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Ce jour-là, Samuel Paty, professeur d'histoire au collège de Conflans-Sainte-Honorine, est assassiné par un terroriste islamiste. C'était le 16 octobre 2020. Quatre ans plus tard, sa soeur Mickaëlle Paty raconte cette journée et les jours qui l’ont précédée dans un livre, "Le Cours de monsieur Paty". Voici son bouleversant témoignage.

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Transcription
00:00Le 16 octobre 2020, je suis infirmier anesthésiste, j'étais d'astreinte au bloc opératoire
00:05où je travaille et je reçois à 20h04 un SMS de ma mère qui m'annonce que mon frère
00:12s'est peut-être fait tuer devant son collège.
00:14Je l'ai eu au téléphone, elle m'explique qu'elle a appris par la presse qu'un professeur
00:20du nom de Samuel P. exerçant au collège du Bois-d'Aune a été tué et elle finira
00:26notre conversation téléphonique en disant qu'ils lui ont coupé la tête.
00:30Et en fait, on aura juste nous, je parle de la famille, la confirmation que c'était
00:35bien lui à presque minuit par un commissaire de Versailles.
00:39Au téléphone, ce commissaire m'annonce ce que je savais déjà et il me pose la question
00:48si j'avais des questions.
00:49Je ne sais pas, il y a quelque chose de presque machinal qui se met en route, je lui dis
00:53oui, deux.
00:55Donc c'était de savoir si l'assaillant était bien mort, ce qu'il m'a confirmé,
01:01et si on lui avait bien coupé la tête, ce qu'il m'a confirmé également.
01:04C'est à moi qu'on a rendu les affaires personnelles qui étaient retrouvées sur
01:11Samuel, notamment son sac à dos qui contenait son casque, un filet, elle y tenait beaucoup
01:19parce qu'il trouvait que c'était comme ça qu'on écoutait le mieux la musique,
01:24sa clé de sa classe.
01:25Ça, je ne le comprends qu'un an après.
01:27Et on n'a pas rendu le marteau, il est mis en pièce à conviction, mais il avait
01:34un marteau dans son sac.
01:35Il avait parfaitement conscience que sa vie était en danger.
01:39Le point de départ de ce qui va être entre guillemets le sujet polémique à l'époque,
01:46c'est que mon frère, dans le cadre d'un cours d'éducation morale et civique, qui
01:52est demandé par l'Éducation nationale, va faire un cours sur la liberté d'expression
01:56qui va le scinder en deux parties, et donc il va faire un cours qui n'est pas du tout
02:03un cours sur les caricatures, qui est un cours sur la liberté d'expression, et comme
02:08le recommande l'Éducation nationale, il va se caler avec les procès qui peuvent être
02:13en cours, et à ce moment-là, en octobre 2020, vient de commencer le procès contre
02:21ceux qui ont commis un attentat contre Charlie Hebdo.
02:23Donc il va expliquer qu'en France, on peut montrer des caricatures, que le blasphème
02:32n'est pas sanctionné, tout en précisant que justement, en voulant préserver la liberté
02:40de conscience de ces élèves qui ne veulent pas forcément voir des caricatures, que ça
02:45soit pour des questions religieuses ou sentimentales, c'est encore des jeunes, il propose et non
02:51impose à tous les élèves de voir ou de ne pas voir ces caricatures, en comptant que
02:57ce temps a duré vraiment que quelques secondes.
02:59Donc à la suite de ça, on va avoir une élève d'une de ses classes de quatrième qui ne
03:05va pas assister au cours, et qui va se retrouver exclue par l'établissement pour des problèmes
03:11de comportement.
03:12Le message envoyé par la principale, comme quoi elle est exclue, arrive donc le mercredi
03:217 octobre.
03:22C'est envoyé par SMS sur Pronote tout ce qui est possible aux parents.
03:28C'est à ce moment-là que le mensonge va être créé, elle va expliquer à sa maman
03:33qu'on lui aurait presque imposé de voir des caricatures et qu'elle se serait offusquée.
03:38Donc elle a 13 ans, il faut juste noter qu'à ce moment-là, même sa mère ne va pas forcément
03:44la croire, elle va la solliciter pour qu'elle aille chercher une preuve.
03:49Elle le fera en sollicitant des élèves de sa classe qui vont lui fournir les images
03:55qui étaient diffusées à ce cours.
03:57Et cette information-là va rendre fou de rage son père qui, dès le soir, va envoyer
04:05trois postes, dont l'un où il va donner l'identité de mon frère ainsi que la localisation
04:12du collège.
04:13Pour Abdullakh Ansarov, assaillant de mon frère, c'est sur Twitter qu'il va avoir
04:21notion qu'un professeur aurait commis un acte de blasphème envers le prophète Mahomet,
04:29ça lui sera fourni comme sur un plateau son nom et son adresse.
04:33Il faut comprendre que lui, ça fait un petit moment qu'il cherche à faire son djihad
04:37en France et qu'il recherche des cibles.
04:40Là, on lui offre tout.
04:43Il a les coordonnées du père de Zed, il va l'appeler, une conversation qui n'est
04:50pas connue, qui va durer 1 minute 23 secondes, où il y aura des échanges où l'un et
04:55l'autre se remercieront.
