L'ancien garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti sera sur la scène du théâtre Marigny pour un seul-en-scène "J'ai dit oui", à partir du 1er février dans lequel il souhaite raconter les coulisses de la vie de ministre. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-18-decembre-2024-8380049
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00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un ancien ministre de la Justice, avec lequel
00:05vous pourrez dialoguer, questions, réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application de
00:11Radio France.
00:12Eric Dupond-Moretti, bonjour !
00:13Bonjour !
00:14Bonjour !
00:15Et bienvenue sur Inter ! Après plus de 4 ans comme garde des Sceaux, fonction que vous
00:20avez quitté en septembre dernier, au moment de la nomination du gouvernement Barnier,
00:26on vous demandera dans un instant votre regard sur l'actualité politique du moment, mais
00:31si vous êtes avec nous ce matin, c'est parce que vous revenez non pas dans la vie
00:35politique mais sur une autre scène au théâtre pour un spectacle, un one man show qui s'intitulera
00:42« J'ai dit oui » à partir du 1er février au Théâtre Marigny.
00:46Vous auriez pu choisir, comme tant d'autres avant vous, de raconter vos souvenirs dans
00:51un livre mais vous préférez la scène et ce n'est pas la première fois, on a l'impression
00:57Eric Dupond-Moretti que vous reprenez votre souffle au théâtre, qu'il se passe quelque
01:02chose de vital sur scène pour vous.
01:05Est-ce qu'on se trompe ?
01:06Moi j'ai pas le sentiment d'être essoufflé mais c'est vrai que je reprends le cours de
01:12ma vie ordinaire.
01:13Vous l'avez rappelé, je suis allé au théâtre pour évoquer la vie d'avocat et les coulisses
01:19surtout, parce que je pense que peu de nos compatriotes savent ce que c'est le métier
01:25d'avocat, ce qu'est la justice, d'ailleurs comme ministre j'ai souhaité que la justice
01:30soit filmée.
01:31Et puis maintenant que je suis sorti du gouvernement, je veux expliquer ce que c'est que la vie
01:37de ministre et les coulisses.
01:39C'est le deuxième volet donc, en quelque sorte.
01:42C'est un retour aux sources d'une certaine façon.
01:44Oui mais se raconter, raconter votre expérience gouvernementale sur scène, c'est quoi ? C'est
01:48le goût de l'oralité, du verbe, de la mise en scène de soi, de l'éloquence, ou tout
01:53simplement vous aimez les feux de la rampe et puis c'est tout quoi ?
01:55Ben c'est tout ça ! Si je vous dis que j'aime pas les feux de la rampe, vous allez dire
02:00qu'est-ce qu'il va foutre au théâtre ? Nous entrons dans une polémique immédiatement.
02:06On va attendre un peu, les sujets polémiques vont arriver, j'en dis pas une seconde.
02:09Oui c'est un peu tout ça bien sûr.
02:11Et puis vous savez, ça ressemble à ce que j'ai fait lorsque j'étais avocat.
02:14J'ai plaidé toute ma vie devant le jury populaire.
02:17J'aime ce contact.
02:19Je pourrais écrire un livre d'ailleurs, j'envisage de le faire, mais ultérieurement, je dirai
02:23des choses sans doute plus politiques.
02:25Là je viens pas faire un meeting.
02:27Mais ce sera quoi ? Ce sera un règlement de compte ? Je sais pas, vous allez dire des
02:32choses, vous allez tout raconter, on va apprendre des choses.
02:37Est-ce qu'il y a des choses que vous avez envie de dire sur les magistrats, sur vos
02:42adversaires politiques, sur les journalistes peut-être ? Il y aura tout ça ?
02:46Non, il va y avoir tout ça, parce que sinon, c'est un one-man show qui va durer cinq heures.
02:50Bon, il faut choisir ses sujets.
02:53Mais il est vrai que je vais évoquer la difficulté d'être ministre, ce que c'est au quotidien.
03:00Les français ne le savent pas.
03:01Est-ce que vous, vous savez comment vit un ministre ? Ce que c'est que le poids de sa
03:07sécurité, le poids de la polémique, le poids médiatique, etc.
03:12A quelle heure on se lève ? A quelle heure on se couche ? Ce que l'on fait.
03:17L'immense difficulté, Léa, je vous l'ai déjà dit, pour faire savoir ce que l'on
03:21a fait quand c'est quelque chose de consensuel.
