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Alors que le sud du Liban est pris pour cible par Israël dans sa guerre contre le Hezbollah, les civils sur place tentent de survivre dans un pays déjà en crise depuis plusieurs années. On en parle avec Hala Kodmani, journaliste au service International de «Libé» et récemment envoyée spéciale dans le pays.

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Transcription
00:00C'est un pays au bord de l'effondrement, selon les mots de la diplomatie allemande.
00:03Un pays en danger de mort et de dislocation pour Jean-Yves Le Drian,
00:07ancien ministre des Affaires étrangères.
00:08Ce pays, c'est le Liban, un état depuis longtemps délabré
00:11et qui doit faire face ces dernières semaines aux attaques dévastatrices d'Israël,
00:15disant le Hezbollah.
00:16Alors, quelle est la situation sur place ?
00:18Comment survivent les civils ?
00:19Et le conflit peut-il encore dégénérer ?
00:21On va parler de tout cela avec notre journaliste Alaa Qodmani,
00:24récemment encore envoyée spéciale au Liban.
00:27Et la première question que j'aimerais te poser, Alaa,
00:29c'est sur ce que tu as vu lorsque tu étais sur place.
00:32Le Liban est-il un pays au bord de l'effondrement ?
00:34En première apparence, on ne le voit pas, justement.
00:37Quand on arrive à Beyrouth, on arrive à l'aéroport, tout à l'air normal.
00:43Sur la route de l'aéroport, qui pourtant longe de la banlieue sud,
00:47qui est la zone la plus dangereuse et la plus exposée aux bombardements,
00:53à première vue, on ne voit pas l'effondrement.
00:57On ne voit pas tout de suite les destructions,
01:00parce que les axes principaux les évitent.
01:04Mais quand on dit un pays au bord de l'effondrement,
01:08c'est que cette guerre actuelle sur le Liban,
01:12commencée fin septembre à peu près,
01:15entre Israël et le Hezbollah,
01:18qui est la grosse force au Liban, on y reviendra,
01:22vient s'ajouter en fait à une situation libanaise
01:26déjà complètement effondrée.
01:56Le Liban n'a plus de président de la République depuis deux ans.
02:04Il est géré par un gouvernement intérimaire
02:08qui expédie les affaires courantes,
02:11mais qui n'a pas vraiment tous les pouvoirs.
02:14Il a connu une crise financière absolument inédite en 2019
02:18qui a ruiné une grande partie de ses habitants, de toute la population,
02:22puisque les banques ont tout simplement bloqué les comptes des gens
02:27et en leur donnant simplement de quoi payer.
02:29Enfin bon, tout ça pour dire que c'est une guerre de plus,
02:33une guerre de trop,
02:34une guerre beaucoup plus importante que les précédentes.
02:40Et on ne le sent pas tout de suite à l'arrivée,
02:42mais on en voit les marques partout, dans tous les détails de la vie.
02:48Et on voit que c'est un pays qui est du coup en crise,
02:50notamment politiquement, institutionnellement.
02:53Est-ce que ça se ressent très concrètement
02:55quand on se balade dans différentes grandes villes du Liban ?
02:59Pas vraiment, parce qu'il y a des choses...
03:02Bon, le Liban est un pays de paradoxe, c'est toujours...
03:06Même s'il n'y a pas d'État, il y a beaucoup d'initiatives privées,
03:11il y a des choses qui fonctionnent quand même.
03:15C'est un pays à force de ne pas être gouverné par des institutions,
03:21les gens ont appris un petit peu,
03:23les gens, la société, les autres, les pouvoirs économiques
03:28ont un peu appris à survivre, parce que c'est un pays...
03:32Les Libanais sont débrouillards, ils savent faire.
03:35Donc voilà, par exemple, je ne sais pas,
03:37on ne voit pas de route en très mauvais état.
03:42Est-ce qu'il y a...
03:44On ne voit pas beaucoup de police dans la rue,
03:45même dans ces circonstances, par exemple,
03:47ce qui est un peu étonnant,
03:50parce qu'il y a une circulation absolument affreuse.
03:54Mais on n'a pas ni un sentiment d'insécurité aussitôt dans Beyrouth,
04:00ni un sentiment de gros chaos,
04:02comme on aurait pu le voir, je ne sais pas moi, à Bagdad, par exemple,
04:06où je suis passé quand ça allait très mal.
04:09Et c'est intéressant ce que tu dis, parce que c'est...
04:11Là, je le rappelais lors de cette introduction,
04:13mais c'est un pays qui est frappé très lourdement
04:15par l'armée israélienne ces dernières semaines.
04:18Là, le bilan humain très récent fait état d'au moins 21 personnes tuées
04:22hier, dimanche 27 octobre,
04:23cinq autres personnes tuées ce lundi 28 octobre.
04:26Quand on voit ces bombardements, ces pertes humaines,
04:29est-ce que c'est quelque chose qui concerne tout le pays
04:31ou est-ce que c'est plutôt certaines zones en particulier
04:33qui sont touchées plus spécifiquement ?
04:35Bon, le bilan des pertes,
04:39notamment des civils qui ont été tués en trois semaines,
04:43n'ont bientôt un mois de frappes israéliennes quotidiennes
04:48et autour de 1 600 personnes, et je parle des civils,
04:54ce qui est assez important.
04:59Bon, je dois dire que j'ai eu la chance de passer entre les gouttes de ces frappes
05:05et c'est vrai que ce sont des frappes,
05:08il y en a trois, quatre, ça peut aller jusqu'à dix par jour,
05:12sur des civils très spécifiques.
05:14Spécifiques, on ne sait pas s'ils sont justifiés ou pas
05:16parce que là, on n'a que le retour de l'armée israélienne qui dit
05:21nous avons frappé telle chose parce qu'il y avait des militants à Hezbollah
05:26ou parce qu'il y avait un dépôt d'armes ou un dépôt d'argent, etc.
05:30Ce sont des informations évidemment invérifiables
05:34de sources indépendantes.
05:36Évidemment, côté libanais, le Hezbollah et les autres nient complètement et disent
05:43mais non, non, vraiment c'était un immeuble civil, il n'y avait rien.
