"Quand j'ai voulu reprendre la ferme, on m'a dit : 'Garde ta féminité surtout.' Pfff…"
Mathilde a 24 ans, elle est éleveuse, et elle est bien décidée à tordre le cou aux clichés.
Notre journaliste Leïla Amrouche l'a suivi une journée en Haute-Vienne dans ce nouvel épisode de "Extra-ordinaire".
Mathilde a 24 ans, elle est éleveuse, et elle est bien décidée à tordre le cou aux clichés.
Notre journaliste Leïla Amrouche l'a suivi une journée en Haute-Vienne dans ce nouvel épisode de "Extra-ordinaire".
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Hop ! Là-bas, là-bas, là-bas !
00:02Ce métier-là, c'est toute ma vie, tu vois.
00:04J'ai grandi dans une ambiance, donc toujours à la ferme,
00:06même si j'étais pas dans les vaches.
00:07Mais mon père a tenu toujours un discours en disant
00:09qu'aucune de nous deux, donc j'ai une petite sœur,
00:11ne devait reprendre parce qu'il voulait pas
00:13de cette vie pour ses enfants, parce que...
00:15parce que c'était trop dur.
00:17Je suis partie de zéro, même si je suis fille,
00:19petite fille RR, petite fille de paysan.
00:21On m'a dit, quand j'ai voulu reprendre,
00:23garde ta féminité surtout, hein !
00:25Te laisse pas aller, hein !
00:27Bien sûr qu'on a cette...
00:28Ces surnoms de bouseux, cul-terreux,
00:30ça, ça me fait rire, en fait.
00:31Il y a un temps pour tout.
00:32La journée, je pue la vache,
00:33le soir, je sens le parfum.
00:34Voilà !
00:40Salut, c'est Leïla de Brut.
00:42Je me trouve à Saint-Hilaire-les-Places,
00:44à une trentaine de kilomètres de Limoges.
00:45Et aujourd'hui, je vais vous parler d'une jeune fille,
00:47du coup, Mathilde.
00:48Elle a 24 ans.
00:49Et elle a repris cette exploitation
00:51contre la vie de son père.
00:52Donc aujourd'hui, dans cette vidéo,
00:53je vais un peu vous parler du parcours de Mathilde.
00:55Mais tout d'abord, on va commencer ce matin
00:57par aller nourrir toutes les vaches de Mathilde.
01:00Allez, on y va !
01:02Il est 7h30, donc bientôt.
01:04Là, on se dirige vers l'exploitation familiale.
01:07Le premier troupeau.
01:09Et il y a combien de vaches ?
01:11Donc en tout, j'en ai 110.
01:12Donc j'ai fait deux troupeaux de 50 vaches.
01:14Et les 10 qui restent, c'est, tu sais,
01:16des génisses de reproduction.
01:18Donc c'est des jeunes vaches
01:19qui vont avoir un bébé pour la première fois cette année.
01:21D'accord.
01:22Donc voilà, chaque année, il y a de nouvelles génisses.
01:24On va voir tout ça.
01:25Et je vais mettre la main à la pâte, hein, de toute façon.
01:27Vas-y.
01:28J'ai mis le bonnet qu'elle m'a gentiment prêté.
01:31Les bottes pour être parées.
01:33Je crois que vous avez l'habitude maintenant.
01:35Voilà, tu vas en voir, hein.
01:36Des petites têtes.
01:43Donc là, elles ont tout le temps du foin.
01:45Et on fait un repas le matin
01:47et un repas le soir de granulés.
01:49On enlève le foin des auges, on nettoie tout.
01:51Donc là, on va donner les granulés
01:52parce qu'elles attendent.
01:56La trappe au-dessus de toi.
01:58Celle-là ?
01:59Oui.
02:02Hop.
02:03C'est lourd !
02:05T'as vu, c'est lourd.
02:10Bon, on est dans le tracteur.
02:12C'était bien la première fois
02:13que t'as conduit un tracteur aussi gros ?
02:15Ouais.
02:16La première fois que je conduis un tracteur,
02:17c'était avec une remorque remplie de boites de foin.
02:19Ça m'a fait peur, tu vois.
02:20Je me suis dit,
02:21ça va falloir conduire des gros tracteurs.
02:22Mais en fait,
02:24même plus simple qu'une voiture.
02:25Je passe mes vitesses juste en faisant ça.
