"Je viens de comprendre. Ce truc, le consentement, je ne l’ai jamais donné. Non. Jamais au grand jamais."
Cette semaine, l’actrice Judith Godrèche a déposé plainte pour viol sur mineure de 15 ans contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Parallèlement à ces actions judiciaires elle a publié, dans le quotidien Le Monde, une lettre adressée à sa fille Tess, âgée de 18 ans. Une lettre qu’elle a lue pour Brut.
Cette semaine, l’actrice Judith Godrèche a déposé plainte pour viol sur mineure de 15 ans contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Parallèlement à ces actions judiciaires elle a publié, dans le quotidien Le Monde, une lettre adressée à sa fille Tess, âgée de 18 ans. Une lettre qu’elle a lue pour Brut.
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00:00Ma chérie,
00:02je te regarde vivre, danser, t'exprimer avec fougue et ardeur.
00:06Je me souviens de cette même ardeur, cette même fougue, mise à l'épreuve d'une solitude imposée, une solitude à plusieurs visages.
00:15Tu viens d'avoir 18 ans, t'es mon enfant,
00:18même s'il y a l'intendu cette désignation de frère rire ou sourire dans sa tendresse.
00:23Il n'y a pas si longtemps, t'avais 15 ans.
00:26Il n'y a pas si longtemps, je t'aisais mon histoire.
00:31A cet âge-là, je naviguais dans un monde d'adultes.
00:35Il n'y avait pas de limite,
00:37à enfreindre, pas de mur, à abattre.
00:41Juste l'écho d'une solitude, l'absence de structure.
00:46L'un d'eux décidait pour moi.
00:49Lui, il n'était pas mes parents.
00:53Depuis toutes ces années, la peur des mots, pas jolis, pas doux, pas métaphoreux,
00:57me fait contourner la réalité.
01:00Depuis toute petite, le désir d'un ailleurs m'a poussé à lire, à écrire, être une autre.
01:06Cette autre n'est plus.
01:08Elle s'est éteinte en moi.
01:11Je ne peux plus incarner sa couverture, sa carapace ondulante.
01:17J'ai longtemps ancré ma souffrance dans l'histoire d'un départ, un abandon.
01:24Celui de ma mère.
01:25Celui de ma mère.
01:28Même si cet accident de parcours fut déterminant,
01:32j'identifie aujourd'hui la place que cette douleur occupe,
01:36comme l'arbre qui cache la forêt.
01:40Vois-tu, la forêt, c'est bien d'elle dont il s'agit.
01:47Elle qui dictera le silence, les secrets, les trous noirs qui parcourent ma vie.
01:55C'est une forêt masculine, de contes de fées aux mains qui gouttent.
02:00Une forêt de Maldoror.
02:04Quand j'étais petite, je répétais,
02:06vivre sa vie, ça veut dire quoi ?
02:08Ça parle de quoi, sa vie ?
02:10Ça commence quand ?
02:14Quelle que soit la cruelle absurdité de ce vécu que je vais exposer au monde,
02:19quelles que soient les conséquences, le sort dit du réel,
02:23la vérité qui éclate au grand jour, comme on dit,
02:27quels que soient ces éléments-là et leur authentissement,
02:32ce que je sais depuis toujours, c'est mon amour pour vous, Noé et toi.
02:42Cet amour-là me lance un défi et j'ai décidé d'être à la hauteur.
02:48Il y a bientôt quatre ans, mon amie Caroline m'a envoyé un livre à Los Angeles.
02:52Tu te souviens de Caroline, mon amie d'enfance ?
02:55Nous avons passé des vacances avec elle à Porquerolles.
02:59Tu vendais des bijoux sur la place du village.
03:04Ce livre, il s'appelle Le consentement.
03:08Son enveloppe effroissée, sa tête à l'envers dans notre boîte aux lettres en fer verte.
03:12Le consentement.
03:15C'est drôle, le consentement.
03:18C'est un mot que je ne connais pas.
03:22Ça veut dire quoi ?
03:26Je décide de le lire.
03:29Page après page, je me noie.
03:32Une amure embrumée m'engloutit tout entière.
03:37Je sombre.
03:38Des mois ont passé.
03:40Le consentement est dorénavant dans la bibliothèque.
03:43Domestiqué.
03:44Sage.
03:47Je passe devant.
03:48Le regarde.
03:50C'est assez.
03:54C'est curieux comme un cri peut s'amadouer.
03:56Le cri de Vanessa.
03:58Couchée sur les pages.
04:00Contenue.
04:01Polie.
04:03C'est bizarre.
04:05Dans notre maison aux Amériques.
04:08Comme une chemise bien repassée et une petite fille qui se tiendrait bien à table.
04:13Le consentement.
04:17Depuis quelques années, il m'arrive de vous parler de mon enfance.
