• il y a 2 mois
Ni politique, ni d’actualité, ce n’est pas l’entretien qui a engrangé le plus de vues mais il m’a marqué. Tout d’abord, Nicolas d’Estienne d’Orves est un écrivain dont j’apprécie la belle écriture. Il est aussi un merveilleux conteur. Enfin, je crois partager sa fascination pour Arletty qui, au-delà de l'extraordinaire comédienne, était une femme libre, avec son génie, ses failles, ses démons…
Grâce à Nicolas d’Estienne d’Orves, je me suis repassé à l’infini cette scène des "Enfants du paradis" où Garance s’écrit : "Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un si grand amour".
Je suis heureux, au cœur de l’été, de vous faire partager cette passion.

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Transcription
00:00Écrivain et journaliste, je suis heureux d'accueillir Nicolas Destiendorf pour son
00:15nouveau roman consacré à un monstre sacré, Arletty, Arletty, au cœur libre, c'est chez
00:21Kalman Lévy et c'est en vente sur TVL.fr, dans la boutique de TVL.fr, vous êtes habitué
00:28de vous retrouver sur cette boutique où vous trouvez les meilleurs livres à acheter
00:33pour ces fêtes de Noël.
00:34Bonjour Nicolas Destiendorf.
00:35Bonjour.
00:36Alors, alors que l'image d'Arletty s'efface dans la mémoire des nouvelles générations,
00:41vous avez pris le parti de vous mettre dans la peau de la grande comédienne, audacieux
00:46ou présomptueux ?
00:47Audacieux, présomptueux, ambitieux, en fait moi je suis surtout romancier, j'aime raconter
00:53des histoires, j'aime me faire découvrir des personnages et j'avais fait une biographie
00:57de Mardrichard chez Kalman Lévy il y a 5 ans en prenant ce même principe et là,
01:02ça s'est imposé, c'est-à-dire que je voulais faire découvrir Arletty aux gens,
01:06comme vous le disiez, les gens ne savent plus, quand je demande autour de moi, quand on me
01:09demande sur quoi je travaille et que je dis Arletty, les moins de 40 ans me regardent
01:12avec un œil rond, donc voilà, je voulais l'incarner, la ressusciter et en fait la
01:18faire vivre, voilà, pour qu'elle existe encore plus, disons de façon plus charnelle
01:24que juste un personnage de récit ou de livre historique.
01:29Vous avez intéressé au cinéma votre dernier grand roman, Ce que l'on sait de Max Toppard,
01:35évoquait ce cinéma français, premier cinéma français, vous avez fait donc là le choix
01:39d'une autobiographie, pardon, romancée, qu'est-ce qui est juste et vrai dans l'ouvrage,
01:45qu'est-ce qui appartient à l'imagination de l'auteur ? Difficile de juger le vrai
01:51du faux ?
01:52En fait, contrairement à Max Toppard où vraiment tout était une sorte d'écran
01:55de fumée, là, tout est vrai, j'ai lu toutes les biographies existantes d'Arletty,
01:59il n'y en a pas beaucoup mais elles sont très précises et pour le coup c'est des
02:02vrais travaux d'historien, de journaliste, j'ai écouté à peu près toutes les interviews
02:05qu'on peut trouver sur internet ou sur le site de l'INA, j'ai regardé toutes les
02:09interviews qu'elle a données et j'ai établi une sorte de chronologie biographique
02:13des origines de sa naissance quasiment jusqu'à sa mort et je me suis plongé dans sa vie
02:19de façon très méthodique, jour après jour, je me suis glissé dans sa vie mais
02:24je n'ai rien inventé, c'est-à-dire que tout comme dans un biopic un metteur en scène
02:28met en image la vie d'un personnage, moi je l'ai mise en mots, c'est-à-dire qu'effectivement
02:33les dialogues ne sont pas d'une précision diamantaire, je n'étais pas là pour reproduire
02:38exactement ce qui s'est passé parce que je n'étais pas présent mais je pense qu'elle
02:43a dû quand même un petit peu parler comme ça parce qu'au bout d'un moment je me suis
02:46presque identifié par mon personnage et j'ai vécu par, dans et pour Arletty pendant
02:52des mois.
02:53C'est important ce que je veux dire parce que quand on sort de Max Topard, où on est
02:56allé sur la fiche Wikipédia à la fin pour voir qui était vraiment Max Topard et qu'on
03:00découvre qu'il est issu de l'imagination exclusive de Nicolas Descendants, là Arletty
03:04ce que vous racontez de sa vie, de son parcours professionnel, amoureux, on est au plus proche
03:11de la réalité.