04:56Et ensuite, il y aura une correspondance avec une autre personne qui est mise en examen
05:02qui sera jugée cette fin d'année, où il y aura une sorte de triangulaire entre les
05:06trois où vont se passer les informations.
05:08On va lui apporter l'information que mon frère ne sera pas sanctionné et c'est
05:12ce qui va le déclencher à aller le tuer.
05:16Au sein du collège, les positions certaines ont été très clivantes envers mon frère.
05:24On va avoir deux, voire trois professeurs qui se sont clairement désolidarisés de
05:29lui avec deux mails qui ont été envoyés sur le groupe des professeurs.
05:35Il s'éloigne l'un de son éthique en disant qu'il avait œuvré contre la laïcité
05:44et donné des arguments aux islamistes.
05:46Ces mails, quand je les ai lus, je comprends pourquoi mon frère a pu les vivre comme
05:53une injure et qu'il ait fait un mail lui-même en retour derrière pour remettre les faits,
06:01dire que Zaid était absente.
06:03Là, on est en train de parler d'un fait qui n'existe même pas et c'est dans ce
06:08mail qu'il va annoncer qu'il est lui-même menacé par les islamistes locaux, que je
06:12peux déplorer par rapport à cette situation, c'est le manque de cohésion d'équipe
06:17qui aurait dû se mettre en route, surtout qu'à partir du moment où on sait que
06:24cet élève a menti, il aurait fallu faire bloc pour démentir cette rumeur qui, comme
06:31tout le monde sait, si une rumeur n'est pas démentie, elle ne fait qu'enfler.
06:34Et pourtant, c'est la posture de ne pas vouloir s'attaquer à la rumeur qui a été
06:40choisie, pensant que si on n'en parle pas, ça va disparaître un peu comme magie.
06:46L'assaillant arrive vers 14h devant le collège, il va se mettre à recruter des élèves,
06:52parce qu'autant il a le nom, autant il n'a pas le visuel.
06:54Donc il va recruter un premier élève, qui va lui verser 150 euros, lui disant qu'il
07:02en aura 300 à la fin pour qu'il désigne mon frère.
07:06Ce jeune va solliciter d'autres élèves à participer à ce qu'il appelle son dénoncement.
07:16Il finit en 5.
07:18Les élèves qui ont désigné mon frère ainsi que la petite menteuse ont été jugés en
07:24fin d'année dernière.
07:25C'est un procès où on sort avec une grande déception, parce qu'on attend ce qui est
07:31un petit peu une prise de conscience de ce qu'ils ont pu faire.
07:35Finalement, c'était une grande déception qu'il ne formule pas, sauf un, auquel je
07:42ne m'attendais pas.
07:43C'est celui qui est resté le plus longtemps avec Hans Arof, qui nous a présenté de façon
07:51émouvante et sincère ses excuses.
07:53C'est ce qu'il fera quand, à une suspension d'audience, je passerai devant lui, et qu'il
08:00lèvera timidement la tête pour me dire « pardon ». C'est un échange qui n'était pas du tout
08:07programmé, parce qu'on ne s'y attend pas, où je lui ai dit « tu vas être condamné
08:11pour ce que tu as fait ». Il m'a dit « oui », et je lui ai dit « tu vas avoir une vie ».
08:18Il me répond que sa vie était finie, et je lui ai dit « non, tu vas avoir une vie,
08:23et tu vas en faire quelque chose », parce que c'était ce que voulait mon frère.
08:27Comment vous avez réagi quand Dominique Bernard, un autre professeur, a été tué par un islamiste ?
08:38C'est la presse qui m'a appelée directement pour l'attentat de Dominique Bernard.
08:42Pour me l'annoncer, ils ont recommencé.
08:52C'était ce que j'ai sorti.
08:55Ça me fait toujours très mal de ne pas avoir réussi à empêcher qu'ils recommencent à temps.
09:05Je sais bien que moi, toute seule, je ne peux pas tout faire, mais on aurait dû prendre la
09:14mesure que c'était presque écrit qu'il allait y avoir un autre professeur.
09:18Et aujourd'hui, est-ce que vous pensez que des choses ont été faites pour que ça n'arrive plus ?
09:24Aujourd'hui, je pense qu'il y a des ébauches.
09:29C'est-à-dire que quand il y a des professeurs qui sont menacés, des personnels de direction,
09:34on voit bien que de suite, on a des ministres qui se déplacent, qui essayent de montrer qu'ils sont
09:40là. Mais dans les faits, on voit bien que même s'ils sont là, ça ne suffit pas.
09:49Finalement, les professeurs et les proviseurs finissent par se mettre en retrait pour convenance
09:59personnelle. Maintenant, à court terme, le 4 novembre, on va attaquer le procès de ce qu'on
10:05appelle les adultes. On dit les adultes parce qu'avant, il y avait les mineurs, même si c'est
10:09un peu impropre comme qualification. On est censé cette fois comprendre vraiment comment l'engrenage
10:18s'est tramé. Je ne vous avoue pas être sûr d'avoir toutes les vérités que j'attends. À défaut
10:24d'avoir toutes les vérités, j'espère que les condamnations seront à la hauteur de leur
10:27participation.

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