Fraude sociale : enjeux pour l'employeur avec Julien Aunis, Of Counsel, Capstan Avocats.
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00:00Fraude sociale, quels moyens d'action pour l'employeur ? On en parle tout de suite avec
00:14mon invité Julien Onis of Council chez Capstan Avocat. Julien, bonjour.
00:19Bonjour Arnaud. On va parler ensemble fraude sociale et moyens
00:22d'action pour l'employeur. Mais avant, le gouvernement a présenté un bilan sur la
00:28fraude sociale le 20 mars dernier. Quels sont les éléments les plus marquants de ce rapport ?
00:34Effectivement, en mai 2023, Gabriel Attal, qui était alors ministre des comptes publics,
00:39avait commandé un rapport sur la fraude sociale et la fraude fiscale. Moins d'un an après,
00:45le gouvernement a présenté son bilan et les chiffres sont effectivement assez éloquents.
00:50Alors, s'agissant de la fraude sociale, on dénombre 450 millions de fraudes à l'assurance
00:57maladie, 11 millions de fausses ordonnances et 5 millions de faux arrêts de travail.
01:03C'est des chiffres énormes. Le bilan est énorme malgré tout. Il y a un
01:07point qu'il faut quand même préciser si on est honnête, c'est que le président,
01:10le directeur de l'assurance maladie, a confirmé le 10 septembre dernier que la fraude représentait
01:17que 0,1% des arrêts maladie. Donc, c'est un épiphénomène qui prend de l'ampleur. Malgré
01:23tout, il ne faut pas nier le fait que la souffrance au travail, la maladie existent.
01:27Ce n'est pas le sujet aujourd'hui. Le sujet, c'est vraiment la fraude, les cas exceptionnels,
01:31mais qui deviennent de plus en plus importants. Les arrêts maladie existent pour le bon. Il y a
01:35des salariés qui sont effectivement victimes. Ça, il n'y a pas de sujet.
01:38Alors, comment vous expliquez cette augmentation des arrêts maladie frauduleux ces dernières années?
01:43Alors, je pense qu'il y a deux éléments. Je pense que la fraude, c'est un abus de droit. Pour qu'il
01:48y ait un abus de droit, il faut qu'il y ait une règle de droit. Une règle de droit, on a vu des
01:51évolutions. Et la règle de droit, lorsqu'elle est nouvelle, on se l'approprie, on tente de la
01:56contourner. Et puis, assez vite, certains acteurs peuvent vous aider. Donc, moi, je pense que c'est
02:02l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, de nouvelles lois qui ont fait que les salariés
02:06ont pu être tentés, pour certains, et une petite partie, comme je le disais, de contourner.
02:10Qu'est-ce qui a favorisé ce contournement, ces textes?
02:13Alors, sur les textes, très clairement, je pense que l'entrée en vigueur du barème Macron a été
02:19un moyen, en tout cas, est venu limiter le montant des indemnités. On pourrait y revenir. Et
02:26effectivement, les salariés, parfois aidés par leur très bon conseil, ont pu être tentés de
02:31chercher des moyens pour contourner. Je pense que, parmi les autres points qui favorisent la fraude,
02:37l'intelligence artificielle, le développement de nouvelles technologies, dans un univers qui est
02:42non régulé, je pense que, pareil, ça a facilité. Et le fait que les moyens de l'assurance maladie,
02:48bien que le gouvernement, notamment, dans son rapport, mette en évidence le fait de s'améliorer,
02:53le fait de mettre en place plus d'agents, je pense que les moyens sont limités, que les
02:56fraudeurs le savent et qu'ils en profitent complètement. Alors, vous avez évoqué le
03:01barème Macron. Quel lien peut-on établir entre la mise en place du barème Macron en 2017 et la
03:07recrudescence de ces arènes maladies frauduleuses, suspects? Alors, le lien que je fais, moi, en tout
03:13cas, c'est qu'en tant que praticien du droit, il y a sept ans, effectivement, en arrière, Emmanuel
03:17Macron, parmi les mesures phares au début de son premier quinquennat, ça a été d'encadrer
03:22les mesures, les indemnités pour les salariés. L'objectif, c'était aussi de rassurer un peu les
03:28employeurs sur le risque qui pouvait exister, dans l'hypothèse d'une contestation devant le Conseil
03:32de Prud'homme, parce que souvent, on ne savait pas où ça pouvait aller. L'encadrement des indemnités,
03:37dans le cas du barème Macron, est limité à certains cas. Dans l'hypothèse où vous invoquez
03:43un moyen de nullité de votre licenciement, les indemnités ne sont plus limitées. D'accord?
