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Face à deux guerres qui se déroulent à ses portes, et aux menaces qui pèsent sur les relations internationales, notamment après l'élection de Trump, l'Europe continue à être à la fois inaudible et impuissante.

Sur l'attitude à avoir envers le régime de Netanyahou, accusé désormais de crimes contre l'humanité, sur l'attitude à adopter pour parvenir à la paix en Ukraine, c'est la cacophonie, et la diplomatie européenne est aux abonnés absents, incapable d'adopter des positions communes.

Dans ce contexte de crise majeure, unique depuis la création de l'Union européenne, quelle rôle nouveau pourrait jouer le Parlement européen, sur quelles forces compter et quelle méthode ?

Entretien avec le nouveau vice-président du Parlement européen, Younous Omarjee, du groupe La Gauche.

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Transcription
00:00— Bonjour à vous et bienvenue dans cette rencontre au Parlement européen de Strasbourg. Bonjour à vous également, Younous Omarji. Merci d'être sur le plateau de l'Humanité.
00:09Vous êtes député européen, bien sûr, du groupe La Gauche. Et vous êtes maintenant le vice-président du Parlement européen, ce qui n'est pas tout à fait courant,
00:17d'ailleurs, d'avoir un vice-président du Parlement européen qui soit du groupe La Gauche. Mais j'allais dire comme ça, juste une petite impression.
00:25Ça change votre regard sur le Parlement d'avoir devant vous tout le monde, d'être obligé de sentir un peu ce qui se passe à droite et à gauche,
00:32d'écouter, de supposer, de donner la parole ou pas, etc. Ça change votre vision du Parlement ?
00:39— Bien sûr. Mais présider les débats et les séances, ce n'est qu'une partie de l'action d'un vice-président qui a en charge un portefeuille.
00:52Et la présidente Metzola m'a confié un portefeuille qui est très important, puisque j'ai la responsabilité de la relation avec les régions et les villes d'Europe
01:02dans la continuité de mon action en tant que président de la commission régie. J'ai la responsabilité du continent africain. Ça fait du travail.
01:14J'ai la responsabilité au nom, en délégation de la présidente, des relations avec les petits États insulaires en développement.
01:23C'est ce que j'ai demandé, parce que je suis convaincu que le siècle qui est devant nous est le siècle des îles.
01:31— Je vous posais cette question tout à l'heure, qui est extrêmement importante. — Pour créer et consacrer une émission entière.
01:36— Et puis bien sûr la responsabilité des relations avec les autorités françaises, concernant surtout le siège à Strasbourg.
01:46C'est un sujet que vous connaissez bien. Et nous devons consolider évidemment l'influence française dans les institutions européennes.
01:56Et puis bien sûr notre siège ici à Strasbourg. Le regard porté évidemment sur... Et présider les séances du Parlement européen,
02:08pour le député réunionnais que je suis, qui vient de l'Océan Indien, ce n'est pas rien. C'est une fonction qui est assez prestigieuse.
02:20Mais il est vrai que le regard porté sur l'Assemblée est un peu différent. Mais je me garderai bien de vous confier les sentiments qui sont les miens.
02:31— Bien sûr, bien sûr. On s'en doute. Alors autre chose, autre point extrêmement important. Vous arrivez, vice-président du Parlement,
02:39dans une conjoncture tout à fait particulière, encore une fois, puisqu'on se trouve en Europe avec deux guerres avec lesquelles on a des rapports.
02:49On n'est pas... C'est pas quelque chose qui est lointain pour nous. C'est très proche. On y investit de différentes manières.
02:55On en dira un mot tout à l'heure. Et à ma connaissance, si je ne me trompe pas, c'est la première fois depuis qu'existe l'UE que l'UE et le Parlement européen
03:05se trouvent confrontés à deux guerres qui se déroulent à ses portes, avec évidemment, bien sûr, la question de savoir qu'est-ce qu'on fait,
03:15qu'est-ce qu'on décide, comment il faut faire, tout simplement, pour aborder cette question. C'est une responsabilité, j'allais dire, presque historique, en réalité,
03:25parce qu'on peut imaginer que dans quelques décennies, on gardera à l'aune de ce qu'on voudra connaître, de ce qu'ont été ces deux guerres-là,
03:33ce qu'a dit le Parlement européen, ce qu'on en a raconté, etc. Est-ce que vous intériorisez, j'allais dire, cette dimension tout à fait spéciale
03:42du moment où vous arrivez à la vice-présidence du Parlement européen ?
03:46Évidemment, bien sûr. Mais je parle sous votre contrôle parce que vous suivez nos débats depuis très longtemps.
03:52Nous n'avons pas attendu le 7 octobre pour poser les problèmes au Moyen-Orient et en particulier en Palestine.
