• il y a 3 semaines
Sylvie Bermann, diplomate, ancienne conseillère à la mission permanente de la France auprès de l'Organisation des Nations unies à New York (1992-1996), et Anne Deysine, juriste et américaniste, Professeure émérite de droit et de civilisation américaine à l'Université Paris-Nanterre, sont les invitées de Amandine Bégot.

Category

🗞
News
Transcription
00:00Etienne, ce matin, la victoire de Donald Trump, donc, on le dit, se dessine, tout ça dans un pays qui est profondément fracturé.
00:06Oui, je vais vous dire la seule bonne nouvelle de ce matin avec cette victoire de Trump qui se dessine petit à petit,
00:11c'est qu'il n'y aura pas de nouvelle prise du capital, comme en 2020.
00:15C'est que Kamala Harris, elle, va probablement reconnaître sa défaite.
00:19Donald Trump ne l'aurait certainement pas fait.
00:21La seule bonne chose, c'est que la fracturation idéologique du pays ne va pas, dans les médias, se transformer en confrontation violente.
00:28Mais c'est si profond que ça, cette fracture, Etienne ?
00:30Mais oui, on la connaît, vous savez, cette polarisation du débat, cette guerre culturelle, ce fossé qui s'élargit entre, d'un côté, le trumpisme,
00:37qui s'est radicalisé, d'ailleurs, depuis la dernière fois, et puis, de l'autre, ce qu'on appelle, parfois, le hawkisme, en tout cas, une gauche plus sociétale.
00:44Mais vous savez, en France, on la trouve aussi, cette fracture identitaire.
00:48Elle n'est pas la même, elle est d'une nature idéologique, philosophique différente, mais elle existe aussi.
00:53Ce qui est frappant, en revanche, c'est sur le plan géographique.
00:57On retrouve le même phénomène, la même fracturation des deux côtés.
01:01La fracturation dont vous parlez, c'est celle entre les grandes métropoles, d'un côté, et les périphéries,
01:06en gros, entre New York et l'Amérique profonde, on a la même chose chez nous ?
01:09Oui, mais c'est même plus fin que ça.
01:11Vous savez, cette nuit, je suis passé beaucoup de temps, peut-être vous aussi, sur le Magic Wall de CNN.
01:15C'est fascinant, vous savez, dans leur application, vous pouvez grossir, avec les doigts, jusqu'au niveau du canti.
01:21Et ce que vous voyez, c'est souvent les grandes villes en bleu, c'est-à-dire démocrates,
01:25et le reste en rouge, c'est-à-dire les républicains, c'est-à-dire Trump.
01:30Et c'est spectaculaire, vous prenez par exemple la Géorgie, qui était considérée comme un état-clé.
01:35Le canti de Fulton, où se trouve Atlanta, très grande ville, ça vote Harris à 71%.
01:43A quelques kilomètres de là, le canti, qui est contiguë, de Carroll, qui est beaucoup plus rural,
01:48Trump, à 71% aussi.
01:51Deux mondes, deux mondes qui ont l'air intrigués, vu du ciel, vu en tout cas de CNN,
01:55mais qui sont en fait radicalement séparés.
01:58Vous voulez dire qu'on a la même chose en France ?
02:00Toutes proportions gardées, il y a des traits communs.
02:02Si vous prenez le résultat des européennes, en France, le 9 juin dernier, une élection à la proportionnelle,
02:07le RN a atteint 56% au bar Cares dans les Pyrénées-Orientales.
02:1253% à la proportionnelle, à Noël-Godot dans le Pas-de-Calais.
02:17Alors que si vous regardez les grandes villes, à Paris, le RN fait 8,5%,
02:21à Nantes, il fait 11%.
02:23Deux mondes aussi.
02:25Alors là, les spécialistes des Etats-Unis vont discerner beaucoup mieux que moi, d'ailleurs,
02:28sur la fracture américaine, mais n'oublions pas que chez nous, il y a un sujet aussi,
02:32avec toujours cette même question, comment ça marche, une démocratie, quand on n'a plus grand-chose à se dire.
02:37Merci beaucoup, Étienne Gernel, directeur du POU.
