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00:007h-9h, Europe 1 Matin.
00:03Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le consultant, professeur et spécialiste du Moyen-Orient, Frédéric Rancel.
00:10Bonjour Frédéric Rancel. Bonjour.
00:12Docteur en géopolitique, professeur à Sciences Po Paris, votre dernier livre, les voix de la puissance aux éditions Odile Jacob.
00:18Un état a changé de main ce week-end, Frédéric Rancel, ou plutôt il est tombé de celle qui le tenait d'une main de fer depuis un demi-siècle, le clan Assad.
00:27On parle évidemment de la Syrie.
00:28Le dictateur a quitté le pays après l'offensive fulgurante de plusieurs groupes rebelles qui ont mis l'armée du régime en déroute.
00:36Alors tout est allé très vite, à peine dix jours.
00:38Est-ce que c'est la conclusion de 13 années de guerre civile en Syrie selon vous Frédéric Rancel, ce qui s'est passé ce week-end ?
00:45Alors oui, c'est la conclusion de cela, c'est aussi la conclusion d'un échec dynastique absolument catastrophique
00:52puisque Hafez al-Assad, le père de Bachar, est arrivé au pouvoir en 1970 déjà par un coup d'État
00:58et n'a jamais cessé finalement d'exercer une répression mais également un certain nombre de coups de force d'occupation au Liban
01:08de mes alliances qui ont conclu à cet isolement et à cette catastrophe.
01:13Et puis c'est aussi le résultat de l'écrasement, il n'y a pas d'autre terme du frisbeau là,
01:18dans le cadre de sa guerre qu'il a enclenché lui-même le 8 octobre 2023 face à Israël
01:23et au cessez-le-feu qui a vu le frisbeau là subir un rapport de force catastrophique.
01:29Il faut bien comprendre qu'Assad avait été littéralement sauvé sur le terrain en pleine guerre civile en 2015, 2016, 2017
01:38par les fantassins, par les soldats du frisbeau là, par des cadres de l'Iran
01:42et vous savez à quel point l'Iran aussi a pris des coups très durs par Israël ces derniers mois.
01:48Et puis par l'aviation russe mais aujourd'hui les russes sont empêtrés littéralement en Ukraine.
01:53Donc c'est un peu tout ça qui a créé les conditions propices à la chute rapide d'Assad.
01:57Oui et puis la force aussi de ce groupe dont le grand public a découvert l'existence
02:02mais qui existe déjà depuis un moment HTC ou HTS comme on l'appelle, Hayat Tahrir al-Sham.
02:08Qu'est-ce que c'est que ce groupe exactement Frédéric Ancel ?
02:11Alors très clairement ce sont des islamistes, les choses là-dessus sont tout à fait claires.
02:16Les djihadistes, les islamistes, est-ce qu'on peut les caractériser un peu plus précisément ?
02:19C'est ça, alors c'est une mouvance islamiste bien évidemment
02:23au sein de laquelle vous avez des gens comme Jolani, comme le chef, qui a été très clairement djihadiste.
02:29Donc tous les djihadistes sont des islamistes mais tous les islamistes au monde ne sont pas des djihadistes.
02:34Ce sont des gens qui ont voulu non seulement imposer une charia extraordinairement violente
02:40notamment en Irak ces dernières années et qui pour un certain nombre
02:44vraisemblablement est-ce le cas pour Jolani,
02:47se sont tactiquement, je dis bien tactiquement, mués en ce que j'appelle des localistes.
02:53C'est-à-dire des gens qui restent des islamistes, qui souhaitent effectivement imposer tout un système
02:58de représentation et de loi tirée d'une interprétation politique très dure de l'Islam
03:05mais davantage localisé.
03:07Et ce seraient des gens, je dis bien, ce seraient des gens qui
03:10aujourd'hui un peu à la manière des talibans en Afghanistan, ne chercheraient pas à étendre le djihad
03:16mais plutôt à se concentrer sur un seul espace, en l'occurrence pour l'instant plutôt l'espace syrien.
03:21On l'a vu ce week-end à la mosquée des Omeyad à Damas,
03:26en treillis, donc non pas en turban,
03:29déployant le récit de l'islamiste raisonnable.