03:12Alors c'est vrai en fait, tout est vrai, c'est un peu comme les biographies que faisait
03:16Max Gallo, que faisait Henri Troya, cette tradition de la biographie mise en scène,
03:21mise en mots, mise en espace, qui permet vraiment d'incarner un personnage et c'est moins
03:26froid qu'un récit d'historien, voilà je veux que les gens aient l'impression d'être
03:31avec Arletty, de l'entendre parler.
03:33Alors allons avec Arletty, c'est avant tout Léonie Batia, née en 1898 à Courbevoie,
03:38juste à côté de Paris, aujourd'hui dans les Hauts-de-Seine, née dans un milieu populaire,
03:43vous lui faites dire, j'étais une petite fille mal élevée, je pense surtout que je
03:47me suis élevée toute seule.
03:48En fait ses parents venaient d'un milieu très modeste, c'était des immigrés si je
03:53puis dire, Auvergnat, arrivés quelques années plus tôt à Courbevoie, son père travaillait
03:57à la TPDS, c'est-à-dire l'ancienne de la RATP, il travaillait dans les tramways, et
04:00sa mère était fine lingère, elle avait un petit frère, et c'est un milieu très très
04:04modeste de gens qui regardaient Paris depuis l'autre côté de la Seine, ils voyaient les
04:07lumières de la ville de loin, et il y avait un côté assez zolien, assez naturaliste
04:11dans cette atmosphère d'ouvrier où la mère disait à sa fille, mais n'espère pas, traversez
04:16la Seine, n'espère pas, allez dans le grand monde, il y avait une sorte de déterminisme
04:19social, et toute sa vie elle a lutté contre ce déterminisme, avec énergie, volonté,
04:24non pas une ambition professionnelle, mais juste un désir de liberté d'aller ailleurs.
04:28On n'est pas chez Zola, il n'y a pas le déterminisme, au contraire, elle a raconté
04:32sa jeunesse dans son livre, qu'elle a écrit La Défense vers la fin de sa vie, ses origines
04:37modestes et sans le sou dans un milieu ouvrier, est-ce que ça explique, pour bien la définir,
04:42la Gouaille, ce ton de voix qui va l'identifier au cinéma ? Est-ce que c'est de cette origine,
04:48de cette extraction sociale qu'elle détient cette possibilité de Gouaille qui va faire
04:52son succès ?
04:53Sans doute, bien sûr, et ensuite, cette Gouaille va lui coller à la peau, dès qu'elle va
04:59faire du cinéma, elle va systématiquement jouer des rôles, soit de femme de chambre,
05:03soit de pute au grand-cœur, pour généraliser, et c'est enfin ces carnets préverts qui
05:08lui donneront des rôles à la mesure de son talent, mais cette Gouaille, voilà, surtout
05:12elle incarne, c'est vraiment une parisienne, quoi que n'ait la Courbevoie, c'est une femme
05:16qui a passé presque toute sa vie à Paris, même si parfois elle est allée acheter des
05:20maisons ailleurs en province, et puis c'était une époque aussi où, je sais même, elle
05:24le dit dans d'autres textes, où chaque quartier de Paris avait son argot, il y avait l'argot
05:28des Batignolles, il y avait l'argot de la Butte aux Cailles, elle avait l'accent de
05:32Courbevoie, on n'imagine pas à quel point toutes ses parlées étaient vernaculaires,
05:37maintenant il y a une espèce de grand parler neutre, sans grand relief, mais elle, voilà,
05:43elle vient d'un milieu extrêmement populaire et a conservé cette Gouaille, et au bout
05:47d'un moment elle a contenu, quand vous entendez les interviews d'elle à la fin de sa vie,
05:52elle a un parler assez pointu, elle vivait dans le XVIème, et tout à coup, il y a une
05:55petite remarque qui sort, et puis elle a ce rire de petite fille émerveillée, où on
06:00trouve toute l'espèce d'angélisme enfantin.
06:04Oui, c'est parce qu'elle a cette voix si reconnaissable, ça ajoute aussi, bien sûr,
06:07à un rire qui est gravé à jamais dans les morts de ceux qui connaissent Arletti, vous
06:10dites un rire en cascade comme des rivières de perles.
