"Michel Barnier a des atouts", mais "il doit construire sa légitimité", estime Dominique de Villepin

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L'ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin réagit à la nomination de Michel Barnier comme chef du gouvernement. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-12-septembre-2024-9633280

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00:00France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10.
00:06Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin dans le Grand Entretien, un ancien Premier
00:10Ministre, ancien Ministre des Affaires Étrangères, vos questions, amis auditeurs, amies auditrices
00:16au 01 45 24 7000 et sur franceinter.fr, Dominique de Villepin, bonjour, et merci d'être à
00:23ce micro, on a évidemment beaucoup de questions à vous poser sur l'actualité internationale,
00:28sur l'ordre du monde qui apparaît toujours plus instable et menaçant, les guerres en
00:33Ukraine et au Proche-Orient, la présidentielle américaine incertaine, sans parler du risque
00:39de décrochage économique de l'Europe mise en lumière par le rapport Draghi.
00:44Mais d'abord, la France, et un mot rétrospectif sur l'été que nous avons vécu, avez-vous
00:52ressenti, cet été précisément, renaître une forme de fierté française avec les Jeux
00:59Olympiques et Paralympiques, un pays qui se voyait déclassé, qui ne croyait plus en
01:04lui-même et qui a renoué tout simplement avec la joie ?
01:08Oui, oui, de ce point de vue-là, je crois que la France a donné une belle image au
01:13monde avec une organisation exceptionnelle et un enthousiasme dont les Français ont
01:21témoigné, qui nous a tous fait chaud au cœur, et c'est vrai pour les Jeux Olympiques,
01:26c'est vrai pour les Jeux Paralympiques qui ont été, jusqu'à la cérémonie finale,
01:32je pense extrêmement émouvants et qui ont contribué à changer le regard vis-à-vis
01:35du handicap.
01:36Donc, de ce point de vue-là, oui, c'est un rendez-vous et on se dit, c'est possible,
01:41et on aimerait que la politique suive, on aimerait que la politique soit à la hauteur,
01:45on aimerait qu'on ait des champions de saut en longueur et de saut en hauteur qui se qualifient
01:51pour la politique et qui nous permettent de relever le défi.
01:54Or, malheureusement, ce que nous voyons, rupture dans la continuité, continuité dans la rupture,
02:01n'est pas là pour nous rendre optimistes.
02:03Donc, il faut espérer que Michel Barnier va secouer un peu le cocotier et modifier
02:09un peu la donne.
02:10Alors justement, après plus de 50 jours sans Premier ministre, Emmanuel Macron a finalement
02:13nommé Michel Barnier à Matignon.
02:15Michel Barnier, vous connaissez bien, il vient de votre famille politique, il a été ministre
02:20sous Jacques Chirac et vous a succédé au ministère des Affaires étrangères quand
02:23vous êtes parti à l'intérieur.
02:24Quand vous êtes arrivé à Matignon, Premier ministre, il est parti vers l'Europe, il
02:29a quitté le gouvernement.
02:30Michel Barnier, vous semble-t-il l'homme qu'il faut, quand et où il faut, pour sortir
02:36le pays de l'impasse ?
02:37Il a des atouts, il a des atouts de savoir-faire, de négociateur et d'expérience.
02:43Mais si vous l'acceptez, j'aimerais souligner trois bizarreries qui font la nouveauté de
02:49la politique et qui permettraient de répondre à nos auditeurs qui s'interrogent sur cette
02:55nouvelle politique auquel nous assistons.
02:57Première bizarrerie, on a un Premier ministre qui arrive et qui est nommé, qui va déjeuner
03:02avec le Président de la République, qui assiste pendant trois heures et demie à une
03:06cérémonie par olympique, c'est très bien, qui va maintenant de journée parlementaire
03:10en journée parlementaire.
03:11On peut se dire, mais où est la mission ? Il s'installe, on est dans l'installation.
03:16Il arrive ?
03:18Oui, d'accord, mais on est dans un moment exceptionnel où les Français attendent des
03:22réponses.
03:23Pourquoi ? Pourquoi ça se passe comme ça ?