03:24Parce qu'on a souvent des interlocuteurs qui ont le goût du buzz.
03:27Voilà.
03:28Et donc, tout ça, ça s'explique, ça se dit combien gagne un ministre ? Si vous faites
03:34un micro-trottoir et que vous demandez aux français « mais c'est quoi le ministre ?
03:39Qu'est-ce qu'il fait ? »
03:41Et puis, c'est à contre-courant, je sais, mais moi, je veux réhabiliter, en réalité,
03:46l'action publique.
03:47Parce que je pense qu'au train où vont les choses, dans dix ans, on aura comme ministre
03:52de la société civile des influenceurs.
03:55Plus personne ne voudra y aller.
03:56Alors, ce n'est pas pour pleurer, ce n'est pas un lamento, mais je veux expliquer un
04:01certain nombre de choses que les gens ne connaissent pas.
04:04Vous n'avez pas participé aussi, pas vous directement, Éric Dupond-Moretti, mais depuis
04:09sept ans qu'Emmanuel Macron est au pouvoir, à l'affaiblissement, à l'affadissement
04:15de cette parole politique et publique.
04:16Mais, si vous voulez me faire dire que je n'ai pas tout bien fait, c'est vrai, mais
04:22si vous voulez me faire dire ce que j'ai fait de bien, on refait une émission et je
04:26vous livre un bilan.
04:27On a oublié un certain nombre de choses, l'accélération de la justice qui est trop
04:32lente, le code de justice pénale des mineurs, la loi sur le changement de nom, le viol des
04:38moins de 15 ans avec un certain nom.
04:40Et puis, pardon, je voudrais dire ça maintenant, moi, j'ai connu la majorité absolue, j'ai
04:46connu la majorité relative et j'ai travaillé avec tout le monde.
04:50Bon, mais il y a une défiance, on est un peuple régicide et on demande énormément
04:55de choses.
04:56Vous savez, un jour, j'ai fait campagne sur un marché, j'adore le contact avec les gens,
05:00etc.
05:01Et à un moment, à la fin du marché, je me fais agonir d'injure par deux jeunes femmes.
05:06Vous savez ce qu'elles me reprochent ? L'absence de papier toilette dans leur lycée.
05:10On attend tout de l'État.
05:12Et on devrait avoir un regard, parfois, sur ce qui se fait ailleurs qu'en France.
05:17On devrait se souvenir d'un certain nombre de choses.
05:20Et en réalité, un morceau avalé, Mme Salamé n'a plus de saveur.
05:25Et on en reparlera dans un instant, si vous le voulez.
05:27Un mot sur la crise de confiance des Français envers leur personnel politique, elle est
05:33plus profonde que jamais, on l'a encore vue dans l'enquête Ipsos pour le Monde, le CIVIPOF,
05:38la Fondation Jean Jaurès, cette enquête fracture française, il y a quelques jours.
05:43Politique jugée corrompue, 63% des Français non-représentatifs, 78% agissant pour leurs
05:51intérêts personnels, 83%, défiance maximale à l'égard des députés des partis du président
05:58de la République.
05:59Le tableau était apocalyptique.
06:01Comment expliquez-vous une telle défiance, Éric Dupond-Moretti ?
06:04Est-ce que vous en prenez votre part aussi ?
06:07Et est-ce que le macronisme dont vous avez été l'une des incarnations fortes n'est
06:14pas parvenu à réconcilier les Français avec la classe politique ?
06:17Mais, c'est bon, pardon, on va élargir un peu le spectre.
06:21Est-ce que dans les autres pays, ça se passe mieux ?
06:25Les États-Unis, l'Argentine, le Brésil avec Bolsonaro, l'Allemagne, la poussée
06:32des extrêmes, l'Autriche, la Hongrie, vous voulez que je vous en cite d'autres encore ?
06:36Bon, donc c'est un phénomène mondial de défiance, d'inquiétude.
06:41On a traversé une période extrêmement difficile, mortifère, la Covid.
06:46Les gens n'en sont pas sortis indemnes.
06:48Je le dis, je le redis, on demande beaucoup et on oublie beaucoup.
06:51Parce qu'il y a aujourd'hui une information qui va beaucoup plus vite, il y a beaucoup
06:55d'informations, il faut les digérer et nous ne sommes pas hypermnésiques.
