Explosions au Liban : "C'est le coup le plus fort jamais porté" au Hezbollah

  • il y a 10 heures
Denis Charbit, politiste à l'Open University of Israël, auteur de Israël, l’impossible Etat normal, Anthony Samrani, corédacteur en chef de L’Orient - le Jour, et Agnès Levallois, Vice-présidente de l'iReMMO, chargée de cours à SciencesPo sont les invités du Grand entretien de France Inter.

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00:00Avec Léa Salamé, nous vous proposons une table ronde ce matin pour revenir sur cette
00:05stupéfiante vague d'explosions simultanées de Bipers puis de Tokiwokis au Liban, faisant
00:11en deux jours 32 morts et plus de 3000 blessés.
00:14Nos invités, Léa ?
00:15Anthony Samrani, vous êtes co-rédacteur en chef du quotidien libanais francophone
00:19L'Orient Le Jour.
00:20Bonjour à vous, merci d'être là.
00:22Denis Charbi, vous êtes politiste et professeur de sciences politiques à l'Open University
00:25of Israel.
00:26Et vous êtes l'auteur d'un livre qui est sorti hier chez Calman Levy, L'Impossible
00:32État Normal.
00:33Et puis nous sommes en ligne avec Agnès Levallois, vous êtes vice-présidente de
00:36l'Institut de Recherche et d'Études Méditerranéens et Moyen-Orient et vous avez dirigé le livre
00:40noir de Gaza qui sort en librairie le 4 octobre prochain aux éditions du Seuil.
00:46Bonjour à vous.
00:47Il y a donc eu mardi les explosions de Bipers, hier celles de Tokiwokis, attaque proprement
00:54considérante, inédite à cette échelle.
00:56Avez-vous, vous qui habitez l'un et l'autre au Proche-Orient, vous Agnès Levallois qui
01:04en êtes spécialiste, vous qui connaissez les méthodes de guerre de la région, avez-vous
01:09été ahurie par ce mode opératoire et par son ampleur ?
01:13Anthony Samrani ?
01:14Oui, clairement c'est un choc, c'est quelque chose que personne ne pouvait imaginer.
01:19Ça donne le sentiment aussi côté libanais que cette guerre ne finira jamais, ça réveille
01:24des traumatismes.
01:25Et au-delà de la prouesse technologique, au-delà du fait qu'Israël a affaibli le
01:31Hezbollah, peut-être comme jamais, à mon avis c'est le coup le plus fort jamais porté
01:35contre le parti depuis sa création, il faut bien avoir conscience que c'est des milliers
01:40de mini explosions qui ont eu lieu partout, dans des zones civiles, dans des restaurants,
01:45dans des maisons, dans des voitures.
01:47Quelque part, Israël se dit que désormais, tout lui est permis sur le terrain libanais.
01:52On va venir à ce que vous venez de dire, c'est-à-dire le coup porté au Hezbollah,
01:57mais sur la réaction des Libanais dans leur ensemble, au-delà de ceux qui sont pro-Hezbollah,
02:02comment ils ont réagi à ces attaques ?
02:03Ils sont choqués, ils sont choqués.
02:05On a eu une scène que je racontais tout à l'heure, qui pour le coup a eu lieu parmi
02:11les membres du Hezbollah, mais qui je pense raconte un peu la psychose collective aujourd'hui
02:14au Liban.
02:15Pendant l'interment d'un des députés du Hezbollah, il y a eu l'explosion hier
02:19des Tokiwokis, et les gens se sont mis à jeter leurs téléphones portables par terre
02:23et à les écraser.
02:24Parce qu'on a le sentiment que tout appareil électronique aujourd'hui peut être une
02:29mini-bombe portative.
02:31Et vous Denis Charbillé, est-ce que vous avez également été sidéré par l'ampleur
02:35de l'attaque, en sachant que des milliers de beepers suivis des Tokiwokis explosaient
02:39au même moment au Liban ?
02:41Alors je dirais oui et non.
02:43Oui bien sûr qu'on a été surpris à cause de l'ampleur de l'attaque, le fait que
02:46ce soit simultané, que ce soit par un biais technique et non pas une attaque militaire
02:52classique en bonne et due forme.
