7 MINUTES POUR COMPRENDRE - Avalanche meurtrière: le Mont Blanc est-il de plus en plus dangereux?

  • le mois dernier
Au moins un mort et quatre blessés sont à déplorer après un effondrement de sérac survenu au mont Blanc du Tacul (Haute-Savoie), dans la nuit du dimanche 4 au lundi 5 août. Les gendarmes de Chamonix sont sur place, l'opération débutée durant la nuit se poursuit.

Category

🗞
News
Transcript
00:00Avec nous, pour en parler à distance, Jean-Marc Payex, bonjour, vous êtes le maire de Saint-Gervais,
00:04bonjour Luc Moreau, vous êtes glaciologue et docteur en géographie alpine.
00:09On va vous retrouver dans un instant, mais avant on va prendre la direction de Chamonix
00:11où l'on vous retrouve, Rebecca Blanle-Louch.
00:13Qu'en est-il des recherches sur l'état de santé des blessés à l'heure actuelle ?
00:21Bah écoutez, les recherches ne vont pas tarder à reprendre,
00:24il faut quand même qu'ils fassent complètement jour.
00:27On rappelle qu'il y a deux personnes qui sont officiellement disparues
00:31depuis le déclenchement de l'avalanche.
00:32Il s'agit de deux personnes de nationalité allemande de 30 et 39 ans,
00:37pas de signe de vie, pas de signe de vie depuis le déclenchement de cette avalanche,
00:42pas de nouvelles, leur téléphone est éteint.
00:44La gendarmerie recoupe donc toutes les informations possibles
00:48en recherche de témoignages de leur entourage, de leurs proches,
00:51pour savoir s'ils étaient sur place.
00:53Je les cite, tout porte à croire qu'ils sont sur la zone.
00:56Pour l'instant, les conditions sont trop dangereuses
00:58pour que les secouristes repartent sur le terrain,
01:00puisqu'il y a une forte possibilité pour que ces personnes se trouvent dans une crevasse.
01:04Donc pas d'équipe au sol, mais les survols en hélicoptère vont reprendre dans la journée.
01:09Et la gendarmerie rappelle qu'il faut absolument prendre ses précautions.
01:12Ici, sur la route des Trois-Monts, qui est particulièrement dangereuse,
01:16puisque une nouvelle chute de seracs peut arriver n'importe quand.
01:20On rappelle le bilan à l'heure actuelle de cette avalanche du Mont Blanc du Tacu.
01:24Une personne est décédée, un homme de nationalité française de 57 ans.
01:28Quatre personnes ont été blessées.
01:30Les dix autres personnes qui étaient dans cette cordée,
01:32les dix autres alpinistes, s'en sont sortis indemnes.
01:35Et deux personnes sont donc officiellement portées, disparues,
01:38depuis le déclenchement de cette avalanche, hier à 3h du matin.
01:43Voilà, Rebecca Blanle-Louch avec Margot Visade.
01:45Vous parliez, Rebecca, de seracs, c'est donc bien ce qui s'est passé hier.
01:48Un serac, c'est un bloc qui se détache d'un glacier, c'est ça qui a déclenché l'avalanche.
01:52On est d'accord, Luc Moreau, que ça, c'est totalement imprévisible,
01:55et que par ailleurs, ça n'a rien à voir avec le dérèglement climatique et la chaleur ?
02:00Oui, tout à fait.
02:02Et d'ailleurs, ça a déjà été dit, par Jean-Marc d'ailleurs,
02:06les glaciers naissent par la neige qui s'accumule,
02:10la glace se fabrique, et le trop-plein de glace,
02:13et bien finalement, de temps en temps, il est évacué par le glacier.
02:16Ça, c'est tout à fait normal, c'est une dynamique normale du glacier.
02:20Et donc, dès qu'on a de la pente, de la gravité,
02:23et des cheminements d'alpinistes qui passent par dessous,
02:26évidemment, c'est toujours un peu la roulette russe.
02:29Nous-mêmes, quand on mesure les glaciers, on fait très attention,
02:32tout le monde fait très attention.
02:34C'est la raison pour laquelle les chutes de seracs,
02:37c'est un peu, voilà, ça tombe, ça tombe pas.
