• la semaine dernière
Cet épisode de "Sur le front" se penche sur la problématique de l'industrialisation de la mode et ses conséquences sur l'environnement et la société. À travers des enquêtes, des témoignages et des analyses, il explore le cycle de vie des vêtements, de leur production à leur élimination. La vidéo met en lumière les pratiques de consommation, la fast fashion et les alternatives durables qui émergent face à cette crise. Ce documentaire invite à réfléchir sur nos choix vestimentaires et leur impact sur la planète.
Transcription
00:30...
00:41Bonsoir et bienvenue sur le front.
00:43Vous vous demandez où finissaient les vieux vêtements que vous donnez.
00:46Dans notre pays, des entrepôts comme celui-ci
00:49en trient 150 000 tonnes chaque année.
00:51Vous pensez qu'ils sont portés par des Français dans le besoin ?
00:54C'est vrai pour 3 % d'entre eux.
00:56Pour les autres, nous avons remonté la filière
00:58et nous sommes allés de surprise en surprise.
01:02Vous allez regarder d'un autre œil
01:04les bennes de collecte de vieux vêtements.
01:07Nous allons suivre les camions en France et bien au-delà
01:10pour découvrir le marché mondial de la seconde main.
01:14La fast fashion finit sa vie ici.
01:19En ce mois de décembre,
01:20au moment où les boutiques de vêtements réalisent les meilleures ventes,
01:24une petite révolution se prépare dans les Vosges.
01:27C'est un jean des 100 % français.
01:29Pierre Schmitt a réussi à créer un jean confectionné en France
01:32mais aussi cultivé en France, à base de lin.
01:35Devinez qui est le premier producteur de lin au monde ?
01:39La France.
01:40Nous allons rencontrer Julia,
01:42qui veut produire des vêtements qui polluent moins
01:44et avec des tissus plus solides pour qu'on les change moins souvent.
01:47Ton message, c'est quoi ? Acheter nos habits ?
01:50Non. Mon message, c'est d'arrêter d'acheter des habits.
01:53Les Français achètent en moyenne 23 vêtements par an.
01:57La production mondiale a explosé en 20 ans.
02:00En l'an 2000, nous fabriquions 50 milliards d'habits chaque année.
02:04Aujourd'hui, c'est 114 milliards, plus du double.
02:09Avez-vous remarqué récemment
02:10que des grandes marques nous conseillent d'acheter mieux
02:13et de porter nos habits plus longtemps ?
02:15Ou même de récupérer nos vieux vêtements contre des bonds de réduction ?
02:19Nous allons voir ce qui se cache derrière cette pratique.
02:23Ça encourage la surconsommation.
02:24On reprend tes vieux vêtements pour te donner envie d'en acheter de neufs.
02:27On te dit qu'ils vont être recyclés, qu'ils ne vont pas être jetés à la poubelle.
02:30On te cache toute la pollution qu'ils vont générer.
02:32Et on te dit, c'est bon, tu peux en acheter des neufs.
02:34On t'a même mis un bon d'achat pour ça.
02:42Pour savoir ce que deviennent les vêtements que nous rapportons aux grandes marques,
02:46nous allons déposer un vieux pantalon au comptoir de H&M.
02:50Nous avons pris soin, juste avant, de glisser un traceur GPS à l'intérieur.
02:54Et nous filmons en caméra cachée.
02:59Et les vêtements, ils viennent de quoi, après ?
03:01C'est pour le marché de la seconde main ?
03:05C'est revendu en France ?
03:08Nous repartons avec un bond de réduction.
03:11Moins 15 %.
03:16C'est bon, le trackeur GPS est bien enclenché.
03:18Ça dit que le pantalon est dans le magasin, juste là, où on vient de le déposer.
03:23Donc on va voir où ça va, maintenant.
03:25Le pantalon ne reste pas longtemps en boutique.
03:28Dès le lendemain, il part vers un entrepôt.
03:31Il va y rester deux semaines, sans bouger.
03:34Ah bah, le pantalon repart.
03:36Visiblement, il quitte le centre de stockage, dans l'Oise,
03:41et il part vers le Nord.
03:43Rejoint-il une friperie en France ? Une association caritative ?
03:46Pas du tout.
03:48Le traceur GPS se dirige vers la frontière.
03:50Il traverse la Belgique et atterrit en Allemagne,
03:54dans un nouvel entrepôt.
03:55Soex, c'est le plus grand centre de tri de vêtements de toute l'Europe.
03:59Nous perdons le signal GPS à cet endroit.
04:01Nous allons donc demander à H&M que deviennent les vêtements qui arrivent ici.
04:05On a reçu une réponse d'H&M à nos demandes de tournage.
04:08Bonjour, j'espère que vous allez bien.
04:10Malheureusement, nous ne serons pas en mesure de donner de retours favorables à votre demande.
04:14Je tiens tout de même à vous souhaiter bon succès avec votre tournage.
04:17Qu'à cela ne tienne,
04:18nous contactons directement l'entreprise allemande pour la visiter.
04:22Alors, réponse du centre de tri,
04:24nous vous informons que nous n'acceptons aucun tournage pour le moment.
04:28Visiblement, ils n'ont pas envie de nous montrer
04:30la fin de vie des vêtements.
04:33Nous allons donc remonter une autre filière.
04:38Vous aussi, vous lavez vos vieux vêtements avant de les donner,
04:42vous les repliez soigneusement,
04:44en espérant qu'ils feront le bonheur d'une famille en difficulté ?
04:49Pour savoir ce qu'ils deviennent réellement,
04:51nous allons commencer l'enquête à Montsolémine.
04:56Nous avons choisi une benne de collecte.
04:58Ce sera celle-ci, au pied d'un quartier H&M.
05:02Elle est estampillée Croix-Rouge française.
05:05Les vêtements de mes enfants, il y a surtout du 5 ans et du 8 ans,
05:08je pense que c'est réutilisé pour d'autres enfants
05:10ou pour permettre aux gens, depuis des milliers,
05:13de pouvoir se rhabiller facilement.
05:15Je ne sais pas forcément où ça va, mais je sais que ce n'est pas revendu.
05:18Pas revendu ? En êtes-vous si sûr ?
05:21Il est écrit que les vêtements sont réemployés ou recyclés,
05:24sans plus de détails.
05:25Pour savoir où partent précisément les pantalons de ces enfants,
05:29il suffit d'attendre le jour où la benne est vidée.
05:31Cela se passe une fois par semaine.
05:33Ce sont des bénévoles de la Croix-Rouge qui s'en chargent.
05:36Tu n'ouvres pas la deuxième ?
05:37Non.
05:38Nous comprenons tout de suite que ces sacs ne seront pas offerts
05:42à des bénéficiaires de l'association Caritative.
05:45On travaille avec un industriel et on est payé au poids.
05:48C'est la totalité qui est envoyée, on ne prend pas dedans.