02:54Je dirais que d'une certaine manière depuis un an, entre les nouvelles tragiques, douloureuses,
03:02le 7 octobre, dont on sait le poids traumatisant qu'il a encore aujourd'hui, c'est vrai
03:07que d'une certaine manière depuis un an, l'armée israélienne essaie de nous redorer
03:14le blason, de dire voilà, il y a eu l'élimination ciblée d'Ismaïl Hanier, il y a eu le sauvetage
03:18des quatre otages.
03:19Et donc ça s'inscrit dans cette logique-là et moi voilà, je ne peux pas ne m'empêcher
03:25de dire…
03:26Il y a un message à destination des Israéliens, c'est ça ce que vous dites ?
03:29Oui, il s'agit de dire rassurez-vous, c'est vrai qu'on a été humilié le 7 octobre,
03:32qu'on a dit que l'Israël n'était plus capable de défendre ses citoyens.
03:37On vous montre qu'on a encore ces capacités-là, mais au-delà de l'analyse immédiate et
03:42à courte vue, quand je vois, je dirais, et je pense que tout le monde peut le constater,
03:48je dirais le trésor de génie, d'intelligence dont les Israéliens se montrent capables,
03:55je ne peux pas m'empêcher de dire, et si toute cette intelligence et ce génie était
03:59non pas pour gagner la guerre, mais pour gagner la paix.
04:02On va y venir.
04:04Agnès Levallois, votre premier sentiment quand vous avez vu ces événements ? Avez-vous
04:12été sidérée comme nos deux autres invités ?
04:16Oui, absolument sidérée par l'ampleur de cette attaque, par les moyens qui ont été
04:22mis en œuvre et par la préparation d'une telle opération, avec des dégâts absolument
04:27considérables, et en même temps, c'est vrai qu'on sait que les services israéliens
04:32sont toujours à la recherche des opérations qui leur permettront d'accomplir leur but
04:38de guerre, et stupéfaction, et en même temps, tout de suite en se disant, mais ça rentre
04:43tellement dans la logique annoncée depuis quelques semaines maintenant, de façon encore
04:48plus forte, qu'il s'agit absolument maintenant d'ouvrir ce front avec le Liban de façon
04:53beaucoup plus forte, et si l'on reprend les déclarations du ministre de la Défense
04:59Faire évoluer le centre de gravité du conflit, vers le nord, c'est ça ce qu'il a dit ?
05:04Voilà, exactement, et donc cette opération, on voit bien qu'elle a été préparée de
05:09longue date, et en coupant tous les moyens de communication entre les membres de Hezbollah,
05:15et bien effectivement, l'attaque annoncée peut être encore plus facile, parce que tous
05:22ces moyens de communication ont été annihilés et n'existent plus aujourd'hui, en grande
05:28partie.
05:29Donc cette opération, de ce point de vue-là, n'arrive pas à n'importe quel moment, le
05:33moment me semble en tous les cas très bien choisi dans cette stratégie israélienne
05:38qui est en train d'évoluer.
05:39Denis Charbi vous disiez que c'était une manière pour les services de renseignement
05:43israéliens de montrer que certes ils ont failli et n'ont rien vu le 7 octobre, mais
05:48qu'ils sont encore capables de faire des opérations d'ampleur et des opérations stupéfiantes
05:53avec une puissance technologique telle que ce qu'on a vu ces deux derniers jours au
05:56Liban.
05:58Denis Samrani, à l'inverse, comment expliquer la faille de renseignement du Hezbollah ? On
06:03sait qu'en général ils ne sont pas mauvais sur leur renseignement, mais là on peut dire
06:07qu'ils n'ont rien vu.
06:08Il y a un analyste libanais qui a utilisé cette expression, c'est le 7 octobre du Hezbollah,
06:13et je la trouve vraiment très intéressante.
06:15Je pense que le Hezbollah là n'est pas sur son terrain de jeu, il est beaucoup plus
06:19à l'aise quand il s'agit de résister sur le terrain, d'envoyer des missiles régulièrement
06:25contre Israël, mais en matière technologique, en matière de renseignement.
