• il y a 2 mois
Camille Le Coz, chercheuse et directrice associée du centre de recherche Migration Policy Institute réagit aux mesures de durcissement aux frontières allemandes. Il s'agit d'un virage “inquiétant” pour “l’architecture européenne”, estime-t-elle.

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Transcription
00:00Il est 6h21, l'Allemagne verrouille ses frontières pour 6 mois, le pays généralise des contrôles.
00:13A partir d'aujourd'hui, un tour de vis qui va à l'encontre des règles de libre circulation
00:17dans l'espace Schengen et que vous allez nous expliquer Camille Lecauze.
00:20Bonjour.
00:21Bonjour.
00:22Vous êtes chercheuse, directrice associée du centre de recherche Migration Policy Institute,
00:27c'est un centre de recherche sur les politiques migratoires.
00:29Concrètement, qu'est-ce qui change à partir d'aujourd'hui ? Il y a un député
00:33allemand qui parle de contrôle intelligent.
00:35C'est quoi un contrôle intelligent ?
00:36Effectivement.
00:37Ce qui va se passer, c'est qu'il va y avoir des contrôles des personnes qui essaient
00:40de franchir ces frontières.
00:42Les autorités vont vérifier s'ils ont des documents d'identité valables.
00:46Et si ce n'est pas le cas, ils vont pouvoir leur refuser l'accès.
00:50Et ça a déjà été le cas parce qu'en fait, ces contrôles, on en parle beaucoup,
00:54mais depuis 2023 et même depuis 2015, il y en a un certain nombre aux frontières
00:57allemandes.
00:58Donc, refuser l'accès à des personnes qui n'ont pas les documents valables.
01:02Maintenant, si les personnes veulent demander l'asile, elles pourront continuer à le
01:06faire.
01:07C'est ce que j'allais dire.
01:08Ça ne va pas à l'encontre du droit d'asile, ça ?
01:09Théoriquement, l'Allemagne va devoir continuer d'enregistrer les demandes d'asile pour
01:12les personnes qui souhaitent le faire.
01:14Là où il y a une interrogation de la société civile allemande, c'est de savoir dans
01:20quelles conditions ça allait pouvoir être fait et si finalement, il n'allait pas pouvoir
01:23avoir quelques dérives et des refoulements à ces frontières.
01:26Oui, parce que sur quels critères vont se faire ces refoulements ou ces arrestations ?
01:29Est-ce que vous avez un document ? Est-ce que vous avez un visa ? Est-ce que vous pouvez
01:32passer la frontière ? Et donc, vraiment, pour les personnes, si elles disent qu'elles
01:37veulent déposer l'asile en Allemagne, il va falloir les enregistrer.
01:40Maintenant, si les autorités s'aperçoivent qu'elles sont passées par d'autres États
01:45membres, qu'elles ont déjà logé une demande d'asile dans un autre État membre, d'après
01:49les lois, d'après les règlements européens, elles vont devoir être renvoyées dans ces
01:54États-là.
01:55Mais on sait que ça prend du temps et donc, c'est aussi l'un des enjeux pour le gouvernement
01:59allemand de faire mieux fonctionner ce système de Dublin et c'est déjà l'objet de discussions
02:04en cours au sein de la coalition.
02:06Vous parlez des enjeux, justement, pourquoi l'Allemagne durcit-elle ainsi sa politique
02:08migratoire ? Parce qu'il n'y a pas que ça.
02:09Il y a aussi d'autres mesures qui ont été prises, la suppression des aides aux demandeurs
02:13d'asile qui sont entrées dans un autre État de l'Union Européenne avant d'aller en Allemagne.
02:16Il y a d'autres mesures comme ça.
02:18On ne va pas toutes les détailler, mais pourquoi ce tour de vis ?
02:20Effectivement, on a l'impression qu'il y a un effet de rattrapage en Allemagne par
02:24rapport à un discours qui se tient dans un certain nombre de pays voisins, en Autriche,
02:29au Danemark, aux Pays-Bas.
02:31En fait, il y a d'abord un contexte avec des pressions à la fois sur les services
02:37publics, sur l'accès au logement et ça fait des mois que les municipalités, les
02:41landers alertent sur cette situation.
02:44Et puis s'y ajoutent les faits divers, les attaques de ces derniers mois commises par
02:49des demandeurs d'asile et des réfugiés.