03:25Un, sa légitimité n'est pas donnée.
03:27Elle ne lui est pas donnée par le Président de la République qui l'a nommée mais qui
03:31ne lui confère aucune légitimité puisqu'il n'en a pas sur le plan de la majorité parlementaire.
03:35Elle ne lui est pas donnée par le Parlement, il doit donc la construire et il doit la chercher
03:40avec les mains.
03:41Deuxième bizarrerie, la démarche est inversée par rapport à ce qu'on connaît en politique.
03:45Normalement, un premier ministre qui arrive, issu d'une majorité, eh bien on connaît
03:50sa ligne politique, on sait ce qu'il va faire.
03:52Là, on a un premier ministre qui va composer un gouvernement et qui va solliciter des ministres
03:56sans qu'on sache la politique qu'il va mener.
03:58C'est-à-dire que vous êtes ministre, vous acceptez d'être membre de ce gouvernement
04:01et vous apprendrez trois semaines plus tard quelle est la politique qui va être menée
04:04dans votre secteur, en matière d'immigration par exemple.
04:06Et puis, vous avez une dernière chose, le rapport de force politique est complètement
04:10inversé.
04:11Il est inversé sur le plan politique, puisque c'est le cinquième parti arrivé dans l'ordre
04:17qui se retrouve le premier.
04:18C'est la parole évangélique, les premiers seront les derniers et les derniers seront
04:22les premiers.
04:23Mais ce n'est pas la parole politique habituelle.
04:26Et puis surtout, vous avez un rapport de force inversé sur le plan institutionnel.
04:30C'est-à-dire que là, le président a perdu une partie de ses prérogatives, c'est le
04:35gouvernement qui gouverne.
04:36Mais le gouvernement, le premier ministre, il est sous la menace du Parlement, des groupes
04:41parlementaires, des partis politiques et il est sous la menace même de ses ministres.
04:47C'est intéressant la remarque de Gérald Darmanin.
04:49Moi, je peux peut-être y aller dans ce gouvernement, mais j'ai mes lignes rouges.
04:54Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que pendant tout le mandat à Matignon de
04:58Michel Barnier, ses premiers ministres pourront lui dire tous les jours « Ah ben moi, si
05:01vous faites ça, je m'en vais ».
05:03En gros, vous nous expliquez qu'il n'a aucune chance quoi.
05:05Non.
05:06Là, je ne vois pas après le paysage que vous venez de décrire comment il peut avoir
05:10une chance.
05:11C'est-à-dire qu'il faut enfin dans la politique partir avec lucidité.
05:14Il faut faire ce constat.
05:15Et c'est en ça que je vous dis, il faut un esprit de mission.
05:17Et c'est pour ça qu'on a besoin d'une très forte clarification vis-à-vis du président
05:22de la République, qu'il incarne le gouvernement qui gouverne.
05:26C'est pour ça qu'on a besoin d'un choc de confiance.
05:29D'un choc de confiance qui passe par un premier ministre qui va montrer sa capacité
05:35à plus de justice, montrer sa capacité à plus d'ordre, montrer sa capacité à
05:40répondre aux problèmes des Français.
05:42Donc en gros, vous lui dites quoi ? Arrête de faire des tours de France avec les barons
05:46politiques.
05:47Concentre-toi sur ta mission.
05:49Réponds aux problèmes des Français.
05:51Sa légitimité, elle ne peut venir que des Français.
05:55Ce n'est pas la classe politique qui va le lui donner.
05:57Oui, mais sauf qu'ils ne sont pas d'accord les Français, puisqu'il y a trois blocs
05:59qui veulent des choses différentes.
06:01Il y en a qui veulent abroger la réforme des retraites, d'autres qui ne veulent surtout
06:03pas.
06:04Il y en a qui veulent augmenter le SMIC, d'autres surtout pas.
06:06Donc c'est quoi l'intérêt général ?
06:08Il y a des éléments qui dominent.
06:10Sur l'immigration, on n'est pas obligé de partir à l'emporte-pièce pour aller
06:14faire la politique de l'extrême droite.