06:12Voilà, exactement ça, comme ça, ça fusait.
06:15Allez, vous allez vous attacher à Arletti, artiste, mais aussi à la femme amoureuse,
06:20qui prend beaucoup de place dans l'ouvrage, la femme qui se lance dans de grandes aventures
06:25amoureuses, vous mettez en exergue de l'ouvrage cette phrase, on m'a prêté tant d'aventures
06:29qu'il m'aurait fallu trois siècles pour les vivre, et pourtant, le premier grand amour
06:34va être surnommé Ciel, comme le ciel, et vous allez nous expliquer pourquoi, et c'est
06:39un amour platonique, et qui va marquer presque toute sa vie.
06:44Presque toute sa vie, on est l'été 1914, Ciel est un fils d'immigré italien d'une
06:54communauté qui vivait à Courbevoie, près de chez elle, il a les yeux bleus comme le
06:57ciel, il est beau comme l'amour naissant, ils ont une bluette absolument merveilleuse,
07:03le bal du 14 juillet, ils se retrouvent sur le pont des Arts, on est presque dans la littérature
07:07pour jeunes filles, et là, en fait, elle découvre l'amour, et évidemment, les premiers
07:14jours du mois d'août 1914, il est envoyé sur le front de l'Est, enfin, il est envoyé
07:19sur le front, et il meurt en quelques jours, et elle ne s'en remettra jamais vraiment,
07:23et de cette expérience tragique, elle dira, je ne serai ni veuve de guerre, ni mère de
07:26soldat, et toute sa vie, elle s'y tiendra, on lui proposera de se marier plusieurs fois,
07:31elle refusera, et elle tombera deux fois enceinte, elle se fera avorter deux fois.
07:34– C'est-à-dire pas de mariage, et pas d'enfant, et elle s'y tiendra toute sa vie.
07:37– Absolument, toute sa vie, même parfois son corps défendant, enfin, une partie de
07:41lui-même dit, non, je devrais sortir de ce carcan, mais non, elle s'y tiendra, elle
07:46avait une volonté de faire, elle était têtue, elle était obstinée, parfois jusqu'à une
07:51forme de… enfin, ça allait contre ce qu'elle aurait dû faire, mais voilà, elle voulait
07:57jusqu'au bout dans ses convictions.
07:59– Y compris même dans le pas d'enfance, les avortements qu'elle vit d'une manière
08:03très douloureuse.
08:04– C'est-à-dire se faire avorter pendant le tournage des enfants du paradis, dans des
08:08conditions un petit peu… dans un pays occupé, alors qu'en plus elle était en train de
08:13tourner, qu'elle a des malaises, voilà, on ne se rend pas compte quand on voit les
08:15enfants du paradis, mais il y a certaines scènes où, en fait, elle souffrait énormément.
08:19– Après Ciel, il y a Edelweiss, Georges Lévy, la chance de sa vie, un banquier suisse
08:27et juif, face à la bienséance, face à sa fille, le nouveau trait de sa personnalité
08:31d'Arletti, se dessine, c'est véritablement l'indépendance, parce que là encore, c'est
08:35très audacieux à cette époque.
08:37– En fait, c'est un jeune homme, fils de banquier suisse, juif, vivant une jolie
08:42ville dans l'ouest parisien, qu'elle rencontre dans la rue, elle a rencontré toujours les
08:46hommes de sa vie dans la rue, toujours dans des conditions un peu inattendues, mais c'est
08:49une époque où on pouvait aborder les jeunes femmes dans la rue sans se prendre un procès.
08:53Et ce jeune homme, Edelweiss, parce que c'est sa flore favorite, va être son Pygmalion,
08:59il va lui faire lire des livres, il va l'emmener au théâtre pour la première fois, il va
09:02lui faire découvrir des tableaux, il va lui faire découvrir la culture, et il va la façonner.
09:06Ils vont rester ensemble pendant deux ans, ça va être l'objet d'une brouille terrible
09:10avec sa mère, elle ne reverra sa mère quasiment que le soir de sa mort, mais il fait partie
09:15de ces hommes qui vont former, façonner la psyché d'Arletti.
09:20Est-ce que c'est une femme à hommes, ou est-ce que c'est une femme qui s'attache à des hommes
09:26mais de manière très sérieuse, très forte, ou est-ce que c'est une femme qui collectionne
09:33des hommes ? On va dire qu'il y a des hommes qui collectionnent des femmes.
