Kidnappé par son père au Congo, il est revenu en France pendant la guerre à l'âge de 6 ans. Une adaptation difficile, une enfance marquée par la violence, un manque de repère, Bolewa va perdre pied. Il nous raconte :
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00:00Et je suis parti en Martinique avec l'envie d'en finir avec ma vie et celle de ma mère.
00:06C'était de sa faute si j'étais en vie et qu'elle aurait dû faire le choix de l'avortement
00:10plutôt que de me laisser vivre cette vie pourrie en fait.
00:14Tout avait démarré par elle, il fallait que ça se termine par elle.
00:19À l'âge de un an, mon père voulait absolument que je grandisse comme un Congolais
00:23et surtout parce qu'il n'avait pas de papiers et que ma mère était française.
00:27Il m'a envoyé au Congo, près de mes grands-parents, sans en invertir ma mère.
00:31Étant donné que dans la culture congolaise, le père a toute puissance,
00:35pour moi, il m'avait juste envoyé au Congo.
00:38Et en fait, plus tard, j'ai mis ce mot de kidnapping
00:42parce que ma mère, je ne vais la revoir que 10 ans plus tard quand je vais la retrouver.
00:47Et à l'âge de 6 ans, je reviens à Paris parce que la guerre civile commençait déjà,
00:52il y avait des bribes et à Kinshasa, il commençait à y avoir des coupures de courants,
00:56des attaques et tout ça.
00:59Et mon père, qui ne veut pas perdre son seul fils, décide de revenir me chercher,
01:04me ramène à Paris.
01:05En fait, ça a été un moment traumatique pour moi d'arriver à Paris.
01:08Je quittais mes deux mamans, j'avais une grand-mère et une arrière-grand-mère.
01:11Je quittais mes potes.
01:13J'arrivais dans un pays où il faisait froid, dans tous les sens du terme.
01:17Moi, je ne parlais pas français, je parlais Lingala.
01:20Puis mon père, tout de suite, a voulu que je parle le français.
01:23Je me laissais aller à parler en Lingala, qui était ma langue.
01:26Je me prenais des coups.
01:27À l'école, le truc, c'est que dès que les gens parlent en français,
01:30s'ils ont le malheur de te regarder au moment où ils sont en train de parler,
01:34toi, qui ne comprends rien, tu as l'impression qu'ils sont en train de t'insulter.
01:37Il faut vite apprendre si tu ne veux pas finir par te bagarrer avec tout le monde, quoi.
01:41Et te sentir rejeté.
01:43Moi, je passe d'un environnement où il n'y avait que des Noirs et où j'étais le Blanc,
01:47à un environnement où il n'y avait que des Blancs et où je suis le Noir.
01:50L'année d'après, on part vivre à Saint-Denis.
01:53Je retrouve des Noirs, très contents, qui étaient autres que ma famille.
01:57Puis c'était populaire, donc ça me rappelait ma tété,
01:59où j'étais aussi avec ces gamins dans la rue et où on traînait.
02:03Et donc là, je restais avec eux jusqu'à quasiment minuit.
02:06Et puis moi, j'avais 9 ans.
02:07C'était ma stabilité.
02:08J'étais là quand il y avait des guerres entre des quartiers.
02:11J'étais là, on me prenait, on me défonçait un mec.
02:14Et puis après, je venais et moi, je terminais avec ma batte de baseball.
02:19J'avais de la tension, en fait.
02:20La tension que je ne recevais pas à la maison.
02:22J'avais une grande colère.
02:23J'ai toujours réussi, en tout cas, à transformer ma colère en joie grâce à la danse.
02:27Par contre, il ne fallait surtout pas que je m'énerve.
02:30Il ne fallait surtout pas que je me bagarre.
02:31Dès que je me bagarrais, là, en fait, il y avait tout ce qui était contenu, inconscient,
02:37qui ressortait et vraiment, je pétais les plombs.