05:47Donc voilà, on est dans une situation où on est complètement soumis au hasard
05:55parce que même si parfois l'armée israélienne donne une alerte
06:00quinze minutes avant de frapper
06:03en disant aux habitants de tel immeuble, évacuez, dans les quinze minutes, on va frapper.
06:09Ça se passe comment ça par exemple ?
06:10De quelle manière ils reçoivent cette information ?
06:13C'est surtout sur les réseaux sociaux.
06:16Il y a maintenant le devenu fameux porte-parole arabophone de l'armée israélienne
06:23qui appelle les habitants de tel quartier et avec une carte à l'appui.
06:29C'est-à-dire qu'il y a un plan en disant voilà, cet immeuble dans telle rue,
06:33on le voit tout de suite sur un Google Map ou sur un…
06:35Donc les gens comprennent tout de suite.
06:38Des fois ça a pris la forme de tract envoyé mais bon, c'est plus souvent ça
06:44et les gens sont complètement…
06:46et l'information court très vite, je veux dire même celui qui n'est pas branché,
06:49il a tout de suite compris, il est alerté, il y a une alerte
06:52qui fait que finalement le bilan est moindre que ce qu'on peut craindre
06:58parce que quand les gens réussissent à évacuer, s'ils réussissent,
07:02parce qu'ils ne réussissent pas toujours, tout le monde ne réussit pas à sortir
07:05et surtout à trouver refuge suffisamment loin pour être protégé.
07:11Pardon.
07:13Il y a une question de Fabien Varin dans le tchat.
07:17Du coup avec les questions du tchat, on va sûrement faire un peu des allers-retours aussi
07:20avec différents sujets mais c'est vrai que comme on a déjà mentionné dès le début
07:23que le Liban était un pays qui, depuis de nombreuses années déjà,
07:26était très fortement secoué, en tout cas assez instable.
07:29Il y a une question de Fabien Varin qui veut déjà revenir sur un événement
07:31qui a été un basculement quand même, c'est l'explosion du port de Beyrouth
07:35qui demande justement quelle a été la suite de l'énorme explosion dans le port de Beyrouth
07:38en termes de reconstruction et d'aides internationales notamment.
07:42C'était en août 2020 pour rappel.
07:44Je ne l'ai pas cité, mais c'est vrai que l'explosion du port de Beyrouth,
07:48donc le 4 août 2020, a été un choc énorme
07:54qui est venu s'ajouter ces dernières années aux différentes crises libanaises.
08:00On sait que c'était plusieurs tonnes, plusieurs centaines de tonnes,
08:04je ne sais plus les chiffres,
08:07qui ont explosé de nitrates d'ammonium
08:09qui étaient stockés dans le port de Beyrouth,
08:12et le port de Beyrouth qui est vraiment au centre de la ville,
08:14ce n'est pas excentré, c'est vraiment, on est dans Beyrouth,
08:18qui a explosé, ça a fait plus de 200 morts
08:22et entraîné des dégâts terribles, des immeubles entiers détruits, etc.
08:28Ce qui s'est passé, j'étais allé moi en 2020,
08:33enfin tout de suite, 24 heures, 48 heures après l'explosion,
08:36et j'ai été retourné une année après pour faire une enquête,
08:39une contre-enquête un peu, de où on en est.
08:42Il y a eu une réponse sur le plan de l'aide humanitaire,
08:46qui a été assez rapide,
08:48on se souvient que le président Macron était allé sur place aussitôt
08:52pour témoigner de son statu d'arrité avec les Libanais,
08:56et plein de choses ont été mises en branle pour apporter de l'aide humanitaire,
09:00pour protéger les gens, etc.
09:03Là où c'est très problématique, où ça a été très problématique,
09:08et ça reste complètement bloqué,
09:10c'est que l'enquête pour déterminer les causes,
09:15les conséquences et les responsabilités de cette explosion
09:18n'a jamais pu aboutir que…
09:21L'enquête de la justice libanaise.
09:23Voilà, l'enquête de la justice libanaise,
09:25justement en raison des pressions politiques énormes
09:30et des blocages vraiment avérés et déclarés, etc.
09:36de toute l'enquête.
09:37Trois juges ont été des saisis du dossier,
09:44parce qu'ils étaient vraiment trop sérieux,
09:46ils voulaient chercher les choses, faire l'enquête comme il faut,
09:50et interroger surtout des responsables politiques,
09:53des ministres et des gens de l'insécurité,
09:56qui sont les premiers responsables,
09:58qui doivent rendre des comptes ou au moins expliquer ce qui s'est passé.
10:02Or, comme de toute évidence,
10:05le Hezbollah et d'autres responsables libanais,
10:08enfin je dis responsables, ce sont des irresponsables,
10:12je préfère dire dirigeants libanais,
10:14sont impliqués d'une façon ou d'une autre,
10:18ne serait-ce que par négligence dans cette explosion,
10:23tout a été fait pour entraver la justice,
10:26et l'enquête est au point mort.
10:28Tu mentionnes justement le Hezbollah,
10:30quel pouvoir a le Hezbollah au Liban ?
10:34Colossal.
10:35Colossal depuis plus de vingt ans.
10:38Avant on disait que le Hezbollah est un État dans l'État,
10:41maintenant on dit que le Hezbollah est un État dans un non-État,
10:45parce que l'État libanais est complètement délabré.
10:48Donc c'est vraiment, c'est à la fois une milice armée
10:56qui pèse plus lourd, qui est mieux armée,
10:58et avec pratiquement le même nombre d'hommes en plus
11:01que l'armée libanaise elle-même.
11:04C'est un pouvoir politique colossal,
11:06parce qu'ils sont représentés,
11:09le Hezbollah et ses alliés,
11:11représentent un tiers du Parlement libanais,
11:17un tiers dans le gouvernement,
11:19représentés dans le gouvernement,
11:20parce qu'il faut savoir qu'au Liban tout est réparti par un système communautaire,
11:27donc c'est des sièges bien clairs,
11:30il faut avoir un certain nombre de ministres dans le gouvernement
11:35représentant toutes les tendances,
11:38eux représentent un tiers.
