• l’année dernière
La délégation aux droits des femmes du Sénat organisait une matinée de débat autour de l’opportunité d’introduire la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Pour la majorité des intervenants cette notion est partout dans l’enquête et dans la procédure, sauf dans la loi.
Extrait de l'intervention de François LAVALLIÈRE, premier vice-président au Tribunal Judiciaire de Rennes, maître de conférences associé en droit pénal à Sciences Po Rennes

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Transcription
00:00Je ne suis aujourd'hui ni l'avocat des victimes, ni l'avocat des auteurs, des accusés, des prévenus, des mis en cause.
00:09Je ne suis pas l'avocat des femmes, je ne suis pas l'avocat des hommes, et je ne suis pas davantage l'avocat des juges.
00:16Vous m'avez invité à donner mon avis, alors je vais le faire avec la sincérité qu'impose ce sujet.
00:21Vous n'êtes pas allé chercher un magistrat pour avoir nécessairement ce discours d'explication de la règle,
00:27mais plutôt la mise en perspective. Comment, avec ces années de pratique, avec ces réflexions personnelles,
00:33j'en suis arrivé à penser que notre droit n'était plus adapté.
00:38Il est important pour moi, pour bien appliquer la loi et pour l'enseigner à mes élèves,
00:43d'en comprendre le sens, de connaître les exigences et ces limites de la loi,
00:47et d'avoir conscience de ses effets, pour ne pas en avoir une confiance justement vaine parfois en celle-ci.
00:55S'agissant du viol et de l'agression sexuelle, je n'arrive pas à expliquer l'état actuel de notre droit français,
01:00si ce n'est en me référant à l'histoire et aux préjugés sexistes et patriarcaux qui continuent à prévaloir.
01:06Je vais m'expliquer. J'aime me référer à l'histoire et comparer les évolutions des sociétés.
01:12Au début des années 90, au Canada, il y avait ces grandes réformes dont Catherine Lemagirès nous a parlé.
01:17Nous, pour la première fois en 1990, la Cour de cassation disait qu'un viol était envisageable dans un couple marié.
01:24Auparavant, rien n'était envisageable, car tout était couvert, permis, oserais-je dire, par ce devoir conjugal.
01:31C'est dire déjà ce décalage social au moment des années 90 entre le Canada et la France.
01:37Vous avez parlé, à juste titre, de l'apport considérable de Gisèle Halimi.
01:43Oui, elle a contribué à faire évoluer la loi. Oui, ses prises de position et ses plaidoiries l'ont fait.
01:50C'était dans un contexte, les années 80, où le débat sur le consentement n'était pas.
01:54Je pense qu'aujourd'hui... Ah non, je ne parlerai pas pour quelqu'un qui n'est pas là.
01:58De manière générale, je ne le ferai pas pour Gisèle Halimi. En tout cas, je me permets juste de remettre dans le contexte
02:04les données sociales, la prise en compte des stéréotypes également et des préjugés n'étaient pas au cœur de notre société.
02:11La loi française a évolué jusqu'en avril 2021, avec l'élargissement, vous l'avez dit, de la définition du viol aux actes buccogenitaux,
02:19et la meilleure protection des mineurs de 15 ans. Et je m'en réjouis.
02:24Aujourd'hui, vous le savez, vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, pour condamner une personne pour un viol ou une agression sexuelle,
02:30il faut prouver que les faits ont été commis avec violence, menaces, contraintes ou surprises.
02:35Ces quatre critères sont posés par la loi et ils doivent demeurer, à mon avis, de magistrats.
02:40Les tribunaux et les cours ont appliqué ces quatre critères et les ont fait progresser.
02:45Ils sont, et c'est ce que j'essaierai de vous expliquer, encore insuffisants pour couvrir la réalité des atteintes à l'intimité sexuelle
02:53et ces atteintes à l'intégrité physique, psychique des victimes et principalement des femmes.
02:58Alors est-ce que les juges jugeraient mal ? Est-ce qu'ils appliqueraient mal la loi actuelle ? Peut-être, sans doute.
03:06Et je fais partie de ces juges et j'assume aussi que nous pouvons encore davantage nous former,
03:11que nous devons encore plus sortir de ces clichés stéréotypes qui traversent la société et qui nous traversent, qui nous habitent,
03:18dans lesquels nous sommes nés. Lorsque je suis né en France, il ne pouvait y avoir de viol entre époux.
03:26Mon éducation, votre éducation, mesdames, messieurs les sénateurs, a aussi été fondée sur cela.
03:32Je disais, nous devons continuer à mieux nous former. Les services d'enquête, les magistrats, les magistrates, les avocats, les avocates, mais cela ne suffira pas.