02:40C'est-à-dire que j'oubliais même où j'étais et ce que j'étais en train de faire.
02:43C'est pour ça que j'ai appelé mon livre « La rage de vivre ».
02:45J'ai toujours eu la rage parce que la violence a été constante.
02:48Soit c'était une violence économique, soit c'était une violence sociale, soit c'était des violences physiques.
02:53C'est une seconde peau, chez moi, la violence.
02:55Quand je rentrais aussi tard, la belle-mère avait cherché un adjoint de mon père.
02:58À l'époque, il n'y avait pas de téléphone portable et tout.
03:00Donc, elle appelait la terre entière.
03:01Lui, il débarquait, il était trois heures.
03:03Il me réveillait, ceinture.
03:05Et puis, moi, je pleurais, mais au final, je le voyais.
03:08Et il y a des fois, je ne le voyais pas pendant des semaines, des mois.
03:11C'était les seuls moyens de le voir, en fait, de le voir débarquer.
03:16Si je me tenais tranquille, il n'avait pas de raison d'apparaître.
03:20Il était mon pilier.
03:21Moi, je n'avais pas ma maman.
03:23Il n'y avait que mon père.
03:24Mes belles-mères, ça changeait tous les quatre matins.
03:26Donc, je ne m'attachais pas plus que ça à elles.
03:28Comme tous les enfants, j'en ai voulu.
03:30J'ai voulu à mon père de ne pas avoir été assez présent dans ma vie.
03:34Après, avec le temps, je me suis rendu compte qu'ils ont fait ce qu'ils ont pu, avec les moyens qu'ils avaient.
03:39Ce que je n'ai pas dit, c'est que ma mère, elle, c'est une Française de La Rochelle, née d'un père inconnu.
03:44C'était une gamine qui était fracassée par la vie, qui, du coup, n'a pas connu sa mère, n'a pas connu son père,
03:50vivait chez des gens qui, au final, étaient racistes.
03:53Elle l'a rejetée.
03:54L'école l'a rejetée.
03:55Tout l'environnement l'a rejetée.
03:57Et elle a fait, du coup, des mauvais choix.
03:59Elle s'est mise avec des mauvais mecs.
04:00Elle a touché à la drogue, à tout ça.
04:03Et voilà, ma mère est bien de là.
04:04Et elle a cette difficulté-là.
04:07Et un jour, en rentrant du collège,
04:09« Bolewa, c'est pour toi. C'est ta mère. »
04:11Donc, l'année d'après, je pars en Martinique.
04:14Parce qu'en fait, ma mère était partie vivre en Martinique.
04:16Je vais à l'école là-bas.
04:18Énième changement, là-bas, je deviens le négropolitain.
04:21C'était encore de l'exclusion.
04:24Et puis, ça ne se passait pas bien avec ma mère.
04:25Donc, à travers moi, elle revoyait déjà son passé.
04:28Et toute cette histoire de violence qu'elle avait subie, elle et moi, ça ne matchait pas.
04:31L'année d'après, mon père a décidé qu'on parte encore.
04:34Là, moi, je m'étais attaché à ma petite sœur.
04:36C'était devenu un repère pour moi.
04:38Et donc, j'ai dit « Pas trop. »
04:40Et c'était la première fois que je disais non à mon père.
04:43Parce que dans la culture congolaise, on ne dit jamais non à son père.
04:46Et heureusement, ma belle-mère, elle a dit « Tu ne peux pas le laisser. »
04:50Lui, d'un côté, je pense qu'il était dégoûté.
04:54Et en même temps, de l'autre côté, mine de rien, il savait qu'il allait avoir une charge en moins.
04:58Et surtout, il allait pouvoir bien porter la responsabilité sur ma belle-mère.
05:02Et vu qu'il n'avait pas d'argent, parce qu'il vivait vraiment en Bohême, c'était à elle de gérer.
