Le décrochage de l'Europe face aux Etats-Unis : un point de non retour ? [Alexandre Mirlicourtois]
L’Europe décroche par rapport aux États-Unis. Parmi tous les indicateurs, le plus saisissant demeure le PIB par habitant. Converti en dollars, il approchait 90% de celui des Américains en 2008, contre 56% aujourd’hui. Le choix de la période est certes arbitraire. Elle isole une séquence particulière, dans une série qui historiquement connaît de fortes fluctuations. Bien sûr, dans leur monnaie, sur leur territoire et dans leur propre système de prix, les Européens n’ont pas vécu une telle paupérisation. Mais cette réalité est bien tangible pour un touriste voyageant aux États-Unis ou une personne cherchant à se procurer un produit libellé en dollars. Ce chiffre vaut la peine d’être expliqué, car il révèle les nombreux points de faiblesse communs aux pays européens. [...]
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Générique
00:09L'Europe décroche par rapport aux Etats-Unis.
00:12Parmi tous les indicateurs, le plus saisissant demeure le PIB par habitant.
00:17Converti en dollars, il approchait 90% de celui des Américains en 2008 contre 56% aujourd'hui.
00:23Le choix de la période est certes arbitraire.
00:26Elle isole une séquence particulière dans une série qui, historiquement, connaît de fortes fluctuations.
00:31Bien sûr, dans leur monnaie, sur leur territoire et dans leur propre système de prix,
00:35les Européens n'ont pas vécu une telle paupérisation.
00:39Mais cette réalité est bien tangible pour un touriste voyageant aux Etats-Unis
00:43ou une personne cherchant à se procurer un produit libellé en dollars.
00:47Ce chiffre vaut la peine d'être expliqué car il révèle les nombreux points faibles communs aux pays européens.
00:54Le PIB par habitant peut être décomposé comptablement en quatre éléments.
00:58Taux de change, euros-dollars, la productivité, la mobilisation de la main-d'œuvre et les prix relatifs des produits européens.
01:06Partant de cette décomposition, la dégringolade du pouvoir d'achat européen en dollars
01:11révèle pour partie des évolutions de change avec un euro qui a cédé près de 30% de sa valeur sur la période.
01:17On peut certes le relativiser tant ses fluctuations sont de grande ampleur et soumises à des déterminants imprévisibles.
01:24Ce serait une erreur.
01:25La valeur de l'euro sanctionne aussi une déconvenue.
01:28La monnaie européenne n'a pas réussi à rivaliser avec le dollar comme monnaie internationale,
01:33sanctionnant une attractivité financière moindre.
01:36Le reste du décrochage est dû pour partie à la moindre hausse de la productivité relativement à celle des Etats-Unis.
01:43Le cas français en donne une parfaite illustration.
01:46Le décrochage s'est enclenché au milieu des années 90 et s'est aggravé par les crises successives depuis 2007.
01:54Trois causes peuvent être invoquées.
01:57La mobilisation accrue de la population peu qualifiée dans l'emploi, dans le sillage des politiques de baisse de charge,
02:03le vieillissement plus marqué de la population active et surtout notre retard technologique.
02:09C'est dans la sphère des services marchands que s'opère le plus gros du décrochage,
02:13signalant que les Etats-Unis surclassent non seulement l'Europe comme producteur, mais aussi comme utilisateur des technologies numériques.
02:21Les indicateurs les plus synthétiques montrent un gap technologique qui se creuse année après année.
02:26Il y a d'abord la R&D, où l'Europe est aujourd'hui à la traîne des Etats-Unis en termes d'intensité de l'effort,
02:32avec aujourd'hui un rapport de 1 à 5 entre la masse de R&D investie annuellement dans la tech.
02:38Il y a ensuite les données portant sur le capital humain.
02:41Même en matière de diplôme, l'Europe accuse un retard persistant avec les Etats-Unis.
02:46Cela est vrai lorsqu'on enscrute la population des plus de 25 ans dans son ensemble,
02:51où l'Europe pâtit de son retard à l'allumage en termes de démocratisation de l'enseignement supérieur,
02:56mais cela reste vrai pour les plus jeunes générations.
02:59Et c'est peut-être aussi pour cela que l'Europe utilisatrice massive des nouvelles technologies ne parvient pas à les convertir en gains de productivité,
03:07contrairement à ce que l'on observe outre-Atlantique.
03:10Sans surprise, les Etats-Unis et dans une moindre mesure la Chine mènent aujourd'hui la danse en matière d'IA,
03:16les géants du numérique faisant la cueillette des startups à haut potentiel.
03:20Les données du capital risque témoignent d'une hégémonie qui marginalise de plus en plus l'Europe dans la course à l'innovation.
03:26Le cumul de ces données sur 12 ans permet de saisir l'ampleur du retard à l'allumage qui ne laisse plus beaucoup de chance au rattrapage.
03:34Autre source de décrochage, la dégradation des prix relatifs aux européens.
03:38Les prix unitaires des produits fabriqués en Europe ont sensiblement moins augmenté qu'aux Etats-Unis, plombant le revenu.
03:44C'est entre autres le signe d'un faible pouvoir de marché des entreprises.
03:47L'Europe, exception faite de l'Allemagne, paie la médiocrité de sa spécialisation intermédiaire trop exposée à la concurrence internationale.
03:55Moins bien positionnée sur les produits disposant d'une forte rente technologique,
03:59son pouvoir pour capter la valeur est bien moindre que celui de l'empire numérique américain.
04:04Finalement, seule la mobilisation de la main d'œuvre ne tourne pas à l'avantage de l'Amérique.
04:08L'effondrement du pouvoir d'achat en dollars de l'Europe en dit long sur les effets de longue diffusion via la productivité,
04:14les prix et le change du retard technologique qui caractérise toute l'Europe qui s'est appauvrie vis-à-vis des Etats-Unis.