• il y a 11 mois
L'ancien Premier ministre Dominique de Villepin est l'invité du Grand Entretien de France Inter. Il évoque cette année d'élections partout dans le monde, la situation à Gaza, la guerre en Ukraine... Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-15-janvier-2024-1394926

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00:00 Avec Léa Salamé, nous recevons ce matin dans le Grand Entretien un ancien Premier ministre,
00:04 ancien ministre des Affaires étrangères.
00:07 Vos questions et réactions au 01-45-24-7000 et sur l'application de France Inter.
00:13 Dominique de Villepin, bonjour.
00:15 - Bonjour.
00:15 - Et bienvenue à ce micro. Beaucoup de questions à vous poser ce matin sur le conflit au Proche-Orient,
00:20 la guerre en Ukraine, la victoire des indépendantistes à Taïwan,
00:24 sur la politique française aussi et le remaniement.
00:27 Mais d'abord une question d'ensemble. L'année 2024, vous le savez,
00:32 battra le record du nombre d'élections organisées à travers le monde avec 76 scrutins
00:39 et 4 milliards de personnes appelées aux urnes.
00:43 L'élection américaine évidemment, les élections européennes,
00:46 mais aussi l'Inde, la Russie, l'Algérie, le Venezuela et la liste est longue.
00:51 On pourrait se dire que 2024 sera donc la grande année de la démocratie,
00:57 mais en même temps, la montée des populismes ne menace-t-elle pas précisément la démocratie ?
01:04 - C'est sûr, d'autant que le populisme se nourrit de fausses promesses et de surenchères.
01:10 Et dans des périodes de crise, dans des périodes de conflits, de guerres,
01:14 c'est évidemment la tentation, la fuite en avant.
01:18 Donc il faut à nos démocraties encore plus de courage, encore plus de vérité,
01:24 encore plus de pédagogie pour permettre au peuple que nous servons de comprendre les enjeux,
01:32 de comprendre l'importance de tenir bon face à ces populismes
01:37 et ne pas céder à cette tentation de la fuite en avant qui gagne un peu partout malheureusement.
01:41 - Et avant tout aux Etats-Unis, c'est le coup d'envoi aujourd'hui des primaires républicaines dans l'Iowa.
01:47 Pensez-vous que le grand moment de l'année, le plus important au fond,
01:50 ce sera le 5 novembre prochain, date de l'élection américaine,
01:53 et du retour potentiel au pouvoir, si on en croit les sondages, de Donald Trump.
01:57 Qu'est-ce qui peut encore arrêter Donald Trump ?
02:01 - Les dégâts de la situation américaine, ils sont en grande partie déjà devant nous.
02:09 On le voit partout, cette élection et l'anticipation d'une victoire de Donald Trump
02:14 pèsent sur le monde très lourdement. On le voit dans les anticipations de Vladimir Poutine.
02:19 On le voit dans les anticipations de Benjamin Netanyahou.
02:22 - Qui attendent que ça. - Mais qui n'attendent que ça, qui ne souhaitent que ça.
02:26 Et Joe Biden doit y compris lutter contre ces anticipations
02:30 qui contrarient sa stratégie et sa propre politique.
02:34 Donc cela pèse lourd. Et puis surtout, c'est l'exemple même,
02:37 aujourd'hui, d'une démocratie dysfonctionnelle.
02:40 Le plus grand pays, la plus grande et la plus active démocratie, la plus riche, la plus puissante,
02:46 ce n'est pas un très bel exemple à donner au monde
02:49 et ce n'est pas la meilleure arme face aux autocraties.
02:55 Donc l'exigence pour l'Europe est encore plus forte.
02:59 Le combat des européennes est encore plus symbolique.
03:03 Et la nécessité pour nos gouvernements de trouver une forme d'exemplarité
03:07 dans le combat à mener, de vérité, par rapport au peuple, est encore plus grande.
03:11 Les européennes sont déterminantes pour vous face aux instabilités du monde.
03:16 Oui, nous sommes aujourd'hui déjà dans la politique française, dans l'avant européenne.