05:50C'est payé... C'est simple, c'est à peu près 13 centimes du kilo.
05:55On arrive à gagner 8 000 euros par an.
06:00Les vêtements sont bien revendus, presque tous.
06:04Une benne sur 30 est utilisée directement par la Croix-Rouge.
06:08Son contenu rejoint une boutique solidaire
06:10et aide des habitants dans le besoin.
06:12Une benne sur 30 choisie au hasard.
06:15Dans les 29 autres, tous les habits sont vendus à un industriel.
06:21Il s'appelle GBtex.
06:23On voit son nom sur les sacs plastiques.
06:25Cette benne, ça va partir totalement à GBtex.
06:28Une grande partie du bénéfice revient quand même à la Croix-Rouge.
06:31Donc c'est normal que le nom Croix-Rouge apparaisse dessus.
06:34La camionnette ne va même pas repasser par le centre de la Croix-Rouge.
06:38Elle se dirige vers une zone industrielle.
06:41Et tout est déversé dans un semi-remorque
06:44qui, lui, n'est pas siglé au nom d'une association.
06:50Tout ce qu'on récupère et qu'on va revendre à l'industriel,
06:53ça permet de financer des achats pour l'aide alimentaire, par exemple.
06:57Ça permet tout un tas d'actions.
06:58Ça permet de s'équiper avec ce camion,
07:01qui nous permet de collecter plus de textiles,
07:03donc d'avoir plus d'argent pour les actions sociales.
07:06Collecter toujours plus de textiles, pour la bonne cause.
07:09Alors qu'à Montsolimine,
07:11ils récupèrent déjà plus de 3 tonnes par semaine.
07:14Certains semi-remorques remplis à ras-bord
07:17rejoignent un centre de tri de l'industriel GBtex.
07:20Mais il n'est pas assez gros pour gérer tout cet afflux de vêtements.
07:24Alors d'autres camions prennent la direction de la frontière,
07:27quittent la France et s'arrêtent en Belgique.
07:33Nous arrivons chez Evadam,
07:35immense entrepôt spécialisé dans le textile d'occasion,
07:39uniquement du textile d'occasion.
07:42Eux veulent bien nous ouvrir leurs portes.
07:44Nous découvrons des montagnes de vêtements dans un monde automatisé,
07:48avec ses tapis roulants et ses machines industrielles.
07:53C'est un bon endroit pour commencer la visite.
07:56Ce qu'on a là, c'est le textile qui n'a pas encore été trié.
08:01C'est le point de départ.
08:03Et ça, c'est le stock d'une semaine.
08:05Juste pour une semaine ?
08:06C'est ça.
08:07320 tonnes.
08:09C'est ce qui arrive toutes les semaines.
08:11Des vêtements qui proviennent de l'Europe entière.
08:1415 % ont été collectés en France.
08:19Ça, c'est français.
08:20Tout ça ?
08:22Tout ce que vous voyez là, ça vient de France.
08:25C'est écrit en français. Dans ce sac, je recycle.
08:29Sur ce sac, communauté d'agglomération du Boulonnais.
08:33GBTEX, c'est marqué sur les sacs.
08:37On ne se doute pas quand on met nos vêtements en France,
08:39que ça peut venir ici, en Belgique.
08:41La plupart des gens l'ignorent.
08:43Ça va être une révélation pour beaucoup d'entre eux.
08:45On va vous expliquer tout ce qu'on fait
08:47pour être le plus transparent possible.
08:51L'usine appartient au groupe Bauer,
08:53l'un des géants du recyclage de vêtements.
08:56Des centres comme celui-ci,
08:58l'entreprise en possède sept dans toute l'Europe.
09:01Le tri se déroule à la main.
09:03Sont-ils sales ? Sont-ils troués ?
09:05Pourra-t-on les vendre dans une friperie ?
09:07Il y a en tout 55 critères.
09:09Et chaque vêtement rejoint un box
09:11en fonction de sa qualité et de sa composition.
09:16Il faut être un bon joueur de basket pour trier ici.
09:19Oui, il faut bien savoir viser.
09:24Le poste, ici, c'est les chemises pour hommes.
09:30Je cherche d'abord la crème de la crème,
09:32la meilleure qualité, comme celle-ci.
09:35Elle est comme neuve.
09:37Ensuite, la catégorie avec de petits défauts
09:41et la catégorie avec des tâches.
09:46Est-ce que vous avez vu la qualité des vêtements changer ?
09:49C'est une très bonne question, effectivement, oui.
09:53Je pense que c'est dû au phénomène de la fast fashion.
09:56La production a augmenté,
09:58mais la qualité des vêtements a vraiment baissé.
10:01Avec les prix bas qu'ils proposent à la vente,
10:03vous ne pouvez pas espérer avoir un vêtement de qualité.
10:09Ils ne sont plus fabriqués pour être portés sur le long terme.
10:12On va les mettre 2-3 fois, les laver 2-3 fois,
10:16et on les jettera parce qu'ils auront l'air déjà usés.
10:20Que faire avec tous ces vêtements de mauvaise qualité ?
10:23Une grande partie de ce qui arrive ici n'est plus portable.
10:26Les friperies locales n'en veulent pas.
10:28Et pourtant, ils vont trouver des débouchés.
10:31Ils sont pressés sous nos yeux pour être exportés par bateau.
10:35Ils vont rejoindre le marché international
10:39du vêtement d'occasion.
10:40On compresse plus ou moins les vêtements en fonction de la qualité.
10:45Quand les vêtements sont en bon état,
10:47on ne les presse pas trop pour ne pas les abîmer.
10:51La meilleure qualité est dans des sacs comme ça,
10:53et la moins bonne est dans des sacs plus compressés, c'est ça ?
10:56Oui.
10:57Celles-ci, elles partent où ?
10:59La plupart de ces balles vont en Afrique.
11:01Toutes celles que vous voyez sont destinées au marché africain.
11:05Quand c'est compressé comme ça, c'est pour l'Afrique la plupart du temps ?
11:09Oui, la plupart du temps.
11:11Qui aurait imaginé que le pantalon déposé dans la benne de Mont-Soleimine
11:15a toutes les chances de finir dans cette presse,
11:18de se retrouver compacté et d'être revendu en Afrique ?
11:23Parmi tous les vêtements donnés dans notre pays,
11:26il y en a bien une partie qui est réutilisée en France
11:29et à nouveau portée.
11:31Seulement 3 %.
11:3310 % sont brûlés et servent souvent à chauffer des habitations.
11:3833 % sont recyclés et finissent en isolant pour maison.
11:43Et tout ce qu'il reste, 54 % sont exportés.
11:48Plus de la moitié.
11:50Qu'en feriez-vous de ces vêtements sans l'exportation ?
11:54Pour le moment, la seule option, c'est l'incinération.
11:57Et je ne pense pas que ce soit une bonne solution.
