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00:0011 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'historien Georges Bensoussan.
00:04Bonjour Georges Bensoussan.
00:07Bonjour monsieur Pavlenko.
00:08Bienvenue sur Europe 1, vous êtes en direct avec nous depuis Israël.
00:12Votre dernier livre paru, Les origines du conflit israélo-arabe 1870-1950,
00:18c'est paru aux presses universitaires de France.
00:20Alors après 15 mois de guerre, un accord a été trouvé entre Israël et ses adversaires,
00:26notamment le Hamas, sur la libération des otages.
00:29Le cabinet de Benyamin Netanyahou l'a annoncé cette nuit,
00:32est-ce que ça va permettre l'arrêt de la guerre ?
00:35Beaucoup l'espèrent Georges Bensoussan,
00:36même si l'expérience de l'histoire du Proche-Orient nous recommande une certaine prudence.
00:42Alors cet accord doit aussi beaucoup, on en parlera je pense à l'arrivée imminente aux affaires de Donald Trump,
00:47ce sera lundi.
00:48Mais d'abord, peut-être Georges Bensoussan, puisque vous êtes sur place,
00:51cet accord, il a été annoncé mercredi, semble-t-il confirmé cette nuit.
00:56Comment c'est reçu en Israël ? Quel est le ton, l'ambiance dans le pays ?
01:02Il n'y a pas d'exultation, pas de joie, comme on l'a vu par exemple à Gaza,
01:07où la population est soulagée après 15 mois de bombardements et de destructions épouvantables.
01:12En Israël, non, c'est une tristesse, une forme de résignation, une joie.
01:18Sur un seul point, c'est évidemment l'arrivée des otages,
01:21la libération progressive des otages, mais extrêmement lente.
01:24Et chacun se dit que dans un accord en trois phases,
01:27cet accord pourrait capoter demain, au bout de la première phase,
01:30et peut-être avant même la fin de la première phase,
01:32puisqu'il n'y a qu'une moitié des otages qui seront libérés au bout de cette semaine, je crois.
01:38Donc c'est un accord très fragile, chacun le ressent ainsi,
01:41avec en plus, si vous voulez, une société israélienne,
01:44c'est une société ouverte, une société démocratique où le débat est libre,
01:47très divisé, extrêmement divisé.
01:49La question des otages divise tout le monde,
01:51et même à l'intérieur même des familles des otages,
01:54vous avez des familles des otages qui sont contre l'accord,
01:57ce qu'on ne sait pas, par exemple, en France.
01:59Et évidemment, l'immense majorité des familles des otages sont pour cet accord immédiat,
02:03parce qu'ils pensent, ces familles des otages contre l'accord,
02:06que le reste des otages ne sera pas libéré demain,
02:09et que les buts de guerre n'ont pas été atteints.
02:12C'est l'avis d'une partie des Israéliens.
02:14Mais encore une fois, il n'y a pas d'homogénéité dans la société israélienne,
02:17il n'y a pas de voix unique.
02:19C'est une société très divisée, où les fractures étaient déjà là avant le 7 octobre,
02:23et elles sont toujours là.
02:24Et d'une certaine façon, la question des otages a réveillé,
02:27a ravivé encore les fractures israéliennes.
02:29Oui, alors j'allais vous demander si cet accord venait conclure quelque chose,
02:33vous y avez déjà répondu, est-ce que ça referme la plaie du 7 octobre pour Israël ?
02:37Semble-t-il, c'est exactement le contraire.
02:41Oui, non, ça ne referme pas la plaie du 7 octobre,
02:43c'est une plaie qui est omniprésente.
02:44Il suffit de voir les informations télévisées sur les 4 grandes chaînes israéliennes,
02:49dont une de service public,
02:51le 7 octobre est omniprésent,
02:53et pas seulement le 7 octobre par les otages,
02:55ou par le massacre des 1200 personnes, dont 2 tiers de civils,
02:59mais aussi parce que la guerre a continué,
03:01et que les familles sont endeuillées,
03:03qu'il y a 900 soldats ont été tués,
03:05et que vous savez, c'est un tout petit pays, Israël,
03:07il y a 10 millions d'habitants,
03:08dont à peine 2 tiers participent vraiment à la vie militaire du pays,
03:13vous savez que les orthodoxes sont exemptés de services militaires,
03:15donc dans une société aussi réduite,
03:17les morts, les blessés, il y a 12 000 blessés,
03:2012 000 blessés graves,
03:21chacun en connaît un au moins,
03:23chacun en connaît deux, etc.