11:39Donc c'est un pouvoir de blocage des institutions,
11:44et c'est notamment à cause du Hezbollah
11:46qu'il n'y a pas possibilité d'élire un Président de la République,
11:49parce qu'en l'absence de ses députés il n'y a pas de quorum au Parlement
11:54qui élit le Président de la République.
11:57Donc un potentiel de blocage des institutions libanaises colossal,
12:03de force sécuritaire très forte aussi,
12:11et aussi tout un maillage de la société,
12:18parce qu'il fournit aussi des services de la santé, de l'éducation,
12:23des finances comme on l'a vu récemment
12:26quand les institutions financières du Hezbollah ont été ciblées.
12:30Donc non, c'est vraiment un État dans le non-État.
12:34C'est une organisation qui est aussi soutenue par une partie de la population.
12:37Alors bien sûr le Hezbollah qui est représenté,
12:42la population chiite qui représente plus ou moins un tiers de la population libanaise,
12:47c'est une population très pauvre globalement, en très grande majorité,
12:54et qui vit donc dans les quartiers pauvres dans cet énorme banlieue sud de Beyrouth
13:01qui regroupe à peu près 500 000 personnes.
13:04Et donc cette population chiite assez démunie a trouvé dans le Hezbollah à la fois un protecteur,
13:13il y a évidemment un aspect idéologique de croire dans cette force de ce mouvement islamiste chiite
13:23qui veut avoir ce pouvoir, qui détient un grand pouvoir,
13:28et en même temps ils apportent une aide à cette population sociale, éducation, santé, etc.
13:36Toi tu as rencontré des Libanais justement qui disent « le Hezbollah il nous aide ».
13:40Oui bien sûr, il y a déjà des gens qui adhèrent à la fois politiquement, idéologiquement, religieusement
13:51au Hezbollah, ils représentent quand même une grosse partie de cette population libanaise,
13:57mais aussi des gens qui, pour des raisons simplement de survie ou de vie quotidienne,
14:05considèrent le Hezbollah comme leur protecteur en quelque sorte.
14:09Et c'est sûr que c'est une influence vraiment très importante.
14:15Quelle est la politique du Hezbollah par rapport à l'état d'Israël ?
14:19C'est ce que j'allais ajouter, c'est l'élément très important.
14:23Le Hezbollah qui a été créé en 1982, au lendemain d'une invasion israélienne du Liban,
14:30mais ça elle visait les Palestiniens à l'époque qui étaient basés au Liban,
14:35est une émanation, une vraie création de la république islamique d'Iran.
14:40C'est-à-dire la révolution islamique en Iran c'est 79,
14:44l'Iran qui veut avoir une projection régionale à travers cette nouvelle ligne
14:50à la fois idéologique, politique et sécuritaire,
14:54qui veut vraiment conquérir la région en ces terres.
14:56Une ambition de la république islamique de vraiment conquérir la région.
15:02Et le Hezbollah, du fait de la présence d'une communauté chiite très importante au Liban
15:09et de militants convaincus de la « cause » de la république islamique,
15:18là c'est vraiment un prolongement du pouvoir iranien au Liban.
15:26Et c'est à ce titre justement que ça fausse complètement l'équation libanaise
15:32parce que l'agenda du Hezbollah est un peu dicté et même il est partenaire avec l'Iran
15:39parce que c'est une vraie conviction, ce n'est pas juste qu'on lui dicte ce qu'il faut faire,
15:44cette concertation est complètement dans une logique qui donne primauté
15:53un petit peu au combat de la république islamique,
15:57en l'occurrence notamment dans la confrontation avec Israël,
16:02que priorité à l'intérêt du Liban et aux intérêts nationaux libanais.
16:08Est-ce qu'on sait quel est l'objectif du Hezbollah actuellement
16:11dans le conflit par rapport à Israël ?
16:13C'est quoi leur objectif affiché ?
16:16En fait, le jeu qui s'est produit, c'est que depuis le 7 octobre 2023,
16:23donc au lendemain du massacre commis par le Hamas en Israël à la frontière de Gaza,
16:31le Hezbollah, au nom de la solidarité avec les Palestiniens et de l'unité des fronts,
16:41ont entamé une sorte de guerre d'usure à la frontière israélo-libanaise
16:48qui a été enflammée depuis des années, bien avant le Hezbollah, depuis des décennies.
16:54Mais ils ont entamé cette sorte de petite guerre, on va dire,
16:59où ils envoyaient régulièrement des roquettes, des missiles vers le nord d'Israël
17:06qui provoquaient évidemment des dégâts et surtout qui a provoqué le départ
17:11d'une grande partie de la population de ces zones frontalières.
17:16Et les Israéliens répliquaient pareil en visant les positions de Hezbollah au sud de Liban, etc.
17:23Et donc ça a duré pendant plus d'un an, on était à ça, c'était la petite guerre.
17:30Au nom de la solidarité avec Gaza, ça ne faisait pas beaucoup de dégâts ni de victimes.
17:36Au Liban aussi, il y en a eu quelques-unes quand les Israéliens attaquaient,
17:41mais bon, c'était une guerre de très faible intensité et il y avait un côté tout à fait symbolique,
17:47et c'était sous l'ordre de l'Iran évidemment, qui disait, on va leur montrer qu'au-delà du Hamas
17:54et au-delà de Gaza, il y a quand même d'autres qui veulent s'attaquer à Israël ou solidarité avec ça.
18:03Donc voilà comment ça a...
18:06Maintenant, là où les choses se sont vraiment aggravées,
18:10qui a vraiment provoqué l'embrasement actuel,
18:17c'est là une vraie opération israélienne qui a commencé par, si vous vous souvenez, c'était le 23 septembre je crois,
18:31l'opération des Pedjers, c'est-à-dire des Bipers et des Tokiwokis,
18:41qui étaient en possession des militants du Hezbollah, des militants et des combattants, il y en avait plusieurs milliers,
18:48et bon, c'est une opération de renseignement absolument phénoménale,
18:52puisque les Israéliens avaient réussi en fait à infiltrer au-delà du Hezbollah et au-delà de l'Iran,
18:59et par le biais de l'Iran aussi, la façon d'acheter ces Bipers et de les piéger,
19:07et donc au même instant, des milliers de ces Bipers ont explosé entre les mains des combattants,
19:15bon, ça a été déjà une claque monumentale, plein de blessés, plein de catastrophes générales parmi les membres du Hezbollah,
19:27et quelques jours après, alors là ça a été le gros coup, c'est l'opération de l'assassinat du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah,
19:39qui est une figure tutélaire qui est là depuis vingt ans, qui a un charisme qui est respecté, adulé par ses troupes,
19:49qui se trouvait en réunion dans un je ne sais combien tièmes sous-sol, et une opération israélienne assez énorme qui a réussi à tuer Hassan Nasrallah.