06:59Pardon de rappeler par exemple que sur les déficits budgétaires, il y a eu la protection
07:04des Français au moment de la Covid, les vaccins gratuits, les tests gratuits, la protection
07:09des entreprises, la protection des chômeurs de longue durée.
07:11Mme Le Pen, elle proposait l'hiver mectine.
07:14Moi, je serais mort aujourd'hui.
07:16Je le dis, il y avait tous les facteurs de comorbidité, si j'avais été soigné à
07:20l'hiver mectine de Mme Le Pen, je serais mort.
07:22Oui, mais Emmanuel Macron proposait une nouvelle manière de faire de la politique.
07:25Il y avait une vraie promesse de renouveau quand il a été élu en 2017.
07:28Est-ce que vous avez l'impression, huit ans après, que cette promesse de renouveau a
07:32été validée ? Est-ce que vous voyez vraiment le renouveau ? Et puis vous parlez de la
07:36montée des extrêmes.
07:37Quand on voit Emmanuel Macron, rappelez-vous, il était arrivé en disant le soir du Louvre,
07:41il y a huit ans, je serai là, je ne vais plus donner envie aux Français de voter pour
07:45les extrêmes.
07:46Huit ans plus tard, ils n'ont jamais été aussi haut.
07:49Donc qu'est-ce qui a failli ou qu'est-ce qui n'a pas assez bien marché ?
07:53Je vais vous rappeler par exemple que l'extrême droite a une chaîne dédiée et un tas de
07:59médias dédiés à leur service.
08:01D'ailleurs, Mme Le Pen parle de ses news en disant « ma chaîne », ce qui est une
08:05réalité.
08:06Donc c'est à cause de l'Empire Bolloré si l'extrême droite est forte ?
08:09Mme Salamé, soyez nuancée.
08:12Je sais que c'est à cause de cela.
08:14Je vous pose la question sur la réponse, sur la proposition.
08:19C'est ça la grande difficulté de la parole politique, c'est qu'on a rarement le temps
08:24de développer et qu'on n'est pas dans la nuance.
08:26C'est un des facteurs, ce n'est pas le seul.
08:29Et quand je vous dis qu'il y a une poussée des populismes partout, ça répond à l'inquiétude
08:33de gens.
08:34Oui, bien sûr, notamment à raison de la Covid.
08:37Mais il n'y a pas que ça.
08:38Le populiste, il a toujours raison, Madame.
08:40Pourquoi ? Parce qu'il dit ce que vous avez envie d'entendre.
08:42Mme Lavalette, que j'ai presque croisée dans le couloir, elle me dit qu'un jour sur
08:48un plateau de télévision, la petite Lola, on se souvient tous de la petite Lola, Mme
08:52Le Pen s'est servie du cercueil de cet enfant comme d'un marche-pied.
08:57Elle l'a fait avec cynisme dans d'autres affaires.
08:59Elle me dit c'est votre bilan.
09:00Et la difficulté, c'est que quand on place le terrain sur le compassionnel, vous répondez
09:06quoi quand vous êtes garde des Sceaux ? Vous dites je vais vous dire ce que l'on a fait,
09:09ce que l'on a mis en place.
09:10Et en réalité, vous apportez au fond une réponse technique, technologique si j'ose
09:16dire.
09:17Et on dit de vous, mais vous n'êtes pas empathique.
09:19Et donc, cette dictature de l'émotion fait que naturellement, nous en sommes imprégnés
09:25aujourd'hui et qu'on a du mal à s'en défaire.
09:28Emmanuel Macron, il n'a pas bien fait tout ce qu'il a fait.
09:31Moi, je lui connais un certain nombre de défauts.
09:33J'ai appartenu à son équipe.
09:35Dites-vous, Macroniste, je le suis encore parce que je sais ce qui a été fait.
09:40Quels défauts vous lui reconnaissez ?
09:42Non, mais ça, je ne vais pas vous le dire.
09:43Moi, je ne suis pas là pour publiquement requérir contre Emmanuel Macron.
09:48Certains d'entre vous s'en chargent tous les jours.
09:50Et sur l'émotion, on n'en sort plus ? C'est le nouvel espace politique, il est coloré
09:57comme ça ?
09:58C'est un peu ça, non ? Bien sûr que l'émotion a pris beaucoup de place.
10:01L'émotion et puis la difficulté d'expliquer les choses.