06:15Il y a par exemple en matière diplomatique, un domaine que je connais bien, et de ce point
06:18de vue-là, la curiosité encore de l'époque, c'est Georgia Melanie qui nous montre l'exemple,
06:23on peut agir par la voie diplomatique.
06:24Ils ont baissé de 65% les arrivées.
06:28Comment ? En ouvrant des accords avec les pays d'origine.
06:31Et c'est là où ça se complique, parce que ça suppose peut-être qu'on retrouve
06:35la possibilité de parler avec l'Algérie.
06:37Il y a un certain nombre d'Algériens qui sont dans les centres de rétention administrative,
06:41tout simplement parce que nos relations sont exécrables avec l'Algérie, compte tenu
06:44de l'initiative prise par le président Macron.
06:46Ça suppose donc de faire de la politique et de prendre des initiatives.
06:52Et de ce point de vue-là, je crois, et c'est pour ça que je ne suis pas pessimiste, mais
06:56il faut mettre les choses sur la table.
06:58Il faut accepter de prendre les problèmes de front.
07:02Et il faut surtout mettre les Français de son côté.
07:05Les Français, ils ne comprennent rien à ce qui se passe.
07:07Parce qu'on ne leur explique rien.
07:08Ils sont tenus à l'écart.
07:10Cette nouvelle donne politique, vous les journalistes, la classe politique, doit leur expliquer les
07:14règles du jeu et la difficulté d'avancer.
07:17Pour pas qu'ils découvrent, gouvernement après gouvernement, qu'ils tomberont, que
07:21nous sommes dans un cul-de-sac et qu'ils se retourneront alors vers le président de
07:25la République.
07:26La démocratie, elle doit se faire in vivo, pas in vitro.
07:30D'autant plus que nous le savons, le Front républicain a gagné ces élections.
07:34Et le parti Les Républicains n'y a pas participé.
07:38Donc vous voyez bien qu'on est dans une situation ubuesque.
07:41Mais alors justement, dès juillet, vous avez appelé Emmanuel Macron à choisir le nouveau
07:44Front populaire et Lucie Castex pour gouverner, au nom de la tradition républicaine.
07:49Il ne l'a pas fait.
07:50Est-ce que ça reste une faute à vos yeux ? Emmanuel Macron qui avait justifié son
07:55refus au nom de la stabilité institutionnelle.
07:58Si Lucie Castex avait été nommée, il y avait d'immenses chances qu'elle soit renversée
08:03très vite.
08:04Ça n'aurait pas été viable.
08:05J'ai dit deux choses avant l'été.
08:07La première, c'est qu'il fallait faire les choses avec méthode et dans l'ordre.
08:11Et que c'est par hypothèses successives, qui ne se réaliseront peut-être pas, que
08:17nous parviendrons à créer les circonstances qui feront qu'un gouvernement peut-être
08:24de Front républicain ou d'Union nationale deviendra possible.
08:27Toute chose qui n'est pas possible au départ.
08:29Donc c'est cette méthode qui n'a pas été acceptée.
08:32Et le président de la République de ce point de vue-là a brouillé les cartes parce qu'il
08:34a fait deux exercices différents.
08:35Il a fait un exercice en chambre.
08:38C'est-à-dire, je suppose que si je demande à X, X ne parviendra pas à obtenir l'accord
08:43d'Y.
08:44Alors qu'on sait tous que dans la vraie vie, les choses se passent différemment.
08:47Michel Barnier, sur le papier, il a peut-être en apparence le soutien du Rassemblement
08:53national.
08:54Mais c'est une parfaite supposition.
08:55Parce que le Rassemblement national, à tout moment, peut dire « non, ça c'est une
08:57ligue rouge, je ne lui donne pas la confiance ». Donc le fait d'avoir fait de la
09:01politique en chambre et pas fait comme on devrait faire, c'est-à-dire pressentir
09:06un Premier ministre, lui permettre d'aller négocier lui-même, pas le Président, avec
09:11les groupes parlementaires, on a mélangé tout.
09:14Plat, entrée, dessert.
09:15Et le fait de se retrouver avec un déjeuner sans saveur et totalement indigeste, le président
09:21de la République en a une part de responsabilité.