04:20La plupart du temps, en tournant les choses en dérision, comme un clown, une acrobatie.
04:26Je m'en souviens.
04:28Je me souviens.
04:30Je me souviens.
04:31Tout le temps, en tournant les choses en dérision, comme un clown, une acrobate.
04:37Rien n'est grave.
04:38Rien ne marque.
04:39Rien ne bat.
04:41On rit ensemble.
04:42Vous vous moquez.
04:44Tout sourit quand on est tous les trois.
04:45Tout est plus drôle que la drôlerie.
04:47Plus léger.
04:50Vous êtes la preuve vivante que j'ai survécue.
04:52Vous êtes la preuve que c'est du passé.
04:57Que c'est inscrit dans un livre fermé.
05:02Il s'intitulerait…
05:04Ça fait pas mal.
05:09À l'époque, je vous raconte à deux mots l'histoire du consentement.
05:12J'effleure le récit, le peu que j'en ai lu.
05:16Je t'aime à taquicardie, mon envie de vomir, la température qui baisse.
05:22Après tout, notre caverne n'a pas besoin de ça.
05:24Masser la vérité, fouiller dans les archives de mon cœur.
05:27Notre maison, remplie d'animaux adoptés, résonante de vous.
05:32Elle s'en fout de mon enfance et de l'homme à la faussette.
05:35Rien à foutre.
05:38Ça fait pas mal.
05:43Tu me demandes souvent pourquoi je refuse de te montrer mes films.
05:46Mais t'as raison.
05:47C'est une question qui devrait amener une réponse.
05:50Une question que j'esquive.
05:52Maladroitement, que je balaie.
05:54Dans un petit rire.
05:56Parce qu'on vit notre vie.
05:58Parce que je suis une autre.
06:01Parce que je suis nue dedans.
06:06Et les livres, tes livres, me demandent Noé, tu lis plus jamais.
06:11Dire tout ça à Noé, cette histoire-là, c'est encore plus dur, semble-t-il.
06:18Je lis plus jamais, oui.
06:21Mais je pense souvent à la possibilité de la violence.
06:24Comme une lecture de mes propres pensées.
06:27Celles que je tais.
06:30À ces gestes souverains, s'il devait arriver quelque chose.
06:34Si un homme kifferait toi ta maîtresse,
06:38tuer un homme kifferait toi ta maîtresse à 14 ans,
06:42tuer un homme qui abuserait ton frère.
06:47Le consentement.
06:50Ce silence sur moi-même.
06:53Ce silence sur le passé, ce minotaure écrasant.
06:57Je croyais l'avoir amadouée, refoulée.
07:00Refoulée, dit-elle.
07:04Un été puis un autre ont passé, je vous ai vu grandir.
07:08J'ai écrit une série pour Arte.
07:11Nous voici de retour dans la ville de mon enfance, la ville où vous êtes née.
07:17C'est ici, au moment où cet objet cinématographique qui m'appartient voit le jour,
07:22que la vie décide de me jouer un tour.
07:25Vois-tu, ici rien n'a changé.
07:28Pire encore, le système qui s'appropria mon enfance se complaît dans son narcissisme pervers.
07:35Et comme si ma fuite me faisait un pied de nez,
07:38comme si la série que j'aime tant, Icon of French Cinema,
07:42avait pris la forme d'une amie, l'amie de la fille de 15 ans.
07:46Tout doucement, comme une fée réparatrice,
07:49cette amie me prend la main.
07:54Nous avons le droit d'être sentimentales, toi et moi, me dit-elle,
07:58pour rattraper le temps perdu.
08:01Nous pouvons pleurer autant qu'on veut.
08:04Et raconter ce qui ne se dit pas aussi, me confie-t-elle.
08:10Ouvrir les portes, donner des coups de pied au destin.
08:14Nous sommes fortes et nous voulons que les choses changent, non ?
08:20Le consentement.
08:25Je la regarde du haut de mes 14 ans. Elle sourit.
08:31Et comme si rien n'était, je comprends.
08:36Je comprends qu'il est temps de raconter mon histoire.
08:40Pour vous, pour toutes celles et ceux qui vivent encore dans un silence imposé.
08:46Dans la peur, il est temps.
08:50Il faut que vous sachiez, il faudra se cacher les yeux par moments.
08:55J'espère que vous me pardonnerez.
08:59Je sais, il se fait tard, mais je viens de comprendre.
09:05Ce truc, le consentement, je ne l'ai jamais donné, non.
09:12Jamais au grand jamais.
09:15Alors il est temps.
09:18Le désespoir de ma faiblesse passée, le désespoir de mon enfance volée a trouvé sa voie.
09:25C'est l'histoire d'une fille de 14 ans à Paris, dans les années 90.
09:31Judith.