06:28Et on le voit depuis l'ouverture de ce qu'il a appelé le front de soutien le 8 octobre
06:33dernier.
06:34Israël arrive à cibler des responsables du Hezbollah partout, dans le sud, à Beyrouth,
06:41dans l'Abeka, et arrive à obtenir des informations beaucoup plus précises que ce qu'on pouvait
06:47imaginer.
06:48En fait, Israël semble beaucoup plus près à cette guerre contre le Hezbollah qu'on
06:53pouvait les imaginer, et beaucoup plus près qu'il ne l'est à Gaza, contre le Hamas.
07:00Mais ils ont été clairement affaiblis, vous dites, ces deux derniers jours.
07:03Si on estime que les chiffres du CIA qui disent qu'il y a à peu près 45 000 combattants
07:08du Hezbollah aujourd'hui, hypothétiquement employables dans une guerre si le front s'ouvre
07:13vraiment, il y a 3000 blessés, si on enlève les civils, disons qu'il y a un gros millier
07:20de militants qui sont aujourd'hui blessés, ou très gravement blessés, ou qui sont morts.
07:24Donc des milliers de blessés, un système de communication, plusieurs systèmes de communication
07:29qui sont mis complètement hors service, et le coup moral est extrêmement fort.
07:35Comment après remobiliser les combattants, comment leur dire « oui, vous pouvez gagner
07:39face à un adversaire qui, quand même, a une supériorité manifeste ».
07:44Vous vouliez réagir, Denis Charbis, sur l'expression « le 7 octobre du Hezbollah » ?
07:49J'aime bien faire des concessions.
07:51Le seul point commun que je puisse trouver, c'est l'assidération.
07:55Mais une fois l'assidération admise, là on parle de civils, on a beaucoup reproché
08:02à Israël, et à juste titre, que le ratio entre civils et militaires dans la bande de
08:07Gaza était absolument inconcevable, deux tiers de civils pour un tiers de combattants.
08:12Là on est sur du 90% de militaires, les combattants du Hezbollah, et peut-être jusqu'à 10%.
08:19Donc on peut au moins reconnaître là-dessus que, pour une fois, et je souhaiterais que
08:26ce ne soit pas la dernière fois, on est dans une guerre, dans une précision chirurgicale
08:32qui permet autant que faire se peut que les civils soient à l'abri.
08:36Alors ça n'a pas épargné une jeune fille de mourir, et je m'incline devant cette
08:42perte, et pour moi je refuse, j'aborde l'expression de « dommages collatéraux ».
08:47Mais voilà, au-delà de ça, la comparaison.
08:50Ce qui est vrai, c'est que même pour les Israéliens, on se rend compte que le Hezbollah
08:55finalement est peut-être un tigre de papier, et je suis à peu près certain que le débat
09:01qui va s'ouvrir c'est, s'ils sont un tigre de papier, alors pourquoi ouvrir un
09:05nouveau front, puisqu'il est assez clair que le Hezbollah sert dans sa rhétorique
09:10et entend détruire l'État d'Israël, mais s'il n'en est pas capable, d'un
09:15autre côté, je suis bien conscient qu'il y a une grande partie de mes concitoyens,
09:18et notamment les centaines de milliers qui habitent dans le Nord, et qui depuis un an
09:22n'y habitent plus parce qu'ils sont repliés au centre, se disent « s'il est aussi
09:26faible, c'est le moment », parce que c'est vrai qu'en termes de stratégie
09:28militaire, l'ennemi vaut mieux l'attaquer quand il est faible que quand il est fort.
09:32Donc voilà, et ce qui va certainement jouer, alors peut-être pas au niveau du gouvernement
09:36mais en tout cas au niveau de la société civile israélienne, c'est, est-ce qu'après
09:40une année aussi éprouvante, on continue ? Parce qu'une attaque terrestre au Sud-Liban,
09:47c'est beaucoup plus lourd qu'une attaque terrestre dans la banque de Gaza.
