• il y a 14 heures
"Le désamour, c'est ce moment où on est obligé de se soucier de soi si on veut s'en sortir."
BRUT PHILO. L'amour, OK, ça, tout le monde en parle. Mais le désamour, ce moment où on s'éloigne d'une chose ou d'un être aimé ? La philosophe Fabienne Brugère nous en parle…
Transcription
00:00Le désamour, c'est une épreuve de vie, mais c'est une épreuve de vie qui peut amener à revivre,
00:07ou plutôt à vivre autrement, et donc à pouvoir appréhender autrement l'amour.
00:13On n'est plus le même après un chagrin d'amour,
00:18parce que précisément, on est sorti de quelque chose de difficile,
00:22on est sorti d'une épreuve,
00:24et justement, on s'est aussi constitué ce que j'appellerais un savoir de l'amour.
00:31Ce savoir de l'amour, il va nous aider à aimer différemment,
00:38et je crois même à mieux aimer.
00:41Enfin, souvent on refait les mêmes erreurs, me semble-t-il.
00:44Ce n'est pas sûr, tout dépend justement si on a vraiment enclenché ce processus du désamour.
00:54C'est sûr que si on se sépare pour reconduire tout de suite la même vie,
01:01dans ces cas-là, je pense qu'on n'a pas appris à les aimer.
01:05Je crois fondamentalement que l'identité est multiple, qu'il y a toujours plusieurs moi en nous.
01:11Ce que nous expérimentons dans une relation amoureuse,
01:15surtout quand elle est intense, qu'elle est partagée,
01:18c'est finalement une dimension de notre moi.
01:22Nous privilégions quelque chose en nous,
01:26parce que précisément, c'est ce qui marche dans la relation.
01:29On se construit un moi qui va dans une direction.
01:32Et au moment de la fin d'une relation amoureuse,
01:36en particulier dans ce moment tragique qui inaugure le désamour,
01:43on devient quelque part un sujet fragmenté.
01:48On va voir apparaître des possibilités du moi
01:52qui n'existaient pas dans la relation qu'on avait construite.
01:57Parce que précisément, cette relation, on l'avait bâtie dans un sens,
02:01parce que l'amour c'est un événement, c'est une rencontre,
02:04mais c'est aussi une construction.
02:06Et dans la construction, il y a forcément des possibilités que l'on laisse de côté.
02:10Parce que l'amour, c'est un décentrement.
02:13C'est-à-dire, c'est un moment où on se rapporte à l'autre.
02:17Et d'ailleurs, dans cette relation, il y a souvent de grands déséquilibres
02:22entre les hommes et les femmes encore.
02:25Et je crois que le désamour, c'est ce moment
02:30où on est obligé de se soucier de soi si on veut s'en sortir.
02:37On pourrait vous dire que c'est de l'égoïsme ?
02:40Non, pas du tout.
02:42L'égoïsme, c'est le fait de ne se rapporter qu'à soi,
02:47c'est le fait de ne penser qu'à soi,
02:49c'est le fait de déployer son intérêt, quoi qu'il en soit,
02:54des circonstances, son simple intérêt.
02:57Le souci de soi, c'est justement le fait
03:01de pouvoir, à partir de soi, se rapporter aux autres.
03:05Est-ce qu'on aime différemment aujourd'hui
03:08ou qu'on désaime différemment aujourd'hui
03:11parce que les réseaux sociaux, parce que le numérique ?
03:14Déjà, il y a un fait de société.
03:16Le fait de société, c'est que les couples sont moins stables.
03:20Ils sont moins stables parce qu'ils sont moins obligés à être stables.
03:25La possibilité même de raconter la fin d'un amour
03:30est de plus en plus présente sur les réseaux sociaux.
03:35Et donc, comme on la raconte de plus en plus,
03:37d'une certaine manière, elle est banalisée.
03:41Elle rentre dans le quotidien de nos vies.
03:44Et puis, on pourrait ajouter que tous les sites de rencontres,
03:48et il y en a de plus en plus,
03:50ça fonctionne, bien sûr, comme la possibilité de rencontrer quelqu'un,
03:55mais ça fonctionne aussi comme la possibilité de finir une histoire
03:59parce qu'on sait qu'on va pouvoir en enclencher d'autres.
04:02Je pense que les jeunes générations
04:05sont vraiment beaucoup moins prêtes
04:09à accepter la figure de l'amour fusion.
04:13Justement, cette figure illogique du 1 plus 1 égale 1.
04:17Et que, en particulier, les jeunes femmes
04:22ne sont pas prêtes à abandonner
04:26tous leurs tissus relationnels, leurs amis,
04:30leur réseau professionnel,
04:33qu'elles ont quand même vécu.
04:36Elles ont vécu me too.
04:37Elles se rendent vraiment compte plus vite
04:42du fait qu'elles n'aiment pas quand elles n'aiment pas
04:45et elles hésitent beaucoup moins à rompre.
04:48Et je pense qu'elles hésitent beaucoup moins à terminer une relation aussi
04:52parce que les familles, elles-mêmes,
04:56sont de plus en plus des familles qui ont été confrontées
04:59à la séparation, au divorce.
05:01Donc, dans leurs histoires familiales,
05:04elles ont vu aussi comment s'agentaient les séparations,
05:07comment pouvaient s'agentaient à ce moment-là
05:10des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes,
05:13comment ça a pu se passer pour leurs parents.
05:15Et donc, je crois qu'elles sont éminemment plus réalistes
05:21et qu'elles ont beaucoup plus en tête
05:24la possibilité de leur chemin de vie.

Recommandations