03:48Donc, c'est-à-dire que le barème qui a été fixé, c'est pour une cause réelle et sérieuse,
03:51un licenciement simple, entre guillemets. A l'inverse, si vous venez chercher un vecteur
03:54de nullité, typiquement qui peut être lié à la maladie, alors le barème est déplafonné.
03:59D'accord. Voilà ce qui a pu justifier, dans certaines mesures, le recours à des faux arrêts.
04:04En tout cas, de quelle manière on pourrait limiter, justement, ces effets négatifs du
04:10barème Macron? Alors, je pense qu'il y en a deux. Je dirais que la première,
04:16elle appartient au gouvernement, très clairement. Et je pense que ce rapport du gouvernement en est
04:20la preuve, preuve que le gouvernement est conscient qu'il faut agir. Je crois que c'est
04:24d'ici 2027 qu'il y a 1 500 agents ou 1 000 agents supplémentaires qui sont prévus pour la fraude
04:29sociale. Alors, on verra si le nouveau gouvernement qui prend ses fonctions aujourd'hui poursuivra
04:34ce cap. Mais à mon avis, c'est un cap qui est essentiel. Du côté de l'employeur, je pense que
04:40il subit, il subit la fraude et le moyen, le meilleur, c'est la vigilance. Le meilleur moyen,
04:45c'est la vigilance. Plein d'actions correctives qu'on peut évoquer après. Mais clairement,
04:50le premier pas, c'est la vigilance. Donc, soyez prudent et attentif.
04:54Attentif aux signaux faibles et à tout ce qui peut effectivement interpeller.
04:58Évoquons maintenant les enjeux financiers. Quels sont les enjeux financiers pour les
05:03employeurs face à cette situation, notamment devant les conseils des prud'hommes?
05:07C'est une bonne question, effectivement. Alors, il y a un point qui est important,
05:11c'est le facteur temps. En général, on a plutôt le sentiment que le salarié,
05:14il a envie que son procès aille vite. Et on va voir que dans l'hypothèse des nulités,
05:17ça peut un peu s'inverser. Très souvent, on pense que c'est l'employeur qui va être dilatoire devant
05:21le conseil des prud'hommes, qui va faire traîner la procédure, ce qui est faux de manière générale.
05:25Mais par ailleurs, dans le cas des nulités et des demandes liées à la maladie, c'est le salarié
05:31qui va pouvoir intérêt à ce que la procédure traîne un peu. Quel intérêt il a, justement?
05:35Je vais être concret. On va prendre deux situations. Un salarié, admettons,
05:39qui a 5 ans d'ancienneté, qui gagne 5000 euros par mois et qui est dans une entreprise de plus
05:44d'11 salariés. C'est comme ça que le barème Macron est construit. Il y a une différence entre les
05:47petites et les grandes entreprises. Prenons cette hypothèse. Le salarié est licencié pour, je ne
05:52sais pas, insuffisance professionnelle. Il conteste son licenciement, souhaite des indemnités en
05:56dehors d'un cas de nulité. Le barème prévoit que son indemnisation est prévue entre 3 mois et 6
06:01mois de salaire. Concrètement, un salaire à 5000 euros entre 15 et 30 000 euros. A l'inverse,
06:06si le salarié vient chercher une cause de nulité, admettons considérer que son licenciement est lié
06:11à son arrêt maladie. C'est une cause de nulité discriminatoire en lien avec l'état de santé. S'il
06:16ne demande pas sa réintégration dans l'entreprise, le barème minimum sera de 6 mois de salaire. Là
06:21où pour le barème Macron, c'était 3. Vous voyez déjà que ça double. Ça double pour le minimum.
06:26Et ensuite, il n'y a pas de plafond dans la limite du préjudice qui va être justifié. Mais l'enjeu,
06:30il n'est pas là. L'enjeu sur le temps, il va être dans l'autre cas. L'hypothèse est celle
06:34qui se développe de plus en plus. L'hypothèse où le salarié demande la nulité et la réintégration.