12:00Non, ça ne semble pas être une bonne solution.
12:04Il n'existe pas de filière de recyclage local
12:07qui soit économiquement rentable.
12:11Donc oui, la meilleure solution, c'est de les exporter.
12:15Et ça répond aussi aux besoins des gens là-bas.
12:17Je veux dire, il faut bien qu'ils s'habillent,
12:20ils ne vont pas se balader tous nus.
12:23Et il vaut mieux qu'ils portent une chemise d'occasion qu'ils réutilisent
12:27plutôt que d'acheter une chemise neuve.
12:29Pour continuer à remonter la filière,
12:32nous lui demandons dans quels pays africains ils envoient les balles.
12:35Nous savons que le Ghana, par exemple,
12:37est submergé par les vêtements d'occasion.
12:40Vous envoyez au Ghana aussi, par exemple ?
12:43Oui, je pense que oui.
12:46À la fin de l'interview,
12:48quand elle pense ne plus être filmée,
12:51elle se montre bien plus directe.
12:56Je sais pourquoi vous me posez la question sur le Ghana.
12:59Bien sûr, nous aussi, on a vu des images de là-bas.
13:02C'est terrible, ce qu'il s'y passe.
13:04Je veux dire, c'est vraiment un problème pour notre industrie
13:07qu'on n'a pas envie de montrer.
13:11Que se passe-t-il au Ghana ?
13:15Il n'y a qu'une seule façon de le savoir.
13:18Y aller.
13:21Voilà le port d'Akra.
13:23C'est ici qu'arrivent des containers de toute la planète.
13:27Le pays achète chaque année
13:29pour 80 millions de dollars de vêtements déjà portés.
13:33C'est trois fois plus qu'il y a 25 ans.
13:36Et sur le marché, il n'y a plus que ça à vendre.
13:40Du textile usagé,
13:43à perte de vue.
13:46On trouve absolument tout ici.
13:48Ça va des chaussures au sous-vêtements,
13:50en passant par les pantalons, les chemises et les T-shirts.
13:53Et on trouve absolument toutes les marques les plus vendues en Europe.
13:59Il y a bien une petite industrie textile au Ghana
14:02qui fabrique des habits neufs.
14:04Mais elle a du mal à se développer,
14:06victime de la concurrence de tous ces vêtements d'occasion.
14:10Tcha-tcha-tcha, tcha-tcha-tcha.
14:13Zara.
14:14Uniqlo.
14:16H&M.
14:17Autant de marques que nous connaissons bien.
14:19Chaque stand a sa spécialité.
14:21Pour une chemise blanche, par exemple, il faut aller dans cette échoppe.
14:26Alors, qui achète les balles de vêtements en bout de chaîne ?
14:29Des petits revendeurs comme Joyce, 40 ans.
14:33Sa spécialité, ce sont les robes.
14:37Le jeudi, c'est le jour où nous achetons la marchandise.
14:40Si vous arrivez le lendemain, il n'y a plus rien d'intéressant.
14:44Voilà l'ambiance du jeudi,
14:46le jour du débarquement des containers.
14:49Ils remplissent toutes les rues aux alentours du marché.
14:52C'est ce jour-là que nous prenons conscience
14:55de la surconsommation de vêtements des pays développés.
14:59Un flot se déversit ici par vagues, une fois par semaine.
15:04Chaque jeudi, le marché de Katamanto écoule 15 millions de vêtements.
15:13Joyce est venue acheter une balle, une seule,
15:16et elle va nous montrer comment elle l'a choisie.
15:20Allez, celle-là.
15:23Elle achète à l'aveugle, sans pouvoir ouvrir les lots,
15:26en essayant de deviner à travers l'emballage plastique.
15:30Elle sait seulement que ce sont des robes,
15:33qu'elles viennent d'Europe et que la balle coûte 100 euros.
15:37Alors reprenons.
15:39Nos vieux vêtements de Montsolémine ont été revendus 130 euros la tonne.
15:44C'est la croix rouge qui a touché l'argent.
15:47Ils sont ensuite triés en Belgique.
15:49La partie qui est exportée va se revendre sur le marché international
15:53à 650 euros la tonne.
15:56Ce sont des industriels qui empochent le bénéfice.
15:59Et une fois arrivée au Ghana, là où Joyce achète la balle de vêtement,
16:03le prix atteint cette fois 1 800 euros la tonne.
16:10Nous la retrouvons au moment où elle découvre son contenu.
16:14Hello, Joyce.
16:16L'excitation laisse rapidement place à la déception.
16:20Ce n'est pas tout à fait ce à quoi elle s'attendait.
16:27Dès que tu touches les vêtements, tu le sens tout de suite que ça ne va pas.
16:30Certaines robes sont trop chaudes pour notre climat.
16:34Bon, cette robe-là est bien, mais l'élastique ne tient plus.
16:38Donc, pour la vendre, il faut que je la répare.
16:42Là, il y a des tâches. Ça ne va pas.
16:45Et c'est souvent comme ça ? Oui, c'est souvent comme ça.
16:48La semaine dernière, dans la balle que j'ai ouverte,
16:50la plupart des vêtements étaient déchirés.
16:52Ça, c'est H&M.
16:54H&M ?
16:58Ça, c'est bien ?
16:59Ce n'est pas terrible.
17:03Je la mets là ?
17:04Oui, ici.
17:07Vêtements détendus, il y a des tâches. Qui a envie de porter ça, quoi ?
17:12Qu'est-ce que c'est ?
17:15Qu'est-ce que vous pensez du fait que les Européens
17:17vous envoient tous ces habits usagés ?
17:20Si ce n'est pas bon pour eux, alors ce n'est pas bon pour nous non plus.
17:25Ils sont censés les jeter et ils nous les envoient.
17:28Alors que pour nous, c'est un business.
17:31Aujourd'hui, par exemple,
17:33je ne vais pas récupérer la moitié de mon investissement.
17:36Elle a remarqué que la qualité baisse, d'année en année.
17:41Vous voyez, je me dispute avec ma cliente.
17:44Elle a sélectionné une dizaine de robes.
17:46Elle veut négocier parce qu'elle trouve que c'est de la mauvaise qualité.
17:49Donc, je suis censée baisser le prix, mais je ne veux pas.
17:54Tout ça, qu'est-ce que vous allez en faire ?
17:56Je vais les retrier pour voir ce que je peux en tirer.
18:00Sinon, ça va finir à la poubelle.
18:02Oui, vous avez bien entendu.
18:04Elle va les jeter.
18:05Le soir, les allées du marché sont jonchées d'invendus.
18:0940 % des vêtements partent à la poubelle.
18:13Et où finissent-ils ?
18:15Dans la nature.
18:16Dans des décharges à ciel ouvert, un peu partout autour de la ville.
18:25Sur place, une femme a décidé de faire un déchargement
18:29Sur place, une femme a décidé de se battre
18:33et d'interpeller le monde entier.