09:50Mais qu'est-ce qu'elle dit l'opinion publique israélienne aujourd'hui ? Parce
09:52qu'on a vu ces sondages qui montrent que Benjamin Netanyahou est beaucoup plus soutenu
09:56aujourd'hui qu'il y a un an, donc on a le sentiment que, certes on voit les manifestations
10:01et les centaines de milliers de personnes qui manifestent contre lui, mais dans l'opinion
10:05publique israélienne, de plus en plus, il est soutenu.
10:08Oui, oui, oui, enfin, c'est pas l'homme, la personnalité en tant que telle, c'est
10:13ce sentiment d'une menace générale, c'est-à-dire le conflit n'est pas réductible à l'opposition
10:18Israël-Palestine, il y a l'Iran, il y a le Hezbollah, il y a les Houthis au Yémen,
10:23et puis aussi ce sentiment, encore une fois à tort ou à raison, que l'opinion publique,
10:28notamment les jeunes, les étudiants, etc., sont hostiles à Israël, ce qui effectivement,
10:33et quand on a dit, et à juste titre, et moi c'est un peu ce qui me fait peur, quand
10:36on dit « les Israéliens perçoivent ce conflit depuis un an comme un conflit existentiel »,
10:41je ne nie absolument pas l'authenticité du sentiment, ce qui me fait peur, ce qui
10:46me trouble, c'est que quand on a le sentiment qu'un conflit est existentiel, ça veut
10:50dire qu'on peut tout faire, et que, comme vous dites, tout était permis, si ce n'est
10:53que dans cette attaque d'hier et d'avant-hier, justement, on ne s'est pas tout permis.
10:58Agnès Levallois, qu'est-ce qu'on peut attendre du discours d'Hassan Nasrallah
11:03cet après-midi ? Jusque-là, il n'y avait pas de volonté de représailles majeures.
11:08Est-ce que ce qui s'est passé hier et avant-hier, est-ce que ça peut changer la donne ?
11:13Alors, ça peut changer la donne, dans le sens où, effectivement, il faut absolument
11:17que le discours soit en rapport avec les actes, et que tous les discours qui ont été tenus
11:23par le Hezbollah, maintenant, depuis le 8 octobre, n'ont pas véritablement été suivis
11:28des faits.
11:29Donc, ce soutien apporté au Hamas, il y a eu un vrai soutien, et en même temps, on
11:32voit que le Hezbollah ne veut absolument pas rentrer dans cette guerre avec Israël,
11:37puisque Nasrallah n'a pas cessé de dire que si un cessez-le-feu était signé entre
11:43Israël et le Hamas, le Hezbollah arrêterait tout de suite la stratégie qui consiste
11:49à lancer des missiles sur le nord d'Israël.
11:52Donc, je continue à penser que le Hezbollah, comme l'Iran d'ailleurs, les deux ne veulent
11:58pas rentrer dans cette guerre, et les attaques précédentes, et je pense à l'attaque israélienne
12:03contre le consulat iranien à Damas, n'a pas fait l'objet d'une riposte à la hauteur
12:08des déclarations qui avaient été faites à ce moment-là par les Iraniens et par le
12:13Hezbollah.
12:14Alors maintenant, il s'agit quand même pour Hassan Nasrallah de ressouder les rangs,
12:19et ça, ça a bien été dit au préalable, il y a un coup psychologique énorme qui a
12:24été porté aux combattants du Hezbollah et aux proches du Hezbollah avec cette attaque
12:31d'hier qui est quand même monstrueuse, et qui est, je voudrais quand même qu'on le
12:34dise, une violation quand même du territoire libanais, comme ça avait été une violation
12:40du territoire syrien lorsqu'Israël a attaqué ce consulat.
12:45Donc on est quand même dans une logique aujourd'hui de violation de territoire, face à laquelle
12:49effectivement Nasrallah doit essayer de montrer qu'il va falloir faire quelque chose parce
12:55que sinon il y a une démobilisation terrible qui risque de s'en suivre.
13:00Mais les moyens de réaction du Hezbollah sont évidemment très limités, mais n'oublions
13:05pas qu'il a une capacité de nuisance, c'est cette capacité de nuisance qui est importante
13:10parce que jusqu'à aujourd'hui, les habitants du nord d'Israël n'ont pas pu rentrer
13:15chez eux en raison de cette menace que fait peser le Hezbollah sur la frontière, raison
13:20pour laquelle maintenant les Israéliens veulent en finir avec cette menace que représente
13:25le Hezbollah.