03:22 Et en grande partie, ce remaniement, c'est la mise en ordre de bataille d'un gouvernement plus jeune,
03:29 peut-être plus audacieux, pour faire face à l'alignement du Rassemblement national
03:35 avec Jordan Bardella et Marine Le Pen.
03:39 Donc là, il y a déjà une mise en ordre de combat, encore faut-il,
03:43 parce que les conditions de la politique n'ont pas changé.
03:46 Il n'y a toujours pas de majorité parlementaire.
03:49 Il n'y a pas non plus un cap et un axe très clair.
03:52 Peut-être que le président de la République, demain, nous précisera davantage quels sont les objectifs.
03:58 Donc aujourd'hui, oui, les fausses promesses, les sur-enchères pèsent plus lourd que la réalité politique.
04:04 Puisque vous parlez de la politique française, Emmanuel Macron a dit à ses ministres
04:06 « Votre mission est d'éviter le grand effacement de la France face au défi d'un monde en proie au tumulte ».
04:12 C'est le bon objectif ? C'est la bonne feuille de route ?
04:14 Oui, sachant que d'ores et déjà, au-delà de la perspective et du risque d'un effacement,
04:20 il y a un brouillage de la parole et de l'action de la France.
04:23 Que ce soit sur l'Ukraine, que ce soit sur le Proche-Orient, que ce soit sur les grands enjeux de la planète,
04:29 on ne connaît pas bien ou pas précisément les contours de la diplomatie française.
04:34 Ce sera le grand défi pour notre nouveau ministre, monsieur Séjourné.
04:39 Et il y a la nécessité de faire de la parole de la France, de redonner à la parole de la France toute sa place.
04:45 Et de retrouver la vocation de la diplomatie française, qui n'est pas d'être derrière, mais devant, d'ouvrir des chemins.
04:52 Et on voit bien à quel point on a besoin d'un nouvel horizon, que ce soit en Ukraine, que ce soit au Proche-Orient ou ailleurs.
04:58 La diplomatie française, vous ne l'entendez pas depuis quelques années sur l'Ukraine, sur le Proche-Orient ?
05:05 Elle s'est en grande partie brouillée. En disant tout et son contraire.
05:10 Elle a donc besoin aujourd'hui de retrouver des repères, de retrouver des principes,
05:14 de retrouver une force et une crédibilité, d'avoir des alliés, des points d'appui et de marquer des points.
05:21 Une diplomatie qui n'a pas de succès, c'est une diplomatie qui s'efface, effectivement.
05:25 Nous avons besoin de succès.
05:27 Après deux ans du début de l'invasion russe en Ukraine, et alors que, vous le savez, un déluge de feu ne cesse de s'abattre sur les Ukrainiens,
05:34 pensez-vous qu'il faut soutenir plus vite, plus fort les Ukrainiens ou commencer à envisager le spectre de la défaite ?
05:41 L'UE avait promis un million d'obus aux Ukrainiens, seuls 300 000 ont été livrés.
05:47 Ça veut dire quoi selon vous ? Que notre aide aux Ukrainiens faiblit ? Ça dit quoi plus profondément de l'Union Européenne ?
05:53 Je l'ai dit à votre micro depuis le début de cette crise, nous avons le sentiment d'avoir tout fait bien.
05:59 Nous avons le sentiment d'avoir mobilisé les moyens, maintenu l'unité de l'Europe et l'unité de l'Occident face à l'Ukraine en lui apportant notre soutien.
06:09 Quand on regarde les choses en face, nous n'avons pas précisé nos objectifs.
06:14 Nous n'avons pas donné à l'Ukraine les moyens en tant voulu de réaliser de quelconques objectifs, d'où l'échec de la dernière offensive,
06:22 et nous n'avons jamais inscrit notre action dans un calendrier.
06:25 Aujourd'hui le calendrier, il est le même pour tous, c'est celui des élections américaines.
06:29 Il faut que d'ici à novembre, l'Ukraine ait pu reprendre l'offensive et se placer en place.
06:34 Mais comment sans les armes ?
06:36 Justement, il faut faire en sorte que les moyens nécessaires à l'objectif que se fixera l'Ukraine et en liaison avec les pays européens et les Etats-Unis soient donnés.