18:35Salut, Lise.
18:36Salut, Hugo.
18:37Enchantée.
18:38Comment ça va ?
18:40Ça va ? C'est un sacré désastre, ici.
18:41Oui, on est à Old Fadama.
18:43Là, c'est une décharge sauvage.
18:45C'est là où finissent beaucoup de vêtements européens.
18:52Ce pantalon a dû faire le tour de la planète.
18:55C'est ici que la fast fashion finit sa vie.
18:59Avant de devenir militante au Ghana,
19:03elle a longtemps travaillé dans le monde de la mode, à New York.
19:08Je m'appelle Lise Ricketts
19:10et je défends ceux qui subissent les dégâts du monde de la mode.
19:14Au début, il y avait deux collections par an.
19:16Ensuite, c'était cinq.
19:18À la fin, c'était une collection par semaine.
19:20Pour moi, ça a été le déclic.
19:22J'ai commencé à me poser des questions.
19:24Aujourd'hui, elle forme des stylistes sur place.
19:28Elles transforment des vêtements inutilisables en pièces uniques.
19:34Le marché de l'occasion sert d'excuse aux habitants des pays riches
19:38pour consommer toujours plus, toujours plus,
19:41sans jamais se rendre compte des conséquences de tout ce qu'ils accumulent.
19:45Tant que nous enverrons nos vieux vêtements pour en acheter de nouveaux,
19:49nous n'arriverons jamais à faire du développement durable.
19:59On peut voir qu'il y a plein d'autres déchets ici,
20:01mais globalement, ce sont les vêtements qui font tenir l'ensemble.
20:05Quand un vêtement arrive ici, il y a de grandes chances qu'il finisse brûlé,
20:09parce qu'il n'y a plus assez de place pour de nouvelles décharges.
20:12Et encore, une partie seulement est brûlée.
20:15La plupart restent ici et se décomposent très, très lentement.
20:19Et dans les vêtements, il y a beaucoup de polyestère,
20:22donc du plastique,
20:23qui met des centaines d'années pour se décomposer.
20:29Toutes les grosses marques de la fast fashion
20:32qu'on achète presque toutes et tous, ça se retrouve ici.
20:37Si les gens qui ont porté ces habits savaient où ils terminaient,
20:42ils seraient surpris, je pense.
20:44La décharge s'étend au bord de l'eau.
20:47Cela signifie qu'avec le vent ou la pluie,
20:49des vêtements rejoignent la rivière
20:52et l'océan Atlantique.
20:58Les plages de sable fin magnifiques du Ghana
21:01se retrouvent souillées.
21:06Tout ça, ce sont des vêtements.
21:08C'est impressionnant, le volume de vêtements qu'il y a.
21:13On va prendre une photo de tout ça.
21:16Six.
21:19Sept.
21:23Onze.
21:25Onze mètres de vêtements usagés.
21:27Cesama lise les appels des tentacules.
21:30Est-ce que le volume augmente ?
21:32Oui, on voit qu'il y en a de plus en plus
21:35depuis que nous avons débuté nos recherches en 2016.
21:38On observe aussi que la quantité de microfibres dans l'océan
21:42a augmenté.
21:43Ca va jusqu'où, du coup ?
21:45On observe ça sur toute la côte.
21:47Vous l'avez sûrement vu en arrivant.
21:49Partout au Ghana ?
21:50Oui.
21:51Selon ces estimations,
21:53nous ne voyons sur les plages que 10 % de cette pollution.
21:57L'essentiel des vêtements stagne au fond de l'océan.
22:01Dévastateur pour tout l'écosystème marin.
22:06Les pays occidentaux doivent vraiment remettre en place
22:10leur façon de fabriquer des vêtements.
22:13Si tout ça se retrouvait dans leur propre jardin,
22:16ils ne continueraient pas à consommer comme ils le font.
22:20Je voudrais qu'ils gardent tout leur vêtement dans leur placard.
22:23Les Ghanéens ont pourtant voulu faire face au problème.
22:27Ils ont construit une immense décharge,
22:29aussi grande que le stade de France.
22:32Elle est saturée.
22:33Ils ont déjà recouvert tous les déchets
22:36et sont en train d'ajouter une bâche de protection.
22:39Elle avait été construite pour fonctionner pendant 25 ans.
22:43Au bout de 3 ans à peine, elle est déjà totalement remplie.
22:47À la tête de la gestion des déchets de la ville,
22:49il y a un homme qui ne supporte plus les vêtements occidentaux.
22:53Salut, Lise.
22:55Moi, je suis très chauvin et j'adore porter les vêtements faits au Ghana.
22:59Partout où je vais, je représente le savoir-faire de mon pays.
23:04Ne vous fiez pas à son sourire.
23:06Solomon Noye est un homme en colère.
23:09Il est devenu un farouche opposant à la fast-fashion.
23:15Vous voyez ces camions poubelles ?
23:17Ce sont des compacteurs de déchets.
23:19Ca nous sert à en ramasser le plus possible.
23:22Mais quand il y a trop de vêtements,
23:24ils s'enroulent autour des pompes hydrauliques
23:27et le compacteur tombe en panne.
23:29On ne peut pas les ramasser.
23:31Du coup, on est obligés de ressortir les vieux camions à bascule
23:35qui ne compressent pas les déchets.
23:37Donc, on en ramasse moins.
23:39Et tous les jours, on laisse un tiers des déchets textiles jetés en ville.
23:44Et dès qu'il pleut,
23:46ces montagnes de vêtements se déversent dans les égouts
23:49et ça finit à l'océan.
23:54Plusieurs pays africains commencent à utiliser ces vêtements.
23:58Plusieurs pays africains commencent à réagir.
24:01Il y en a même un, le Rwanda,
24:03qui a décidé de refuser les vêtements d'occasion.
24:06Le pays importait tous les ans
24:0837 000 tonnes de vieux vêtements des pays riches.
24:11Jusqu'en 2016, où le gouvernement a dit stop
24:14en imposant une taxe prohibitive.
24:16Les importations ont été divisées par deux, du jour au lendemain.
24:22Moi, je suis d'accord avec le Rwanda.
24:25Et j'aimerais que notre gouvernement aussi
24:28interdise totalement la seconde main.
24:31Chacun reste chez soi.
24:32Gardez vos déchets textiles.
24:34On ne veut pas de vos dons ni de votre charité.
24:37Nous n'avons pas les moyens de gérer le problème des autres.
24:41Or, on nous envoie des déchets
24:43et personne ne nous aide à développer une filière de recyclage.
24:47Donc oui, je suis en colère.
24:49Pourtant, de l'argent pour ce genre de projets, il y en a.
24:53A chaque fois que vous achetez un vêtement en France,
24:57la marque reverse 1 centime pour le recyclage.
25:00C'est une obligation légale.
25:02Cela vient alimenter un éco-organisme, Refashion,
25:05qui collecte ainsi 37 millions d'euros par an.