20:05Bon, le Hezbollah s'est retrouvé prendre des coups énormes, et du coup s'est mis à répliquer de façon beaucoup plus forte que ce qui est resté,
20:21même s'il a été très déstabilisé, parce qu'il y a eu d'autres dirigeants petit à petit qui ont été assassinés,
20:28donc il y a eu une grosse déstabilisation du mouvement, mais pour montrer qu'ils étaient quand même capables de se battre,
20:34bon, dans le même temps, il faut ajouter qu'Israël s'est mis à bombarder assez copieusement tout le sud de Liban,
20:42qui est soumis à l'autorité du Hezbollah, ce qui a fait fuir des dizaines, des centaines de milliers de gens de cette région.
20:51Comment a été vécue justement cette opération des Bipers et des Tokiwalkis ?
20:57Parce que certains, et même ici, quand on en parle, certains parlent d'attaques ciblées, c'est plutôt le narratif d'Israël,
21:05d'autres parlent d'actes terroristes aussi. Comment ça a été vécu par les Libanais que tu as pu rencontrer ?
21:10Quelle trace ça a pu laisser cet événement ?
21:13Alors bon, là, en l'occurrence, on ne peut certainement pas parler des Libanais comme un tout, ils sont très très divisés.
21:23D'abord, évidemment, il y a le côté spectaculaire, complètement choquant, étonnant, inédit de cette opération,
21:33qui a été ressenti, évidemment, comme une catastrophe énorme par le Hezbollah et ses partisans et ses premières victimes,
21:43parce que c'était quand même… oui.
21:45Alors, ce n'est pas nécessairement des combattants, ça pouvait être n'importe qui qui travaillait dans la bureaucratie du Hezbollah.
21:55On a vu des gens qui étaient en train de faire leurs courses au supermarché se faire éclater, ça a blessé aussi ou tué même,
22:02je crois, une petite fille, des gens de la famille, parce que les Bipers, ils les gardaient chez eux en remplacement du téléphone portable
22:10qui était jugé trop facile à infiltrer.
22:14Enfin bon, le choc était de toute façon colossal et vraiment, c'était la dévastation parmi les troupes du Hezbollah moralement, physiquement.
22:27Maintenant, l'autre liban, celui qui est anti-Hezbollah, qui depuis des années ne souffre justement de tout le blocage du Hezbollah,
22:42de toute la pression qu'ils exercent, que ce soit dans le pays, sur les institutions, y compris dans son combat contre Israël.
22:50Là, il y a eu comme, bon, évidemment ils étaient épatés par la méthode, mais aussi, ah, là le Hezbollah a pris un gros coup et ils en étaient absolument ravis.
23:02Ok, ah oui, il y avait une partie des Libanais qui étaient ravis de l'opération israélienne ?
23:07Complètement, complètement, une bonne partie.
23:09Ah ouais, parce qu'il y a aussi finalement des civils qui n'avaient rien à voir avec le Hezbollah qui ont pu être touchés par cette opération ?
23:17Oui, il y en a eu, il y en a eu, mais il reste que les milliers de bipers, ils étaient remis à des membres.
23:27Alors, je ne dis pas nécessairement des combattants, pas nécessairement des militants importants,
23:32ça pouvait être des pauvres gens qui ont travaillé dans les bureaux du Hezbollah ou qui étaient dans le quartier.
23:38Donc, bien sûr, ça a touché, mais ça visait vraiment les forces vives du Hezbollah et le milieu du Hezbollah.
23:50Est-ce qu'on peut tenter d'anticiper, de savoir un peu quels pourraient être les futurs objectifs du Hezbollah ?
23:58Est-ce qu'on peut essayer de deviner à ce qu'on pourrait s'attendre en termes d'escalade du conflit ou de désescalade après ce genre d'opération ?
24:05Après les réponses aussi du Hezbollah, est-ce qu'on arrive à lire un petit peu la suite potentielle de ce conflit ?
24:10Je crois que les coups qu'a pris le Hezbollah, comme je viens de le décrire, et là qu'il continue de prendre,
24:18avec depuis un mois quand même des frappes assez énormes, toute sa région, la banlieue sud a été dépeuplée.
24:28Il mène maintenant un combat existentiel, parce qu'avec un mouvement décapité quand même,
24:37même s'il y a d'autres dirigeants, même s'il y a d'autres chefs militaires, etc.
24:43Cela dit, il mène une guerre existentielle, mais à laquelle il s'était préparé quelque part depuis plusieurs années,
24:55c'est-à-dire avec des stocks d'armes un peu partout, avec des combattants très entraînés et assez efficaces.
25:04Maintenant, cette guerre existentielle, il va montrer à Israël que ce n'est pas aussi facile que ça.
25:12Ce n'est pas le cas comme à Gaza où on a essentiellement une population civile désarmée,
25:18et que pour tuer un membre du Hamas, il faut tuer 25 civils.
25:23Et encore une fois, là on ne peut pas savoir, c'est vraiment les Israéliens qui donnent toutes les informations,
25:29donc il est difficile de vérifier.
25:32Mais bon, donc côté Hezbollah, ça y est, on est dans cette guerre préparée depuis des dizaines d'années,
25:39avec des combattants entraînés, avec un matériel stocké, et un matériel des armes quand même assez importantes,
25:49qui ont réussi, comme on voit, à cibler les principales villes israéliennes, ça s'est allé jusqu'à Tel Aviv.
25:57Dans le même temps, au sud de Liban, à la frontière, sur le terrain,
26:02les Israéliens qui tentent de faire des incursions terrestres, ils payent assez cher.