06:49 Mais il faut parallèlement que nous tenions dans un calendrier, c'est-à-dire avant le mois de novembre,
06:53 puisque nous savons tous qu'après le mois de novembre, tout peut littéralement changer, y compris le jeu des alliances américains.
07:00 Donc il est fondamental d'aligner des moyens sur des objectifs.
07:07 Aujourd'hui on le sent bien, cette guerre est en train de basculer, y compris en termes de théâtre, en termes de géographie,
07:12 avec plus d'accent sur la mer Noire, plus d'accent sur la Crimée,
07:15 puisque c'est la seule façon d'enfoncer un coin rapidement vis-à-vis de la Russie.
07:20 Ce qui inquiète les Etats-Unis, qui mettent encore un peu plus la pédale sur le frein,
07:24 car ils ne veulent en aucun cas d'un effondrement de la Russie qui serait sans doute pour eux encore plus catastrophique, avec un chaos améfiable.
07:32 Alors qu'est-ce que peut faire l'Europe ? Que peuvent faire les Américains dans un compte à rebours qui va très très vite,
07:39 c'est-à-dire en dix mois à peine, puisque le 5 novembre prochain, peut-être que tout ça est terminé, tout ça est caduque.
07:45 Qu'est-ce qu'ils peuvent faire avec une Ukraine qui n'a pas assez d'armes, et qui se bat depuis deux ans, et au prix de sa vie, les gens meurent.
07:52 La première chose à faire, c'est une résolution à agir, quelle que soit l'évolution des Etats-Unis, et quelle que soit la position américaine.
07:58 La deuxième chose, c'est une programmation, il faut se donner les moyens.
08:01 La Russie a mis en place très rapidement une économie de guerre, nous ne l'avons toujours pas fait.
08:06 Donc il faut mettre en place... Alors, le ministre français a, hier et avant-hier, en Ukraine, soutenu l'idée d'une coopération en matière de défense directe avec les Ukrainiens.
08:17 C'est une bonne idée, que d'accroître cette coopération directe pour permettre la fabrication d'armement.
08:22 - Ça veut dire quoi en français, une coopération directe ?
08:24 - Ça veut dire que nos industriels pourraient directement travailler à une programmation sur les besoins qui sont ceux de l'Ukraine.
08:31 Donc c'est travailler sur la livraison de matériel nécessaire à l'Ukraine, de façon beaucoup plus coordonnée, beaucoup plus soutenue.
08:39 Je pense qu'il faut le faire à l'échelle de l'Europe, et à partir de là, effectivement, mieux définir les objectifs que l'on veut obtenir.
08:46 - Et pensez-vous qu'il faille envisager de négocier avec Vladimir Poutine, ou c'est hors de question, Dominique de Villepin ?
08:53 - Mais cette négociation, justement, elle peut s'imposer à tout moment compte tenu de l'évolution américaine.
08:59 Et il faut donc partir de l'idée que nous devons placer l'Ukraine en position de force.
09:04 Cette négociation, tôt ou tard, soit du fait de l'Ukraine, soit du fait de la Russie, elle sera nécessaire.
09:10 Mais faisons en sorte que l'Ukraine ne l'aborde pas sur la défensive, ne l'aborde pas en position de faiblesse,
09:16 et puisse véritablement défendre ce qu'est sa souveraineté.
09:20 - Avant d'arriver à la question du Proche-Orient, parce qu'il y a beaucoup à en dire, un mot sur Taïwan.
09:25 C'est donc l'indépendantiste William Lai qui a remporté l'élection. Il se définit comme un artisan pragmatique de l'indépendance de Taïwan.
09:31 Le résultat du scrutin a suscité les foudres de Pékin, qui a annoncé dès samedi soir, je cite,
09:35 que le vote n'entravera pas la tendance inévitable d'une réunification avec la Chine.
09:39 Taïwan n'a jamais été un pays et ne le sera jamais.
09:42 Va y avoir une guerre, Dominique de Villepin ? La question c'est quand ?