25:08Où va cet argent ?
25:09Au centre de tri, y compris à l'étranger.
25:12Il finance le centre que nous avons visité en Belgique.
25:16Nous allons donc demander des comptes à cet éco-organisme.
25:20Il est géré par des fédérations de l'habillement
25:23et par des entreprises françaises.
25:25...
25:27Voilà son directeur, à qui nous montrons l'appel à l'aide
25:31venu du Ghana.
25:33...
25:35Qu'est-ce que vous répondez à ce Ghanéen qui dit
25:38arrêtez de nous envoyer autant de vêtements
25:41ou aidez-nous financièrement à les gérer ?
25:44Qu'est-ce que je lui réponds ?
25:46Euh...
25:47J'ai pas de réponse à l'instant.
25:50Est-ce que vous effectuez des contrôles
25:52pour vous assurer de la qualité du tri et qu'on n'envoie pas en Afrique
25:56des vêtements de mauvaise qualité ?
25:58Les centres de tri sont contrôlés tous les mois ?
26:01Ils sont contrôlés au moins une fois par an.
26:04Au moins une fois par an.
26:06Est-ce que je peux vous montrer quelques images
26:09qu'on a filmées au Ghana ?
26:11C'est scandaleux. Ça vous choque ?
26:14Bien sûr que ça me choque.
26:16Que ça finisse en décharge, c'est scandaleux.
26:19Vous pensez qu'il faut continuer à envoyer nos vêtements en Afrique ?
26:24Vous en faites quoi ?
26:26Si des produits sont exportés, c'est parce qu'il y a des clients.
26:30Il y a une offre et une demande.
26:32La demande est tellement importante...
26:35Je vais faire une analogie un peu terrible.
26:38Mais la drogue...
26:40S'il n'y avait plus de demande, le marché s'arrête.
26:44Donc que faut-il faire pour que...
26:47Pour arrêter ça ?
26:49Je rebondis sur ce que vous dites.
26:52Est-ce que la drogue, en l'occurrence,
26:55n'est pas qu'on est addict à cette fast fashion accessible à très petit prix ?
27:00Tant qu'on a de l'argent dans sa poche,
27:03on est susceptible d'être attiré.
27:06Si vous voulez baisser la consommation,
27:09il faut baisser le pouvoir des chars.
27:12Est-ce que le rôle des fabricants de tabac
27:15est à leur consommateur d'arrêter de fumer ?
27:18Vous savez qu'on produit trop de vêtements
27:21et que vous êtes bien placé pour le savoir.
27:24Mais vous êtes la propriété de gens qui fabriquent et vendent des vêtements.
27:29On est là pour faire changer les comportements
27:32de tous les acteurs de la chaîne.
27:34Est-ce qu'on peut continuer à acheter autant de vêtements ?
27:38Par oui ou par non ?
27:40J'en sais rien.
27:43La problématique se pose pas comme ça.
27:46Alors que pouvons-nous faire à notre niveau
27:49pour ne plus participer à ce système ?
27:52Nous pouvons encore apporter nos vêtements de bonne qualité
27:56à la Croix-Rouge, par exemple, directement sur place,
28:00dans les boutiques qui revendent à bas prix, mais pas dans les bennes.
28:05Pour les vêtements usés, on peut se tourner vers le recyclage.
28:09Un isolant qui remplace la laine de verre dans les maisons.
28:13Comme vous le voyez, cela existe déjà,
28:16mais ce n'est pas encore assez développé.
28:19Un jour, nous arriverons peut-être à récupérer les fibres de chaque vêtement
28:24pour confectionner tous nos nouveaux habits.
28:27C'est l'espoir qui nous vient du targ.
28:30Fabrice Lodetti a mis au point un procédé révolutionnaire.
28:34Dans son immense entrepôt,
28:36nous retrouvons des balles de vieux vêtements.
28:40Avec ce tissu, il arrive à produire ça, du fil recyclé,
28:44grâce à la machine qu'il a créée et qu'il nous tarde de voir en action.
28:49Malheureusement, je ne vais pas pouvoir vous la montrer.
28:53Beaucoup de gens aimeraient la voir.
28:56Nous devons nous protéger de la concurrence.
28:59Il ne nous montrera pas sa machine secrète,
29:02capable d'avaler n'importe quel vêtement
29:05une fois qu'on a retiré les boutons et les fermetures éclairs.
29:09Son procédé arrive à détisser, à isoler chaque fil.
29:13Et la machine recrache de l'autre côté une matière recyclée,
29:17prête à être réutilisée.
29:20Nous ne pouvons voir que la fin du processus.
29:24Dans ces silos, les fibres de nos vieux vêtements.
29:28On peut faire un fil avec un mélange de laine, de coton,
29:32d'acrylique, de polyamide, de polyester.
29:35Il recycle ainsi n'importe quel tissu.
29:38Et il fournit déjà des usines textiles, en France et aux Etats-Unis.
29:43Ses bobines coûtent le même prix que du fil neuf.
29:47Il assure même qu'elles sont de meilleure qualité.
29:51Un produit qui a déjà vécu des années,
29:55a subi toutes les agressions de la vie quotidienne.
29:59Il a été lavé X fois, il a été porté,
30:02il a été mis en contact avec la sueur, avec l'acidité, au frottement.
30:07Toutes les parties mauvaises du textile,
30:10une fois portées, sont parties.
30:13Ce qui reste, c'est le meilleur.
30:16Quand on arrive à le travailler en fibres longues,
30:20on peut reproduire un produit de très bonne qualité.
30:23Il a eu une dernière idée, que nous allons voir dans son laboratoire.
30:28Il récupère nos vêtements usagés en fonction de leur teinte.
30:32Le bleu avec le bleu, le vert avec le vert, etc.
30:35Et il recrée ainsi du fil de couleur,
30:38sans utiliser la moindre teinture et donc sans polluer l'environnement.
30:43Le recyclage amènera à moins de production
30:46et moins de surproduction de matières synthétiques,
30:50issues de pétrole, animales, végétales.
30:53L'impact environnemental est énorme.
30:56Son fil est déjà transformé en vêtements 100 % recyclés.
31:00C'est le cas de ce pull ou de ce jean.
31:03Il y a une prise de conscience.
31:06Certains acteurs de la mode commencent à changer
31:09et cherchent à produire de façon éthique.
31:12Une créatrice a installé son entreprise
31:15dans cette ancienne caserne de pompiers,
31:18comme pour nous rappeler que notre maison brûle.
31:23Bonjour.
31:25Enchanté. Hugo. Julia. Enchantée.
31:28Salut.
31:30Cette chemise, je la trouve jolie.
31:33J'aimerais bien la porter.
31:36Mais j'ai déjà plusieurs chemises en jean en bon état.
31:40Donc tu me dis de ne pas l'acheter.