02:51Et puis ces élections dans ces deux landers, en Saxe et en Thuringe, où l'extrême droite
02:56a obtenu des gains très importants.
03:00Et on voit bien que pour le gouvernement allemand, on a ces élections.
03:03On a à la fois des élections dans un autre lander à la fin du mois et puis surtout des
03:08élections nationales à la fin de l'année prochaine.
03:12Et donc ce sentiment qu'il faut faire quelque chose, qu'il faut montrer qu'il y a de l'action
03:16sur ces contrôles migratoires et en jouant sur le terrain de la droite et de l'extrême
03:21droite, en adoptant cette rhétorique de contrôle des frontières.
03:24Pour l'Allemagne, c'est un virage à 180 degrés parce que c'est l'encontre totale
03:28de la politique d'accueil qui était menée par Angela Merkel.
03:30Effectivement, ce qui est inquiétant, c'est que même si pour l'instant, ces mesures,
03:35c'est des contrôles aux frontières, mais ça n'entrave pas, du moins ce que l'on
03:38en sait jusqu'à présent, l'accès aux droits d'asile.
03:41Ce qui est inquiétant, c'est qu'est-ce que ça signifie pour l'architecture européenne.
03:45Et on voit bien toutes les réactions qu'il y a depuis une semaine à ces annonces-là.
03:50On voit bien le poids de l'Allemagne.
03:52Le poids de l'Allemagne dans l'accueil en Europe.
03:53Il y a le Premier ministre polonais, Donald Tusk, qui dit que c'est carrément inacceptable.
03:57Oui, tout à fait, parce que l'Allemagne a joué un rôle clé dans l'accueil des
04:01réfugiés à travers l'Europe.
04:02On l'a vu au moment de la crise syrienne, mais aussi depuis le début de la crise ukrainienne.
04:07Un modèle, c'est ça ce que vous voulez dire ?
04:09Oui, un modèle évidemment avec des limites, mais l'Allemagne a beaucoup accueilli en
04:13termes de chiffres.
04:14D'abord, c'est près d'un quart des réfugiés ukrainiens, 1,2 millions de réfugiés ukrainiens
04:18depuis 2022.
04:19L'Allemagne reçoit aussi près du tiers des demandeurs d'asile en Europe.
04:23Et puis, chaque fois qu'il y a eu des dispositifs de solidarité, depuis 2015, ce dispositif
04:29de relocalisation, de transfert des demandeurs d'asile des pays de première entrée vers
04:33d'autres États membres.
04:34L'Allemagne a pris sa part.
04:35Et donc, si là, l'Allemagne envoie ces signaux qu'ils ne sont plus prêts à jouer
04:39la carte de la solidarité, effectivement, c'est inquiétant pour la suite.
04:43Est-ce que c'est conforme, j'imagine que oui, aux règles européennes ?
04:45L'Allemagne a le droit de rompre avec Schengen comme ça du jour au lendemain ?
04:48Oui, d'après les règles, mais pour une durée limitée.
04:51Voilà, et là, c'est six mois.
04:52Voilà.
04:53Et donc, là, je pense qu'il y a deux scénarios qui se dessinent.
04:56C'est un premier scénario où finalement tous les États se retranchent derrière leurs
05:02frontières.
05:03Il y a un espèce d'effet domino sur ces mesures.
05:06Ça valide, et on l'a vu dans les réactions des gouvernements aux Pays-Bas, en Hongrie,
05:12cette approche de contrôle des frontières.
05:14Mais ça peut aussi jouer le rôle d'un électrochoc, de montrer qu'il ne faut pas laisser tomber
05:20l'Allemagne.
05:21Et là, on le voit, il y a une nouvelle commission qui va se mettre en place.
05:25Est-ce qu'on peut avoir une forte réaction politique ?
05:27Un soutien ?
05:28Parce qu'on sait sur ces sujets-là, la dimension symbolique est éminemment importante.
05:34Et puis, un soutien opérationnel.
05:35Parce que l'Allemagne fait face aussi à une pression budgétaire très importante.
05:39Et donc, il y a des besoins pour soutenir ces landers, ces municipalités dans l'accueil.
05:44Et j'ajoute juste une dernière précision, la France l'a déjà fait aussi, de rétablir
05:48des contrôles, notamment après les attentats du 13 novembre 2015.
05:50Merci beaucoup Camille Lecauze, directrice associée du centre de recherche Migration
05:55Policy Institute.
05:56Vous étiez l'invité du 5-7.

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