La crise des urgences hospitalières

  • il y a 2 semaines

Dans Europe midi, Mickael Dorian et ses invités débattent de dernières informations.
Retrouvez "Europe 1 13h" sur : http://www.europe1.fr/emissions/europe-1-midi3
Transcript
00:00J'aimerais qu'on évoque également un autre problème qui touche aujourd'hui la médecine de notre pays, la crise que traversent les urgences.
00:06Ces derniers jours, la situation au CHU de Nantes a suscité une vive inquiétude.
00:10Fin juillet et début août, la pénurie de lits dans les unités de soins a contraint des patients à attendre de longues heures voire plusieurs jours dans les couloirs des urgences.
00:18C'est le syndicat Force Ouvrière qui a donné l'alerte et qui dénonce plusieurs décès tragiques liés à cette situation.
00:26On va justement en parler avec une personne qui est en ligne avec nous du syndicat Force Ouvrière.
00:32Est-ce qu'on peut me redonner le téléphone ?
00:36Bonjour M. Delrue, merci d'être avec nous en direct cet après-midi sur Europe 1.
00:41Vous êtes représentant du syndicat Force Ouvrière, c'est bien ça ?
00:45Oui, bonjour, merci de m'accorder l'instant.
00:48Oui, Benjamin Delrue, je suis infirmier secrétaire régional FO Santé pour les Pays d'Aloire.
00:53D'accord, et vous êtes infirmier où exactement M. Delrue ?
00:56Sur le CHU à Angers.
00:58Alors c'est une situation qui est connue depuis longtemps, malheureusement on en parle lorsqu'il y a des drames finalement.
01:03Là on a parlé de plusieurs personnes qui seraient décédées en raison de cette situation.
01:08Effectivement, la situation dans les Pays d'Aloire, c'est plus d'une dizaine de services d'urgence qui sont partiellement ou totalement fermés, notamment la nuit,
01:17qui déportent l'activité sur les autres services d'urgence qui eux se retrouvent débordés.
01:22L'agence régionale de santé annonce qu'il y a 30% d'effectifs théoriques qui ne sont pas pourvus au niveau des médecins dans les services d'urgence des Pays d'Aloire.
01:30C'est une situation avec une perte de chance pour les patients, puisque je rappelle une étude de Samurgence de France l'hiver dernier,
01:37qui expliquait qu'un patient qui passe une nuit sur un blancard a 46% de plus de chance de risque de décès.
01:45On entend souvent parler, pour différents sujets d'ailleurs, de volonté politique lorsqu'il est question de lutte contre la délinquance par exemple,
01:52de lutte contre le trafic de drogue. Parfois ce manque de volonté politique n'est pas le seul problème,
01:58parce que les sujets sont complexes dans ce cas-là, dans le cas de cette crise de l'hôpital.
02:03Si on voulait vraiment, est-ce qu'on ne pourrait pas les régler les problèmes ?
02:07Attendez, à mon avis, il y a une erreur fondamentale qui est faite, c'est-à-dire que pour le problème des urgences, on argue d'une crise de l'hôpital.
02:18Il faut peut-être parler d'une crise de l'hôpital en effet, mais d'une crise aussi de la médecine de ville. Pourquoi je vous dis cela ?
02:26Parce que si vous avez le nombre, l'étiage, le nombre suffisant de médecins de ville, vous appelez votre médecin, vous tentez de le contacter.
02:40Je sais que c'est devenu extrêmement difficile puisque les médecins, d'abord, maintenant on ne peut les contacter que via une application,
02:48on n'a plus la médecine d'antan où le médecin se déplaçait, où c'était véritablement un sacerdoce,
02:54où il travaillait jusqu'à ce qu'on pouvait l'appeler la nuit, c'était le médecin de famille.
02:58Aujourd'hui tout cela n'existe plus, donc lorsque votre enfant tombe, je vous donne un exemple, en bas âge, tombe dans l'escalier,
03:07vous craignez qu'il n'ait quelque chose au cerveau, vous n'avez plus de médecin à appeler, vous vous rouez aux urgences.
03:12Et vous vous rouez maintenant aux urgences pour tout, et après on dit que les urgences sont engorgées.
03:18Évidemment qu'elles le sont, mais vous ne pouvez pas déconnecter le problème de l'hôpital du problème de la médecine de ville, me semble-t-il.
03:27Et c'est vrai qu'aujourd'hui pour avoir un rendez-vous chez un généraliste, des fois c'est plusieurs semaines.
03:30Oui mais ce n'est pas la faute des médecins de ville.
03:32Ah pas du tout !
03:33Il y a une responsabilité au plus haut niveau, c'est-à-dire au niveau de la tutelle, ça s'organise.
03:41Pourquoi il y a moins de médecins de ville ?
03:43Bien entendu, parce qu'on a de toute façon mis en première année de médecine, on a baissé encore, on baisse à chaque fois le curseur, on forme de moins en moins de médecins.
03:54Et en plus, vous le savez comme moi sans doute, il y a un déficit de recrutement je crois de 1500 internes,
04:02qui va impacter très fortement les services d'urgence.
04:06L'administration hospitalière dit oui mais on recrute 1500 FFI, les appels, les faisant fonction d'interne.