02:31Alors, où est-ce qu'elles sont ?
02:35Elles m'attendent tous
02:36et on va donner de l'orumanage
02:37le repas de ce matin.
02:39Et là, elle se dit, c'est bizarre,
02:40elle n'est pas toute seule.
02:50Tu peux venir ?
02:53Il y a plusieurs techniques
02:54de données à manger dans un pré.
02:55Ce que tu vois le plus souvent,
02:56c'est un ratelier.
02:57Le truc, c'est que moi,
02:58avec un troupeau de 50 vaches,
03:00non seulement les vaches,
03:01c'est la hiérarchie,
03:02c'est-à-dire, c'est la plus vieille
03:03et la plus grosse
03:04qui mange en premier.
03:05Donc, ça veut dire
03:06qu'au ratelier, généralement,
03:07elles mangent.
03:08Un gros troupeau comme ça,
03:09il y en a qui ne mangeraient pas
03:10à leur faim.
03:12Alors que là, tu vois,
03:13la dérouleuse, ça déroule,
03:14comme on en a dit.
03:15Tout le monde vient manger
03:16à sa faim,
03:17les petits bois aussi et tout.
03:19Ça sent trop bon.
03:21C'est leur cachet mignon.
03:25Mon père a tenu toujours
03:26un discours en disant
03:27qu'aucune de nous deux,
03:28donc j'ai une petite sœur,
03:29ne devait reprendre
03:30parce qu'il ne voulait pas
03:31de cette vie pour ses enfants,
03:32parce que c'était trop dur.
03:34L'éleveur, ce qui arrive
03:35à son animal, ça le touche.
03:36Moi, mon père,
03:37je l'ai vu des soirées
03:38à ne pas parler
03:39parce qu'un petit bois
03:40était malade,
03:41il y en avait une,
03:42elle l'avait perdue au vélage,
03:43il y en avait une vache
03:44qui partait à la batoire,
03:45je l'ai vu,
03:46je l'ai vu,
03:47qui partait à la batoire.
03:48Quand on les fait partir,
03:49on est malheureux
03:50et voilà, des fois,
03:51on ne dort pas.
03:52J'ai fait infirmière,
03:53trois années d'infirmière.
03:54Moi, ce que je voulais,
03:55c'était intégrer l'armée
03:56pour faire infirmière militaire
03:57et puis je n'ai pas réussi
03:58parce que les concours
03:59sont hyper sélectifs
04:00et que je l'ai loupé
04:01deux fois d'un point.
04:03Et du coup,
04:04je disais à tout le monde,
04:05si je ne fais pas militaire,
04:06je finirai paysan.
04:07Je me suis dit,
04:08le jour où tu vas le l'annoncer,
04:09il va falloir être sûr de toi
04:11parce que je savais très bien
04:12que lui, il ne voulait pas
04:13et surtout,
04:14reprendre pour de bonnes raisons.
04:15Du coup,
04:16quand je lui ai annoncé,
04:17il était en train de parler
04:18de sa retraite,
04:19que ça l'inquiétait,
04:20il ne savait pas
04:21qui allait reprendre et tout
04:22et que je lui ai dit,
04:23pourquoi pas moi
04:24et que là,
04:25gros blanc dans la salle,
04:26ça l'inquiétait
04:27déjà de l'avis
04:28que j'allais avoir
04:29et surtout du fait
04:30que je partais à zéro.
04:31Après,
04:32elle les connait
04:33petit à petit.
04:34Je les connais
04:35toutes par cœur de tête maintenant.
04:36Avant,
04:37je disais à mon père,
04:38comment tu fais ?
04:39Elles ont toutes la même tête.
04:40Mais non,
04:41elles n'ont pas
04:43Vas-y,
04:44on commence si tu veux.
04:45Mais non.
04:48Donc,
04:49voilà une veilleuse.
04:51La veilleuse,
04:52c'est quand le petit veau
04:53est en train de naître
04:54et que ça se présente mal.
04:55C'est-à-dire
04:56qu'il est bloqué
04:57à l'intérieur de la mer.
04:58Mais du coup,
04:59c'était là-haut.
05:00Moi,
05:01j'étais excitée
05:02et bien sûr,
05:03mon père était stressé,
05:04c'est normal.
05:05Mais on l'a mis
05:06tous les deux au monde
05:07alors qu'il venait très mal
05:08le petit veau.