09:24Et la gauche, elle ne s'est pas enfermée à vos yeux dans une position maximaliste
09:27avec la ligne « mon programme, rien que mon programme, que mon programme » et puis
09:32sans discuter avec les autres.
09:33C'est nous qui devons gouverner, comme s'ils avaient la majorité absolue alors qu'il
09:36manquait 100 députés.
09:37Mais je trouve extraordinaire ce que vous dites, parce qu'effectivement, on peut cautionner
09:42cette remarque.
09:43Mais la vérité, c'est quoi ? C'est que la politique, ça se fait en marchant.
09:46Oui, la gauche, elle est frappée d'un mal que l'on connaît tous, qui est l'idéologie.
09:51Et pour en sortir, il faut la confronter aux réalités.
09:54Et qu'est-ce qu'aurait dû faire le Président de la République ? Qu'est-ce que doit faire
09:56aujourd'hui Michel Barnier ? Ouvrir les portes et les fenêtres.
09:59Et dire quoi ? Vous voulez le chaos ? Vous voulez que la France s'effondre ? Aujourd'hui,
10:02nous n'avons plus de voix sur la scène internationale.
10:05On a l'Ukraine qui est en train de s'accélérer et de se dégrader.
10:07On a Gaza qui est sans doute le plus grand scandale historique, je n'ose pas même
10:13trouver de référence, et dont plus personne ne parle dans ce pays.
10:16C'est le silence, la chatte de plomb.
10:17Les médias n'en parlent plus.
10:19Je suis obligé de googler pour trouver une brève qui me donne des nouvelles du nombre
10:22de morts qui se passent à Gaza.
10:24C'est un véritable scandale sur le plan de la démocratie.
10:27Et tout cela au nom de quoi ? Au nom de la guerre.
10:29Ah c'est la guerre.
10:30C'est la guerre, c'est comme ça.
10:31Je veux bien.
10:32Mais ce n'est pas une guerre tout à fait comme les autres à Gaza.
10:36Puisque ce sont des populations civiles qui meurent.
10:38Donc on est en absurdi.
10:40Et la France s'efface.
10:42C'est la France qui est en train de payer l'addition.
10:44Et ça, moi, je ne peux pas l'accepter.
10:46On va y venir.
10:47Il y a une question sur Gaza dans un instant, mais juste pour terminer, Clore, à vos yeux,
10:52est-ce que la gauche a perdu la séquence ?
10:53Mais nous perdons tous la séquence.
10:56Vous êtes extraordinaire.
10:57Pourquoi aller distribuer des points et des mauvais points ? Comme si on était là à
11:01tester l'audimat pour savoir qui a gagné et qui a perdu.
11:04Nous sommes tous en train de perdre, Madame Lea Salamé.
11:07Tous.
11:08Collectivement.
11:09Sauf Michel Barnier.
11:10Mais Michel Barnier, vous croyez qu'il se lève le matin avec le sentiment de la réussite.
11:15Oui, il pourra dire qu'il a fait une ligne sur son CV.
11:17Mais non, ce n'est pas que ça.
11:19Il faut espérer pour lui qu'il puisse faire quelque chose.
11:23Pour le moment, il arrive de la chasse.
11:26Bredouille.
11:27À part avoir réussi à harpener, c'est pas rien, LR qui a été solidement bunkerisé.
11:32Regardez comment LR est sorti de son bunker.
11:35LR avait dit « jamais je ne participerai ». Et là, tout à coup, on a M.
11:39Wauquiez qui est intéressé par l'idée de devenir ministre de l'Intérieur, ce
11:42qui montre à quel point le syndrome de l'époque précédente, le ministère de l'Intérieur,
11:46on pense que c'est le plus grand strapontin pour devenir président de la République.
11:49À droite.
11:50Vous voyez donc quoi ? On se trompe peut-être.
11:51Ça a marché dans un cas.
11:53Ça a marché dans un cas.
11:54Oui, mais l'histoire fait qu'en général, ça ne se répète pas.
11:58Les Français apprennent aussi de l'histoire et des erreurs qu'ils ont pu commettre.