03:45Des progrès importants ont été faits au cours des dernières années et nous comprenons désormais mieux un certain nombre de phénomènes,
03:51soit grâce aux études de victimologie, soit grâce aux travaux des psychologues, psychiatres, criminologues et sociologues,
03:58notamment les Canadiens. Et ce champ de la sociologie, nous l'évoquons tout à l'heure avec Alexia Bouchery,
04:03oui, c'est un champ qui s'empare de ces sujets depuis quelques années également. Nous connaissons mieux l'amnésie traumatique, la dissociation, la sidération traumatique.
04:13Les juges connaissent ces thèmes. Les experts les évoquent de plus en plus dans leurs rapports et ce qui permet ainsi aux juges de les exploiter pendant les audiences.
04:22Car moi, juge, je ne peux pas exploiter mes connaissances personnelles et mes convictions, bien évidemment, dans les dossiers que j'ai à traiter.
04:28Je ne peux pas caractériser de mon seul avis un état de sidération. Il me faut des psychologues, des psychiatres qui l'ont dit, qui l'ont posé.
04:37Vous l'avez rappelé, Monsieur le Sénateur, la Cour de cassation, la Chambre criminelle a rendu un arrêt majeur le 11 septembre dernier.
04:44Arrêt grâce auquel a été reconnu qu'une agression sexuelle peut être retenue et son auteur condamné lorsqu'il y a état de sidération.
04:53Mais je souhaite nuancer et éclairer immédiatement avec le regard du praticien. Dans cette situation, dans cet arrêt d'espèce qui concerne une affaire,
05:03l'homme en cause avait reconnu et avait même écrit dans des messages qu'il avait bien vu que cette femme ne pouvait pas réagir, qu'elle était, disait-il, une poupée de chiffon.
05:13Il avait ainsi, par sa plume, ou plutôt en tapotant avec ses doigts sur son ordinateur, écrit qu'il avait conscience qu'elle ne pouvait réagir, qu'il avait conscience pleinement de cet état de sidération.
05:26C'est pour cela que les juges ont pu retenir la sidération. S'ils ne l'avaient pas dit, s'ils ne l'avaient pas écrit, je pense que la décision aurait été différente.
05:36Donc c'est une avancée majeure. Je l'ai dit et je le répète, mais ça ne suffira pas. Pourquoi est-ce qu'il n'aurait pas été condamné s'il n'avait pas de lui-même constaté physiquement ?
05:48Il n'avait pas dit qu'elle était en état de sidération, bien évidemment, mais il avait constaté les effets sur l'expression de son accord ou pas et sur son comportement.
05:57S'il ne l'avait pas dit cela, je pense que nous aurions eu cet élément intentionnel qui toujours, ou en tout cas très souvent, est le problème majeur dans notre droit.
06:06Nous avons ces trois éléments à retenir. L'élément légal, l'infraction existe, elle est prévue par la loi, il y a une peine qui est choisie par législateur en fonction du comportement.
06:18L'élément matériel pour le viol, c'est ce coït, cette pénétration ou cet acte bucogénital. Il y a l'élément intentionnel, c'est-à-dire l'élément moral aussi, pouvons-nous entendre,
06:30cette intention de l'auteur de commettre l'acte et avoir conscience, notamment dans ces états de contrainte ou de surprise, que la surprise ou la contrainte qu'il a mis en place ou qu'il a exploité ont eu une incidence sur la victime.
06:46C'est non seulement la matérialité mais la conscience que le contexte qu'il a mis en place a permis de passer à l'acte.
06:56Prouver l'élément intentionnel est ce qui me semble le plus difficile, ou en tout cas est très difficile dans notre droit.
07:03Et s'il n'est pas possible de démontrer cet élément intentionnel, il n'y a pas de condamnation.
07:08Et c'est parce que je ne pouvais pas le démontrer que j'ai classé sans suite des procédures, que j'ai rendu des ordonnances de non-lieu comme juge d'instruction et que j'ai relaxé au tribunal correctionnel ou décidé avec les jurés et les collègues magistrats d'un acquittement à la cour d'assises.
07:24Il m'est souvent arrivé de dire aux victimes lorsque je présidais l'audience « Madame, je vous crois ».
07:28Mais je ne peux pas, avec les éléments de la procédure et avec les exigences de la loi, condamner l'auteur.
07:37C'était une nécessité pour moi de l'expliquer, parce qu'il n'y a pas pire sanction supplémentaire, ai-je envie de dire, que ce sentiment de ne pas être cru et surtout ce sentiment parfois d'être considéré comme une menteuse.
07:49Non.
07:51Oui, je les croyais. Je croyais qu'elles n'avaient pas consenti librement et qu'elles avaient vécu ce qui s'est passé comme une effraction dans leur intimité, comme un viol ou comme une agression sexuelle.
08:05Le consentement, il est partout dans l'enquête, il est partout dans nos débats judiciaires, mais il n'est toujours pas dans la loi.

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