05:09C'est des moments,
05:10j'ai envie de chialer
05:11et tu te dis
05:12que tu as fait du bon boulot.
05:13Hop,
05:14là-bas,
05:15là-bas,
05:16là-bas.
05:17Allez.
05:18Donc là,
05:19tu vois,
05:20j'avais séparé
05:21les deux veaux
05:22qui lundi matin
05:23avaient un état grippal
05:24pour les isoler
05:25un peu des autres.
05:26Et comme là,
05:27je les ai soignés
05:28et ils vont mieux,
05:29je les remets avec le lot
05:30et puis là,
05:31on va mettre des granulés
05:32en plus
05:33parce qu'on a la livraison
05:34tous les mercredis
05:35des granulés
05:36et que dans le silo,
05:37ça ne va pas tout loger.
05:38Donc,
05:39il faut qu'on en remette.
05:40Je me mets où ?
05:41Oh,
05:42punaise !
05:44J'ai fait face
05:45à des réflexions
05:46de ma famille.
05:47Je ne m'attendais pas
05:48à ce genre de choses,
05:49probablement parce que
05:50je suis une fille.
05:51J'ai reçu des réflexions
05:52du genre
05:53« Ouh là,
05:54mais dis donc,
05:55il va falloir
05:56t'y mettre à la mécanique,
05:57il va falloir
05:58te salir les doigts.
05:59Oh là là,
06:00mais tu n'as pas peur
06:01de sentir la vache
06:02et la bouse ? »
06:03On te dit
06:04que tu manques
06:05de féminité parfois ?
06:06Euh,
06:07non.
06:08Mais on m'a dit
06:10« Garde ta féminité surtout,
06:11ne te laisse pas aller. »
06:13Je t'avoue que
06:14quand je suis en train
06:16de nourrir mes bêtes
06:17ou de les traiter ou quoi,
06:19je m'en fous
06:20d'être maquillée ou quoi.
06:21C'est juste que
06:22quand je sors,
06:23bien sûr,
06:24je m'apprête un peu.
06:25Bien sûr qu'on a
06:26ces surnoms
06:27de bouseux,
06:28cul terreux,
06:29ça, ça me fait rire.
06:30Mais parce qu'il y a
06:31un temps pour tout.
06:32La journée,
06:33je pue la vache
06:34et le soir,
06:35je sens le parfum.
06:36Voilà.
06:39Celui-là,
06:40c'est le tracteur chouchou
06:41de mon père.
06:42Mais moi,
06:43je ne l'aime pas trop
06:44parce qu'il est...
06:45Tu vois,
06:46il y a moins de gadgets
06:47que l'autre.
06:48Du coup,
06:49je suis...
06:50Alors,
06:51ça c'est bon,
06:52ça c'est bon.
06:53Mécano,
06:54être capable de détecter
06:55une panne.
06:56Je te jure,
06:57il y a tellement de trucs
06:58que je ne sais pas faire encore.
06:59Ça me vexe
07:00parce que des fois,
07:01j'aimerais trop être
07:02tout de suite
07:03comme mon père,
07:04savoir tout, tout.
07:05Ça a eu quel impact
07:06sur ta vie personnelle
07:07de ce que tu fais ?
07:09Ça a eu un impact
07:10dans mon mode de vie.
07:11Moi qui suis,
07:12dans mes années en chamière,
07:13un peu une fêtarde.
07:15Comment te dire
07:16que maintenant,
07:17j'ai des responsabilités.
07:18Quand on sort
07:19toujours avec mes potes
07:20et que tout le monde
07:21veut sortir en boîte
07:22à 2h du mat
07:23et que moi,
07:24je dis non,
07:25désolé, je rentre.
07:26Ils râlent,
07:27mais moi,
07:28je suis bien contente
07:29le matin
07:30parce que je pourrais sortir
07:31faire la fête
07:32comme avant,
07:33mais le matin,
07:34quand tu arrives
07:35et qu'il y a un problème,
07:36il faut assumer, quoi.
07:37J'ai un copain,
07:38même s'il n'est pas du milieu,
07:39je compte bien
07:40faire ma vie avec,
07:41mais c'est très bien
07:42que ma vie,
07:43c'est ici,
07:44donc la sienne aussi,
07:45que je ne peux pas
07:46lui dire
07:47qu'on part au ski
07:48au mois de février
07:49et trois semaines
07:50en vacances
07:51au mois d'été.