09:35Non, en fait elle a besoin d'être amoureuse, c'est une femme passionnée, elle est passionnée
09:40beaucoup plus par les hommes que par son métier. Elle est arrivée au théâtre un peu par hasard,
09:44comme les gens de sa génération, le cinéma c'est leur argent de poche, à la limite elle aura
09:49la passion de son métier à partir de la guerre et même après la guerre, mais c'est juste qu'elle
09:52a besoin d'être dans un état de tension amoureuse, elle a besoin de passion, elle a besoin de
09:56déferlement, elle a besoin d'être ravagée par la passion pour un homme, donc il y a eu beaucoup
10:01d'hommes, mais il y a eu quelques hommes importants, et quelques femmes aussi, peut-être qu'on en
10:05parlera, et donc c'était une femme dont la vie était guidée, je vous dis, par ses passions,
10:10par ce besoin en fait d'absolu.
10:13On ne la voit pas dans l'ouvrage, on ne la voit pas guidée par le souci de l'argent par exemple.
10:18Non, elle en a, elle en a, mais quand elle n'en a plus...
10:22Elle en a, elle vient d'un milieu très modeste, mais en fait il n'y a pas de désir de revanche,
10:27contrairement à d'autres personnes qui viennent d'un milieu assez modeste, elle n'a pas de désir
10:31de revanche sociale, comme il n'y avait pas d'ambition, il n'y avait pas besoin de gagner
10:36contre une injustice de la vie au début, en fait elle a presque été tellement anesthésiée
10:41à la mort de ciel que, quoi qu'il arrive, le sentiment d'être une survivante, donc
10:45elle profite de la vie, de toutes les manières possibles.
10:47De toutes les manières possibles, elle a toujours cette notion de liberté qui sera
10:52vraiment associée à sa vie, on le retrouve donc dans le choix de ses amours d'hommes,
10:57mais aussi de femmes, jusqu'à l'incroyable passion pour Faune, alors Faune c'est un homme,
11:02Hans est officier de la Wehrmacht, en plein cœur de tout Paris, en plein cœur de l'occupation,
11:07une transgression qui aurait pu lui coûter la vie, vous dites avec Hans, Arletti est
11:11allé trop loin dans son amour.
11:13C'est-à-dire qu'en 1939-1940, Arletti est, au fait de sa célébrité, au fait de
11:20sa notoriété, c'est la plus grande star du cinéma français, et en fait du cinéma
11:23européen, parce qu'elle était très populaire en Allemagne, en Italie, c'était une actrice
11:27extrêmement populaire.
11:28Sans être allée en Allemagne.
11:31Sans être allée en Allemagne pendant la guerre, elle est tournée en Allemagne avant
11:37la guerre, comme tous les comédiens français à peu près, et à un dîner pendant l'occupation,
11:42elle rencontre un beau jeune homme de 10 ans de moins qu'elle, avec des oreilles pointues
11:46ce qui fait qu'elle le surnommera Faune, et lui il l'appellera Biche, et en fait ce
11:50jeune homme la fascine, et puis ils vont commencer à se tourner autour, il se trouve qu'effectivement
11:54il est officier de la Luftwaffe, il est assesseur au conseil de guerre à Paris, et sa famille,
11:59les Sörings sont des proches des Görings, donc voilà, donc effectivement il fait partie
12:02d'un peu de l'establishment, mais c'est un homme qui n'a pas d'ambition militaire
12:08particulière, il est officier parce qu'à l'époque il n'y avait pas le choix, lui
12:11il veut être écrivain, il est passionné de littérature, de cinéma, et il se retrouve
12:15devant l'actrice la plus connue du moment, et c'est un coup de foudre, un coup de foudre
12:19qui va mettre du temps à se mettre en place, parce que lui est un petit peu embarrassé,
12:24normalement un officier n'a pas le droit de sortir avec une femme dans un pays occupé,
12:29contrairement aux simples soldats, et Arletty devrait quand même faire attention, parce
12:33qu'elle est sous le feu des projecteurs, mais elle se dit, en fait, elle n'aime pas
12:38les Boches, mais lui c'est pas un Boche, lui c'est Hans, et c'est ça la différence,
12:42et donc elle tombe folle amoureuse de lui, et en fait elle va s'en foutre si je puis
12:46dire de tout, elle va s'afficher son amour, elle est tellement fière d'être dans la
12:50rue, au bras de ce beau garçon, il se promène, il y a tellement de lumière qui émane de
12:53ce couple qu'elle se dit mais le reste on s'en fiche, qu'il ait un uniforme, qu'il
12:56ait un bras sarkine, une croix gammée, qu'est-ce que ça change, c'est l'homme que j'aime,
12:59c'est l'homme qui me rend heureuse, pourquoi est-ce que je devrais m'arrêter, si je
13:02puis dire, à des détails vestimentaires ou politiques, elle n'a jamais été aussi
13:06heureuse, aussi amoureuse et aussi comblée de sa vie, et ça, ça va passer avant tout,
13:10et ça va lui coûter, et sa carrière, et sans doute sa vue.