06:39Qu'est-ce qui se passe dans ce cas-là ? Le salarié, dans l'hypothèse où le juge ordonne
06:43sa réintégration, réintégrer l'entreprise et aura le droit au salaire dont il a été privé entre sa
06:51sortie des effectifs et sa réintégration. Je n'en prends rien. Vous connaissez les délais
06:55devant les conseils de prud'hommes. Si on n'est pas à Nanterre, parce qu'à Nanterre,
07:01c'est vraiment très long, mais si on est sur un conseil de prud'hommes qui fonctionne à peu
07:03près normalement, on va dire Paris, entre la saisine du conseil de prud'hommes et un arrêt
07:07de cours d'appel, vous avez globalement 5 ans. Donc, si je prends mon exemple du salarié qui
07:12a 5 000 euros par mois, j'avais dit qu'au maximum, il avait 30 000 euros. Maintenant, on sera sur 300
07:17000. Ce n'est pas du tout pareil. Ce n'est pas du tout pareil. Donc, vous comprenez l'enjeu du
07:22temps. Et effectivement, plus la procédure va durer et le salarié à la main peut avoir la main
07:26avec ses conseils pour que la procédure dure, plus ça coûte cher pour l'employé. Et on parle de
07:31rappel de salaire qui sont soumis à cotisation. Donc, on dit 300 000, c'est 300 000 brut. Donc,
07:35vous faites l'addition, ça chiffre vite. Alors, un autre élément important, vous l'avez parlé
07:42tout à l'heure de détecter les signaux faibles. Concrètement, comment les employeurs peuvent-ils
07:48détecter une potentielle fraude aux arrêts maladie ? Alors, ce n'est pas simple. Ce n'est
07:52vraiment pas simple. Je pense que je vais faire un parallèle avec ce qu'on connaît pour les
07:56élections et les salariés qui tentent de se protéger avec une candidature imminente. On le
07:59sait bien, à l'approche des élections professionnelles, certains salariés qui se
08:03sentent un peu dans l'œil du cyclone vont se présenter aux élections, à l'approche, pour
08:07être protégés puisque c'est un vecteur de protection. Il existe un mécanisme qui est la
08:12contestation de la candidature imminente, procédure accélérée dans le tribunal judiciaire. Parmi les
08:17indices qu'on va utiliser, c'est le fait que la candidature soit proche des élections et d'un
08:22éventuel licenciement et le fait que le salarié n'ait jamais donné d'intérêt aux élections de
08:27manière générale ou au fait de se syndiquer. Le parallèle avec la maladie, c'est un peu le
08:30même. C'est-à-dire que la convocation à entretien préalable tombe, le lendemain, le salarié est
08:35placé en maladie professionnelle. Donc le critère temps, là, je pense qu'il est quand même assez
08:40clair. Jusqu'à présent, le salarié n'avait aucun problème de santé, rien de déclaré, pas de...
08:45Là, pour moi, c'est un indice. Ce sont deux indices très forts d'une éventuelle fraude. Par ailleurs,
08:52et autre point, dernier point, c'est le fait que le médecin soit situé à 500 km de là où habite
08:59le salarié. On peut comprendre qu'il y a un arrêt de complaisance. C'est un indice qui peut faire
09:04penser que c'est un arrêt de complaisance. Exactement. Maintenant, on a vu les signaux
09:09faibles. Une fois que l'employeur pense être convaincu qu'il s'agit d'un arrêt frauduleux,
09:16quelles actions concrètes l'employeur peut-il entreprendre pour faire cesser ses arrêts ou
09:23faire une action ? Il y en a plusieurs. Je pense que l'employeur doit vraiment se débattre parce
09:28qu'en fait, il n'y a aucun moyen, à mon sens aujourd'hui, dans la loi, qui est efficace pour
09:32pouvoir mener ses actions. Je parlais de la procédure qui existe pour les candidatures
09:36imminentes. Vous n'avez pas le parallèle aujourd'hui qui existe pour ce qu'on pensait
09:40être une fraude à l'arrêt maladie. Vous n'avez pas de procédure accélérée pour saisir un juge
09:44et dire « je considère que ». Néanmoins, il y a des actions. Ils ne sont pas dépourvus. Le
09:48premier point, c'est déjà de se dire, contestez l'éventuel arrêt maladie si on considère qu'il
09:53est frauduleux. D'une part, c'est une procédure gracieuse parce que les médecins, parfois,
09:57ne sont pas pris d'une mauvaise volonté ou ne sont pas mauvais escients, mais leur patient est là.
10:02C'est ce qu'ils expliquent quand on conteste. Vous écrivez au médecin, vous lui expliquez.
10:06Parfois, il ne veut pas. Vous allez dans l'ordre des médecins et l'ordre des médecins est très
10:09sérieux sur ça. Première étape. Vous avez également la possibilité, si c'est une reconnaissance de
10:15maladie pro, évidemment, de suivre de manière très rigoureuse la procédure de maladie
10:20professionnelle ou d'action du travail auprès de la CPM. Être présent, expliquer le contexte,
10:24c'est-à-dire attirer l'attention sur le fait que le contexte démontre qu'il y a a priori une
10:29tentative de fraude. Premier réflexe également, c'est émettre des réserves lorsque le certificat
10:34médical arrive. D'accord. Si on travaille une maladie professionnelle, vous émettez des réserves.