31:43Je préfère que tu uses tes chemises en jean
31:46et que tu viennes chez moi.
31:48J'ai pas besoin de te forcer à acheter des choses.
31:51Chez elle, il n'y a jamais de soldes ni de promos
31:54pour ne pas nous inciter à acheter sans raison.
31:57Je m'appelle Julia Fort.
31:59Je suis à la tête d'une marque de vêtements écoresponsable
32:02et je me bats pour plus de régulation dans le secteur textile.
32:05Ne lui demandez pas qu'elle ait sa dernière collection en date.
32:08Elle ne vend que des intemporelles
32:10que l'on peut porter quelle que soit la mode du moment.
32:13Et elle fabrique en Europe,
32:15dans des usines qui utilisent un maximum d'énergie renouvelable.
32:18Produire un vêtement, c'est polluer.
32:20Produire un vêtement, c'est émettre des gaz à effet de serre.
32:23Or, là, si on veut limiter les effets du dérèglement climatique,
32:27il faut qu'on produise moins de vêtements.
32:29L'industrie du textile rejette chaque année dans le monde
32:331,7 milliard de tonnes de CO2.
32:36C'est deux fois plus que la pollution générée
32:39par tous les avions de ligne de la planète.
32:42Deux fois plus.
32:44Pour produire un seul jean,
32:46il a fallu utiliser 8 000 litres d'eau.
32:49En particulier dans les champs de coton.
32:52Et 75 grammes de pesticides.
32:54Pour s'attaquer à ce problème,
32:56Julia a réuni tout un réseau de créateurs.
32:59Tous les efforts des entreprises éthiques ne servent à rien
33:02à partir du moment où il y en a un qui triche.
33:04C'est de la même manière que quand vous vous dites
33:06que vous allez arrêter de prendre l'avion pour réduire votre bilan carbone
33:09et que vous voyez à la télé Jeff Bezos qui part en fusée
33:12et qu'il vient de cramer 160 fois votre bilan carbone
33:15en une demi-seconde alors que vous, vous étiez là.
33:18Bien sûr que je vais aller en Italie en train.
33:20Bien sûr que vous êtes dégoûtés.
33:22C'est exactement la même chose qui se passe dans le secteur du textile.
33:25Avec plus de 300 marques,
33:27elle réclame plus de réglementations.
33:30Ce qu'on espère, c'est que ça fera boule de neige
33:33et que petit à petit, on arrive à emmener avec nous
33:36des marques plus grosses, moins engagées depuis le départ.
33:41Elle va nous raconter l'histoire
33:44de son suite vert en coton bio.
33:46C'est-à-dire qu'il a poussé sans aucun pesticide.
33:49Elle en a fait la promotion sur les réseaux sociaux.
33:52Et un jour, elle reçoit un commentaire surprenant.
33:55Là, il y a quelqu'un qui nous dit...
33:573,25 $ par pièce Bangladesh.
34:00Si les quantités sont bonnes,
34:03on a une bonne offre de prix pour vous.
34:06Cet homme au Bangladesh lui propose de fabriquer le même suite
34:09à 3 euros pièce alors qu'elle paye 25 euros
34:13pour le faire confectionner en Europe.
34:15Avec un tel écart, c'est normal
34:17que la quasi-totalité des fringues soit produite en Asie.
34:20Les marques de la fast fashion,
34:22les grandes marques nationales, agro-logo et tout,
34:25elles produisent toutes là-bas, quoi.
34:28J'aimerais bien voir comment elles ressemblent.
34:31On va aller voir. Il n'y a rien de mieux que de vérifier par soi-même.
34:35Prépare ta valise.
34:37Julia répond donc à l'agent bangladais.
34:40Elle lui fait croire que son offre l'intéresse.
34:43Nous allons l'accompagner pour voir sur place
34:46ce que cachent ces faibles coûts de production.
34:51Nous voilà partis pour le Bangladesh.
34:58C'est le 3e exportateur de textiles au monde,
35:01juste derrière la Chine et le Vietnam.
35:04Le pays est devenu le symbole des dérives
35:07de l'industrie textile en 2013, quand le Rana Plaza s'est effondré.
35:12Cet immeuble hébergé des fabriques de vêtements.
35:15Plus de 1 000 salariés ont perdu la vie.
35:18Aujourd'hui, les installations ont été modernisées.
35:22Nous suivons Julia en caméra discrète,
35:25en se faisant passer pour ses assistants.
35:28Voilà l'usine où elle a rendez-vous.
35:31L'homme qui nous accueille,
35:33c'est l'agent qui l'a contacté sur les réseaux sociaux.
35:37...
35:40Ca vous va si on filme ?
35:42Oui ? Parfait.
35:44Julia a emporté dans son sac le fameux sweat vert,
35:48fabriqué au Portugal, en coton bio.
35:51Celui-là, c'est le sweat que vous avez vu.
35:54Le Bangladesh se sent tout à fait capable
35:57de fabriquer la même chose.
35:59Ca, vous pouvez le faire ?
36:01Oui, bien sûr.
36:03Ne vous attendez pas à visiter un bâtiment délabré.
36:06La toute dernière technologie.
36:08Au rez-de-chaussée, 20 gigantesques machines
36:11tournent à plein régime pour fabriquer le tissu.
36:14C'est cette étape qui est très énergivore
36:17dans la fabrication des vêtements.
36:19...
36:21Ca, c'est hyper moderne.
36:23Ouais, c'est ça.
36:25Là, c'est de l'insertion de fil d'élastane
36:28pour faire un jersey un peu élastique.
36:31C'est les mêmes choses qu'au Portugal.
36:35Ils utilisent l'électricité du réseau local,
36:38fabriquée à partir de gaz, de pétrole et de charbon.
36:42A l'étage, Julia est marquée
36:44par la précision des gestes des salariés
36:47et le nombre de contrôles qualité.
36:50Les couturiers, des femmes pour la plupart,
36:53travaillent 6 jours sur 7.
36:55Leur salaire ne dépasse pas les 130 euros par mois.
36:59Et surprise, elle remarque qu'à peine fabriqués,
37:03sont déjà soldés à moins 50 %.
37:06Un coût marketing de plus
37:08pour nous pousser à acheter sans cesse.
37:11...
37:15Et ce T-shirt, il coûte combien ?
37:18Là, on fabrique tout.
37:20Le tissu, la coupe, l'imprimé et l'emballage,
37:23tout ça, c'est 2 dollars.
37:252 dollars ?
37:271,80 euro.
37:29Voilà comment le Bangladesh
37:31inonde le monde de ses produits bon marché.
37:33Là, c'est notre entrepôt de stockage.
37:36Le directeur a un argument de poids pour séduire Julia.
37:40Il lui propose des matières naturelles,
37:43cultivées sans pesticides.
37:45Tout ça, c'est bio ?
37:47Vous pouvez faire du bio ?