26:09Il y a plusieurs soldats, presque tous les jours,
26:12il y a des soldats israéliens qui tentent de faire des incursions au Liban,
26:16qui sont tués dans les combats avec le Hezbollah.
26:18Le Hezbollah parvient réellement à rivaliser avec l'armée israélienne ?
26:22Non, non, rivaliser, c'est hors de question.
26:25Là, on est dans un combat tout à fait asymétrique.
26:28Le Hezbollah n'a ni les moyens, ni les capacités,
26:32on est sur du 1 contre 100 là.
26:37Il n'y a pas d'aviation, il n'a même pas de système antiaérien pour surveiller, non, non, il n'y a pas.
26:43Mais, ils peuvent faire mal, ils peuvent faire mal.
26:47Wow, on est dans une disproportion totale.
26:52Mais, c'est une guérilla, c'est…
26:57J'en profite pour répondre à Sajkami dans le chat, qui nous demande qui es-tu ?
27:05Et donc, tu as dû rater le début de l'émission, donc à la Côte Manie,
27:07et journaliste au Service international de libération.
27:10Et encore, il y a quelques jours, il y a une dizaine de jours,
27:12du coup, encore envoyé spécial au Liban pour rapporter justement
27:16tout un tas d'informations sur la situation actuellement sur place.
27:19Et ça me permet aussi de te poser justement une question sur le travail,
27:22sur ton travail en tant que journaliste, quand on est envoyé spécial au Liban.
27:26Comment est-ce qu'on parvient justement à récolter l'information ?
27:30Parce qu'on sait que, notamment dans la bande de Gaza,
27:32l'accès est impossible pour les journalistes internationaux.
27:35Est-ce qu'au Liban, c'est plus simple justement de collecter l'information
27:38et du coup, après, d'informer à travers le monde sur la situation sur place ?
27:41Alors, je vais en profiter d'abord pour un peu me présenter parce que mon travail au Liban,
27:45bon, je suis vraiment privilégié parce que c'est un pays où j'ai habité,
27:52j'ai fait mes années de collège là-bas, où je suis allé très régulièrement,
27:56où j'ai des amis, des contacts, de la famille.
28:00Bon, donc, c'était beaucoup plus facile pour moi comme terrain qu'ailleurs.
28:06C'est un terrain, j'allais dire, déjà très familier.
28:12Ce qu'il faut dire aussi, et je ne suis pas le seul,
28:16c'est que la possibilité d'aller facilement au Liban,
28:20là pour les journalistes, on voit, toutes les rédactions ont pu envoyer,
28:24des équipes de télé, de radio, et en nombre, et en relais, etc.
28:29C'était un peu une revanche de la frustration
28:33de ne pas pouvoir avoir accès à Gaza depuis plus d'un an.
28:37Et là, bon, c'est ouf, on a enfin un terrain qu'on peut couvrir.
28:43Cette guerre, c'est parce que c'est terrible,
28:45la frustration qu'on a de ne pas avoir pu couvrir Gaza,
28:49de ne pas avoir la moindre possibilité d'y aller, d'y entrer, etc.
28:55Donc, bon, alors, je voulais dire, compte tenu de mes facilités,
28:59sachant que je suis originaire de la région,
29:01que je parle couramment la langue,
29:03que je connais très bien depuis des années la géographie politique,
29:09l'actualité, la société, etc.
29:12Donc, bon, j'ai tout de suite des repères.
29:15C'est beaucoup plus facile que quelqu'un d'autre qui débarque.
29:18Moi, je n'ai pas besoin de fixeur, je n'ai pas besoin de traducteur,
29:21je n'ai pas besoin de...
29:22Des fixeurs, alors, pour expliquer aux gens du tchat,
29:24c'est des gens qui, sur place, permettent de mettre en relation,
29:26notamment les journalistes, avec les gens qu'on veut interviewer, par exemple.
29:29Voilà, c'est ça.
29:29Pour les journalistes qui, justement, ne connaissent pas le terrain,
29:33ni la langue, ils se font aider par des Libanais,
29:40des Libanaises ou des Libanais, quelqu'un qui les accompagne,
29:43qui leur trouve les gens avec qui parler,
29:45qui facilite éventuellement les tournages, les déplacements, tout ça.
29:52Donc, bon, moi, je n'ai pas besoin de tout ça.
29:55J'ai déjà tous mes contacts, je sais à peu près où je veux aller,
30:00mais forcément, le terrain s'impose.
30:04C'est-à-dire que, comme je disais, je ne peux pas aller dans la banlieue sud,
30:09c'est devenu inaccessible.
30:12Parce que c'est le territoire principalement frappé par l'armée israélienne ?
30:15C'est le territoire frappé et c'est le territoire vidé de ses habitants.
30:19Bon, j'espère qu'on pourra parler des déplacés,
30:21qui sont la plus grande plaie maintenant pour le Liban.
30:26Et donc, bon, maintenant, il y a bien sûr beaucoup de précautions à prendre.
30:31Il faut savoir quel risque on veut prendre.
30:35Moi, je ne suis pas allé...
30:36Enfin, il n'y a pas de ligne de front, proprement dit,
30:38puisque le sud de Liban, à la frontière, est aussi inaccessible.
30:44Alors bon, il y a des journalistes qui sont allés.
30:45Je ne suis pas allé dans le sud,
30:46j'ai préféré aller dans un autre fief, tu as raison là, je raconterai.
30:52Mais bon, on peut aller voir des zones un peu plus frappées,
30:56disons dans le sud du pays,
30:58à partir de la ville de Saïda, de Tyre, ces derniers jours notamment.
31:04Donc bon, il faut avoir le chauffeur et la voiture qu'il faut,
31:10s'assurer qu'on a les autorisations pour circuler,
31:15demander, il y a un papier du ministère de l'Information,
31:18une sorte d'accréditation d'autorisation qui vérifie tout.
31:22Quand on va dans certaines zones de Hezbollah,
31:24il faut aussi une autorisation du service de presse de Hezbollah.
31:29Bon, ça, c'est le genre de paperasse, j'allais dire.
31:32Mais bon, nécessaire.
31:35Alors maintenant, quand on va dans des zones exposées aussi,
31:39risquées, on va dire, il faut avoir un gilet pare-bas, les casques,
31:44ça, c'est obligatoire.