13:13– Ça va lui coûter très cher, elle va être arrêtée.
13:17– Absolument, elle est arrêtée, en fait il n'y a pas eu de procès, il n'y avait
13:24rien véritablement contre elle, à part le fait qu'elle a été la maîtresse d'un
13:27Allemand, mais contrairement à d'autres comédiens ou comédiennes, contrairement
13:30à Dario, Viviane Romance, Albert Préjean, et tant d'autres, elle n'est pas allée
13:34en Allemagne, elle n'a pas travaillé pour la continentale, les Allemands auraient bien
13:37voulu la faire travailler pour eux, mais elle a toujours refusé, simplement c'était
13:41la femme la plus connue de son moment, de l'époque, et elle avait cette liberté de
13:46ton que, à la fin de la guerre, les gens avaient envie un peu de, entre guillemets,
13:50se payer Arletty, tout comme ils se sont payés Guitry, c'est-à-dire des gens qui les avaient
13:53tellement énervées pendant des années, c'était haute toile à que je m'y mette,
13:56et en fait elle va subir pas mal d'humiliation, elle va être envoyée à Drancy, à la conciergerie,
14:01et ensuite, à la suite d'une dénonciation pas très claire de la part d'un malfrat
14:05qui l'aurait croisé à la prison du Cherchemidi dans les années 43-44, en fait c'est une
14:11histoire pas très claire, mais on met ça de côté, on s'occupera de ça plus tard,
14:16mais en attendant, mettons-la au verre, et en fait elle est assignée à résidence pendant
14:20deux ans, le temps que cette histoire soit réglée, ça aboutit à un non-lieu, en fait
14:24il se trouve que le témoin s'était trompé, que ça n'était pas Arletty, mais elle passe
14:27deux ans dans un château dans la banlieue parisienne, à être en fait une sorte de
14:31belle captive pour ses propriétaires, et tous les week-ends, le tout pareil vient déjeuner
14:35le dimanche dans le château de la Houssay, en Seine-et-Marne, donc voir Arletty, et ensuite
14:39le soir ils rentrent chez eux, ce qui fait que, par exemple, elle n'assiste pas à la
14:43première des Enfants du Paradis, son nom n'est pas sur l'affiche, les articles ne la mentionnent
14:47pas, ils mentionnent Garence, ce qui est inimaginable aujourd'hui, et donc ça va
14:51créer en elle une amertume évidemment très profonde, et surtout une lucidité sur le
14:55genre humain dont elle ne se départira jamais.
14:57– Voilà, toute la presse ignorera son nom, c'est déjà le politiquement correct
15:00qui se met en place, on connaît ça maintenant.
15:03Arletty est une femme d'origine populaire, naturelle, indépendante, libre, sans attache,
15:08on arrive déjà maintenant, grâce à vous, à la dessiner, mais c'est aussi et surtout
15:10une comédienne dans l'âme, bien évidemment, et en lisant le livre, on découvre que si
15:14le public connaît, comme moi, l'artiste Paul Pony de très très grands rôles, son
15:18vrai métier, c'est la scène, c'est le théâtre où elle commence, et d'ailleurs
15:22finit sa carrière avec un point d'orgue, une pièce bascule, fric-frac.
15:28– En fait, elle commence le théâtre complètement par hasard, elle se promène sur le boulevard
15:33des Capucines, on est en 1920-1921, elle se promène sur le boulevard des Capucines, elle
15:38est abordée par Paul Guillaume qui était un marchand d'art très connu à l'époque,
15:41il voit passer cette très jolie demoiselle, il la dragouille un petit peu, elle se laisse
15:46faire, il comprend qu'il n'y avait pas grand-chose à faire de plus, mais il dit
15:50mademoiselle, vous devriez faire du théâtre, vous avez jamais pensé à ça ? Elle n'avait
15:52jamais pensé à ça, il lui donne son bristol, il lui dit traversez le boulevard, en face
15:56vous avez le théâtre des Capucines, allez voir le directeur de ma part, il s'occupera
15:59de vous.
