m'en suis servi comme une thérapie.
06:05J'ai tout noté au départ.
06:07Et après, j'ai fait un résumé de ce qu'on a vécu.
06:09Tous les éléments qui sont à l'intérieur
06:11montrent à quel point ça a été difficile.
06:13Et autant, le 9 janvier,
06:15je suis sorti,
06:17grâce à l'expérience de ma vie,
06:19et je m'en suis sorti,
06:21grâce à tout ce que j'avais vécu.
06:23Autant après, si je n'avais pas eu la chance
06:25d'avoir autour de moi une famille,
06:27ma femme, mes enfants, ma femme surtout,
06:29parce que c'est elle qui m'a le plus...
06:31Sans elle, je n'y serais jamais arrivé.
06:33Et mes enfants, mes amis,
06:35c'était un parcours extrêmement difficile.
06:37Entre les maladresses,
06:39entre tout ce qu'on a pu nous dire,
06:41et ne pas faire,
06:43ça a été un parcours extrêmement difficile.
06:45Et c'est ça que je voulais raconter,
06:47parce que finalement, on sort de là,
06:49on se dit que c'est terminé. La plupart du temps,
06:51souvent, on me disait que tout va bien.
06:53D'ailleurs, ça, c'est un traumatisme
06:55que nous-mêmes,
06:57on s'y entend
06:59que sur-traumatisme.
07:01Parce que quand on vous dit
07:03ça y est, c'est bon, passe à autre chose.
07:05Le fonds d'indemnisation,
07:07je crois qu'un des spécialistes vous avait dit
07:09mais non, vous continuez à travailler, ça veut dire que ça va.
07:11C'est exactement ça.
07:13J'ai repris tout de suite le travail,
07:15je n'ai pas voulu m'arrêter parce que j'avais à gérer
07:17les salariés et tout ce qui se passait.
07:19Et on m'a fait reproche.
07:21Moi qui étais fier de ça, en me disant
07:23que je n'ai pas pris de médicament,
07:25je tiens tout seul, j'arrive à m'en sortir,
07:27je veux absolument démontrer que malgré tout,
07:29c'est une addiction, le médicament pour dormir
07:31et tout ça me disait que si je
07:33commençais à entrer dans ce minement-là,
07:35il y a de grandes chances que je ne puisse pas m'en sortir.
07:37Jamais.
07:39Je me suis dit qu'il faut que je tienne, qu'il faut que j'arrive à le tenir.
07:41Et la première réunion que j'ai faite
07:43avec l'expert me dit
07:45vous ne prenez pas de médicament
07:47et vous avez repris de votre boulot, c'est que tout va bien.
07:49Et là, venant d'un expert
07:51des traumatismes,
07:53alors qu'on m'avait vu très vite,
07:55on sait ce que c'est qu'un choc post-traumatique,
07:57comme remarqué très vite dans mes premières interviews,
07:59on a vu que j'étais marqué profondément.
08:01C'est tout ça qui vous a encore plus anéanti ?
08:03Oui.
08:05J'avais réussi, après cet uppercut
08:07que j'ai pris ce jour-là, à me relever,
08:09j'avais trouvé
08:11les forces nécessaires auprès de ma famille,
08:13mes amis, je me suis dit oui, je vais aller, l'objectif
08:15de reconstruire mon bâtiment, et chaque jour,
08:17à chaque jour,
08:19on prenait, pas un uppercut
08:21heureusement, qui ne me mettait pas KO, mais on reprenait
08:23un coup qui me faisait monter quatre marches
08:25et redescendre cinq marches.
08:27Et c'était extrêmement difficile et long.
08:29Et si vous avez tenu le coup, Michel Catalano,
08:31vous le disiez, c'est grâce à votre famille,
08:33vos enfants, votre épouse ?
08:35Oui. Sans eux, j'y serais jamais arrivé.
08:37D'abord, ils ont accepté le fait qu'on reconstruise au même endroit.
08:39Votre épouse n'était pas tout à fait d'accord ?
08:41Non.
08:43En fait, ils ont été plus que bienveillants.
08:45C'est-à-dire qu'ils ont vu que j'étais dans un état
08:47extrêmement douloureux,
08:49et ils ont tout fait pour que je m'en sorte.
08:51Et sans eux, j'y serais jamais arrivé.
08:53C'est pour ça que là, par contre, à partir de là,
08:55je peux dire que j'ai eu beaucoup de chance.
08:57Parce que beaucoup de victimes n'ont pas cette chance d'avoir autour d'eux
08:59une famille aussi forte, et des amis aussi.
09:01J'ai beaucoup d'amis, de gens qui ont été vraiment sympathiques.
09:03Et sans toutes ces personnes qui étaient
09:05autour de moi, je ne serais jamais arrivé à m'en sortir.
09:07L'imprimeur de Da Martin,
09:09c'est le titre de ce livre qui est sorti aux éditions du Cherche-Midi.
09:11Une fois encore,
09:13vous remuez tout ça. Pourquoi le faire,
09:15ce livre ? C'est douloureux.
09:17Je vous vois, c'est...
09:19C'est douloureux.
09:21C'est un fil.
09:23C'est douloureux. Et en fait, je suis très vigilant.
09:25Vous avez raison. C'est-à-dire que je pense...
09:27C'est pour ça que je vous dis que je ne pense pas m'en sortir.
09:29Parce que je suis très vigilant sur ça.
09:31Parce que malheureusement, vous avez pu remarquer que
09:33beaucoup de victimes, encore après,
09:35sont parties. Notamment Simon,
09:37que j'aimais beaucoup.
09:39En fait, c'est vrai que
09:41on est sur un fil, mais d'un autre côté,
09:43j'ai vu, moi, j'ai pu constater,
09:45lorsque j'ai fait... J'ai été président
09:47de l'association des victimes du terrorisme. J'ai pu constater,
09:49justement, que tous ceux qui arrivaient à parler,
09:51à écrire, à dessiner,
09:53avançaient plus vite. En tout cas,
09:55avançaient plus que ceux qui ne disaient
09:57rien et qui gardaient ça pour eux.
09:59Parler, écrire, dessiner.
10:01Très joli message,
10:03à la veille de ce dixième anniversaire
10:05de l'attentat contre Charlie Hebdo.
10:07Vous évoquiez Simon.
10:09C'est l'un des journalistes
10:11de Charlie Hebdo, qui est décédé
10:13il y a quelques semaines.
10:15Merci beaucoup, Michel Catalano.
10:17Le titre de votre livre, L'imprimeur de Damartin,
10:19c'est publié, je le disais, au Cherche-Midi.
10:21C'est sorti la semaine dernière. Et puis, il y a deux rendez-vous
10:23télé, ce soir sur M6, Attentat 2015,
10:25Ce qui nous lit. C'est un documentaire
10:27exceptionnel, dans lequel les survivants, les politiques,
10:29les forces de l'ordre se retrouvent
10:31et partagent ce lien invisible, justement,
10:33qui lit tous ceux qui ont été frappés par ces attaques.
10:35Ça, c'est à 21h10 et demain sur France 2,
10:37L'épreuve d'une vie, Michel Catalano face
10:39aux frères Kouachi. Ça, c'est un documentaire signé
10:41Romain Verlet, qui vous est consacré,
10:43Michel, et qui sera diffusé à 23h15.
10:45Merci beaucoup.

Recommandations