04:13La plupart viennent de l'étranger, ils n'ont pas véritablement l'information, ne parlent pas tous la langue française comme il faut.
04:19Et donc on va les affecter à des services d'urgence un peu en catastrophe.
04:24Donc tout ça, on voit bien qu'il y a un problème de gestion de la médecine hospitalière ou de ville qui est défaillant.
04:30Benjamin Delru, vous le constatez, ce lien entre le manque de médecins de ville et la situation dramatique que connaît aujourd'hui les urgences ?
04:38Alors déjà, je voudrais réagir, j'écoutais à l'instant, c'est le résultat de décisions politiques depuis des décennies qui sont poursuivies.
04:47Je suis tout à fait d'accord, il y a un arrêté qui vient de paraître, il y a encore 1500 places d'internat qui sont diminuées cette année.
04:53C'est 16% de moins de médecins formés en 2024.
04:58Oui, la problématique des médecins partout, les médecins de ville, moi je voudrais juste rappeler une chose, et ça c'est ce que partagent tous les soignants des hôpitaux, c'est pas tant le patient qui vient pour quelque chose qui va être réorienté rapidement, qui pose problème aux urgences,
05:10c'est les patients qui attendent des heures, des jours, parce qu'ils ont besoin d'être hospitalisés.
05:14Est-ce qu'ils n'attendent pas des heures parce que d'autres patients qui finalement n'auraient rien à faire aux urgences sont venus ?
05:22Ceux qui attendent des heures, avant d'être vus par un médecin, c'est souvent ceux qui ont... il y a des tribus aux urgences.
05:29Le problème c'est les patients qui attendent dans les couloirs, et les patients âgés.
05:33Parce qu'on a développé l'ambulatoire, c'est-à-dire qu'on a réduit le nombre de lits dans les hôpitaux de près de 80 000 depuis 2000, entre 2000 et 2022,
05:42réduisant le nombre de lits pour hospitaliser les personnes qui en ont besoin, et c'est ça le problème, ce sont les lits d'aval comme on dit.
05:50Et donc ça c'est une décision politique.
05:52Donc c'est un problème de volonté politique, c'est un problème de moyens qu'on pourrait régler si la volonté était là ?
05:58Bien sûr, depuis des années, ils ont développé l'ambulatoire parce qu'ils ont mis les hôpitaux avec la tarification à l'acte, avec les enveloppes fermées,
06:06il fallait faire de plus en plus d'activités, on développe pour que les patients rentrent et sortent le plus vite possible,
06:12mais dans cette équation-là on oublie ceux qui ont besoin d'être hospitalisés, qui ne vont pas sortir en 24, 48 heures ou une semaine,
06:18et donc c'est souvent les populations les plus fragiles, et c'est les cas de décès qu'on voit dans les urgences,
06:22quand une personne âgée reste 20, 30 heures, 40 heures sur un bancard.
06:26On a fait le grenelle de la santé, souvenez-vous, on a augmenté un peu le salaire des infirmières pour les mettre disons à peu près au niveau européen,
06:38mais les grandes réformes structurelles ne sont toujours pas là.
06:43Et quand on sait que l'hôpital, je crois, c'est à peu près 40% du budget de l'hôpital qui va dans le fonctionnement administratif,
06:54alors qu'il devrait aller plutôt dans le fonctionnement médical, voyez-vous,
07:00donc il y a toutes ces strates avec les ARS qui sont aussi confrontés à des réalités,
07:07et cette réforme qui n'a pas, semble-t-il, donné satisfaction,
07:11on voit bien qu'il faudra tôt ou tard s'attaquer à vraiment l'hôpital dans sa structure, dans son fonctionnement.
07:18Et philosophiquement, il y a un vrai problème, car on pourrait très bien imaginer,
07:24et c'est pourquoi je parle de philosophie, que l'hôpital n'est pas fait pour gagner de l'argent.
07:29En tous les cas, pour en perdre le moins possible, c'est une certitude,
07:32mais qu'il n'est pas fait pour gagner de l'argent.
07:34Or, ce que l'on a voulu à toute force dans les différentes politiques qui ont été menées,
07:38c'est rendre le lit rentable.
07:41Et d'où l'ambulatoire, d'où un certain nombre de choses.
07:46Donc encore une fois, oui, il y a eu une volonté politique,
07:49elle n'allait pas dans le bon sens, mais c'est avec la volonté politique qu'on change tout.
07:52C'est la même chose pour les places de prison.
07:54L'Espagne a réglé son problème de places de prison en y mettant le prix,
07:58et en construisant effectivement des places de prison.
08:02On a fait l'erreur aussi du numérosus clausus.
08:04On a fait l'erreur du numérosus clausus, bien entendu.
08:07On va remercier Benjamin Delrue d'avoir été avec nous,
08:09secrétaire général du Groupement Régional Forces Ouvrières, Services Publics et Santé.
08:13Merci Benjamin Delrue, merci également à mes deux invités,
08:16Vincent Roy et Georges Fenech.

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