09:46 - Je ne crois pas qu'aujourd'hui la question se pose en ces termes.
09:50 Et en tout cas, nous ne devons jamais renoncer à une solution pacifique dans cette région.
09:58 Le Parti démocrate progressiste a fait 17 points de moins que la dernière fois, mais il est réélu pour la troisième fois.
10:04 Donc c'est un succès pour ce parti, avec un candidat, l'ancien vice-président,
10:09 qui est plus déterminé, voire selon la terminologie chinoise, plus agressif que sa prédécesseur.
10:17 Donc il faut que tout ça se mette en place avec une logique qui est celle qui est partagée par tous,
10:22 qui est celle du statut quo.
10:23 Donc partant de cette exigence du statut quo, faisons en sorte que les choses se passent dans les meilleures conditions possibles.
10:29 - Venons-en maintenant au Proche-Orient.
10:31 100 jours hier que la guerre a commencé entre Israël et le Hamas, après les attaques terroristes du 7 octobre à Gaza.
10:38 Le Hamas donne un nouveau bilan de près de 24 000 morts palestiniens.
10:43 Est-ce le moment de dire à Israël, Dominique de Villepin, il faut un cessez-le-feu maintenant ?
10:48 Ou pensez-vous qu'Israël ne peut pas encore l'entendre ?
10:52 - Manifestement, et on a tous entendu Benjamin Netanyahou ces jours derniers, Israël ne veut pas l'entendre.
10:59 Et pourtant la situation humanitaire est tous les jours plus tragique, avec la menace d'une famine,
11:06 avec une situation qui est à ce point dégradée que la mort continue de régner sur Gaza.
11:17 Et on voit bien à quel point les bombardements continuent.
11:21 Tous ces jours derniers, il y avait jusqu'à il y a quelques jours en moyenne 137 camions chaque jour
11:27 par rapport à 500 dans la période d'avant, le 7 octobre.
11:31 On nous promet 400 camions par jour, ce qui serait encore très insuffisant.
11:34 Donc là, il y a véritablement un enjeu humanitaire absolument majeur.
11:38 Cette réalité tragique, elle nous oblige à poser la question du pourquoi.
11:43 Est-ce qu'Israël, pendant ces 100 jours, après l'horreur du 7 octobre qu'a vécue Israël,
11:48 qui a littéralement sidéré, bouleversé, traumatisé le peuple israélien,
11:53 est-ce qu'Israël a obtenu le gouvernement israélien ? Est-ce qu'il a obtenu ses objectifs ?
11:59 Est-ce qu'il a réussi à atteindre ses objectifs ?
12:01 Manifestement, l'éradication du Hamas n'est pas atteinte.
12:05 Les derniers rapports américains soulignent que le Hamas garde une capacité militaire
12:10 et que politiquement, cet objectif d'éradication n'a pas de sens.
12:15 Mais la stratégie israélienne est de répondre "on ne s'arrêtera pas tant qu'on n'aura pas tué
12:18 tous les membres dirigeants du Hamas, on ira les chercher les uns après les autres,
12:22 sinon on ne sauvera pas, on ne vivra jamais en sécurité". C'est ça qu'ils disent.
12:26 Oui, mais il faut rappeler aux israéliens cette vérité que d'ores et déjà le monde entier connaît.
12:32 C'est qu'il n'y a pas de sécurité absolue et compte tenu du fait qu'il n'y aura pas d'éradication du Hamas,
12:40 l'objectif poursuivi par Israël est un objectif sans fin.
12:44 C'est un objectif qui a du sens pour le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou,
12:48 qui veut se survivre à lui-même et éviter d'avoir des comptes à rendre.
12:51 Donc de ce point de vue-là, la logique pour Benjamin Netanyahou est absolue.
12:55 Pour Israël, la situation est de plus en plus catastrophique et il faut la regarder en face.
12:59 Israël est de plus en plus isolé sur la scène internationale et violemment critiqué.
13:05 Deuxièmement, l'unité des pays arabes se fait aujourd'hui sur la ligne inverse
13:09 de celle souhaitée par le gouvernement israélien.