07:52Et puis aussi,
07:53c'est un métier
07:54un peu de solitude.
07:55On veut très vite
07:56s'enfermer,
07:57voir personne,
07:58rester avec nos bêtes
07:59et ça,
08:00je trouve,
08:01ça représente
08:02vraiment ce milieu.
08:03Il y en a plein,
08:04notamment des hommes
08:05qui sont seuls
08:06et qui n'ont pas d'écoute
08:07et que,
08:08quand ça ne va pas bien,
08:09il ne faut surtout pas le dire
08:10parce qu'il ne faut pas
08:11avouer ses faiblesses.
08:12On parle d'un agriculteur
08:13toutes les semaines
08:14qui se suicide,
08:15bon,
08:16c'est juste une statistique,
08:17ben non,
08:18c'est la réalité, quoi.
08:19Mais après,
08:20on vit quand même,
08:21heureusement,
08:22de meilleurs moments
08:23que de mauvais.
08:24Le truc que je vois
08:25en m'installant,
08:26c'est que je me rends compte
08:27de l'image
08:28que renvoie l'agriculture
08:29aux yeux des gens,
08:30l'image d'agriculteur,
08:31nous-mêmes,
08:32en tant qu'éleveurs,
08:33où, en fait,
08:34on se reçoit des fois
08:35des vagues de critiques.
08:36Alors, moi,
08:37je prends toutes les critiques
08:38constructives, vraiment.
08:39Mais là, pour le coup,
08:40je trouve qu'il y a des extrêmes.
08:41Moi, j'ai choisi ce métier
08:42pour être au contact
08:43de mes animaux.
08:44Alors, je sais bien
08:45que je les élève
08:46pour une fin,
08:47l'assiette, voilà.
08:48Moi, à chaque fois
08:49que je les fais partir,
08:50voilà, ça me fait mal au cœur,
08:51tout comme je comprends
08:52les gens qui me disent
08:53je ne pourrais pas
08:54faire ton métier.
08:55Bien sûr,
08:56que ce soit avec les animaux
08:57ou même avec notre terrain,
08:58il y a des abus,
08:59des abus de produits.
09:00Mais, enfin,
09:01encore une fois,
09:02c'est des animaux
09:03qui, en fait,
09:04dégomment toute l'image
09:05des 99 restants, quoi.
09:06Et ça, je trouve ça
09:07vraiment dommage.
09:08Ça va, on est bien
09:09sur la paille, là ?
09:10Hum ?
09:11Ça te touche ?
09:12Ouais, ça me touche.
09:13Ça me touche
09:14parce que, bah, moi,
09:15j'ai vu mon grand-père
09:16bosser dans ça,
09:17mon père,
09:18et que, bah,
09:19la phrase
09:20sans paysans,
09:21il n'y a pas de pays,
09:22elle est vraie, quoi.
09:23Hein, poulette ?
09:24C'est bon, le foin ?
09:25En plus,
09:26personne ne veut faire
09:27un élevage
09:28parce que c'est
09:29trop contraignant.
09:30Mais si tout le monde
09:31se donne,
09:32on va vraiment
09:33à un truc
09:34beaucoup plus grave,
09:35qui est la perte totale
09:36d'élevage,
09:37d'agriculture,
09:38et là, on met vraiment
09:39en péril notre pays.
09:40Donc, moi,
09:41j'ai la chance
09:42de reprendre
09:43un système simple.
09:44Alors, bien sûr,
09:45on a des factures conséquentes,
09:46mais je sais que
09:47si j'ai une bonne gestion,
09:48j'ai toujours mon père
09:49pour me conseiller,
09:50ça vaut le coup,
09:51quand même,
09:52de reprendre, quoi.
09:53Ça vaut le coup
09:54d'élever ces bêtes
09:55et de continuer
09:56et de coopérer.
09:57J'ai l'impression
09:58que, tu vois,
09:59j'aide mon pays
10:00en faisant ça, quoi.
10:01C'est sûrement bête
10:02comme idée,
10:03mais j'ai l'impression
10:04que je...
10:05Voilà, je me sens utile.
10:06Voilà.
10:11Au-dessus des cornes,
10:12elle aime bien,
10:13sur la tête.
10:14Crade fort.
10:15Voilà.