12:01Donc, de ce point de vue-là, je crois que nous devons collectivement, et pas chercher
12:06à montrer du doigt X ou Y, aujourd'hui nous sommes visiblement dans un temps où
12:10on veut régler des comptes à son avantage.
12:12Ce n'est pas le moment de régler des comptes, ce n'est pas le moment de donner des bons
12:14points à X ou à Y, c'est le moment collectivement de nous retrousser les manches et je pense
12:20que c'est un temps où on a besoin d'engagement collectif, de la classe politique, de tout
12:24le monde et de dignité.
12:26Parce que très honnêtement, le spectacle que nous donnons aux Français est un spectacle
12:30triste.
12:31On avance sur le déficit public qui atteint 5,6% du PIB en 2024, peut-être 6,2% en 2025
12:43si la politique budgétaire reste inchangée.
12:45Ça, c'est selon une note du Trésor de Juillet.
12:49Qui vous paraît responsable de la situation, Dominique de Villepin ? Lundi, devant les
12:54parlementaires, Bruno Le Maire, pointé du doigt, s'est justifié de cette manière.
12:59Tous ici, tous, pendant la crise du Covid, pendant la crise de l'inflation, vous m'avez
13:04demandé de dépenser beaucoup plus, tous, sans exception.
13:08Vous ne pouvez pas, pendant trois ans, tympaniser le ministre des Finances, puis revenir deux
13:14ans plus tard en disant « mais vous n'avez pas suffisamment bien tenu les comptes ».
13:19Voilà pour la défense de Bruno Le Maire.
13:21Qu'en pensez-vous ?
13:22Et rappelons que Bruno Le Maire a demandé une loi de finances rectificative il y a plusieurs
13:27mois qui lui a été refusée par le Président.
13:29Donc là aussi, la responsabilité, oui, c'est celle de l'ensemble de la classe politique,
13:34j'allais dire de tout le pays, puisque tout le monde a poussé du coté du « quoi qu'il
13:37en coûte », et nous savions qu'à la fin, nous étentions non seulement de vivre
13:40à crédit, mais de creuser un trou.
13:42J'ai été le premier ministre qui, le premier, pour la première fois, s'est chargé d'essayer
13:48de faire baisser la dette.
13:49Ce à quoi nous sommes arrivés en valeur relative, nous avons fait baisser la dette,
13:53arrivé à 64%, nous avons baissé les déficits en dessous de 3%, donc je le sais, c'est
13:59possible.
14:00Nous avons créé à l'époque une conférence des finances publiques, c'est possible de
14:03le faire.
14:04Il y a eu, dans ce pays, à un moment donné, le sentiment que l'argent était à disposition
14:10et qu'on pouvait distribuer cet argent.
14:11Je pense que le Président de la République a une responsabilité particulière.
14:15Et le Président de la République, il s'est dit « je fais cela parce qu'il faut essayer
14:21de maintenir la croissance ».
14:22Parce qu'il y a le Covid ?
14:23Parce qu'il y a le Covid, parce qu'il ne faut pas tuer la croissance, et puis je
14:27vais me refaire.
14:28Le malheur de la politique, c'est que quand les choses vont mal, il ne faut jamais écarter
14:33qu'elles puissent aller encore plus mal après et que l'on ait à payer l'addition
14:38de ce que l'on a décidé.
14:39Il n'y a pas que la situation économique en France qui ne va pas bien, il y a celle
14:42de l'Europe.
14:43Dans un rapport alarmiste, Mario Draghi, l'ancien Président de la BCE, s'inquiète du décrochage
14:47de l'Europe par rapport aux Etats-Unis et par rapport à la Chine qui ne cesse de monter
14:50en puissance.
14:51Il estime que l'économie européenne est condamnée à l'agonie si elle ne change pas
14:55et il appelle les pays européens à s'endetter ensemble pour faire un grand plan d'investissement
14:59de 800 milliards d'euros et investir, investir dans la recherche, investir au maximum, sinon
15:05on est mort, dit-il.
15:06Le double constat de Mario Draghi et d'Enrico Letta est parfaitement juste.