02:40Bonjour, Sylvie Berman, diplomate, ancienne ambassadrice de France en Russie, à Londres, en Chine.
02:45Vous avez aussi été conseillère à la mission permanente de la France auprès des Nations Unies à New York.
02:51Merci d'être avec nous ce matin pour nous aider à décrypter tout ça à vos côtés.
02:54Anne Dessines, bonjour.
02:56Vous êtes juriste et spécialiste des Etats-Unis, professeure émérite de droit et de civilisation américaine à l'université Paris-Nanterre.
03:03On disait depuis plusieurs jours que ces résultats seraient extrêmement serrés,
03:06que sans doute, d'ailleurs, on ne pourrait pas ce matin donner le nom du nouveau président des Etats-Unis à l'arrivée.
03:13Et on le voit, c'est plutôt clair. Anne Dessines, est-ce que vous êtes surprise, vous aussi, par ce résultat ?
03:18Pas tellement. Depuis plusieurs jours, tout le monde disait, c'est impossible de prédire.
03:22On savait que cela pouvait basculer d'un côté ou de l'autre.
03:25Il y a deux bonnes nouvelles dans ces nouvelles, pour ceux qui ne sont pas absolument ravis que M. Trump retourne dans la Maison Blanche.
03:31C'est que, en dépit de tout ce que clamaient Trump et ses affidés,
03:36les Etats ont bien assuré la sécurité physique des bureaux de vote, malgré des alertes à la bombe, etc.
03:42Et ils ont bien assuré l'intégrité du vote.
03:45Il n'y a absolument aucun doute que les électeurs ont pu voter et que les chiffres sont exacts.
03:52Et ça, c'est une bonne nouvelle quand on pense qu'il y avait déjà 150 contentieux lancés par les républicains,
03:57disant qu'il y avait de la fraude.
04:00Et on redoutait des incidents à l'image de ce qu'on avait pu connaître au capital.
04:04C'est la deuxième bonne nouvelle.
04:06C'est que, en fait, si Harris avait été élue, il y aurait eu des mois de contentieux.
04:11Et moi, ma crainte, personnellement, c'est que ça aurait peut-être fini devant la Cour suprême.
04:15Et si celle-ci avait rendu une décision, comme en 2000, dans l'affaire Bush versus Gore,
04:20où là, sa décision, très mauvaise juridiquement, avait été acceptée,
04:23compte tenu du contexte et compte tenu de la perte de crédibilité et de légitimité de la Cour
04:28à cause de ses décisions partisanes sur l'avortement et beaucoup d'autres choses,
04:32je ne sais pas ce qui aurait pu se passer.
04:34Donc, quelque part, on échappe à ça.
04:36Et peut-être une troisième bonne nouvelle, c'est le taux de participation.
04:38Alors, à la fois chez les démocrates, mais chez les républicains.
04:41Et il semblerait que, cette année, il y ait moins d'écarts entre le collège électoral et le suffrage populaire.
04:47C'est-à-dire que, déjà, Trump avait augmenté le nombre de ses électeurs entre 2016 et 2020.
04:52Il semblerait qu'il ait encore augmenté en 2024.
04:55Quelque part, c'est démocratique.
04:57C'est-à-dire, quelque part, il y a une majorité d'Américains qui veulent M. Trump au pouvoir.
05:01Alors, il va falloir s'interroger pourquoi.
05:03Et le parti démocrate doit se poser des questions.
05:06Pourquoi est-ce que ces arguments, et certains étaient quand même extrêmement fondés sur le racisme,
05:10les droits des Américains, etc.
05:12Pourquoi ces arguments ne prennent pas ?
05:14Une vague Trump, ce que nous disait tout à l'heure Bénédicte Tassa.
05:17Sylvie Berman, il fait plus Donald Trump, d'après les premiers résultats qu'on a,
05:22partout, y compris dans les États où il était favori.
05:25Comment vous l'expliquez ?
05:27On a sous-estimé Donald Trump ?
05:29Ou finalement, les Américains ont véritablement une envie de Trump ?
05:33Les Américains ont une envie de Trump ?
05:35En tout cas, plus de la moitié.
05:37C'est assez clair.