31:47Mais bon, pas quand on est à Beyrouth, dans la ville,
31:50a priori, on est à peu près à l'abri.
31:55Il y a une question dans le tchat qui demande un petit mot
31:58sur les journalistes libanais tués par Israël du Liban
32:01et sur la finule.
32:03Alors, c'est deux sujets différents.
32:05Tout ça concerne évidemment le sud Liban,
32:10qui est complètement embrasé, cette région du sud Liban.
32:14Je parlerais, je dirais deux mots d'abord des journalistes
32:17qui ont été tués il y a trois, quatre jours,
32:21dans une zone, dans un lieu, une sorte de,
32:26comment on appelle ça, zone hôtelière,
32:29où beaucoup de journalistes, c'était un lieu de journalistes,
32:32que tous les correspondants, y compris de la presse internationale,
32:36qui voulaient passer au sud Liban, allaient dans ce lieu.
32:39Et il y avait entre autres les journalistes des médias du Hezbollah,
32:45qui sont quand même journalistes,
32:46même si ce sont des médias du Hezbollah, ce sont des journalistes,
32:49et tout le lieu était un lieu de journalistes.
32:53De toute évidence, ils ont été ciblés par une frappe israélienne
32:57qui a tué donc trois journalistes
33:01des deux différentes télés pro-Hezbollah ou du Hezbollah.
33:06Ce qui a provoqué évidemment une panique un petit peu
33:11chez tous les restes des journalistes qui y allaient régulièrement.
33:14Parce qu'il faut savoir que, contrairement aux médias occidentaux,
33:18qui évidemment tentent de protéger plus leurs journalistes,
33:24les chaînes d'informations arabes ou libanaises,
33:28ils ont des correspondants, quelles que soient leurs tendances,
33:31par Hezbollah, même anti-Hezbollah,
33:33ils ont des correspondants dans les différentes zones en guerre,
33:38très frappées, et on les voit régulièrement faire des directs
33:45à partir de telles zones du sud Liban.
33:49Et sur la finule, tu peux rappeler ?
33:51La finule, c'est une autre grosse histoire.
33:57La finule, c'est une force des Nations Unies
34:01qui est en poste au sud Liban depuis 1980, il me semble.
34:07Et ça fait suite à l'invasion israélienne du sud Liban en 1978,
34:14j'insiste sur la date, qui est pré-Hezbollah et pré-républicisme tyran.
34:20Donc il y avait cette invasion israélienne d'une grande partie,
34:26d'une partie du sud Liban.
34:28Et à ce moment-là, l'ONU votait pour l'envoi sur place
34:33de cette force intérimaire des Nations Unies au sud Liban
34:39pour observer la frontière et éviter l'escalade.
34:45C'était un de mes premiers reportages que j'ai fait,
34:47c'était auprès de la finule au sud Liban,
34:52c'était un moment où c'était calme.
34:54Mais ce sont plusieurs milliers de, je ne sais plus exactement le chiffre,
35:00de casques bleus, comme on les appelle,
35:03détachés par des pays, enfin la France est représentée, l'Italie beaucoup,
35:08plusieurs autres pays européens ont des soldats de la finule
35:11qui sont installés pile à la frontière, à un poste frontière au bord de la mer,
35:17mais qui malheureusement ne sont pas très armés
35:20et ne peuvent absolument pas réagir militairement.
35:25Ils sont là essentiellement comme observateurs
35:29et un peu comme empêcheurs de témoins.
35:33Oui, l'idée c'est d'éviter qu'il y ait des bombardements pour dire aussi on est là.
35:36On est là, donc bon, ce sont des témoins assez inconfortables,
35:43notamment pour les Israéliens parce qu'on l'a vu récemment,
35:46les Israéliens ont essayé de demander le retrait de la finule,
35:50ils se sont même attaqués au territoire finule.
35:54Bon, c'est une force indispensable
35:58et on a vu quand même une réaction assez forte,
36:02contrairement au reste d'ailleurs,
36:05des réactions, une réaction diplomatique, politique très forte,
36:09notamment des pays qui participent,
36:13qui ont envoyé des forces dans la finule pour dire stop là, attention à la finule.
36:20Et c'était assez rigoureux, dont la France aussi.
36:25Une question dans le chat qui dit le cœur du Liban saigne,
36:28est-ce que s'installe une forme de fatalité au sein des Libanais ?
36:34Est-ce que tu l'as vu comme ça dans les Libanais que tu as pu rencontrer ?
36:37Non, je ne dirais pas de fatalité,
36:41mais d'une énorme angoisse,
36:45d'une terrible angoisse de tous les côtés,
36:51que ce soit pro-Hezbollah, anti-Hezbollah,
36:55habitant d'ici, habitant de là,
36:57zone touchée, zone pas touchée, l'angoisse est partout.
37:01Les gens sont là, d'abord complètement scotchés
37:05à leur télé ou chaîne info tout le temps,
37:08et jusqu'où ça peut aller, jusqu'à quand ça va durer,
37:13pour quels résultats, à quoi on peut s'attendre,
37:17c'est une angoisse dans laquelle vivent tous les Libanais.
37:21L'autre élément d'angoisse, et c'est très important d'en parler,
37:28depuis un mois, en un mois, même en deux semaines,
37:33cette guerre, ces frappes israéliennes ont vidé des régions entières et des quartiers entiers.
37:40Plus d'un million, on part entre un million et un million trois cent mille personnes
37:45ont été déplacées, ont dû quitter chez eux,
37:48et aller vers les zones plus au nord.
37:54Tout le Liban maintenant, tout le reste du Liban,
37:57est envahi par cette population,
38:00ça représente presque un quart de la population libanaise quand même.
38:04Qui est souvent démunie,
38:07qui est partie avec pas grand chose que les habits qu'ils ont sur eux,
38:12et qui sont maintenant accueillies, soit dans des écoles,
38:16en grande partie dans des écoles publiques,
38:20qui du coup ne peuvent pas ouvrir pour la rentrée scolaire.
38:24La rentrée scolaire a été reportée deux fois déjà,
38:25parce que les écoles sont occupées, ils sont partout.