13:26Mais cette capacité de nuisance existe encore, et pour le gouvernement de Netanyahou effectivement
13:32c'est un vrai problème vis-à-vis de sa population.
13:34Anthony Samrani, qu'attendre du discours de Nasrallah cet après-midi selon vous ?
13:39En fait on est dans une impasse stratégique totale.
13:43Tout le monde est pris à son propre piège, le Hezbollah est pris au piège de son front
13:48de soutien.
13:49C'est-à-dire qu'il ne veut pas une guerre totale contre Israël, Israël l'a très
13:53bien compris.
13:54Et en même temps, plus le conflit se prolonge, plus il est en train de perdre sa capacité
13:59de dissuasion, donc ça devient de plus en plus difficile pour lui de justifier cette
14:05guerre.
14:06Il espère un cessez-le-feu à Gaza, parce qu'il se dit s'il y a un cessez-le-feu
14:09à Gaza et que le Hamas est encore en vie à Gaza, c'est une victoire stratégique
14:15pour nous.
14:16Et côté israéliens, les Israéliens enchaînent les victoires tactiques, les gifles infligées
14:21à leur adversaire, mais stratégiquement ça ne mène nulle part.
14:24Stratégiquement ils n'ont pas de solution, ni à Gaza, ni en Cisjordanie, ni au Liban
14:30et ni par rapport au nucléaire iranien qui sont peut-être les quatre grands dossiers
14:33qui agitent aujourd'hui Israël.
14:35Vous êtes d'accord avec ça Denis Charbi ?
14:37Oui je suis d'accord, vous avez presque pris les mots « impasse stratégique, coup
14:41de tactique brillant » mais bien sûr que c'est là le piège dans lequel on est tous.
14:45Moi ce que je redoute bien entendu c'est une invasion terrestre qui ferait que…
14:52Une invasion terrestre du Liban ?
14:53Oui, oui, du sud Liban !
14:55Du sud Liban par Israël ?
14:56Pourquoi ? Parce que ce serait, regardez, l'histoire qui se répète, après le retrait
15:01d'Israël du sud Liban en 2000, après le retrait de la bande de Gaza en 2005, regardez
15:06la régression, on se retrouve exactement dans la situation où on était dans les
15:10années 80-90, voilà, jusqu'au retrait de ces deux territoires, alors certes qui
15:15ont été opérés sans traité de paix, c'était des retraits unilatéraux et on en paye sans
15:20doute le prix, mais pour moi c'est ça qui est absolument aberrant, de se rendre compte
15:27qu'on a gaspillé du temps, on a perdu du temps et qu'on revient en arrière au
15:31lieu d'essayer d'aller de l'avant, alors même qu'il y a une communauté de
15:37vision des choses, parce que je pense que les Israéliens et les Libanais se rendent
15:41bien compte qu'on est dans une impasse stratégique.
15:43Et les Libanais redoutent ça, la répétition de l'histoire de 2006, de l'invasion terrestre
15:48d'Israël et d'une nouvelle guerre terrestre ?
15:51Le Liban sera détruit avant que le Hezbollah ne soit détruit, il faut en avoir conscience.
15:56Si demain on est dans une guerre totale, ça va être terrible pour le Liban et sans pour
16:01autant résoudre l'équation, parce que ni Israël n'a les moyens aujourd'hui de détruire
16:06complètement le Hezbollah, ni il a les moyens de réoccuper le Liban Sud, donc son objectif
16:13de sécuriser la frontière avec le Liban, je ne vois pas en quoi une invasion terrestre
16:19va lui permettre d'atteindre ce but.
16:21Agnès Levallois, comment évaluez-vous l'état des forces israéliennes ? Le front à Gaza
16:27n'est pas du tout terminé, là on entend effectivement le ministre de la Défense israélien
16:31dire qu'on pourrait déplacer le centre de gravité de la guerre vers le nord, donc vers
16:35le Liban, est-ce qu'ils ont les moyens de continuer leur guerre à Gaza et d'ouvrir
16:39un front au nord ?