05:39En fait, Kamala Harris a bénéficié, au moment du retrait de Joe Biden,
05:44de ce qu'on a appelé la « camélamania »,
05:46parce qu'elle était beaucoup plus jeune, elle était dynamique.
05:49Mais sa campagne s'essoufflait très vite,
05:52parce qu'elle ne répondait pas aux questions,
05:55elle louvoyait, elle avait un programme qui restait flou.
05:58Et surtout, elle n'était pas connue des Américains.
06:01Trump, tout le monde le connaissait.
06:03Donc, ça a été un référendum sur Trump.
06:06Donald Trump qui doit prendre la parole, sans doute, dans les minutes qui viennent.
06:10Forcément, comme ces résultats, pour l'instant, ne sont ni définitifs, ni officiels,
06:14on a peu de réactions.
06:15Mais il y a quand même le premier ministre hongrois, Victor Orban,
06:18qui a d'ores et déjà réagi, en route vers une très belle victoire, a-t-il dit.
06:22La Chine aussi, je le disais, qui espère une coexistence pacifique.
06:26Est-ce que ça va changer la face du monde,
06:29ce retour au pouvoir de Donald Trump ?
06:33Oui, il va y avoir des conséquences très claires sur la scène internationale.
06:42Maintenant, les Chinois, ils savent que de toute façon,
06:45ils sont dans une nouvelle guerre froide, une guerre froide technologique avec les Américains.
06:50Donc, ils s'y préparent.
06:53L'un est plus imprévisible.
06:55Mais les démocrates sont souvent plus militants et plus négatifs
06:59sur la question des droits de l'homme et de la démocratisation.
07:02Et puis, il y a les deux guerres actuellement.
07:05Et là, Donald Trump peut effectivement jouer un rôle.
07:09D'abord parce qu'il a entretenu des relations avec Poutine qui le fascinent.
07:14Et que finalement, compte tenu de la situation aujourd'hui en Ukraine,
07:18je crois qu'il y a un désir de négociation.
07:21Donc, la question est de savoir si ça protégera suffisamment l'Ukraine ou pas.
07:26Mais il va y avoir des négociations.
07:28Et sur le Moyen-Orient, c'est quand même lui qui avait négocié les accords d'Abraham.
07:31Et je pense qu'il reprendra cela aussi.
07:34Anne Dessine, Donald Trump doit prendre la parole.
07:36Qu'est-ce qu'il va falloir surveiller dans ses propos ces prochaines minutes ?
07:40Le ton, quand même, non ?
07:42Le ton, je pense qu'il va remercier ses partisans.
07:45Est-ce qu'il va tout de suite annoncer qu'il va être un dictateur ?
07:50Est-ce qu'il va annoncer les déportations ?
07:53Parce que maintenant, il est certain qu'il aura le Sénat avec lui.
07:57Ce qui veut dire qu'il va obtenir des nominations faciles de ses ministres, etc.
08:01qui devraient pouvoir placer, y compris des gens qui ne seront pas des conservateurs classiques comme en 2016.
08:07Mais s'il a également la majorité à la Chambre,
08:10ça veut dire qu'il n'y a aucun contre-pouvoir.
08:12Et donc là, est-ce que, par exemple, un congrès républicain va voter une loi
08:18l'autorisant à expulser, déporter les 10 millions de sans-papiers
08:22comme il s'est engagé dans sa campagne ?
08:25Ou bien est-ce qu'un principe de réalité va tomber ?
08:28Ce qui est frappant, c'est que tous les économistes, les prix Nobel,
08:31y compris les centres de réflexion de droite,
08:34ont dit que son programme économique était très dangereux.
08:37Avec la déportation des sans-papiers, ça veut dire que les entreprises n'auront plus personne pour faire le boulot.
08:43Avec les droits de douane, augmentation du coût de la vie, etc.
08:48Et pourtant, la bourse a augmenté.
08:50Donc je ne sais pas ce qu'il va dire.
08:52Je pense qu'il va simplement dire
08:54« Voyez, on a gagné, nous sommes les meilleurs, les démocrates étaient un danger,
08:58et le peuple américain a compris. »

Recommandations