13:12 C'est qu'il y a un accord qui se fait autour de l'idée de la question palestinienne,
13:17 d'un État palestinien, et y compris au sein des pays occidentaux, des pays européens.
13:22 Cette réalité-là, elle s'accompagne d'un vide croissant à Gaza.
13:27 Est-ce que la vie sera encore possible demain à Gaza ?
13:31 Ça c'est une responsabilité directe qui pèse sur Israël.
13:34 Vous parlez des États arabes, Dominique de Villepin, que vous connaissez bien,
13:37 les États arabes, vous les entendez parler ? Parce que moi je ne les entends pas trop.
13:41 Vous les entendez contredire ce que fait Israël ?
13:45 Ou est-ce qu'il n'y a pas une grande hypocrisie de ce côté-là ?
13:47 Nous connaissons tous les arrières-pensées des gouvernements arabes.
13:49 Ou ils espèrent peut-être qu'Israël fasse le travail contre le Hamas.
13:52 Nous connaissons tous les arrières-pensées des gouvernements arabes.
13:56 Nous voyons néanmoins une évolution, y compris dans leurs discours,
14:00 et dans les discours tenus à Antony Blinken lors de ses quatre tournées successives dans cette région.
14:06 On voit bien qu'il y a une évolution, et on voit bien aujourd'hui qu'il n'y a pas d'alternative à la création d'un État palestinien.
14:11 Au moment même où pour la majorité, l'immense majorité des Israéliens,
14:15 l'idée de cohabiter avec des palestiniens devient de plus en plus difficile.
14:19 Donc se pose la question, aujourd'hui, au-delà de l'action humanitaire directe, de l'après-Gaza.
14:25 Or, l'après-Gaza ne peut se faire qu'avec une autorité internationale,
14:29 qu'avec une force internationale, ce qui est un problème supplémentaire pour Israël.
14:34 Donc à un moment donné, Israël devra ouvrir les yeux devant cette réalité nouvelle
14:38 qu'elle a largement contribué à créer dans Gaza,
14:42 qui est que la question se pose d'une entité politique capable de représenter
14:47 El-Assi, Jordanie, Gaza et Jérusalem, et qui soit une autorité palestinienne légitime.
14:52 Compte tenu du fait que ce n'est pas possible aujourd'hui,
14:57 il faut trouver une autorité internationale capable d'assurer cette représentation.
15:03 Et cette autorité internationale, personne n'acceptera,
15:07 et aujourd'hui les arabes le disent clairement, personne n'acceptera d'y contribuer
15:11 tant qu'il n'y aura pas une perspective politique.
15:13 Donc la question posée à Israël, vous voulez une stratégie purement sécuritaire,
15:17 elle échoue et elle ne peut pas réussir.
15:20 Quelle est donc la stratégie politique qui sera, demain, susceptible d'être mise en place ?
15:24 Le sujet de la guerre à Gaza a été porté il y a quelques jours par l'Afrique du Sud
15:27 devant la Cour internationale de justice de la Haïe, l'Afrique du Sud accusant Israël
15:31 de violer la Convention sur les génocides adoptée en 1948 après la Deuxième Guerre mondiale.
15:35 Que ce conflit soit porté ainsi devant la justice internationale,
15:38 quels commentaires cela vous inspire ?
15:41 Je comprends que pour Israël c'est un traumatisme majeur.
15:44 Imaginez qu'un pays, qu'un peuple, qui a eu 6 millions de morts lors de la Shoah,
15:52 puisse être accusé aujourd'hui de génocide.
15:54 Je comprends que c'est véritablement bouleversant.
15:57 Et la formule de Benjamin Netanyahou en dit long, quand il dit "c'est le monde à l'envers".
16:02 Mais oui, il faut le comprendre.
16:05 Nous sommes aujourd'hui dans un monde à l'envers. Le monde a changé.
16:08 Et la mémoire du monde de ce fait a aussi changé.
16:11 Pour nous occidentaux, c'est une évidence, il n'y a pas d'horreur plus absolue dans nos mémoires
16:17 que ce qui s'est passé avec la barbarie nazie pendant la dernière guerre.