03:24donc tout le monde se connaît ou presque dans la société israélienne,
03:27c'est très petit, c'est 6 millions, 7 millions de personnes,
03:29qui participent vraiment à l'effort national, à l'effort de guerre.
03:33Donc sur ce plan là, non, la plaie du 7 octobre n'est pas refermée,
03:37mais n'est pas refermée aussi pour une autre raison,
03:39c'est qu'il y a un sens symbolique au 7 octobre,
03:41ce qui s'est passé c'est quand même une attaque de nature génocidaire,
03:44évidemment ce n'est pas un génocide en soi,
03:46mais c'est une attaque de nature génocidaire,
03:48qui vise à tout détruire,
03:49et pas seulement à amener un adversaire à récipice,
03:52ça c'est la guerre,
03:53non là ça visait vraiment à éradiquer les juifs du territoire,
03:57vous savez que les assassins n'ont jamais parlé d'israéliens,
03:59vous avez vu les caméras GoPro,
04:01ils parlent de yahout, ils parlent de juifs à tuer.
04:04Et ça a ravivé le souvenir de la Shoah d'une certaine façon,
04:06comme si ce massacre de nature génocidaire,
04:10commis au cœur de l'état souverain d'Israël,
04:12était une forme d'acte II de la Shoah.
04:15Alors que d'une certaine façon le sionisme a été aussi fait,
04:18pour assurer la sécurité,
04:20et là la sécurité était prise en défaut.
04:22C'est ce que j'allais vous demander,
04:23est-ce que ces événements du 7 octobre,
04:25cette séquence de 15 mois, cette guerre de Gaza,
04:28qu'est-ce que ça a changé pour les juifs,
04:31les juifs du monde entier, pas que les juifs d'Israël,
04:33dans leur rapport justement à Israël ?
04:36Oui, ça a profondément changé les choses,
04:40y compris pour des juifs très éloignés d'Israël,
04:42se sentant très éloignés du sionisme.
04:45Le 7 octobre a contribué, si vous voulez,
04:47à refaire de ces communautés juives de diaspora,
04:49une forme de peuple.
04:51Parce qu'ils ont senti, ces gens-là,
04:53vivant en diaspora et loin de l'état d'Israël,
04:56et souvent loin de sa préoccupation,
04:58une sorte de communauté de destin.
04:59Parce que comme je viens de vous le dire,
05:01l'attaque du 7 octobre,
05:02ils l'ont vue comme l'attaque contre des juifs,
05:05prise pour cible, et pas seulement contre des Israéliens.
05:08Et puis il y a la flambée antisémite qui a suivi,
05:10qui a énormément choqué, beaucoup choqué.
05:13Donc il y a eu un effet de sidération, de stupéfaction,
05:16qui fait que même des juifs éloignés d'Israël,
05:18se sont sentis un peu comme sur le même bateau,
05:22si vous voulez, une communauté de destin.
05:23Et non seulement ça a réveillé le vieux traumatisme,
05:27la mémoire juive est une mémoire très traumatique,
05:30vous le savez depuis longtemps,
05:31et la Shoah, évidemment, là-dessus, a aggravé la situation,
05:34mais ça a réexpérimenté une autre dimension
05:38de l'expérience juive, c'est la solitude.
05:40Il y a eu ces deux phénomènes à la fois,
05:43l'insécurité, le retour de la précarité existentielle,
05:47et le retour de la solitude.
05:49Et ça, ça a beaucoup marqué les juifs de diaspora,
05:53les juifs d'Israël un peu moins,
05:54parce que ça n'est pas une communauté Israël,
05:56c'est une nation, c'est très différent.