10:08« Monsieur le ministre, bonjour, une femme s'est fait tuer cette nuit, que répondez-vous ? »
10:13Et là, vous dites « voilà ce que j'ai fait, voilà comment on a augmenté les budgets
10:17pour mieux protéger les victimes, voilà ce que l'on a mis en place, le bracelet anti-rapprochement,
10:22le téléphone grave danger, les ordonnances d'éloignement, on a beaucoup travaillé,
10:26etc.
10:27»
10:28Mais on s'en fout de ça, parce qu'on a choisi une vision factuelle et fait-diversiaire
10:33de la justice.
10:34Et vous ne pouvez pas répondre à cela.
10:36Alors quelle est la solution ? Parce que vous êtes aussi entré en politique, Eric Dupond-Moretti,
10:41en faisant de la lutte contre le Rassemblement National, qui est votre conviction depuis
10:44toujours.
10:45Vous n'avez jamais varié, c'était l'un des moteurs de vos engagements en politique.
10:49Vous avez même pris le risque d'aller au Régional, face à Marine Le Pen dans le Nord,
10:53Marine Le Pen et Steve Bruyois.
10:55Force est de constater que le résultat final, vous avez fait 8,7%.
11:00Pour quelqu'un qui pourtant parle vrai comme vous, à une langue différente de la
11:08langue techno ou de la langue politique, vous n'avez pas réussi sur le territoire de Marine Le Pen.
11:14« Dont acte, madame, et je le regrette profondément.
11:18Mais je me suis investi corps et âme, parce que je pense que Madame Le Pen est un danger.
11:24Madame Le Pen, vous voyez, elle commence à venir, elle aussi j'allais dire, à la suite
11:31de M. Mélenchon qui parle de destitution constitutionnelle, ce qui n'existe pas dans
11:36la Constitution.
11:37Elle commence à dire présidentielle anticipée, mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle craint
11:41madame Le Pen ? Elle craint un verdict d'inéligibilité ? C'est ça qu'elle craint ? Donc on accélère
11:48le processus, elle veut se présenter à la présidentielle tant que, si possible, si
11:54la justice décide.
11:55Et d'ailleurs, de ce point de vue, je vais vous dire un truc, moi j'ai toujours été
11:58respectueux de la présomption d'innocence des uns et des autres, ce qui n'a pas été
12:01leur cas.
12:02Parce que Tanguy, par exemple, le sniper du RN, Jean-Philippe Tanguy, il avait demandé
12:07ma démission avant ma comparution devant la Cour de justice de la République.
12:10Vous étiez poursuivi pour accusation de prise illégale d'intérêt.
12:14Oui, mais il avait demandé ma démission, il ne la demande pas pour madame Le Pen.
12:20Et je rappelle d'ailleurs, puisque vous me parliez tout à l'heure de corruption, que
12:25le micro-parti de madame Le Pen, Jeanne, a été condamné pour recel d'escroquerie.
12:30Ça c'est jugé, ce n'est pas de la présomption d'innocence, c'est jugé.
12:34Bon, et puis alors quand je la vois, moi, donner des leçons de démocratie, alors que
12:38son parti, c'est le népotisme absolu, de A à Z, c'est la petite entreprise familiale
12:45depuis toujours.
12:46Oui, enfin c'est 11 millions de voix aux dernières élections.
12:48Madame, c'est 22 millions de voix portées sur Emmanuel Macron, ce qui a permis au président
12:55de la République d'être réélu.
12:56Moi, j'en ai ras-le-bol d'entendre 11 millions de voix, et dès que vous dites un truc sur
13:00le RN, c'est « vous injuriez les électeurs ».
13:03Écoutez, il y a 22 millions de voix qui se sont portées sur Emmanuel Macron, que je
13:07sache, il a été réélu, le mandat c'est 5 ans, et puis pardon, mais Mélenchon, c'est
13:14le bordel, on le sait bien, et la gauche républicaine, qui met très cher, devrait
13:20se détacher de lui.
13:21Elle est en train de le faire, pas assez vite à mon goût, mais bon.
13:24Et de l'autre côté, c'est l'incarnation de l'ordre, et c'est la même chien-lit.
13:29Quand on a entendu le procureur requérir, et le procureur, c'est pas la décision,
13:35la décision sera rendue et les juges feront ce qu'ils ont envie de faire en toute indépendance.
13:39Vous n'avez pas vu qu'il y avait une accélération ? Là, Macron doit partir.
13:42Mais pourquoi ?