16:40Alors ce qui est clair aujourd'hui, c'est que la guerre à Gaza ne demande plus les
16:45mêmes moyens militaires, puisque beaucoup a été détruit dans la bande de Gaza et même
16:50si les objectifs de guerre d'Israël n'ont pas encore été atteints, je ne sais plus
16:55très bien ce qu'il reste à détruire lorsque l'on fait le bilan des destructions de la
16:59bande de Gaza, donc les moyens militaires utilisés de la bande de Gaza sont moindres
17:04aujourd'hui en raison de tout ce qui a déjà été fait, si je puis dire, donc ça permet
17:09effectivement le déplacement de certaines forces vers le nord d'Israël, mais avec toutes
17:15les limites de ces opérations qu'on a déjà connues par le passé, vous le rappelez à
17:20l'instant où les guerres qui ont été menées terrestres d'Israël au Liban, ce sont quand
17:25même, n'ont pas permis finalement d'assurer la sécurité à la frontière, aussi bien
17:30pour les populations libanaises qu'israéliennes, donc on est dans une impasse, donc même si
17:35effectivement des forces sont mobilisables maintenant vers le nord, et je crois que Denis
17:40Charbit l'a très bien dit, il y a comme un épuisement aussi de l'armée israélienne
17:43aujourd'hui, pratiquement un an après le 7 octobre, donc jusqu'où cette stratégie
17:49peut-elle permettre d'atteindre l'objectif d'Israël qui est d'assurer cette frontière ?
17:55Là, on peut quand même émettre beaucoup de doutes, même s'il y a cette supériorité
17:59qui a été incarnée par ces opérations hier, et qui est effectivement beaucoup destinée
18:04aussi à rassurer les israéliens sur la capacité de leur service de renseignement, mais en
18:09termes militaire et de stratégie, et je partage tout à fait cette idée de l'impasse stratégique
18:14dans laquelle tous les acteurs aujourd'hui se trouvent.
18:16On le disait tout à l'heure, Denis Charbit, l'opinion soutient Benyamin Netanyahou, et
18:22on peut donc estimer que la guerre va continuer à Gaza, mais jusqu'à quand ? Jusqu'à
18:27ce que nos objectifs soient atteints, dit le Premier ministre israélien, à savoir, on
18:32le redit, l'éradication du Hamas à Gaza, est-ce tout simplement possible ?
18:37L'éradication du Hamas, non, l'éradication du Hezbollah, non, alors certes on peut éliminer,
18:46on peut réduire les capacités militaires, qu'est-ce qui manque actuellement dans la
18:51bande de Gaza ? C'est tout simplement que Sinoir se rende, or on voit bien que dans
18:56les conditions dans lesquelles il se trouve, il peut tenir encore longtemps, et puis c'est
19:00surtout la question qu'on a beaucoup évoquée, et qu'on évoque moins peut-être aujourd'hui,
19:04celle du jour d'après, c'est quoi ? Israël va réoccuper la bande de Gaza ? Non, est-ce
19:10que c'est l'autorité palestinienne à qui on va permettre de prendre les responsabilités
19:14? Non plus, ça veut dire que ce seront finalement des émissaires du Hamas qui vont s'occuper
19:19de l'ordre civil, etc. et donc on aura fait tout ça pour rien, et à cet égard c'est
19:24vrai que c'est une impasse, et quand on est dans une impasse, ce qu'on fait, c'est
19:30la fuite en avant vers le mur, et je voudrais ici rappeler que tous les premiers ministres
19:34en Israël qui ont fait une guerre au Liban, Menachem Begin en 82 et Oudolmert en 2006,
19:38ont payé cher de leur carrière politique, puisqu'elle a mis un terme, et à cet égard
19:42je dirais, si je puis dire, à Benjamin Netanyahou, attention, ce qui se passera au Liban s'il
19:47y a un front au Liban, ça ne se terminera pas comme ça s'est terminé dans la bande
19:51de Gaza, ce sera beaucoup plus difficile, quand bien même on a le sentiment en Israël
19:56que le Hezbollah, etc. La vraie question en fait, c'est quoi ? Vont-ils utiliser leurs
20:03missiles ? Leurs missiles sont là pour protéger le programme nucléaire iranien, ils ne sont
20:08pas là pour protéger le Liban et le Sud Liban.
