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"Cette femme est méconnue des gens et il était temps de mettre à l'honneur pour sa liberté à tous les niveaux", affirme Sandrine Kiberlain, à propos de son rôle dans "Sarah Bernhardt, La Divine" de Guillaume Nicloux dans lequel elle incarne la célèbre comédienne.

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Transcription
00:007h49, Sonia Devillers, votre invitée incarne Sarah Bernard, la divine dans le film de
00:06Guillaume Niclou qui sort le 18 décembre.
00:09Bonjour Sandrine Kiberlin, la plus grande actrice française de tous les temps, la légende
00:15de la tragédie mondialement connue en cette fin de XIXe siècle, adorée de Victor Hugo,
00:21Sarah Bernard, le premier des monstres sacrés.
00:24Pour une actrice française aujourd'hui, c'est un rôle terriblement intimidant ou
00:28terriblement excitant ? On se jette dessus ou on part en courant ?
00:32Eh bien on se jette dessus en ce qui me concerne ! Non, non, c'est l'occasion de jouer la
00:37démesure, la liberté, de s'autoriser toutes les libertés puisqu'elle les avait toutes.
00:42Aussi bien sur scène que d'ailleurs dans sa vie, on la connaît mal Sarah Bernard.
00:46Et comment on peut se représenter en 2024 le succès phénoménal qu'a connu cette
00:52femme ?
00:53C'est hors norme, donc il n'y a pas d'équivalent, j'ai essayé de chercher en la jouant mais
00:57il n'y a pas d'équivalent.
00:58Dans les pop stars d'aujourd'hui ?
00:59Même pas parce que pour vous donner une idée, quand elle jouait à l'Odéon Ruy Blas, les
01:05hommes quittaient la salle avant elle pour démanteler les chevaux, remplacer les chevaux
01:08pour la raccompagner chez elle par exemple.
01:10Pour tirer son carrosse ?
01:11Oui, ou quand elle allait jouer dans les tranchées, les hommes se mettaient au sol pour qu'elle
01:18marche sur eux, pas dans la boue.
01:19Et on disait que les gens pleuraient dans les salles, s'évanouissaient.
01:23Elle était spécialiste de l'agonie, on venait la voir mourir sur scène et les gens
01:28se sentaient mal, avaient vraiment des malaises.
01:31On vous voit mourir sur scène, c'est même l'ouverture du film, Sarah Bernard agonise
01:40sur les planches et puis après, on ne voit plus Sarah Bernard jouer sur scène.
01:45C'est un parti pris radical quand on veut réincarner à l'écran une actrice qui a
01:52consacré toute sa vie à la scène et au texte.
01:55Pourquoi ?
01:56Parce que c'était la réduire presque à une moquerie, parce qu'aujourd'hui quand
02:01on entend, moi je ne l'ai pas fait avant de tourner, je me suis jetée dans ce rôle
02:04parce que le scénario de toute façon est écrit pour raconter autre chose d'elle.
02:08C'est une touche à tous, c'est une femme qui a sculpté, qui a dessiné, qui a surtout
02:13eu une vie engagée politiquement, engagée amoureusement, engagée…
02:17Oui, mais les planches, la scène, ça reste sa colonne vertébrale.
02:20La scène, on la voit dans le film, diriger les autres, c'est une femme d'affaires,
02:25elle tenait son théâtre, elle dépensait tout, c'est elle qui achetait les décors,
02:30qui d'ailleurs cassait les décors quand ça ne lui plaisait pas.
02:32Elle avait une autorité qui n'était pas… Elle était toujours extrêmement impliquée
02:39mais passionnée, donc on lui pardonnait tout, elle emportait tout le monde sur son passage.
02:42Et elle était célèbre pour sa diction, son emphase, son phrasé.
02:46Il reste des enregistrements.
02:48Son vibrato complètement fou.
02:50Oui, moi j'ai écouté ça après le film, puisque ce n'était pas le propos du film,
02:54et que effectivement ça aurait été très réducteur, voire moqueur, parce qu'aujourd'hui
02:58c'est inaudible.