13:43Pour vous, c'est lié au procès des assistants parlementaires résumés RN ?
13:48C'est une absolue évidence.
13:50Vous avez vu qu'avant, elle disait non, non, non, le président de la République
13:53est élu, elle jouait le jeu de la cravate institutionnelle, si j'ose dire, ils avaient
13:57mis des cravates, ils étaient très respectueux.
13:58Et puis quand les réquisitions ont été prononcées, là-dessus, les choses se sont
14:04accélérées.
14:0650 prisons ont été recueillies contre elle, et surtout 50 inéligibilités.
14:13Elle, elle dénonce la violence et l'outrance du réquisitoire, parle d'une mise à mort
14:16politique.
14:17Vous avez votre liberté de parole aujourd'hui, qu'est-ce que vous en pensez quand elle dit ça ?
14:21Non, non, mais j'ai la liberté de parole, mais je respecte toujours l'indépendance
14:24de la justice.
14:25Voyez, et on va voir ce que font les juges.
14:27Voilà, je ne vais pas m'exprimer dans un procès qui n'est pas achevé, qui n'est
14:32pas terminé.
14:33En revanche, le texte qui permet, pardon de le dire ainsi, l'inéligibilité avec exécution
14:41provisoire et immédiate me choque.
14:43Le texte.
14:44Pourquoi il vous choque ?
14:46Parce que c'est contraire à la présomption d'innocence.
14:49Vous avez une situation, ne parlons pas de Mme Le Pen, mais une situation dans laquelle
14:52quelqu'un pourrait être interdit de mandat politique, il interjette appel, il est relaxé,
15:00on fait comment ?
15:02Voilà, je pose la question.
15:04Moi, ça, ça me chagrine.
15:06Mais pour le reste, les juges ont un texte, il existe, ils sont censés appliquer la loi,
15:13ils l'appliquent.
15:14Ça n'existe pas la justice politique ?
15:15Moi, ce que je peux vous dire, c'est qu'ils ont tenté de dire que c'était politique,
15:21etc.
15:22Je vais vous dire, le parquet de ce pays est indépendant, ils sont venus perquisitionner
15:25chez moi le bureau de la place Vendôme, ce qui est quand même le signe.
15:30Ce n'est pas dans tous les pays qu'on peut perquisitionner le bureau du garde des Sceaux
15:34en exercice.
15:35Tout ça, je l'évoque le 1er février à Marseille, je vais vous dire, parce que c'est pour moi
15:47très très important, j'ai des choses à dire avec du recul, un peu d'humour et aussi
15:53un peu de dérision.
15:54On voulait aussi poser quelques questions, en plus de celles à l'instant sur les assistants
16:00parlementaires à l'avocat, le verdict du procès des viols de Mazan est attendu ce
16:05jeudi, un procès qui a sidéré la France, suscité d'innombrables commentaires.
16:10Quel regard avez-vous porté sur ce procès ? Qu'est-ce qui vous a marqué ? Est-ce que
16:15vous comprenez que pour beaucoup, ce soit un procès pour l'histoire, un tournant dans
16:20l'approche française des violences faites aux femmes ?
16:23C'est un procès important parce qu'il a permis de mettre l'accent sur un type de
16:30viol qui n'est pas forcément le plus usité, la soumission chimique.
16:35Ça, effectivement, ça permet de prendre conscience des formes de non-consentement,
16:42évidemment.
16:43Voilà ce que je peux dire, pour le reste, je ne vais pas non plus commenter, le verdict
16:48n'est pas rendu.
16:50Si je vous dis tout, avec beaucoup de liberté, je comprends bien sûr le soutien, l'aide
16:59que l'on apporte à Gisèle Pellicot, qui est une femme courageuse en ce sens qu'elle
17:04a permis ce débat public, au fond, elle pouvait l'éviter.
17:06Je suis un peu plus circonspect sur les manifestations au sein du palais de justice.
17:12Et d'honneur, c'est ça.
17:15J'ai vécu des manifestations d'hostilité à l'encontre de certains accusés, parfois
17:21de soutien aussi.
17:22Je trouve qu'au sein du palais de justice, ça me dérange.
17:26Devant le palais de justice, mais pourquoi pas ? Ailleurs, pourquoi pas ? Au sein du
17:30palais, j'ai une petite réserve.