16:00Elle n'avait rien d'autre à faire de sa journée, elle y va, elle donne le bristol,
16:03le directeur lui dit vous savez chanter ? Non, vous savez jouer la comédie ? Non, vous savez
16:07danser ? Non, et bien on va essayer, il la fait monter sur scène, il lui dit chantez
16:11quelque chose, et à cette époque-là, on était en pleine anglomanie, donc elle
16:14dit je vais chanter Tipper Harry, et donc elle chante Tipper Harry, et avec une totale
16:19absence de talent, mais avec un abattage, une présence et un charme incroyable, et
16:22donc elle est engagée.
16:23C'était l'époque où il y avait des revues, c'était un espèce de spectacle qui mélangeait
16:27des sketchs, des chansons, des numéros d'illusionnistes, ce genre de choses, et en fait très rapidement
16:33elle passe d'une utilité à un second rôle, un second rôle à un premier rôle, et elle
16:38joue des revues constamment pendant des années, et tout à coup ça devient du théâtre,
16:42ou elle se met à jouer au théâtre, le cinéma arrive, le cinéma parlant, et il y a une espèce
16:46d'interpénétration entre tous ces genres d'artistes, ce qui fait qu'elle est constamment
16:49en train de tourner, jouer, chanter, tout ça jusqu'à ce Frick Praxe, cette pièce
16:54de théâtre d'Edouard Bourdet à la fin des années 30, qui est un succès énorme,
16:57qui est de la bascule de sa carrière, qu'elle joue avec Michel Simon et Victor Boucher,
17:00s'ensuit un film très fameux, où Boucher est remplacé par Fernandel, et après la
17:05rencontre capitale avec Marcel Carnet, et les grands films qu'on connaît, Hôtel du Nord,
17:09Le jour soleil, Les enfants du paradis... – Voilà, Hôtel du Nord, celle-là peut-être
17:11qui devient star, star de l'écran, c'est bien sûr donc Hôtel du Nord de Marcel Carnet,
17:15vous venez de le dire, avec Louis Jouvet notamment, et elle joue une prostituée,
17:19Madame Raymond, et vous vous gardez bien d'écrire le mot atmosphère, pourtant ce mot-là il est lié
17:26à Araléti, c'est sa gueule d'atmosphère qui va faire tout dans le film, et qui va la faire
17:32rentrer dans la postérité, ce mot atmosphère, il n'est pas noté. – Elle m'a dit que je voulais
17:36éviter d'enfoncer les portes ouvertes, il y a toute une série de citations qui ont été prêtées à
17:41Araléti, qu'elle n'a en fait souvent pas prononcées, qu'on lui a prêtées, enfin on ne prête qu'aux
17:44riches, donc je voulais pas faire une sorte d'Araléti caricaturé, c'est simplement,
17:53c'est la petite musique d'Araléti, c'est sa voix, c'était pas la peine d'insister là-dessus,
17:57mais atmosphère, c'est le film qu'elle préférait, Hôtel du Nord, Dialogue de janson,
18:02ils n'ont pas Dialogue de prévers d'ailleurs, parce que le préféré est aux Etats-Unis à l'époque,
18:05et ce qui est amusant c'est qu'Araléti et Jouvet sont des seconds rôles, les premiers rôles c'est
18:09Jean-Pierre Romand et Annabella, et vous demandez aux gens, personne ne se souvient des deux premiers
18:13rôles, qui étaient les jeunes premiers, Jean-Pierre Romand, star de l'époque puisqu'il avait joué dans
18:16la Coda, mais Annabella était une star aux Etats-Unis aussi, et le film ne vaut essentiellement
18:21que par les scènes merveilleuses d'Araléti et de Jouvet, qui ont demandé dix jours de tournage,
18:25alors que le tournage a duré sur des mois, mais voilà, et c'est aussi une sorte d'acmé de ce
18:29qu'était le cinéma français, où les seconds rôles avaient plus de caractère que les premiers rôles.