05:06Mais avec ma belle-mère, ça ne se passe pas bien non plus.
05:08Parce qu'évidemment, mon père n'a pas été tendre avec elle.
05:13Dès qu'il s'embrouillait, dès qu'elle le mettait devant ses vulnérabilités,
05:17lui, il répondait par la violence.
05:19Des fois, dans les cultures, même pour certaines femmes, avouer qu'elles ont été battues,
05:23c'est quelque chose qui ne se dit pas.
05:25Et donc, elle devait garder ça.
05:27Elle ne pouvait ni le dire à ses amis.
05:29Elle n'allait pas voir de psy.
05:31Et donc, forcément, il faut que ça ressorte.
05:33Et ça ressort sur la personne qui ressemble.
05:35Donc, c'était moi.
05:36Donc, je suis parti.
05:37Et à partir de ce moment-là, j'avais 18 ans.
05:39Donc, je me suis retrouvé à la rue.
05:40Je suis allé dormir dans des squats.
05:42Juste à ce moment-là, j'ai eu en fait un énorme choc.
05:46C'est que ma mère a quatre enfants.
05:48Je suis l'aîné.
05:49Et le petit dernier, il est décédé à 15 ans d'un accident de la route.
05:53Et moi, à ce moment-là, ça a été une explosion.
05:56C'était la goutte d'eau qui a fait déborder tout le vase de violence que j'avais subi.
06:00Pour plein de raisons.
06:01Déjà, parce que c'était mon petit frère, que je connais beaucoup à lui.
06:04J'étais tout seul avec ma petite sœur du côté de mon père, avec qui j'avais vécu.
06:07Quand j'étais allé vivre en Martinique.
06:09Mais aussi, la manière dont j'ai reçu le message.
06:12Je vois...
06:14Johan est mort.
06:16Colette.
06:17Et en fait, c'est le nom de ma mère.
06:18Et le temps que je comprenne, je pars en vrille totale.
06:20Je me mets à boire comme un trou.
06:22Je sors dans la rue pour me battre.
06:24Pour me faire mal.
06:25Et qu'on me fasse mal.
06:26Et faire mal aux autres.
06:27Je suis dans une phase d'autodestruction totale.
06:29J'en peux plus de la vie.
06:31Je veux me tuer.
06:32Je suis parti en Martinique.
06:33Avec l'envie, déjà de savoir comment était décédé mon frère.
06:37Plus précisément.
06:39De retrouver mes autres petits frères.
06:41Pour voir ce qu'ils étaient devenus.
06:43Et d'en finir avec ma vie et celle de ma mère.
06:46Parce que je considérais que c'était de sa faute.
06:49Si j'étais en vie.
06:50Et qu'elle aurait dû faire le choix de l'avortement.
06:53Plutôt que de me laisser vivre cette vie pourrie.
06:56Tout avait démarré par elle.
06:58Il fallait que ça se termine par elle.
07:01Et puis je retrouve mon ex-beau-père.
07:03L'ex-petit ami de ma mère.
07:05Qui me raconte toute l'histoire.
07:07Et en fait, ça faisait un an que mon petit frère était décédé.
07:10Et puis un jour, on est allé demander des comptes à notre mère.
07:15On est arrivé.
07:16On a vu l'état.
07:17Ton appartement, c'était du grand n'importe quoi.
07:19Et elle a commencé à crier.
07:21Dire que c'était de ma faute.
07:22Si Johan, mon petit frère, était décédé.
07:25Et là.
07:26Ni une ni deux.
07:28Je suis parti dans la cuisine.
07:29Pour prendre un couteau.
07:30Et au moment où je voulais vraiment la planter.
07:33Il y a mon petit frère.
07:34Qui je pensais était complètement fou.
07:36Il m'a arrêté.
07:38Il m'a dit.
07:40Tu vois pas que là.
07:42Elle cherche que tu fasses ça.
07:44J'ai lâché le couteau.