10:37Quand on voit, par exemple, le médecin à 500 kilomètres, tout de suite, on émet des réserves.
10:41Par exemple, lorsque la procédure est engagée, la procédure judiciaire, je vous disais, le temps
10:47va être un facteur qui va jouer contre l'employeur puisque si la réintégration est prononcée cinq
10:51ans ou six ans plus tard, ça coûtera plus cher. Donc, parmi les réflexes, il faut reprendre la
10:55main sur la procédure, c'est-à-dire que de manière générale, un calendrier devant le
10:58conseil de prudence, c'est d'abord le service qui conclut, puis vous qui concluez. Je pense qu'il
11:02faut s'assurer de bien respecter les délais. On fait souvent le reproche aux avocats de perdre
11:05du temps. Bien respecter les délais, le cas échéant, solliciter une version de calendrier,
11:09ça c'est un premier point, avoir la main sur le calendrier. Deuxième point, il y a la jurisprudence
11:13qui existe sur le fait que les demandes tardives de réintégration peuvent être abusives et être
11:19écartées. Donc, ça je pense qu'il faut utiliser cette jurisprudence et continuer à l'utiliser
11:24pour qu'elle produise de nouveaux arrêts en ce sens. On peut également agir, et je le disais
11:32tout à l'heure, pour limiter le montant des rappels de salaire. Puisque si le salarié, admettons, a
11:37retrouvé un emploi, ça arrive entre sa sortie des effectifs et sa réintégration, alors vous
11:42pourrez demander au juge, dans certains cas, ce n'est pas toujours le cas, de déduire les revenus
11:46de remplacement qu'il a perçus jusqu'à présent. Ce qui fait que l'addition, elle est quand même moins
11:49lourde. Donc ça, pareil, pendant la procédure, il faut se battre avec votre contradicteur pour
11:55les calculs des salaires obtenus dans l'intervalle. Faire les calculs parce que la Cour ou le Conseil
12:01de Présent n'auront pas le temps. Il faut produire les calculs devant la Cour. Exactement. Je le
12:07disais, l'addition, elle peut être très élevée par la suite. On peut parler parfois de millions
12:11d'euros lorsqu'on rajoute les charges. Et je dirais que là, l'État a quand même un rôle à jouer.
12:16L'action éventuellement en responsabilité contre l'État peut être envisagée à deux titres. D'une
12:22part parce que la justice est très lente et que si ces délais de procédure n'étaient pas aussi
12:26longs, on aurait des sommes qui seraient moins élevées. Et par ailleurs parce qu'aujourd'hui,
12:30je considère de mon côté que l'État n'a pas mis en œuvre les mécanismes suffisants pour permettre,
12:35typiquement, des voies de recours utiles pour que l'employeur ne soit pas pris au piège.
12:38On peut agir en responsabilité de l'État. On peut agir en responsabilité de l'État. Alors,
12:42on ne va pas se mentir. Les sommes, en tout cas, qui sont allouées sont rarement à la hauteur du
12:46préjudice qui a pu être causé à l'employeur. Maintenant, je pense que ça fait partie des
12:49actions qui, peut-être mises bout à bout, peuvent faire bouger un peu les choses.
12:53Pour terminer, comment les employeurs peuvent gérer au mieux cette problématique tout en
12:58respectant les droits des salariés ? Alors, vous avez raison, c'est un point
13:01important, le droit des salariés. J'en parlais tout à l'heure. La fraude, c'est 0,1 % selon le
13:05directeur de l'assurance maladie. Donc, il ne faut pas oublier qu'il y a des salariés qui sont…
13:09Ce n'est pas simple de faire la distinction, mais les employeurs savent faire. Je pense qu'on peut
13:12leur faire confiance sur les cas de maladies avérées, d'accidents du travail, de maladies
13:16professionnelles. Ils savent s'appuyer sur le médecin du travail. Je pense que là-dessus,
13:19on peut leur faire confiance. Sur l'autre pan, et pour répondre précisément à votre question,
13:23je pense que c'est un peu ce que je disais tout à l'heure. Il faut être vigilant,
13:27détecter un peu et avoir ces petits réflexes-là. Mais je pense que la part, vraiment, des choses,
13:33pour moi, elle est entre les mains du gouvernement dans le fait de réussir à mettre en place des
13:36moyens d'action solides tels que le bilan du gouvernement le prévoit.
13:39Bon, on va suivre tout ça avec intérêt. On va voir si le gouvernement débloque cette
13:43situation. Merci d'être venu sur notre plateau. Merci à toutes et à tous pour votre fidélité.
13:49Restez curieux et informés et à bientôt sur BeSmart4Change pour un nouveau numéro de LexInside.