04:03Dès 2012, mais aussi le siège de Gaza en 2014, je suis monté plusieurs fois à la tribune, à l'époque avec Luisa Morgantini,
04:17puis ensuite avec Martina Andersson, notre collègue irlandaise qui était très impliquée sur ces questions,
04:24mais aussi avec Pablo Iglesias, avec lequel j'étais parti à Jérusalem et à Hebron.
04:31Donc, notre groupe a toujours été le groupe qui dénonce la colonisation et qui se bat pour les droits des Palestiniens.
04:43Arrive l'attaque du 7 octobre, puis la guerre menée par Netanyahou contre Gaza.
04:51Et tout naturellement, évidemment, nous sommes les premiers à dénoncer ce qui se passe, mais aussi à dénoncer le double standard.
05:02Et dans ce moment où vous avez une guerre en Europe, d'une part, avec l'agression russe en Ukraine,
05:10où le Parlement européen, de toutes les institutions, avec le leadership, il faut bien le reconnaître, de la présidente Metzola,
05:19a été l'une des premières institutions à prendre des positions très fortes contre l'agression russe et la violation du droit international.
05:30Eh bien, nous aurions aimé que les mêmes principes d'attachement au droit soient mis sur la table par le Parlement européen,
05:44ce qui n'a pas été le cas, malheureusement, au début.
05:49Et c'est notre groupe, là encore, et l'amendement que j'ai déposé, qui a permis qu'à un moment donné,
05:56notre Parlement demande d'un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza.
06:03Et aujourd'hui, nous sommes dans une situation qui est tout à fait nouvelle,
06:10qui demeure très inquiétante parce que je suis convaincu que Benjamin Netanyahou va continuer à intensifier ses bombardements
06:23jusqu'à l'arrivée de Donald Trump au pouvoir autour de janvier.
06:31Donc on n'en est pas encore sortis totalement et le cessez-le-feu que nous demandons, il tarde trop à intervenir.
06:41Nous sommes déjà à plus de 40 000 morts. C'est insupportable. C'est insupportable dans un monde qui se dit civilisé.
06:49Et pour l'Ukraine, évidemment, là encore, il faut espérer que les conditions soient enfin réunies pour que nous puissions aller vers une négociation,
07:00que nous puissions aller vers la paix, mais dans le respect, évidemment, du droit des Ukrainiens à ce que leur intégrité territoriale soit garantie,
07:12mais surtout à ce qu'aucun accord ne soit noué sans que les Ukrainiens n'y prennent part.
07:18Je reviens sur, bien sûr, la Palestine-Gaza. Il y a juste en face, ici, en ce moment même, à quelques mètres d'ici où on parle,
07:27à l'intérieur du Parlement européen, une manifestation de gens qui viennent défendre, soutenir le peuple palestinien dans les preuves qu'il est en train de connaître à l'heure actuelle.
07:37L'Europe, on le voit aussi, est très ambiguë, très cacophonique sur cette question.
07:46Elle a été en dessous de tout et tout ceci aura des conséquences terribles pour le futur parce que la fracture entre ce qu'on appelle l'Occident et ce qu'on appelle le Sud global
08:01risque d'être encore plus forte qu'elle ne l'est déjà. Et ce sont des générations et des générations de jeunes qui se trouvent dans le Sud
08:14qui risquent de nourrir des sentiments tout à fait hostiles vis-à-vis des Européens. Donc il faudra ensuite reconstruire cette relation.
08:26Ce sera particulièrement compliqué parce que chacun s'interroge sur les raisons profondes pour lesquelles la solidarité ne va pas vers les Palestiniens
08:42alors qu'ils sont victimes d'un génocide, alors que s'il accomplit des crimes de guerre et l'Europe qui se drape en permanence dans des principes vertueux,
08:56elle les oublie très vite lorsqu'il s'agit des Palestiniens. J'avais donné une explication en disant qu'il ne faut pas s'étonner que ces puissances
09:09qui ont été quasiment toutes des puissances coloniales puissent se solidariser à ce point avec une puissance, un pays qui met en œuvre une colonisation.
09:24Et il y a là une solidarité de fait qui éclate au grand jour et c'est la honte pour l'Europe. Mais c'est notre honneur que dans ce Parlement européen,
09:38de faire entendre une voix. D'abord en direction des peuples européens mais bien au-delà et ailleurs dans le monde. On observe ce qui se passe ici et on entend nos interventions.
09:55C'est ça qu'on parle de responsabilité historique maintenant.
09:58Et on sait qu'il y a des forces européennes qui sont en solidarité pour les principes de justice, contre la colonisation et qui travaillent pour la paix.
10:10Et à l'extérieur, on voit que dans le Parlement européen, comme vous venez de le dire, il y a des mobilisations pour faire entendre aussi cette voix de résistance.