03:33Or, il est quand même le fondateur de Jabhat al-Nosra,
03:36c'est-à-dire historiquement Al-Qaïda en Syrie.
03:39C'était un sanguinaire cet homme-là, alors est-ce que vous croyez sa conversion sincère
03:43ou bien c'est de la taquilla, selon vous, de la dissimulation ?
03:46Oui, je pense qu'on a affaire à des gens qui, contrairement à ce que j'entends depuis quelques jours,
03:50ne sont pas modérés parce qu'on a affaire à un oxymore, un islamiste n'est pas modéré.
03:54Mais à des gens qui, pour l'instant en tout cas, font oeuvre de pragmatisme,
03:58c'est-à-dire qu'ils tiennent compte des rapports de force.
04:01Certes, ils ont fait s'effondrer un régime vermoulu et littéralement comme un fruit pourri,
04:06si vous voulez, en quelques jours, mais ça ne signifie pas qu'ils constituent d'ores et déjà
04:10une véritable puissance très importante.
04:12Je rappelle qu'ils ne disposent aujourd'hui que d'une petite partie du territoire syrien
04:18en plein exercice de leur contrôle.
04:21Tout le nord-est kurde leur échappe, l'extrême nord leur échappera de toute façon
04:25parce que c'est une zone tenue par les turcs,
04:27et pour l'instant en tout cas, la côte alaouite ne leur appartient pas.
04:31J'ajoute enfin qu'au sud, et notamment au sud-ouest,
04:34les israéliens sont extrêmement vigilants,
04:36ils ont déjà conquis le sommet du Khermon,
04:39donc du mont Antiban en quelque sorte,
04:42pour éviter que cette nouvelle coalition s'approche de leurs frontières.
04:45Donc pour l'instant, je pense, je peux bien sûr me tromper,
04:48qu'ils jouent le pragmatisme pour ne pas effrayer les occidentaux
04:52et une grande partie de la population syrienne elle-même.
04:54Les caméras de télévision ont beaucoup montré la joie des Syriens
04:57et notamment de ceux qui sont exilés et qui ont dû quitter leur pays
05:00parfois depuis plusieurs décennies, de voir tomber le régime de Bachar el-Assad.
05:04La question qui se pose c'est, et maintenant ?
05:06Il y a beaucoup le scénario d'un scénario à l'irakienne,
05:09c'est-à-dire d'un éclatement du pays.
05:10Est-ce que la Syrie, vous pensez, peut disparaître,
05:13peut se diviser dans ses différentes factions,
05:16ses différentes zones géographiques,
05:18sous l'effet de ce qui s'est produit ce week-end, Frédéric Ancel ?
05:22La réponse est oui, parce qu'un peu comme en Irak,
05:24la notion de Wattah, de nation en arabe,
05:29même si elle a été promue quotidiennement depuis 1970 par Assad,
05:34qui néanmoins faisait la politique d'un clan, le sien, les Alawites,
05:38donc cette notion d'état-nation, et c'est vrai malheureusement,
05:40à mon avis malheureusement, dans l'ensemble du Moyen-Orient
05:43et dans une grande partie de l'Afrique subsaharienne,
05:46cette notion d'état-nation est très faible.
05:48Autrement dit, sur place, vous faites d'abord prioritairement allégeance,
05:53et c'était en particulier vrai en effet en Irak,
05:55vous avez raison de citer cet exemple paradigmatique,
05:58à votre clan, à votre ensemble de clans, à votre tribu,
06:02à votre groupe confessionnel, à votre groupe linguistique,
06:05comme les Kurdes par exemple.
06:06Et donc en Syrie, on a effectivement aujourd'hui
06:09une possibilité de voir cette mosaïque éclater.
06:12Alors vous me direz, en Irak, l'état existe toujours,
06:15mais c'est un état qui est extrêmement divisé,
06:17fractionné en effet entre différentes communautés,
06:20et on peut voir ce schéma s'imposer en Syrie.
06:22Merci beaucoup Frédéric Ancel, avec nous ce matin sur Europe 1.
06:25Merci à vous.
06:26Je rappelle le titre de votre dernier ouvrage,
06:27Les Voix de la Puissance, aux éditions Odile Jacob.
06:29Bonne journée.
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