02:41Il faut toujours bien observer la montagne,
02:44prendre des conseils avec les compagnies des guides,
02:47avec toutes les associations de sécurité,
02:51voire même le PGHM, observer, avoir de l'expérience,
02:55donc pas s'aventurer comme ça n'importe où.
02:58Et c'est vrai que le Mont-Blanc-du-Tacul, il est d'accès facile
03:01parce qu'il y a l'aiguille du Midi qui n'est pas très loin,
03:03donc on est à 30 minutes du pied de la montagne.
03:06Et nous-mêmes, des fois, on y va dans le Mont-Blanc-du-Tacul, évidemment,
03:10et quand on a des itinéraires par le goûter, par exemple,
03:14où en ce moment il y a beaucoup de chutes de pierres,
03:16où il y a beaucoup de gens qui reviennent par l'aiguille du Midi
03:20et le Mont-Blanc-du-Tacul pour aller au sommet du Mont-Blanc.
03:23Et donc, évidemment, on passe sous les seracs au Tacul,
03:26on passe sous les seracs au Mont-Maudit.
03:29Alors quand c'est au cœur du massif, les seracs ne sont pas dangereux
03:32parce qu'il n'y a personne.
03:34Et quand on est dans des montagnes de plus en plus fréquentées,
03:36évidemment, à un moment donné où ça tombe,
03:38il y a toujours du monde en dessous.
03:40Et c'est vrai, c'est la roulette.
03:42Et c'est bien ça le problème, Jean-Marc Payex,
03:45comme le dit Luc Moreau, c'est la roulette russe,
03:47c'est très difficile à prévoir.
03:49Et surtout que là, on est en plein été,
03:51le Mont-Blanc est ultra fréquenté.
03:53Je crois qu'il y a à peu près 300 personnes
03:55qui tentent l'ascension du Mont-Blanc par jour.
03:57C'est vraiment le cauchemar, ce que vous redotez en saison estivale,
04:00la chute de ces seracs ?
04:02Alors si vous voulez, la chute de ces seracs,
04:04c'est la vie normale, comme l'a dit Luc Moreau, d'un glacier.
04:07C'est-à-dire que le glacier avance
04:09et qu'il y a une instabilité à un moment
04:11et puis la partie de glace casse.
04:14Donc ça, si vous voulez, c'est normal, c'est de tout temps.
04:17Ça fait des siècles et des millénaires que ça se passe,
04:20donc c'est pas ça la nouveauté.
04:22La nouveauté, c'est qu'on a effectivement des personnes
04:24qui veulent faire le Mont-Blanc à tout prix
04:26et qui ont décidé de faire le Mont-Blanc
04:28de tel jour à telle heure.
04:30Et peu leur importe ce qu'on va leur dire,
04:32eux, ils ont réservé un refuge,
04:34ils ont décidé de faire leur course
04:36et ils n'ont pas la vraie conscience du danger.
04:39Ils ne savent pas écouter et lire la montagne
04:41et donc c'est un peu le problème d'aujourd'hui,
04:44c'est d'avoir les urbains qui ont des codes urbains
04:47et qui ne sont pas raisonnables
04:49comme peuvent l'être des montagnards.
04:51Donc c'est la vraie difficulté
04:53et la prévention, ça ne sert pas à grand-chose
04:55parce que quand ils sont là
04:57et qu'ils sont arrivés pour faire le Mont-Blanc,
04:59vous ne les dissuaderez pas de ne pas le faire.
05:02Alors il y a la chute de ces seracs,
05:04l'imprudence, ça a toujours existé malheureusement
05:06et puis il y a ce nouveau risque,
05:08le dérèglement climatique, Luc Moreau.
05:10Il y a quelques jours, il y a un Italien
05:12qui a filmé une chute de pierres
05:14très impressionnante dans le couloir du Goûter.
05:16On a retrouvé au même endroit des images
05:18d'il y a deux ans qu'on va vous montrer
05:20où là encore ce sont des mètres cubes
05:22et des mètres cubes de pierres qui s'écroulent.
05:24Là, c'est lié à la chaleur.
05:26Oui, c'est clair qu'on est dans des conditions
05:29de réchauffement climatique global
05:32et de canicules à répétition,
05:35ce qui fait que la neige fond beaucoup plus vite.