16:22 Aujourd'hui, pour une grande partie des peuples du monde, la mémoire c'est celle de la colonisation,
16:30 c'est celle de ce drame de l'expérience coloniale qui aujourd'hui est réactivé par la symbolique palestinienne
16:39 puisque pour la plupart d'entre eux, la Palestine c'est le symbole d'une décolonisation non achevée.
16:46 Donc il faut prendre en compte cette situation.
16:49 C'est-à-dire que le mot génocide est pertinent ?
16:51 Ça veut dire qu'il faut prendre en compte cette vision
16:55 et que le mot génocide n'évoque pas seulement l'extermination d'un peuple,
17:00 il évoque aussi, puisqu'il s'agit de qualifier l'intention génocidaire,
17:03 il évoque aussi des menaces de transfert des populations et de ce point de vue-là, de famine.
17:09 Et de ce point de vue-là, il est important qu'Israël comprenne et que ses dirigeants comprennent
17:13 qu'on ne peut pas dire n'importe quoi.
17:15 Vous parlez des déclarations des deux derniers ministres israéliens qui ont...
17:18 Pas que des deux derniers, des déclarations qui depuis 100 jours se sont multipliées
17:22 et qui promettent une bombe atomique, qui promettent des transferts de populations dans d'autres pays.
17:29 On ne peut pas dire n'importe quoi et on ne peut pas faire n'importe quoi.
17:32 Le principe de responsabilité, il s'applique à tous.
17:34 Emmanuel Macron a publié une vidéo de soutien aux otages qui sont aux mains du Hamas.
17:38 Ils sont encore 132.
17:40 Il appelle à reprendre les négociations pour leur libération.
17:43 Or ces négociations, c'est le Qatar qui les mène,
17:46 le Qatar qui héberge par ailleurs les chefs politiques du Hamas,
17:50 le Qatar qui finance le Hamas.
17:52 N'est-ce pas là, Dominique de Villepin, une grande hypocrisie
17:55 que le Qatar soit aujourd'hui le grand médiateur de cette affaire ?
17:59 C'est sans doute une grande hypocrisie, mais c'est aussi la réalité du monde.
18:04 C'est que ceux qui sont capables de parler à l'ensemble des partis
18:08 sont mieux placés que les autres.
18:10 Et ça montre que dans certaines situations, il faut des médiateurs, il faut des intermédiaires.
18:14 Et c'est la logique de tous les intermédiaires
18:17 que d'avoir à tendre la main et d'avoir à dialoguer
18:21 avec ce que nous considérons comme des gens inacceptables.
18:24 Donc c'est le principe même de la diplomatie
18:27 qui ne peut pas se contenter de parler qu'à des amis et qu'à des gens bien.
18:31 Vous savez ce qu'on vous reproche souvent, on dit que vous êtes proche du Qatar,
18:34 que vous êtes l'ambassadeur du Qatar en France,
18:36 que vous avez des intérêts financiers avec ce pays.
18:39 Que répondez-vous, Dominique de Villepin, à ceux qui disent ça ?
18:42 Je ne réponds rien. Je ne réponds rien pour une raison simple.
18:45 Je ne me suis jamais défendu pour une raison évidente.
18:48 Je n'ai pas de fonction officielle.
18:50 Je considère que toute réponse est rentrée dans des justifications qui n'ont pas de sang.
18:54 J'ai dit ce que j'avais à dire sur ce sujet.
18:56 Je n'ai aucun lien avec le Qatar.
18:58 Pas d'intérêt financier ?
19:00 Muriel, sur l'appli d'Inter, demande "êtes-vous toujours rémunéré par un fonds quatari ?"
19:03 Voilà ce qu'il pense, voilà ce qui circule.
19:05 Mais ce n'est pas toujours. Je n'ai jamais été rémunéré.
19:07 C'est pas intéressant, c'est pourquoi ces rumeurs circulent.
19:10 Et ces rumeurs ne sont pas innocentes.
19:12 C'est parce que ce que je dis dérange.
19:14 Et quand vous dites des choses qui dérangent,
19:16 et bien par définition, on a intérêt à instrumentaliser votre parole
19:20 pour la rendre moins pertinente.