37:49C'est au dernier étage qu'elle découvre
37:52l'aspect le plus important de cette industrie.
37:55Quand elle commence à négocier.
37:59Je vous en prie, asseyez-vous.
38:02Ce jeune homme en polo,
38:04c'est le grand patron de l'usine.
38:06Il n'a pas envie de perdre son temps
38:09pour une poignée de sweets verts.
38:11En gros, quel volume vous avez en tête ?
38:14Ça dépend des modèles.
38:16Des T-shirts, on en fait 4 000 par an.
38:19Combien ?
38:214 000 par an.
38:23400 000 ?
38:25Non, 4 000.
38:27Son visage se ferme.
38:29Le principe de cette industrie,
38:31c'est de fabriquer des quantités astronomiques.
38:34En principe, nos clients commandent
38:37autour de 100 000 pièces, au moins 100 000.
38:40Par client ?
38:42Par saison.
38:44Nous, on est capables de produire
38:4728 000 pièces par jour.
38:49Donc ça fait 700 000 pièces par mois.
38:52C'est pour ça qu'on est intéressé que par les gros volumes.
38:57OK, je vois.
38:58Donc on est peut-être un peu petits pour travailler avec vous ?
39:02Pour l'instant, oui.
39:04Mais restez en contact avec mon équipe.
39:07On ne sait jamais.
39:09C'est le système lui-même
39:11qui pousse à la surproduction.
39:13Les petits designers sont exclus.
39:15Pour faire fabriquer ici,
39:17il faut commander plus, vendre plus
39:19et alimenter un marché sans fin.
39:21On voit d'où vient le problème
39:23de quantité de fringues
39:25qui sont mises sur le marché en permanence.
39:28On a des instruments industriels
39:30qui sont faits pour produire de plus en plus
39:33et de moins en moins cher.
39:35Vous vous en doutez, il y a une face cachée à ce business.
39:39Il faut changer de quartier pour l'avoir.
39:42Une étape de la fabrication
39:44est responsable d'un désastre écologique.
39:47C'est la teinture.
39:52Un Bangladais nous a donné rendez-vous
39:55avec le secteur des tanneurs.
39:57Vous voyez cette eau.
39:59Elle n'a pas du tout été traitée.
40:01Il y a toutes sortes de métaux lourds,
40:04de produits toxiques.
40:06Et tout ça, ça va directement dans la rivière.
40:12C'est légal de faire ça ?
40:14Non, c'est complètement illégal, bien sûr.
40:18Du plomb, du mercure,
40:20du chrome, de l'arsenic.
40:23Chaque jour, 15 000 m3 de rejets toxiques
40:26sont déversés dans la nature.
40:30Les rivières du Bangladesh
40:32et tous les habitants qui vivent autour
40:35sont les premières victimes de la surproduction de vêtements.
40:39Nos rivières sont en train de mourir.
40:42Plus de poissons, plus de pêches.
40:45Les gens avaient l'habitude de se baigner ici.
40:48Mais s'ils le faisaient aujourd'hui,
40:51ils auraient des allergies ou des maladies de la peau.
40:59Il y a encore plus frustrant pour Julia.
41:02Derrière une palissade, à quelques mètres seulement,
41:05se trouve une station d'épuration flambant neuve.
41:08Cela paraît incroyable, mais elle est à l'arrêt.
41:11Personne ne s'en sert, car personne ne veut la payer.
41:17La plupart des usines rejettent l'eau toxique
41:20directement dans la rivière,
41:22même si elles ont des stations d'épuration.
41:25Si elles les utilisaient, leur coût de production augmenterait.
41:29Leurs pantalons, leurs chemises coûteraient plus cher
41:33et ils ne seraient plus compétitifs.
41:36Les rejets toxiques ont contaminé les nappes phréatiques.
41:40Le Bangladesh a sacrifié ses rivières.
41:43Ridwan et les habitants des berges ont décidé de les défendre.
41:48Ils veulent alerter le gouvernement local,
41:51mais aussi les pays importateurs de vêtements.
41:54Ils en ont assez de voir leur fleuve
41:57se transformer en égout à ciel ouvert.
42:00Comment peut-on faire pour que toutes les marques internationales
42:04aient conscience de ce problème de pollution,
42:07même si il ne se voit pas quand elles visitent leurs usines ?
42:11Il faut qu'ils envoient un représentant dans chaque usine.
42:15Pour cela, il faudrait une petite augmentation du prix des vêtements
42:20et cela changerait la vie de millions de personnes.
42:27Ce voyage au Bangladesh a conforté Julia dans ses convictions.
42:31Comme il est très difficile de contrôler ce qu'il se passe
42:35à l'autre bout de la planète,
42:37elle s'approvisionne auprès de fournisseurs locaux en Europe.
42:41Pour nous le montrer, elle nous emmène en région parisienne,
42:45dans un salon de l'industrie textile.
42:48Elle n'est pas la seule à vouloir polluer le moins possible.
42:52Les stands proposent des matières responsables
42:55et promettent un futur plus vert.
42:57Tu nous emmènes où ?
42:59Je vous emmène voir le dernier des Mohicans.
43:02Il se trouve que non seulement c'est un héros,
43:05mais en plus, ils font des super tissus.
43:09Vous voyez-vous ?
43:11Ca fait plaisir de vous voir.
43:13Bonjour. Enchanté.
43:15Je vous sers un jus de pommes.
43:17Ca me permet d'enlever le masque ?
43:19Jus 100 % naturel.
43:21Il le presse lui-même, en Alsace, avec des pommes locales.
43:25Un peu comme ses vêtements, ils ne sont pas en coton.
43:29Il utilise une autre fibre naturelle qui pousse dans notre pays.
43:33C'est avec cette matière
43:35qu'il veut relancer l'industrie textile en France.
43:38Ca, c'est du lin, produit chez nous.
43:40Il cultive en France ?
43:42Tout. 100 % français.
43:44Le lin, c'est notre spécialité.
43:46Aujourd'hui, on produit 150 000 tonnes.
43:49Tout part à 80 % en Chine et 20 % dans les pays de l'Est.
43:53Ca vous met en colère ? Ca vous rend triste ?
43:56C'est une aberration. C'est un suicide.
43:59Quand vous êtes leader mondial d'une matière première
44:03et que vous l'envoyez à l'Etat brut...
44:06Vous appelez ça comment ? Un suicide collectif.
44:10Oui, nous sommes leader mondial de la culture du lin.
44:14Nous sommes allés en Normandie voir la récolte au mois de juin.
44:18Rien que dans cette région
44:20pousse la moitié de la production mondiale de lin.
44:23Cette plante magique réclame très peu d'arrosage
44:26et bien moins de pesticides et d'engrais que le coton.
44:30Que faisons-nous de ce trésor ?
44:32On l'exporte. Rien n'est utilisé en France.
44:36Enfin, pour le moment, car Pierre a décidé de se battre.