18:33Cher cher, chez Annabella, vous avez raison. Dernièrement, on va faire passe à un autre
18:38personnage, Garance, dans Les enfants du paradis, alors là c'est le chef d'oeuvre absolu du cinéma
18:43français, je pense qu'on ne contredirait pas sur ce point, tournée dans La Tourmente, avec une
18:48Araléti plongée, elle aussi, dans La Tourmente. Les conditions de tournage et des Enfants du
18:53paradis, et avant des Visiteurs du soir, c'est absolument extravagant d'avoir pu monter des
19:00films aussi ambitieux, avec autant de personnages, pendant l'occupation, en ne travaillant pas pour
19:05la continentale, c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas les moyens allemands pour tout mettre en place,
19:08et Carnet et Prévert y sont arrivés, et d'ailleurs, Araléti le disait, on voit surtout dans les
19:15carnets de José de Chambrat, La fille de Pierre Laval, quand parfois il y avait des petits problèmes
19:18pendant un tournage, Carnet disait à Araléti, est-ce que tu peux appeler ta copine José, qu'elle
19:22appelle papa, papa c'était Pierre Laval, et souvent les choses se débloquaient, parce que Laval
19:27passait un coup de fil trois secondes pour débloquer l'arrivée d'un train ou un camion qui était
19:32bloqué, et c'est des films qui étaient incroyablement bricolés, qui étaient construits avec des bouts
19:38de ficelle, et c'est parfois aussi comme ça que naissent les chefs-d'oeuvre, et comme sont nés
19:41tant de chefs-d'oeuvre à cette période de complexité à tout point de vue, où tant de choses
19:46extraordinaires sont nées de ces années noires.
19:49Nicolas Descendants, vous êtes cinéphile, comment vous interprétez l'idée qu'on arrive dans
19:54Les Enfants du Paradis à extraire Araléti comme quelque chose d'un moment magique, alors qu'elle
20:00est entourée de très grands artistes, que ce soit Baptiste, Frédéric Vellelé, que ce soit Pierre
20:06Brasseur, Jean-Louis Barraud, et tant d'autres, elle est une parmi les grands artistes, et pourtant
20:13elle domine par son éclat, par le génie de Prévert qui a construit intégralement son scénario
20:19autour du personnage de Garance, parce que pour le coup c'est un film qui a été intégralement écrit
20:23et pensé pour les comédiens qui le jouent, le casting était fait même avant l'écriture, et Garance
20:29c'est le personnage central, et surtout c'est le seul personnage imaginaire d'une pléiade de
20:33personnages qui ont vraiment existé, Frédéric le Maître, De Bureau, Laster, ils ont tous existé,
20:38sauf Garance, qui incarne en fait l'esprit de Paris, la femme française, la liberté, pour ce film
20:45tourné dans des conditions extravagantes, à la Victorine, à Paris, avec un tournage interrompu à
20:50cause des débarquements en Méditerranée, et qui miraculeusement en fait est le dernier grand film
20:57tourné sous l'occupation, et le premier grand film de la Libération.
21:00– Un film de plus de 3 heures, un chef d'œuvre absolu, vous signez le terme ?
21:06– Ça fait partie de mes films favoris, moi je suis un Renoirien, donc moi je mettrais toujours les films de Renoir
21:13au-dessus des films de Carnet, mais Le jour se lève, Les hésiteurs du soir, et Les enfants du paradis
21:19sont des films, il y a un miracle, surtout c'est le résultat d'une équipe, les films de Renoir reposent
21:26sur Renoir, là c'est une équipe, c'est une magie, c'est-à-dire que…
21:30– Il y a les lumières, il y a les décors, il y a la musique de Cosma, il y a les décors de Tronnerre,
21:36c'est le travail d'équipe, c'est la symbiose, c'est une bande, et c'est une bande de copains,
21:41c'est une bande qui pourtant venait de tous horizons, Robert Le Vigan devait jouer le personnage de Géricault au début,
21:47donc il y avait des collaborationnistes, des communistes, des juifs, enfin il y avait tout,
21:52et tout ça s'entendait pour défendre l'art, et voilà, et c'est ce qui fait le miracle de ce film
21:57qui tourne entièrement comme les planètes autour du soleil, autour de Garance.
22:02– L'éternité, Arletti l'a acquise avec un regard, une réplique qui fait mouche, une voix, une liberté,
22:07une goye, et par un talent, bien sûr, extraordinaire, vous ne parlez pas de l'Arletti chanteuse,
22:11pourtant elle reste encore dans les mémoires, toi aussi ?