38:29Au début, quand ils sont partis,
38:30il y en a qui se sont installés sur des plages, sur des places publiques.
38:36Bon, petit à petit, avec un effort gouvernemental et des ONG,
38:41et international, et la société civile libanaise,
38:44on n'a plus beaucoup de gens dans la rue,
38:46enfin complètement exposés,
38:48mais ils sont partout, il y a beaucoup.
38:50Alors ceux qui ont pu, avaient de la famille ou des amis,
38:53qui ont pu les accueillir chez eux.
38:54Mais ça pose en même temps un autre problème,
38:58parce qu'ils sont regardés avec méfiance,
39:01par une grande partie de la population.
39:03Ça crée des tensions entre Libanais, ces déplacements aussi importants.
39:06Ça crée des tensions énormes entre Libanais,
39:07parce qu'ils se disent,
39:08ah, si jamais parmi ces gens-là,
39:11il y avait un chef du Hezbollah ou un responsable
39:14qui serait éventuellement visé par une frappe,
39:17et si jamais ils voulaient déstabiliser...
39:20Enfin bon, bien sûr, il y a des femmes, des enfants, des personnes âgées,
39:26des gens qui sont complètement en très grande majorité,
39:29qui sont complètement des vrais réfugiés,
39:33des vrais déplacés qui sont des victimes,
39:36mais la méfiance est là.
39:39Et on a vu même, par exemple,
39:41il y a des immeubles vides de Beyrouth.
39:44J'en ai vu un là, quand j'étais juste à côté de là où je logais,
39:50il y avait un immeuble entier, complètement désaffecté, vide, etc.,
39:53qui a été, évidemment, squatté par les déplacés.
39:57Et tout d'un coup, les propriétaires de l'immeuble,
39:59qui n'en faisaient rien d'ailleurs,
40:01« Ah non, non, on veut le récupérer, on veut le vider »,
40:05et puis il y a eu toute une opération menée par la police
40:10pour vider cet immeuble.
40:12Mais bon, donc ça pose mille problèmes
40:14et ça va en poser de plus en plus.
40:17Est-ce qu'ils ont quand même,
40:19après tu disais que ce n'est pas un tout le peuple libanais,
40:23mais est-ce qu'il y a quand même un espoir de paix au sein de la population ?
40:26Ça me permet de rebondir sur une réflexion dans le chat tout à l'heure
40:29qui disait, avec des intégristes aussi puissants dans tous les camps,
40:31difficile d'imaginer un chemin vers la paix.
40:34C'est certain.
40:35C'est certain que, bon,
40:38le chemin est long, tortueux et douloureux.
40:43Le Hezbollah n'a pas dit son dernier mot.
40:45Il est considérablement affaibli,
40:48notamment politiquement.
40:50Militairement, bien sûr,
40:53mais politiquement et humainement et socialement,
40:56il est très affaibli.
41:00Mais il garde une force combattante assez importante
41:04et il n'a pas encore,
41:07il ne se sent pas suffisamment, je dirais qu'il est touché mais pas coulé.
41:12Il n'a pas encore dit, bon, voilà,
41:14j'ai perdu la bataille et je me rends à l'évidence.
41:18Ils bloquent toujours l'élection d'un président, par exemple.
41:22Ils refusent, ils veulent avoir leur mot à dire sur un candidat éventuel.
41:27Donc, bon, on est encore dans une phase difficile.
41:30On a dans le camp anti-Hezbollah, qui est très anti-Hezbollah,
41:34qui est vraiment, on trouve des extrémistes,
41:38oui, de droite très, très dure,
41:42qui veulent en découdre, qui disent qu'il faut, voilà,
41:46il faut y aller, qui sont très contents que les Israéliens achèvent le Hezbollah, etc.
41:51Donc, c'est pour ça que je dis que...
41:54On arrive à estimer la part de population ?
41:56Il y avait quelqu'un qui posait cette question-là quand on disait tout à l'heure
41:58qu'une bonne partie de la population s'était montrée satisfaite de l'élimination du chef du Hezbollah.
42:02Est-ce qu'on sait estimer une part de la population qui aurait été satisfaite ?
42:05Je dirais une bonne moitié.
42:06D'accord, ok.
42:07C'est une bonne moitié, une bonne moitié.
42:10Oui, parce que bon, le Hezbollah a quand même complètement bloqué le pays
42:16et a rendu les choses de plus en plus compliquées pour les Libanais.
42:23Oui, il y a d'ailleurs une autre question aussi là-dessus.
42:26Pourquoi est-ce que le gouvernement libanais permet la présence du Hezbollah sur le territoire ?
42:30J'ai beau chercher, je ne trouve rien sur l'arrestation des groupes armés par les forces gouvernementales.
42:34Oui, justement, ça, ça tient à la faiblesse de l'État libanais.
42:39Oui, parce que c'est surtout au début du...
42:40Oui, la faiblesse.
42:42Enfin, ce n'est pas très récent, maintenant on est dans un état de déconfiture totale,
42:47mais même quand il y avait un président, même quand il y avait un gouvernement de plein pouvoir,
42:53le Hezbollah s'est imposé comme une milice avec des hommes en armes.
43:00Notamment, il faut quand même dire pourquoi,
43:04c'est qu'en 2000, ce sont les forces du Hezbollah, la milice du Hezbollah,
43:10qui a, à force d'attaquer les forces israéliennes qui étaient encore occupées au sud de Liban,
43:16ont réussi à, ce qu'on appelle, libérer le sud de Liban.
43:21Les Israéliens se sont retirés, ont obligé les Israéliens à se retirer.
43:26Donc, ça a été le grand moment, à partir des années 2000,
43:30de le Hezbollah triomphant, on a réussi,
43:34ce que l'armée libanaise n'a jamais réussi à faire.
43:37L'armée libanaise, qui a toujours été une petite armée faible,
43:42qui, des séquelles de la guerre civile, a été divisée,
43:48elle a été reconstituée après la guerre civile.
43:50Ils combattent ensemble, pas aujourd'hui, contre l'armée israélienne, ou pas du tout ?
43:52Non, mais ils se sont trouvés quand même victimes.
43:57Alors, cette armée libanaise, cela dit, porte un petit peu tous les espoirs.