02:59Mais moi, ça m'a fait pleurer, c'est comme un instrument de musique, si vous voulez
03:02que vous entendez.
03:03C'est un vibrato infini pour dire une phrase de Phèdre.
03:07Mais si on avait joué ça, nous on a voulu, si vous voulez, je pense qu'avec Guillaume
03:11Niclou, on a voulu rendre l'énergie de cette femme, sa modernité en fait.
03:16Et on la voit ne pas se coucher, ne pas se lever, enfin vivre à 2000% une vie de théâtre
03:23mais aussi une vie sociale incroyable.
03:24Alors, pas seulement, Sarah Bernard elle est divorcée, elle vit une liaison très libre
03:30avec le plus grand acteur de l'époque qui s'appelle Lucien Guitry, qui est le père
03:33de Sacha Guitry.
03:34Et d'ailleurs Sacha Guitry sera le filleul de Sarah Bernard.
03:38Oui, il l'appelait la deuxième mère.
03:39Voilà, Sarah Bernard, elle collectionne les Maîtresses, les Aventuras 3, les scènes
03:45de sexe débridées.
03:47Ça reste un personnage transgressif en 2024 ?
03:49En tout cas, elle était tout ce qu'on croit être nouveau, moderne, aujourd'hui, extrêmement…
03:57Voilà, elle le vivait déjà à la fin du XIXe siècle, donc elle s'en foutait d'aimer
04:05les femmes, les hommes, de jouer même des hommes.
04:07Elle est conspuée pour ça ? Oui.
04:09Elle est conspuée, elle est détestée, elle est agressée, elle est attaquée pour ça ?
04:13Elle est agressée parce que juive, elle était déjà victime de l'antisémitisme, elle
04:17prend déjà position pour des choses…
04:19Enfin, on est fin XIXe siècle, elle est contre la peine de mort et elle le dit.
04:24C'est une femme qui agit.
04:25Il y a une séquence dans le film où elle raconte une exécution capitale et on sent
04:30que ça la révulse.
04:31Ça la fait traumatiser, oui, totalement.
04:32Et puis elle est physiquement, je pense, l'injustice la rend malade, parce qu'elle
04:37estime être injuste, elle la rend malade et elle prend parti, elle le crie, elle le
04:43dit, elle va voir Zola, qui était la plume de l'époque, pour prendre position pour
04:50défendre Dreyfus.
04:51Il faut qu'on raconte.
04:52Donc là, le film que Niclou a situé à la toute fin du XIXe siècle, parce qu'en fait
04:58elle va mourir dans l'entre-deux-guerres, donc elle a connu la Première Guerre mondiale,
05:02elle l'a dit, elle a voulu jouer pour les soldats qui étaient dans l'étranger.
05:07Elle a voyagé à travers le monde, elle est connue mondialement, elle s'en fout de ne
05:10pas parler l'anglais.
05:11Elle dit que les émotions passent dans tous les pays.
05:13Voilà.
05:14Et à la fin du XIXe siècle, donc on est en plein dans l'affaire Dreyfus, elle est
05:18ce qu'on appelle une Dreyfusarde, c'est-à-dire qu'elle prend fait et cause dans un climat
05:22de violence et d'invectives tous asimiques pour le capitaine Dreyfus, qui est condamné
05:26pour trahison militaire, qui est condamné pour le bagne et elle, elle dit non et non
05:31et non.
05:32Il est condamné par antisémitisme et on vous voit dans le film citer Maurice Barrès
05:35« je n'ai pas besoin de savoir de quoi Dreyfus est coupable, je le déduis de sa race ».
05:40Exactement.
05:41Et c'est la seule fois où, quand elle aime son fils inconditionnellement, elle lui envoie
05:46un verre à la figure quand lui ose dire devant elle qu'il n'est pas d'accord.
05:50Et alors cette scène avec Émile Zola où Sarah Bernard l'invite à déjeuner pour
05:55lui dire « vous devez prendre fait et cause », c'est vrai ?