17:32Un mot sur la situation politique de la France, elle est plongée depuis juin dernier dans
17:36une instabilité inquiétante, même je dis juin dernier, mais depuis janvier en fait,
17:40parce que quatre premiers ministres en un an, Michel Varnier renversé au bout de trois
17:45mois et un François Bayrou qui n'a pas à ce stade d'assurance de pouvoir durer plus
17:48longtemps.
17:49Cette instabilité, pensez-vous qu'elle peut fragiliser les institutions ?
17:52A l'évidence, mais la situation, vous savez, tout est aujourd'hui la faute d'Emmanuel
18:01Macron.
18:02En l'occurrence, c'est lui qui a dit sous.
18:04Oui, moi je suis favorable à la dissolution, si vous me posez la question, je vous dirai
18:07que je vous la pose.
18:08Vous êtes un des rares qui défendez la dissolution.
18:11Le gouvernement auquel j'ai eu l'honneur d'appartenir, il serait tombé là, à l'automne.
18:15Le gouvernement auquel vous n'avez pas l'honneur d'appartenir, il est tombé, il y en a un
18:19autre encore.
18:20J'entends, mais la censure...
18:21Il a dit qu'il avait dit sous pour éviter l'instabilité politique, on y est.
18:24Il a dit qu'il avait dit sous aussi parce que nous aurions droit, si j'ose dire, pardon
18:28pour cette formulation, à la censure et de ce point de vue, il avait raison.
18:32Bon, maintenant, l'ambiance à l'Assemblée Nationale, ce n'est pas Emmanuel Macron.
18:39Emmanuel Macron, on lui reproche tout.
18:41Quand il décide seul, on dit c'est Jupiter.
18:44Et alors là, on y va.
18:46Quand il décide de redonner la parole au peuple, il a tort.
18:51Mais qui a composé l'Assemblée Nationale comme elle est aujourd'hui ? Madame Salamé,
18:56c'est nous.
18:57Et Emmanuel Macron, sa voix, elle compte pour une voix.
19:01Il a une responsabilité qui est de 1,66 millionième, pardon de le dire.
19:07Ensuite, ils sont incapables de se mettre d'accord.
19:09Alors, elle est fiancée, parce que c'est la chienlit, voilà, l'extrême droite, je
19:14vous en ai dit deux mots.
19:15Et quand on dit mais non, on a voulu essayer jusqu'au bout barnier, je rappelle que M.
19:20Tanguy, le sniper, toujours le même, il l'a appelé le fossile.
19:24Pas mal, une belle façon d'accueillir un Premier ministre, parce que ces gens, ils
19:28donnent des leçons de respectabilité, etc.
19:30Le fossile, voilà comment c'est parti.
19:32Ensuite, les partis traditionnels.
19:34Mais bon Dieu, pourquoi ils ne se mettent pas d'accord ? Moi, je suis le témoin direct,
19:41vivant de ce que l'on peut travailler ensemble sur des textes qui deviennent consensuels.
19:47On fait des compromis, moi j'en ai porté quatre, des textes, Madame Salamé, et des
19:52textes importants pour la justice de notre pays.
19:54Bon, on a fini par tomber d'accord, j'ai travaillé avec Retailleau, j'ai travaillé
19:58avec des socialistes, j'ai travaillé, voilà, avec tout le monde.
20:01Ils ont, bon Dieu, embarqué aujourd'hui dans quelque chose qui est consensuel pour
20:06sortir le pays.
20:07Il peut embarquer François Bayrou, il peut être l'homme qui embarque.
20:10Mais moi je l'espère de tout cœur, franchement je l'espère de tout cœur.
20:13Mais ce qui se passe au Parlement n'est pas de la responsabilité du Président de
20:17la République.
20:18S'il vous appelle, vous y retournez ? Si François Bayrou vous appelle ?
20:20Non.
20:21Finie la politique ?
20:23Alors, finie.
20:24Vous savez, une fois j'ai dit « jamais je n'irai », etc., on me l'a rappelé
20:27je ne sais pas combien de fois, je ne dis pas « fini », mais je dis « non, pour
20:31le moment ».
20:32Vous attendez le Conseil constitutionnel peut-être ?
20:34Je ne crois pas.
20:36Ça veut dire quoi « je ne crois pas » ? Vous ne rêvez pas de…
20:39Non, je n'attends pas le Conseil constitutionnel.
20:42Si je m'embarque au théâtre, c'est que je n'envisage pas le Conseil constitutionnel.