44:03Avec l'affaiblissement du Hezbollah et en cas de démantèlement de ses forces,
44:07le Hezbollah a refusé,
44:10au moment où, parce qu'il y avait plusieurs milices libanaises,
44:13héritées de la guerre civile,
44:15qui ont remis leurs armes en disant que la seule force armée au Liban
44:19devrait être l'armée nationale libanaise, le Hezbollah a refusé.
44:23Et c'est là qu'est à l'origine, vraiment, de la grande fracture libanaise,
44:31en ce qui concerne le Hezbollah et la confrontation avec Israël.
44:36Quelqu'un dans le chat nous dit que l'armée américaine contrôle les restrictions de l'armée libanaise.
44:40L'armée libanaise ne peut rien faire sans l'aval des Américains.
44:43Alors bon, le Hezbollah a bondo. Est-ce que c'est vrai ?
44:46Oui, dans la mesure où l'armée libanaise est,
44:50compte tenu de l'indigence de l'État libanais,
44:54l'armée libanaise reste le point de la force d'espoir,
44:59de tous les Libanais d'ailleurs, de Libanais et de la communauté internationale.
45:03On l'a vu par exemple à la conférence de Paris la semaine dernière pour l'aide au Liban,
45:09qu'une partie de l'aide, je crois que c'est autour de 200 000 euros ou dollars, peu importe,
45:16ont été alloués à l'armée libanaise.
45:19L'armée libanaise est tenue à bout de bras par la communauté internationale
45:23parce que ça reste l'espoir de pouvoir maintenir le Liban en équilibre.
45:31Elle a la confiance de la population, de l'ensemble de la population,
45:36et elle est appelée surtout à jouer un rôle militaire beaucoup plus important
45:46si jamais on arrive à appliquer un cessez-le-feu sur la base de la résolution de l'ONU
45:52qui prévoit que seule l'armée libanaise doit être présente au sud de Liban
45:58et garantir la sécurité de la région.
46:02Paco Meux, dans le tchat, nous demande un mot sur la corruption.
46:05Est-ce qu'il y a une importante corruption au Liban ?
46:08Il n'y a que ça !
46:10Il y a de la corruption, oui, de la corruption historique, endémique,
46:17multiforme, inédite, incroyable, à tous les étages.
46:24Tous les dirigeants libanais, une grande partie des dirigeants libanais
46:29ont cumulé des milliards parce qu'ils font des affaires à côté de leurs fonctions,
46:35parce qu'ils empochent des commissions,
46:38parce que c'est à la base des businessmen qui sont devenus ministres ou responsables.
46:47La corruption est partout au Liban, elle a toujours été.
46:53Et bien sûr, c'est une des raisons essentielles de l'écroulement de l'État,
47:00parce que chacun songe à ses propres intérêts.
47:04Par exemple, un souci sur la corruption,
47:08évidemment, je ne parle même pas de la crise bancaire
47:11qui a fait qu'à cause de la corruption de tous les responsables libanais,
47:16ensemble, tout le monde était impliqué,
47:22il y a eu un krach bancaire qui a fait que tous les Libanais ont été privés de leurs avoirs.
47:30Le souci, notamment dans la corruption, c'est le détournement de l'aide par exemple.
47:36Et là, il y a vraiment l'aide internationale,
47:41ils font vraiment très très attention à ce que ce soit que ça aille vraiment aux bénéficiaires,
47:47que ça aille à l'aide humanitaire, que ça aille aux destinataires
47:51et qu'il n'y ait pas de détournement de l'aide.
47:54Il y en a toujours, mais dans une certaine mesure.
48:00Quand les pays du Golfe donnent directement au ministère de la Santé libanais
48:04tant de millions, on est dans une centaine de millions.
48:09Bon, là, toutes les craintes sont permises.
48:13Une question de Tas Arnaël qui demande
48:16« Est-ce qu'on peut évoquer le melting pot religieux et culturel
48:19qui font aussi la complexité de l'armée ou de la vie politique,
48:22sans compter la corruption qu'on vient d'évoquer,
48:23et qui empêchent leur bon fonctionnement et développement ? »
48:27Alors, j'ai envie de retourner la question un peu
48:32pour souligner quand même le visage positif du Liban.
48:37C'est un aspect positif.
48:40Le fait qu'au Liban, une vingtaine de communautés
48:45sont représentées de communautés religieuses,
48:49c'est un système communautaire affreux,
48:51parce que c'est pas répartition, etc.
48:54Mais c'est un des rares pays où cohabite,
49:02pas dans les mêmes bonnes conditions toujours,
49:05une vraie mosaïque,
49:08qui fait une mosaïque culturelle, religieuse, architecturale.
49:13Je vais vous donner un exemple récent de mon dernier reportage.
49:18Je suis allé dans la région de l'Abeka, à Baalbeck,
49:22cité célèbre pour son site romain extraordinaire.
49:28Et là, c'est une ville morte tellement,
49:32elle est soumise à des frappes régulières, etc.
49:36Et puis, on me dit, oui, parmi, on parle des déplacés,
49:39mais d'ailleurs, il y a plusieurs centaines de déplacés
49:44qui se trouvent au couvent maronite.
49:50Ce sont des déplacés donc chiites,
49:55et puis, on a tout d'un coup une école française,
49:59en plein Baalbeck,
50:01et ce couvent qui accueille des réfugiés,
50:08là, au nom de la charité chrétienne.
50:11Et on voit ça partout.
50:12Pareil dans l'Abeka, encore une fois,
50:15la ville principale, le chef-lieu de l'Abeka s'appelle Zahlé,
50:18une autre ville qui est importante et qui est essentiellement chrétienne.
50:22Eh bien, cette ville-là accueille des dizaines de milliers de déplacés
50:30de tous les environs qui sont frappés par la...
50:33Donc, bon, cette mosaïque libanaise, elle est à la fois
50:39la grande plaie du Liban,
50:42mais aussi sa grande chance et son côté attachant.
50:47Ça nous permet finalement de terminer cette discussion avec une note un peu plus positive.
50:51Merci beaucoup, Alaa, d'avoir été avec nous.
50:53Merci à vous.
51:03Sous-titrage Société Radio-Canada

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