05:57C'est une scène pour moi capitale dans le film parce que d'abord elle est très
06:00méconnue des gens cette femme.
06:02C'est vraiment une femme qu'il était temps de mettre à l'honneur pour tout ce
06:05qu'on dit là, pour sa liberté à tous les niveaux.
06:08Mais pour moi c'était une scène capitale parce qu'elle y va avec tout son cœur,
06:12elle va lui dire ça, on a l'impression que c'est un des moments les plus capitaux
06:15de sa vie.
06:16Mais elle a eu lieu cette rencontre ?
06:17Oui, elle a eu lieu.
06:18Oui, il y a les témoignages.
06:19Après, tout se recoupe, tout se découpe, enfin il y a mille témoignages, mille propos
06:27mille vérités qu'a été cherché Nathalie Letreau, la scénariste, et on aurait pu
06:33en mettre encore plus, il y a mille versions possibles de Sarah Bernard.
06:36Qu'est-ce qu'il y a de Sandrine Kiberlin dans cette actrice d'il y a un siècle ?
06:42D'abord, Sarah Bernard déplore que les personnages de femmes, à part Fèdre, de
06:46Racine, ne lui apportent pas de sensations assez intenses.
06:49Vous diriez la même chose ?
06:51A preuve que non, moi je ne suis pas Sarah Bernard aujourd'hui, donc moi je serais
06:55de ma classe.
06:56Sarah Bernard a joué des hommes sur scène ?
06:57Oui, oui, oui.
06:58Elle a joué Hamlet, elle a joué Lorenza Cio.
06:59Oui, elle a choisi, elle dit même à Edmond Rostand qu'elle a découvert, c'est quand
07:03même elle qui a découvert certains auteurs.
07:04Quand il l'écrit, elle le dit dans le film, puisqu'ils ont une aventure pendant un moment,
07:09et elle le découvre comme auteur, il est en train d'écrire Cyrano de Bergerac, elle
07:13trouve le titre un peu moyen et elle lui dit donc c'est un rôle pour moi ?
07:15Il dit non.
07:16Elle dit si.
07:17Elle, elle avait peur de rien.
07:18Mais elle avait peur de rien, elle vivait avec des animaux sauvages, moi j'ai tourné
07:22trois minutes avec une panthère, j'étais tétanisée, elle, elle vivait avec un puma
07:26au bout d'une laisse, elle vivait avec des crocodiles, elle répétait dans un cercueil.
07:29Sarah Bernhardt dit « je me quitte pour entrer dans un personnage », vous dites la même
07:34chose ?
07:35Oui, je trouve que c'est la plus belle phrase qu'on puisse dire pour les acteurs.
07:38Je me suis quittée pour jouer Sarah Bernhardt pendant deux mois.
07:42Vous avez déjà répété dans un cercueil ?
07:44À l'occasion de la jouer, mais jamais sinon.
07:48Pourquoi vous avez quitté les planches ? Vous qui êtes fille d'un père auteur dramatique,
07:54vos parents se sont rencontrés dans une troupe de théâtres amateurs, vous qui avez
07:58fait le conservatoire national, qui avez été Moliérisé, je ne sais pas si ça se dit,
08:01quand vous étiez très jeune, pour une pièce écrite par votre père, pourquoi vous avez
08:05quitté les planches ?
08:06Parce qu'on ne les quitte jamais vraiment, peut-être que j'y retournerai, mais parce
08:09que je suis extrêmement gâtée et chanceuse au cinéma et que je pensais que le cinéma
08:12réduisait les émotions, qu'au théâtre on pouvait s'exprimer plus.
08:16Mais en fait, comme j'ai compris très tôt que la caméra était mon allié et que j'étais
08:22de toute façon, même en rentrant au conservatoire, une amoureuse folle du cinéma, je l'ai un
08:26peu regardée de travers d'ailleurs, donc je l'ai assumée et je suis très heureuse
08:30au cinéma.
08:31Merci Sandrine Kiberlin, la divine Guillaume Niclou, en salle le 18 décembre.
08:36Merci.
08:37Et merci Sonia De Villers.

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