15:10Nous avons depuis 2007, depuis la fin de Jacques Chirac, perdu les deux tiers de notre richesse
15:16en Europe par rapport aux Etats-Unis.
15:18Donc nous sommes dans une situation absolument dramatique et on voit bien qu'on ne peut
15:23pas se mettre en jachère, on ne peut pas être en vacances ou baisser les bras dans
15:29cette période-là parce que tout s'accélère et que la place de l'Europe, la place de
15:33la France est en train d'être jouée.
15:34Nous sommes en hémorragie, nous sommes hémorragiques.
15:37À partir de là, il faut nous soigner, prendre des décisions, c'est absolument indispensable.
15:41Mais nous voyons qu'il y a, entre la France et l'Allemagne, l'Allemagne est considérablement
15:46fragilisée, son modèle économique est à revoir complètement, nous sommes divisés
15:51et fragilisés, notre modèle social est à repenser.
15:53Dans ce contexte-là, l'Europe n'a pas les moyens d'avancer de façon déterminée
15:59et c'est pour cela qu'on n'entend plus la France sur aucun sujet.
16:04Nous ne sommes plus présents sur l'Ukraine, nous ne sommes plus présents sur le Proche-Orient,
16:08nous ne sommes pas présents sur les grands enjeux entre la Chine et les Etats-Unis à
16:12un moment où les Etats-Unis peuvent basculer dans toute autre chose et véritablement peser
16:19sur la scène internationale.
16:21L'élection américaine ?
16:22Question simple, craignez-vous le retour de Trump à la Maison-Blanche après le débat
16:26Trump-Paris ?
16:27Je crains surtout l'accumulation des dysfonctionnements dans une Amérique qui a profondément changé
16:34et aujourd'hui on veut continuer à avoir l'Amérique telle qu'elle était.
16:37L'Amérique est dysfonctionnelle sur le plan de sa société.
16:41La société américaine est complètement montée l'une contre l'autre et on voit
16:46en permanence tous les sujets la diviser, la discrimination positive, l'avortement,
16:50c'est une véritable tension qui règle dans cette société.
16:52La démocratie américaine est aussi profondément divisée.
16:56On voit que Elon Musk sur Twitter, là encore, domination financière sur le système démocratique
17:03américain peut peser complètement avec ses moyens dans le sens d'un candidat comme
17:08Donald Trump.
17:09On voit bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
17:10Mais l'Amérique est aussi dysfonctionnelle sur le plan de sa puissance internationale.
17:14Elle est toujours en retard d'une bataille sur l'Ukraine, elle ne fait pas ce qu'elle
17:18devrait faire sur le Proche-Orient et sur Gaza vis-à-vis du gouvernement de Benjamin
17:22Netanyahou.
17:23Elle est donc à la remorque.
17:24Et nous, Européens, qui sommes en train de nous diviser, nous ne prenons pas les mesures
17:28pour prendre notre destin en main.
17:29Alors on continue avec notre sirop d'orgeat à nous gargariser « tout va bien ». Non,
17:35tout ne va pas bien.
17:36Tout fout le camp.
17:37Le Proche-Orient, la guerre a fait des dizaines de milliers de morts à Gaza, le ministère
17:41de la Santé du Hamas parle de plus de 40 000 morts, l'enclavé plongé dans un désastre
17:46humanitaire et sanitaire.
17:47J'entends ça en permanence, il n'y a pas que le ministère de la Santé du Hamas qui
17:52dit qu'il y a 40 000 morts, il y en a invraisemblablement beaucoup plus, beaucoup plus.
17:56Donc de ce point de vue-là, ne donnons pas le sentiment que ce serait un chiffre comme
18:00cela tronqué.
18:01Non, c'est malheureusement une réalité de tous les jours.
18:05À Gaza, les corps sont en morceaux, les cœurs sont en morceaux, les âmes sont en morceaux,
18:10les têtes sont en morceaux.
18:12Et l'idée de reconstruire tout cela, alors qu'il n'y a aucune perspective, il faut
18:17quand même voir qu'Israël est en train de créer les conditions d'une réoccupation
18:20de Gaza.