10:25Donc c'est dans le Parlement européen que cela se fait. Ça tord un peu le coup à beaucoup d'idées en disant mais finalement aucune voix de solidarité ne peut être entendue.
10:40Tout est interdit, on empêche les manifestations, etc. Cela n'est pas vrai.
10:47Alors précisément en ce temps précis, puisque tous les jours la situation évolue, il y a des modifications permanentes qui obligent tout le monde,
10:56et notamment les responsables politiques comme vous, à s'adapter en permanence et à avancer par rapport à ce que vous êtes en train de dire là.
11:04C'est-à-dire qu'est-ce qui pourrait être fait, vu effectivement cette cacophonie aussi que vous décliniez des pays européens ?
11:12On voit ce qu'il se passe par exemple avec la décision de la Cour internationale de justice de lancer un mandat d'arrêt contre Netanyahou, son ancien ministre, etc.
11:23On voit aussi combien les pays sont déchirés, personne n'est d'accord, etc.
11:26Est-ce qu'il y a des initiatives à prendre au niveau du Parlement européen, dans la foulée de ce que vous disiez il y a quelques secondes,
11:33qui pourraient permettre d'avancer par rapport à ce qu'on a l'impression d'être un point de butée sur lequel on pourrait...
11:40Vous avez bien vu qu'il y a une forme d'impuissance. Mais cette impuissance, elle est créée par nous-mêmes, par ce que nous pouvons faire.
11:52C'est-à-dire cesser immédiatement de livrer des armes en Israël. En réalité, cette décision n'a pas été prise par l'ensemble des pays européens.
12:07La dénonciation de l'accord d'association et d'une série de partenariats économiques avec Israël, cette décision n'a pas été prise.
12:18Mais pour autant, l'une des clés pour que le conflit cesse est, non pas à Bruxelles ou à Strasbourg, mais à Washington.
12:32Et ce sont les Américains qui détiennent une bonne partie de la possibilité d'amener le gouvernement de Netanyahou à arrêter cette guerre.
12:46Sauf que l'élection de Donald Trump est une incitation pour le moment, pour Benjamin Netanyahou, de continuer.
12:57Ce qui est positif, c'est la décision de mettre un terme à la guerre contre le Liban.
13:04Donc, dans ce contexte extrêmement sombre, il y a là une voie, effectivement, pour espérer des lendemains un peu meilleurs, en tout cas pour le peuple libanais.
13:22Et nous devons en permanence réaffirmer notre pleine solidarité avec le peuple libanais, qui est un peuple ami, un peuple ami des Français en particulier.
13:36Et je trouve que les voix, dans le moment où Beyrouth Sud a été bombardée de manière extrêmement intense,
13:45dans ce moment où les Libanais sont excessivement inquiets chaque jour qui passe, je trouve que les voix françaises de solidarité ont été assez faibles.
14:00Et cela aussi aura des conséquences dans la relation entre le Liban et la France demain.
14:09Donc, Ukraine, Palestine, Liban, Gaza, on sent bien, dans ce qu'on est en train de dire, le besoin de paix.
14:20Ce besoin de paix qui n'a pas besoin finalement d'être affirmé autrement que ce qu'il est, c'est-à-dire le besoin de paix.
14:26C'est-à-dire qu'il n'y a pas besoin de raison particulière, on le fixe comme un impératif.
14:31Est-ce que ce désir de paix, vous le ressentez, vous, à l'intérieur du Parlement européen ?
14:35En tout cas, ce que je constate, c'est que jamais la paix, ce besoin de paix, comme vous le dites, ne doit devenir un gros mot.
14:45C'est une aspiration fondamentale, un marqueur très fort des sociétés civilisées.
14:54Et pendant toute cette période, on a un peu eu le sentiment que même le désir de paix pouvait apparaître comme étant un gros mot,
15:05ou une demande qui appelle à du courage.
15:11Tout simplement parce que lorsque vous demandez la paix pour l'Ukraine,
15:17immédiatement, on vous fait le procès d'être un supporter de Vladimir Poutine, ce qui est absurde.
15:26Et pareillement, lorsque vous demandez la paix au Proche-Orient et à Gaza,
15:33on vous fait le procès infâme d'être un supporter du terrorisme ou de l'islamisme.
15:40Cela veut dire que nous sommes dans un temps de réaction globale, de régression,
15:48de perte des valeurs, d'affaiblissement des principes du droit international qui ont été construits autour de l'objectif de paix.
16:02Et tous les traités d'ailleurs qui existent après la guerre froide vont vers l'objectif de paix.
16:15Et cela étant en recul aujourd'hui, nous entrons peut-être dans un monde où la violence, la force est en train de prendre le pas.
16:29On a ce sentiment.