19:22 Ce que je dis, je le dis en homme libre.
19:25 Et depuis le temps, depuis le nombre d'années,
19:28 que je répète la même chose sur le Qatar ou sur le reste,
19:30 puisque je ne réponds pas aux mensonges qui sont distillés dans la presse et qui me visent.
19:35 Depuis le temps, s'il y avait la moindre vérité dans cela,
19:40 il y a suffisamment d'avocats qui travaillent pour le Qatar à Paris,
19:42 il y a suffisamment d'hommes politiques qui sont proches du Qatar,
19:45 contrairement à moi, et bien on m'aurait démenti.
19:48 Et ça n'a pas été fait.
19:49 Et donc ce silence-là, il est la meilleure réponse.
19:53 Donc vous maintenez que vous n'avez pas de lien avec le Qatar,
19:55 financier, pas d'argent.
19:56 C'est la vérité.
19:57 Vous dites "je suis un homme libre",
19:59 ce qui a toujours dit ce qu'il pensait, ce qui est vrai.
20:02 Vous avez votre cohérence, et en cela, c'est difficile de ne pas la voir.
20:07 Depuis toujours, vous avez votre même cohérence.
20:09 Mais vous dites aussi parfois des choses qui dérangent.
20:12 Dominique de Villepin, il y a cette phrase que vous avez prononcée
20:14 dans l'émission "Quotidien" le 23 novembre dernier.
20:16 Il était question d'un débat sur l'actrice hollywoodienne Suzanne Sarandon
20:20 et sur la top-modèle Bella Hadid.
20:23 Permettez-moi de corriger.
20:24 Il était question d'un débat sur des actrices,
20:27 certaines prenant partie pour Israël, d'autres prenant partie pour la Palestine.
20:32 Et je me suis donc prononcé sur la liberté d'expression que j'ai toujours défendue.
20:35 Et vous avez éclaré cette phrase qui a fait bondir beaucoup de gens.
20:38 Je la cite.
20:39 "On voit à quel point la domination financière sur les médias et sur le monde de l'art,
20:42 de la musique, pèse lourd parce qu'ils ne peuvent pas dire ce qu'ils pensent,
20:46 parce que tous les contrats s'arrêtent immédiatement."
20:48 Cette phrase a choqué beaucoup de gens.
20:50 Jacques Attali, notamment, vous a accusé d'antisémitisme,
20:53 de reprendre l'idée, le cliché de la domination financière.
20:57 On a pu y voir le retour dans votre voix du vieux cliché
20:59 sur le lobby juif qui dirige le monde.
21:01 Ceux qui ont vu cela, ont-ils tort ?
21:04 Ce n'est pas qu'ils ont tort.
21:05 C'est qu'ils sortent complètement mes propos du contexte.
21:08 Puisque je parle des Etats-Unis, je parle de la liberté d'expression
21:11 pour ceux qui soutiennent Israël, comme pour les Palestiniens.
21:14 Je dirais que la ficelle est très grossière.
21:16 Et on voit bien que derrière, c'est ma parole même qui est visée.
21:20 Donc, une fois de plus, tout ça parle de soi-même.
21:23 Toute personne qui veut se convaincre de la vérité de ce que je dis,
21:26 je n'ai fait que prendre la défense de la liberté d'expression.
21:29 On n'a qu'à se rapporter aux documentaires et aux propos que j'ai tenus
21:32 qui sont parfaitement clairs.
21:34 Mais une fois de plus…
21:35 La liberté d'expression, elle est menacée ou elle serait menacée par…
21:38 un lobby ?
21:40 Non, je n'ai pas dit qu'elle s'était menacée.
21:41 Elle est menacée par un système qui est le système aujourd'hui
21:44 de financiarisation du monde, qui fait que ceux qui ont l'argent
21:47 tiennent la plupart des grands leviers du pouvoir.
21:50 Qui a l'argent ?
21:51 Tous ceux… Les patrons de grandes industries…
21:54 Ecoutez, je ne vais pas vous faire un cours, c'est tellement évident ce que je dis.