18:22Que ce soit dans la ligne sud, que ce soit dans la ligne qui coupe au milieu, l'Israël
18:27a repris possession de Gaza, la création d'un périmètre autour.
18:30Gaza est complètement assiégée.
18:33Et donc, à un moment où la Cisjordanie elle-même est en train de se décomposer, on le voit
18:37dans le nord de la Cisjordanie et dans le sud de la Cisjordanie, nous sommes devant
18:41une véritable cocotte minute.
18:43Que faire ? Que faire ? Qu'est-ce que la France doit faire à vos yeux ? Qu'est-ce
18:47que l'Union Européenne doit faire ? Les États-Unis, puisque les appels au cessez-le-feu, vous
18:50le voyez depuis des semaines, ça ne marche pas.
18:53Mais que faire ? Nous avons des leviers.
18:56Nous avons des leviers en matière d'armement, nous avons des leviers en matière économique.
18:59Nous continuons à accepter de commercer avec un certain nombre de territoires où la colonisation
19:05israélienne est active, mais nous refusons de le faire sous des arguments qui sont absolument
19:13inouïs sur le plan culturel et intellectuel.
19:15Il faut laisser Israël mener sa guerre jusqu'au bout.
19:19Mais quel bout ? Yoav Galant, le ministre de la Défense israélien, dit que le Hamas
19:26a été éradiqué à Gaza.
19:29C'est quoi le bout ? Et c'est le même problème en Ukraine et à Gaza.
19:34Nous n'avons pas d'objectif politique.
19:36Israël n'a pas d'objectif politique.
19:38Et quand vous n'avez pas d'objectif politique, la seule chose que vous savez faire, c'est
19:41la guerre.
19:42En Ukraine, nous n'avons pas donné les moyens à l'Ukraine d'atteindre des objectifs
19:48et nous ne connaissons pas véritablement ces objectifs.
19:51C'est pour ça qu'aujourd'hui, tout le monde recommence à parler de paix et nous
19:53sommes malheureusement exclus de ces discussions.
19:56Nous avons vu le secrétaire d'État américain avec le ministre des Affaires étrangères
20:01britanniques.
20:02Où est le ministre français ? Où est la France ? Elle n'est pas là.
20:04De la même façon, à Gaza, il n'y a pas d'objectif politique de la part d'Israël.
20:09Il y a un objectif sécuritaire, il y a un objectif identitaire, il y a une folie messianique
20:15et ça explique la catastrophe qui nous est donnée à voir.
20:18Le monde regarde tout cela et le monde en tire les conclusions.
20:22Et c'est en cela que nous, Français, nous, Européens, nous, Occidentaux, nous sommes
20:28aujourd'hui pointés du doigt par un deux poids deux mesures qui ne poudra être sauvé
20:33que par le droit international, que par le retour de la justice.
20:36Nous aurons à payer, comptant en termes d'efforts et de légitimité, notre droit à reparler
20:45et redonner des conseils en matière internationale.
20:47Il faudra donner des preuves.
20:48Dominique de Villepin, si Michel Barnier vous appelle pour être ministre des Affaires étrangères,
20:52vous y allez ?
20:53J'ai déjà répondu.
20:54Ministre des Affaires étrangères, je l'ai été dans un temps où on pouvait être un
21:00ministre des Affaires étrangères et j'étais la pointe avancée de la politique étrangère
21:05de la France à ce moment-là et j'avais carte blanche absolue de la part du président
21:09Chirac.
21:10Si M.
21:11Chirac m'appelle et me dit « j'ai besoin de quelques conseils », ce qu'il n'a
21:15jamais fait, je serais ravi de les lui donner.
21:17Mais malheureusement, aujourd'hui, le contexte, le logiciel présidentiel est un logiciel
21:24dépassé par rapport aux relations internationales.
21:26Aujourd'hui, il ne comprend pas ce qui est en train de se passer et la Start-up Nation
21:32restera un grand rêve mais malheureusement sans application pratique dans la vie internationale.
21:37NICOLAS ROCHEFORT « Dominique Devillepin, merci d'avoir été au micro d'Inter ce matin. »

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