05:38L'isotherme zéro degré
05:40atteint le sommet du Mont-Blanc ces jours-ci.
05:42Donc c'est vrai que ça rajoute
05:44un facteur supplémentaire.
05:46Les chutes de pierres l'an dernier, en 2023,
05:50on a eu 250 dans le massif,
05:52350 en 2022.
05:54On a des collègues qui travaillent là-dessus.
05:57Et c'est vrai que le réchauffement actuel
05:59et les températures très hautes
06:01et l'isotherme zéro degré très haut
06:03a fait aussi que cette chute de seracs
06:05au Mont-Blanc du Tacul
06:07a déclenché une neige imbibée d'eau.
06:10Et on le voit bien dans les images.
06:12Il y a eu des fractures du manteau neigeux.
06:14Donc le serac en lui-même est lourd.
06:17Il est généré naturellement par le trop-plein de glace.
06:21Et il déclenche un manteau neigeux imbibé d'eau.
06:24Et on voit très bien que c'est une coulée en plus,
06:27donc une coulée plutôt de neige humide
06:30qui a pris toute la largeur du Tacul.
06:33Ça s'est déjà déroulé plusieurs fois depuis 10-20 ans.
06:36Et donc le danger, en fait, il est quand c'est invisible.
06:40Et dans la neige et dans les glaces,
06:42il y a des fractures,
06:44il y a des couches de neige plus ou moins denses
06:47qui peuvent être déclenchées de manière invisible.
06:50On ne le voit pas, on marche sur de la neige.
06:52Et donc ça fait partie de l'expérience des professionnels
06:58qui savent dire qu'on n'y va pas.
07:00Ça fait longtemps qu'ici, il n'y a pas eu de purge.
07:03Donc il faut faire attention.
07:05Ils ont l'expérience de toutes les couches de neige
07:09de l'hiver et du printemps.
07:11Donc le danger, il est vraiment quand c'est invisible.
07:14Et en plus, ça s'est passé la nuit.
07:16Et là, on ne voit rien du tout la nuit, bien sûr.
07:18Encore plus.
07:19Donc c'est vraiment très litigieux
07:22d'aller dans ces régions-là en ce moment.
07:25Mais justement, Jean-Marc Payex,
07:27parce que la montagne est de plus en plus dangereuse,
07:29parce qu'elle est de plus en plus invisible,
07:31parce qu'elle est imprévisible,
07:33et parce que le danger est invisible,
07:35est-ce que les guides sont encore aujourd'hui capables
07:39de repérer ces menaces et ces dangers ?
07:42Capables de repérer, ça ferait des guides, des dieux.
07:45Non, mais ils la connaissent, ils l'écoutent, la montagne.
07:48Et surtout, ce qu'ils vont faire,
07:50c'est qu'ils vont vous dire que maintenant
07:52que la chaleur s'est installée au Pays du Mont-Blanc,
07:55à Chamonix, à Saint-Gervais,
07:57il y a plein d'autres courses qu'on peut faire
07:59plutôt que d'aller un peu chatouiller les démons
08:02et puis prendre des risques inutiles.
08:04Alors, on parlait des sérapes qui s'écroulent toute l'année.
08:08Vous avez parlé des chutes de pierre
08:10pour l'itinéraire de Saint-Gervais,
08:12du couloir du Goûter.
08:14Moi, je vais quand même être un peu rassurant.
08:16Cette année est une belle année,
08:18c'est-à-dire qu'il y a eu de la neige.
08:20Il y a eu de la neige très tard
08:22et il y a eu très peu de chutes de pierre
08:24par rapport aux autres étés.
08:26Mais c'est quand même la vie d'un montagne.
08:28Et donc, ce serait bien que les gens deviennent raisonnables
08:31et qu'on se dise qu'au mois d'août,
08:33peut-être, on fait autre chose.
08:35Au mois d'août, on fait d'autres courses
08:37et puis on reprendra la course du Mont-Blanc
08:39au mois de septembre,
08:41quand les conditions seront meilleures
08:43et que la montagne se sera refroidie.
08:45C'est bien à nous de nous adapter à la nouvelle donne.
08:47Merci beaucoup à tous les deux.
08:49Merci à Nicolas Câblon-Lelouch d'avoir été avec nous également
08:51depuis la Haute-Savoie.

Recommandée