21:58 Et tout le monde en est tellement convaincu qu'il y a quelque chose d'absurde
22:02 à vouloir établir ce questionnement qui se rapporte en fait
22:06 à l'expérience que nous avons connue à la fin du XIXe siècle.
22:09 Je ne veux pas vous faire un cours d'histoire, mais la chose est bien connue.
22:12 Dans un temps très particulier, qui était le temps de l'affaire Dreyfus,
22:15 avec des coalitions parlementaires qui, elles, effectivement, s'en prenaient
22:20 à des lobbies et qui pouvaient être accusés d'antisémitisme.
22:25 Ce que j'ai dit n'a strictement rien à voir.
22:28 Quand vous entendez certains qui disent "Dominique de Villepin est antisémite",
22:30 ça vous blesse ? Ça vous énerve ? Ça vous quoi ?
22:33 Je n'ai rien à répondre à ça, c'est absurde.
22:35 On va passer au standard. Michel nous appelle de Paris. Bonjour et bienvenue.
22:41 Bonjour Monsieur le ministre. En tant qu'ancien ministre des Affaires étrangères,
22:44 ne pensez-vous pas qu'il faudrait revenir sur la réforme du Quai d'Orsay
22:48 et redonner en particulier de l'importance aux directions régionales
22:52 par rapport à une direction d'affaires politiques qui a pris une importance démesurée ?
22:56 De façon générale, ne pensez-vous pas que la nomination du nouveau ministre
23:00 est un signe négatif de sa marginalisation ?
23:05 Merci Michel pour cette question, venue peut-être de l'intérieur du Quai d'Orsay.
23:09 Dominique de Villepin vous répond.
23:11 Je pense que ce sont deux questions différentes.
23:15 La réforme du Quai d'Orsay, je suis pour ma part convaincu qu'il faudra un jour
23:18 revenir sur cette réforme qui risque de déprofessionnaliser le métier diplomatique
23:26 alors même qu'on le voit bien, c'est un métier qui demande de la mémoire,
23:29 qui demande de la continuité pour les personnels.
23:32 En ce qui concerne le ministre des Affaires étrangères, il a un double avantage aujourd'hui
23:37 dans le contexte que nous connaissons.
23:39 Le premier, c'est de bien connaître les arcanes de la politique européenne.
23:42 Or, pour agir efficacement sur le monde, la diplomatie française a besoin de s'appuyer
23:47 sur l'Europe. Le deuxième élément, c'est sa proximité avec le président de la République
23:52 dont on peut supposer, à travers la confiance qui existera entre les deux,
23:55 qu'il aura plus de liberté pour agir et nous avons besoin d'une voix forte.
24:00 Dernière remarque sur Lapidinter de Gilles.
24:02 N'oubliez pas, Dominique de Villepin, de parler de la lutte prioritaire
24:05 contre le changement climatique. Démarquez-vous, innovez !
24:08 Merci du conseil, je serais ravi que ceux qui questionnent à France Inter et ailleurs
24:15 soient effectivement porteurs de davantage de questions sur ce thème.
24:18 Vous avez des choses à dire sur le changement climatique ?
24:20 J'ai toujours des choses à dire sur le changement climatique.
24:22 On voit toutes les conséquences chaque jour de ce drame et on voit à quel point
24:26 les grands messes ne permettent pas de prendre des mesures suffisantes.
24:29 C'est pourtant un des domaines où l'ensemble des diplomaties mondiales
24:33 pourraient travailler ensemble. Et dans un monde fracturé, dans un monde cassé
24:37 où nous nous divisons entre autocratie et démocratie, où tous les fronts se mêlent
24:41 à travers des conflits idéologiques, nous avons besoin d'être efficaces
24:45 et de montrer au peuple du monde. Et c'est l'obligation de tous que nous pouvons avancer.
24:50 Et la question climatique est sans doute celle où nous pouvons avancer le mieux et le plus vite.
24:54 Et Jacques Chirac avait raison. La maison brûle.
24:57 Malheureusement, elle continue de brûler.
24:59 Merci Dominique de Villepin d'avoir été au micro d'Inter.

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