05:59Et c'est vrai qu'on parle aussi, qu'on ait un mot du Hamas,
06:02Georges Bensoussan, parce qu'évidemment,
06:03il sort très laminé de cette guerre,
06:07ses alliés sont très affaiblis,
06:09mais on voit que le Hamas aussi est toujours le maître de Gaza,
06:12on a pas mal d'informations,
06:13on sait que c'est sans doute le frère de Yahya Sinwar Mohamed,
06:17encore plus radical que lui,
06:18qui serait le nouveau chef de l'organisation.
06:20Il a recruté beaucoup de militants.
06:23Et la question que je voudrais vous poser,
06:24Georges Bensoussan, c'est
06:26est-ce qu'on comprend mieux aujourd'hui la nature de ce qu'est le Hamas,
06:30qui considère, parce qu'il faut dire les choses,
06:31qu'Israël, ce n'est pas juste un adversaire,
06:34on n'est pas dans un conflit de territoire,
06:36c'est une croisade pour le Hamas, Israël, c'est une croisade.
06:39Absolument.
06:41Oui, tous ceux qui continuent à penser le conflit en termes de conflits nationaux,
06:45territoriaux, etc. se trompent totalement.
06:47On est ici dans une affaire de djihad, sur le fond.
06:50Vous savez, il y a deux jours seulement,
06:52le 15 janvier, Adhoa, au Qatar,
06:54Khalil Khaya, qui est le porte-parole du Hamas aujourd'hui,
06:58a déclaré que le 7 octobre était une source de fierté.
07:00Le 7 octobre, c'est un massacre de civils, qu'on le veuille ou non,
07:03avec des bébés, des enfants tués dans des conditions abominables,
07:06coupés en morceaux, des têtes décapitées, etc.
07:09Et il a déclaré également qu'il poursuivrait notre but,
07:12qui est, je cite, la destruction d'Israël
07:14et la libération totale de notre terre jusqu'à Jérusalem.
07:17Alors évidemment, de la nature du Hamas,
07:19on n'avait pas besoin des déclarations de ce monsieur pour le savoir.
07:22Il suffit de lire la charte.
07:23Ça prend dix minutes sur Internet.
07:25La charte est un document de nature génocidaire,
07:28qui n'envisage pas deux États,
07:30qui n'envisage pas de compromis,
07:31qui envisage la destruction pure et simple de l'État d'Israël
07:35pour une seule Palestine, où les Juifs, d'ailleurs, on le sait très bien,
07:38n'auraient quasiment aucune place,
07:39soit au mieux des dix mille,
07:41soit au pire un massacre généralisé.
07:43Donc que le Hamas ait été une organisation totalitaire,
07:45on le savait avant, mais on n'a pas voulu le voir.
07:48Et on continue à penser le conflit dans des termes caduques,
07:50dans les termes de conflits nationaux,
07:52comme le conflit entre la France et l'Allemagne.
07:54Ça n'a rien à voir.
07:56Au cœur de ce conflit-là, vous avez la préoccupation du djihad.
07:59Il est inconcevable que des non-musulmans
08:02puissent être souverains sur une terre décrétée musulmane de toute éternité.
08:06Et a fortiori, des Juifs,
08:07et j'ajouterais même des chrétiens de certaines façons,
08:10mais ce n'est pas forcément dans ce cadre-là que ça joue,
08:13des Juifs qui sont des créatures qui représentent le mal, impur, etc.
08:19dans une bonne partie du Coran.
08:21Tout cela, c'est fondamental au Hamas,
08:25mais encore une fois, on le savait avant.
08:26Mais on ne l'avait peut-être pas tous clairement compris.
08:30En tout cas, merci de vos lumières, Georges Bensoussan,
08:31d'être venu ce matin nous en parler sur l'antenne de Rappin.
08:34Je vous rappelle votre ouvrage le plus récent
08:37pour comprendre aussi ce qu'il se passe aujourd'hui,
08:39les origines du conflit israélo-arabe 1870-1950.
08:43C'est paru au PUF, les presses universitaires de France.
08:45Bonne journée à vous.

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