44:40Aujourd'hui, je vais en Suisse pour récupérer une machine.
44:44C'est la dernière machine qui nous manque.
44:47Pour nous, c'est vraiment une occasion réveillée.
44:51Là, on va traverser la frontière.
44:53C'est une petite frontière où il n'y a jamais de contrôle.
44:57Il fait le tour de l'Europe
44:59pour récupérer de vieilles machines et les ramener en France.
45:06Celle-là a presque 30 ans.
45:08Cette usine suisse a décidé de s'en séparer.
45:11Alors il a sauté sur l'occasion.
45:22C'est presque neuf.
45:24Ca fait plaisir de voir l'état d'une machine
45:27qui a quelques années.
45:29Vous l'avez bien instigée.
45:31C'est une machine unique.
45:33On en a pratiquement plus sur le marché.
45:35Ca nous permet d'améliorer l'homogénéité de la préparation du fil.
45:39La machine transformera le lin brut en un fil très fin
45:42pour pouvoir créer de nouveaux vêtements.
45:44Si elles sont bien entretenues, elles n'ont pas de limite d'âge.
45:48C'est comme Pierre Schmitt.
45:50Il devrait être en retraite depuis un moment.
45:53Ca, j'avais pas prévu.
45:55Des machines de ce type, on en trouvait encore en France
45:59avant que l'industrie textile ne s'effondre.
46:03Aujourd'hui, Pierre pense qu'il peut se permettre de réinvestir.
46:07Il trouvera des consommateurs prêts à acheter des vêtements de qualité
46:11fabriqués dans notre pays
46:13avec une plus faible empreinte environnementale.
46:18C'est une petite révolution.
46:20C'est le début d'une belle aventure industrielle
46:24pour montrer que le textile n'est pas mort en Europe.
46:27Les 2 tonnes d'acier vont quitter la Suisse
46:29pour commencer une nouvelle vie en France dans l'usine de pierre.
46:33Ne vous attendez pas à arriver dans un bâtiment flambant neuf.
46:37Il a repris une vieille entreprise au bord de la faillite.
46:45Il a bien du mal à trouver du matériel adéquat.
46:48Il peine aussi à recruter,
46:50car la France a perdu ce savoir-faire.
46:53La seule solution qu'il a trouvée,
46:56c'est d'employer des retraités.
46:59Ce sont les seuls qui connaissent les secrets de la fibre de lin.
47:03C'est le cas de Thierry Guth,
47:05qui va relancer cet instrument,
47:07le maillon manquant dans la chaîne de production.
47:10Ca fait plaisir.
47:12C'est la dernière qu'il manquait.
47:15Je l'attends depuis que je suis là.
47:18Je la réclame depuis pratiquement 2 ans.
47:21Cette usine revient de loin.
47:24Pierre Schmitt l'a récupérée en 2013.
47:29Les anciens propriétaires voulaient vendre tout le matériel
47:33pour éponger les dettes.
47:35Ils avaient organisé une vente aux enchères.
47:38Des investisseurs pakistanais avaient fait le déplacement.
47:42Mais les salariés ont réussi à sauver l'outil industriel.
47:46Le directeur du préfet me confirme que la vente est annulée.
47:50C'était bon enfant, mais c'était assez chaud.
47:53On a entouré le lieu où les personnes devaient s'occuper
47:58pour éviter que les clients, dont les Pakistanais, puissent rentrer.
48:028 ans plus tard, Christian Didier est directeur de l'usine.
48:06On reçoit le lin de cette manière-là.
48:09Le lin est en ruban.
48:11Et voilà sa nouvelle mission, travailler le lin local.
48:15Il est beau, pollue très peu,
48:17mais il suffit de tirer dessus pour qu'il s'effiloche.
48:21Il faut donc transformer cette fibre naturelle
48:25en un fil solide.
48:27Cette étape a disparu en France depuis une vingtaine d'années.
48:31C'est une aberration.
48:33Aujourd'hui, nous revenons en arrière.
48:36On reconstruit une cuillère 100 % française
48:39de la plante jusqu'au tissu final.
48:42Ces monstres d'acier ont l'air un peu tâtés,
48:46mais ils fonctionnent très bien.
48:52Et maintenant qu'il a reçu la machine de Suisse,
48:56il peut fabriquer le fil très fin dont il avait besoin
48:59pour faire naître le projet qu'il a en tête depuis 10 ans.
49:03Cela se passe un peu plus loin, sous la neige,
49:06dans cette autre usine.
49:08Il crée sous nos yeux
49:10le tout 1er jean en lin français.
49:16On a des yeux qui brillent de satisfaction.
49:19C'est le jean, tout est français.
49:21La matière, la confection, la filature, le tissage,
49:25tout est 100 % français.
49:28Le jean est assemblé à la machine à coudre, dans les Vosges.
49:32Le bouton, on l'a mal placé, puisqu'on aurait dû le placer...
49:36Voilà. Exactement.
49:38Une chose qui me manque, mais pour l'instant,
49:41c'est pas si mal que ça.
49:43C'est déjà encourageant.
49:45Ne le cherchez pas dans le commerce.
49:48Il n'est pas encore en vente.
49:50La collection sera prête dans quelques semaines.
49:53Il ne se trouvera pas au même prix que dans les boutiques.
49:56Il faudra faire des économies avant de se l'offrir.
49:59Il sera vendu 165 euros.
50:01Forcément, c'est un prix.
50:03Mais c'est un prix qui permet de se regarder dans un miroir.
50:07Quand on achète un vêtement,
50:09on ferme les yeux sur les conditions de réalisation.
50:12Qui va vérifier dans quelles conditions il a été réalisé ?
50:16Là, on peut être fier de ce qu'on fait.
50:19Il espère baisser les prix en augmentant la production.
50:22Mais cela restera cher.
50:23Pour fabriquer ce pantalon en lin,
50:25il a fallu utiliser 80 litres d'eau.
50:28C'est 100 fois moins que pour n'importe quel autre jean.
50:32Pas de transport à l'autre bout du monde.
50:35Très peu de pesticides.
50:37Il reste juste un dernier point à améliorer.
50:40La teinture, c'est des produits synthétiques.
50:43La prochaine étape, ce sera de trouver des produits naturels
50:47à base d'indigo pour le faire.
50:50On ne fait pas la révolution dans une seule journée.
50:53Pour traiter ces eaux usées,
50:55Pierre est allé jusqu'à racheter une vieille station d'épuration,
51:00d'un bassin de 120 000 habitants.
51:02Et il va bientôt réutiliser l'eau en circuit fermé.
51:06Il est donc possible de produire en polluant très peu
51:10et en ayant un faible impact sur la nature.
51:13Cela demandera à tous un gros changement.
51:16Acheter moins d'habits, les garder plus longtemps,
51:19quitte à les payer plus cher.
51:21Arrêtons de penser que nos vêtements sont des produits jetables.

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