20:49Dernière question sur la langue des politiques.
20:54Est-ce qu'il y a trop de langue de bois ?
20:55Est-ce une parole surplombante, technocratique, pour le dire simplement, une langue morte ?
21:01C'est une langue nécessaire en tous les cas.
21:04Moi, je veux bien que la transparence soit appelée par tout le monde, mais la transparence
21:12ça devient de la transperçance.
21:13Il y a des choses que vous ne pouvez pas dire.
21:15Vous voulez un exemple ? Je vous donne un exemple.
21:16Je reçois une présidente d'une association féministe très très engagée.
21:22Elle me dit « Monsieur le ministre, vous savez, je suis allé faire un voyage à l'étranger
21:26et puis je me suis rendu compte qu'on traitait mal les victimes dans notre pays.
21:30Je ne vais pas vous rappeler ce qui a été fait par moi, par Gérald Darmanin, peu importe.
21:35» Elle me dit « mais ce que je trouve scandaleux, c'est qu'un juge d'instruction se préoccupe
21:39parfois de la personnalité de la victime, que moi j'appelle d'abord la plaignante.
21:47Et elle me dit « mais c'est scandaleux, c'est inadmissible, je lui dis « mais Madame, savoir
21:52par exemple, pour la justice, savoir qu'une victime a pu, qu'une plaignante a pu par
21:57le passé accuser à tort, mensongèrement un homme, ça vous paraît utile, pas utile ? »
22:01Elle dit « non, ça ne me paraît pas du tout utile.
22:03» Bon, quand vous êtes ministre, vous ne dites rien.
22:05Si vous n'êtes pas ministre, vous dites « Madame, là, voilà, c'est pas possible.
22:09» Mais si vous dites « c'est pas possible » et si vous allez plus loin avec beaucoup
22:12de liberté, à la sortie, vous avez la conférence de presse en disant « mais le ministre, il
22:17ne s'intéresse pas aux victimes, il n'est pas empathique, etc. ». Oui, c'est ça.
22:21Je pense qu'à la fois, on reproche aux politiques une langue de bois, mais en même
22:27temps, on ne peut pas faire sans.
22:29C'est ça la réalité.
22:30Mais c'est vrai pour vous aussi, vous ne pouvez pas dire tout ce que vous pensez.
22:35Enfin franchement, parce que si vous dites ce que vous pensez parfois, si vous n'êtes
22:38pas dans le politiquement correct, ce deux-moments, vous êtes viré.
22:41Donc, vous êtes tenu à une certaine réserve.
22:44C'est à la fois une protection pour le ministre et c'est aussi une protection pour le gouvernement
22:49auquel il appartient.
22:50Bien sûr qu'on ne peut pas tout dire.
22:51Vous avez des dissensions avec un collègue, vous n'allez pas les exposer.
22:55Moi, je n'ai pas toujours été d'accord avec Gérald Darmanin.
22:58Bon, mais je n'en ai jamais fait montre en place publique.
23:02Parce que, alors on va dire « mais si, ça nous intéresse, on a besoin de savoir, on
23:06a besoin de la transpersance ». Ouais, ok, moi, je n'aime pas la transpersance.
23:10Et il y a des choses que l'on ne peut pas dire, voilà, pour des raisons toutes simples.
23:13Il vaut mieux fermer sa gueule ou partir ?
23:15Non, mais là, c'est la formule de Chauvinement.
23:18Moi, je ne partage pas ça.
23:20Il vaut mieux parfois ne pas dire les choses parce qu'on ne peut pas les dire, voilà.
23:25Ce n'est pas plus compliqué que ça, c'est une réalité, tout le monde la connaît.
23:27Mais en revanche, ça se transforme comment et c'est traduit comment ? J'évoque ça
23:31aussi le 1er février.
23:32Ça se traduit comment ça ? Je vais vous dire « ah, ben, il ment, sont des menteurs ». Non,
23:37il y a une forme de préservation à laquelle il faut être attentif.
23:42C'est vrai, c'est vrai pour vous, c'est vrai pour moi, c'est vrai pour tous ceux
23:48qui s'expriment publiquement.
23:49J'ai dit oui, à partir du 1er février au Théâtre Marigny, ça donne envie d'y aller.
23:56Ah ben oui, j'espère bien.
23:58Carrément.
23:59Merci Eric Dupond-Moretti d'avoir été au micro d'Inter ce matin.