20:10Et l'Iran, Anthony Samarani ? On n'a pas parlé de l'Iran, mais l'Iran, ils veulent
20:15quoi aujourd'hui ? Est-ce qu'on sait ce qu'ils veulent les Iraniens ?
20:19L'Iran est beaucoup plus à l'aise que le Hezbollah dans la posture de l'attente stratégique,
20:24dans l'idée de se dire, j'agis aujourd'hui et j'aurai des résultats dans 10 ans, dans
20:2915 ans, mais aussi parce qu'il est moins directement touché par le front, le Hezbollah
20:34est en première ligne.
20:36Est-ce que vous voyez, dernière question à tous les trois, une lueur d'espoir quelque
20:42part, ou le mot vous semble obscène ? Denis Charbi.
20:47Alors, déjà je dirais, parce que ça me touche beaucoup, mais il y a une lueur d'espoir
20:51qui s'est éteinte, c'est la disparition de l'écrivain libanais, le plus important,
20:55Elias Rouri, qui avait écrit « Les enfants du ghetto, je m'appelle Adam », alors
21:00qu'il avait fait toute sa carrière au sein de l'OLP, avait soutenu la cause palestinienne
21:04et qui à un moment s'était rendu compte qu'il faut dépasser ce stade-là et que
21:09cette voix ait disparu justement il y a deux jours, pour moi ça a été quelque chose
21:14qui m'a beaucoup troublé.
21:15Elias Rouri est traduit en hébreu, donc on connaît ses oeuvres, une partie en tout cas,
21:19alors la lueur d'espoir c'est une meurtrière, ça se rétrécit, mais je veux espérer et
21:27je veux croire qu'on s'engagera dans une voie de la reconstruction, ça devra passer
21:33par l'élimination politique de Benjamin Netanyahou, de nouvelles élections en Israël
21:38et la montée d'une autre force, et l'intervention des Américains, on n'en a pas parlé aujourd'hui,
21:43c'est l'heure aujourd'hui pour les Américains de montrer leur puissance et ce dont ils sont
21:47capables.
21:48Anthony Samrani, lueur d'espoir quelque part, meurtrière, dit Denis Charabia.
21:52Quasiment aucune, je pense qu'on a encore du mal à le réaliser, mais le monde a changé
21:59le 7 octobre dernier, il y a des nouvelles règles, peut-être même il y a une disparition
22:05de toutes les règles et je ne vois pas comment on peut bâtir quelque chose dans ce nouveau
22:10monde.
22:11Agnès Levallois, ce que je dirais simplement c'est que seuls les Américains aujourd'hui
22:14peuvent vraiment faire quelque chose, c'est à dire avec le poids qu'ils ont et surtout
22:19le fait que c'est eux qui livrent des munitions à l'armement à Israël, peuvent faire quelque
22:24chose et est-ce qu'ils peuvent accepter de remettre le droit international au cœur
22:28du jeu ? Parce que finalement, ce qui est vraiment mis à mal depuis maintenant des
22:33décennies dans cette région, c'est ce droit international qui est bafoué et donc
22:37est-ce qu'il y a cette volonté, et là il y aurait peut-être une lueur d'espoir,
22:40de remettre ce droit international au centre du jeu pour que chacun des acteurs le respecte
22:46et finir avec ces guerres qui sont des guerres sans fin et avec une population de tous les
22:51côtés qui paye un prix excessivement cher.
22:54Merci Agnès Levallois, vice-présidente de l'Institut de Recherche et d'Études
22:59Méditerranée Moyen-Orient, ce livre à paraître, le Livre noir de Gaza en librairie le 4 octobre
23:06aux éditions du Seuil, Denis Charbi merci, Israël donc, l'impossible est anormal,
23:12paru hier chez Calman Levy et merci également à Anthony Samrani, le co-rédacteur en chef
23:18du quotidien libanais francophone, l'Orient le jour, merci.

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