07:46Et on est parti.
07:47Dans ma tête, je l'avais tué.
07:48Même si physiquement, je ne l'ai pas fait.
07:50Ma mère, je la vois une fois tous les décennies.
07:52Donc je n'ai pas appris à l'aimer.
07:54Mais par contre, haïr, c'est facile.
07:55C'est la seule personne qui était en capacité de me faire perdre.
07:58Et jusqu'à aujourd'hui.
07:59Ma lucidité.
08:00Comment tu peux amener un enfant à ressentir.
08:04À vouloir tuer sa propre mère.
08:06Comment tu peux en arriver là ?
08:08Et il y a une part de libre arbitre.
08:09C'est pas que mes parents.
08:11C'est moi aussi.
08:12Je m'en veux aussi pour la responsabilité individuelle que je porte.
08:15Je souffre d'en être arrivé jusque là.
08:17S'il n'y avait pas eu mon petit frère.
08:19Je ne serais pas là aujourd'hui en train de te parler.
08:20Je suis allé voir deux psy.
08:21Ils ont dit.
08:22Il faut l'interner vite, vite, vite.
08:23Quand ils ont dit ça.
08:24J'ai pris mes bagages.
08:25Je suis parti en Martinique.
08:26Je n'ai pas dormi pendant presque deux semaines.
08:28Vraiment quoi.
08:29C'est à dire que toute la nuit j'étais éveillé.
08:31La journée j'étais éveillé.
08:32On venait me faire à manger.
08:34Et ça a été en fait le point de bascule en même temps.
08:36De ma nouvelle vie en fait.
08:38À partir de ce moment là.
08:39Je me dis mais en fait.
08:41Je vais tout arracher.
08:42Je vais retourner la vie.
08:44Je vais la bouffer la vie.
08:46Je ne peux que monter en fait.
08:48Parce que ça y est j'ai touché le fond.
08:50Je ne peux pas quitter ce monde.
08:52Après avoir habité une telle noirceur.
08:54J'ai ma porte de sortie.
08:55Elle est là.
08:56C'est l'OBA.
08:57L'OBA c'est une association qu'on a créé avec William.
08:59Cette année en 2007.
09:00Et où notre objectif c'était vraiment de prendre la parole.
09:03À travers les arts.
09:05Et de mettre l'art au service de la cité.
09:07De la société au sens grec.
09:09Nous on n'avait pas les mots en 2007.
09:11Pour pouvoir exprimer les colères.
09:13Les difficultés qu'on pouvait vivre.
09:14Mais qu'à travers les arts.
09:15On pouvait.
09:16Mes colères et mes rages sont restées.
09:18Mais maintenant elles ont un espace.
09:20Où elles peuvent trouver écho.
09:22Pour les transformer.
09:24Et ne pas rester juste dans la colère.
09:25Mais être dans la solution.
09:27Dans l'action.
09:28Aujourd'hui.
09:29En 2021.
09:30On travaille avec des femmes.
09:32Qui sont victimes de violences.
09:34En tout genre.
09:35On a créé une méthode thérapeutique.
09:37Qui utilise et la danse.
09:38Et la psychothérapie.
09:39Pour venir en aide à ces femmes là.
09:41À travers des temps de deux heures.
09:43Où il y a deux professionnels.
09:44Un danseur et une psychologue.
09:46Qui vont alterner entre des temps de danse.
09:48Et des temps de parole.
09:49Pour pouvoir exprimer à travers le corps.
09:51Et à travers la parole.
09:53Les différentes difficultés.
09:55Ou bonheurs qu'elles peuvent avoir.
09:57Aux personnes qui ont vécu des moments douloureux.
10:01Je leur donnerais comme conseil.
10:03De pouvoir trouver des espaces.
10:05Où elles peuvent.
10:07Et utiliser leur corps.
10:09Et utiliser la parole.
10:11Pour pouvoir se reconstruire.