16:30On a ce sentiment, il est extrêmement dangereux, il est très inquiétant.
16:36Et c'est pourquoi il faut revenir au niveau global, peut-être à travers un sommet global pour la paix.
16:47Et reprendre la marche sur tout ce qui concerne l'interdiction de certaines armes, la dénucléarisation,
16:56l'abaissement du nombre de missiles d'un côté comme de l'autre.
17:01Bref, reprendre l'ensemble de ces chantiers.
17:05Dans le Parlement européen, nous sommes les voix de la paix.
17:11Je ne pourrais pas dire qu'il y a des gens qui assument avec fierté la volonté de guerre et le désir de guerre.
17:24C'est déjà un point important.
17:25Mais pour autant, vous avez des positions qui font qu'on prend le chemin de la guerre.
17:34Et c'est ce qui nous sépare des autres.
17:37Toutes nos positions se construisent pour aller au plus vite vers la paix.
17:42Et pour d'autres, ce sont des positions qui, de mon point de vue, peuvent conduire à une accélération
17:51dans l'intensification des tensions, des conflits et peut-être d'une guerre généralisée,
17:59ce qui doit être absolument évité.
18:02Donc les discours et les positions qui sont prises par le Parlement européen,
18:07pour le coup, sont extrêmement importantes.
18:10Et je l'ai dit avec beaucoup de tristesse,
18:13mais si on avait écouté depuis dix ans les députés européens dans leur emportement,
18:22il y a bien longtemps qu'on aurait été dans une guerre généralisée en Europe.
18:28Donc il faut garder du sang froid.
18:30Heureusement qu'il y a des diplomates.
18:32Heureusement que la diplomatie reste à l'œuvre et il faut qu'elle s'intensifie
18:39et qu'on croit dans les processus de négociations politiques.
18:45Il n'y a pas d'autre moyen que de sortir des guerres qui traversent le monde.
18:51On parle de l'Ukraine et de Gaza, mais vous avez aussi des guerres en Afrique.
18:58Aujourd'hui, je pense en particulier en République démocratique du Congo
19:03et dans d'autres pays.
19:06Vous rappeliez tout à l'heure votre engagement au service,
19:10dans la promotion des régions, notamment des régions insulaires,
19:13de l'Afrique, vous venez encore à l'instant d'en reparler.
19:16J'allais dire, en quoi ces endroits particuliers qu'on oublie,
19:20que personne ne connaît réellement,
19:21ou même les régions dans la grande politique, ça devient un peu secondaire,
19:25en quoi justement elles sont une métonymie en tous les cas,
19:28un point où se posent tous les problèmes du monde à l'heure actuelle
19:31et un point à partir duquel il est important de réfléchir
19:35à tout ce qu'on est en train de dire là et qui est grave.
19:37Mais partout en réalité, partout se posent tous les problèmes du monde.
19:42Et les problèmes du monde sont concentrés partout.
19:47Tout se combine, à toutes les échelles, à tous les niveaux.
19:51Donc c'est un peu bateau aujourd'hui de dire
19:54que l'ensemble des défis planétaires se concentrent dans les régions.
19:57C'est vrai, l'ensemble des défis planétaires se concentrent dans les régions.
20:01L'ensemble des défis planétaires se concentrent dans les villes.
20:06Partout il faut régler les problèmes d'accès au logement.
20:10Partout il faut faire face à la révolution démographique.
20:13Partout il faut faire face à l'objectif de la lutte contre le réchauffement climatique
20:24et à la décarbonation des sociétés et des économies,
20:29à l'objectif d'autonomie énergétique.
20:33Partout se concentrent les défis des inégalités.
20:38Les inégalités tant à l'échelle mondiale qu'à l'intérieur des sociétés
20:45sont les plus graves, les plus importantes depuis le début de l'histoire humaine.
20:52Enfin, ça c'est une des particularités de notre monde.
20:56Nous sommes dans un monde qui jamais de toute l'histoire n'a accumulé autant de richesses
21:05et qui n'a créé autant d'inégalités.
21:09Et la finalité de notre action politique, à nous,
21:15c'est toujours agir pour tendre vers cet idéal,
21:20qui accompagne la paix d'ailleurs, d'égalité planétaire.
21:25Le jour où vous aurez l'égalité planétaire, alors le monde sera également en paix.
21:32Merci Younus Omar.
21:33Je viens d'entendre votre parole de vice-président du Parlement européen comme une parole de sage.
21:39Et je vieillis.
21:42Merci beaucoup à vous et à bientôt sur le planète de l'humanité bien sûr.
21:46On continuera à être avec vous en essayant de s'arranger avec vos emplois du temps
21:49parce que vous en avez beaucoup.
21:50Merci à vous qui nous avez suivi.
21:52À très bientôt. Au revoir.

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