22:14– Elle chantait bien, mais parce qu'il fallait faire un tri, moi je suis plus cinéphile,
22:18j'adore l'histoire du musical, mais il n'y avait pas tant de choses que ça à développer,
22:22si ce n'est parler de toutes les revues dans lesquelles elle a chanté, citer des chansons,
22:26le risque c'était de faire du catalogue, comme je ne parle pas trop de la comédienne de théâtre,
22:32j'en parle, mais on est surtout, je parle de l'Arletti femme, de l'Arletti amoureuse,
22:37de l'Arletti passionnée, de la femme blessée, voilà, c'est une biographie,
22:43je n'aime pas le mot sentimentale, mais c'est une biographie intime d'Arletti.
22:46– Ce n'est pas une femme heureuse ?
22:48– Non, elle le disait, elle a connu des moments de bonheur,
22:52mais en fait elle était très lucide, dès la mort de Ciel,
22:56elle a su ce qu'il fallait penser du genre humain,
22:59elle a toujours été pacifiste, elle avait une méfiance,
23:04mais aussi elle avait le sentiment d'être une survivante quoi qu'il arrive,
23:07donc elle profitait, profitait, profitait, mais avec toujours l'une de mire,
23:11elle savait comment les choses allaient se terminer,
23:13mais la destinée était assez rosse avec elle.
23:17– Il y a plein de mystères bien évidemment, il faut lire le livre,
23:20mais il reste un grand mystère quand même,
23:22que pensait Arletti en matière politique ?
23:24Alors, on la découvre pacifiste et viscéralement anti-Bosch dans les années 30,
23:28et pourtant traitée de collabo et de pute à Bosch,
23:30pardonnez-moi l'expression, mais c'est cela,
23:32on sait qu'elle n'a participé à aucun voyage de propagande,
23:34n'a jamais fait de déclaration politique au moment de la seconde guerre mondiale,
23:38mais elle va soutenir quand même Céline, Bardèche et quelques autres au pire moment,
23:42c'est-à-dire au moment de l'épuration,
23:43elle va sauver Tristan Bernard pourtant des griffes nazis,
23:46puisque Tristan Bernard est juif,
23:48elle va être blâmée par le comité d'épuration,
23:51que pense la vraie Arletti ?
23:53– Je pense qu'elle n'avait pas vraiment de conscience politique en fait là,
23:57comme beaucoup de proscrits de 1944-1945,
24:00elle s'est un peu retrouvée poussée dans le camp des maudits,
24:04elle a rencontré Céline pendant la guerre,
24:05mais c'est vraiment après la guerre qu'ils sont devenus proches,
24:08et puis elle avait surtout ce…
24:09voilà, elle a toujours détesté hurler avec les loups,
24:11donc il y avait aussi une forme de provocation,
24:14comme un pied de nez à assumer ses amitiés incorrectes,
24:17elle était… voilà, elle était amie avec Maurice René…
24:22– Elle aimait le scandale quand même.
24:23– Oui, elle aimait le scandale, elle aimait déranger,
24:25elle aimait provoquer,
24:26elle adorait le voir dans le regard de l'autre,
24:29une sorte de raser d'œuvre, elle aimait perturber,
24:32c'était une emmerdeuse au sens le plus noble du terme,
24:35elle détestait le consensus,
24:37mais il n'y a pas vraiment de conscience politique,
24:40ce n'est pas ce qui la caractérise,
24:42elle, elle aimait la liberté à tout craint.
24:46– Arletti, Nicolas Dessine-Dor, ce personnage,
24:49vous avez réussi à le quitter ou vous êtes toujours avec ?
24:51– En fait ce livre a été écrit il y a pas mal de temps,
24:54parce que c'est le décalage des publications,
24:56je l'ai écrit pendant le confinement,
24:58où j'allais me perdre dans la Drôme Provençale,
25:00et donc j'ai vécu complètement en vase clos avec elle pendant deux mois,
25:03à ne vivre que par, dans et pour elle,
25:06et oui j'ai mis un peu de temps,
25:07mais bon, il suffit que je regarde les Enfants du Paradis avec mes enfants
25:11et je suis de nouveau plongé dans ce monde assez merveilleux.
25:14– Vous l'aviez rencontrée ?
25:15– Arletti, non, hélas, elle est morte quand j'avais 18 ans,
25:18j'avais déjà vu les Enfants du Paradis,
25:19mais très franchement à l'époque je pensais qu'elle était déjà morte,
25:22donc j'ai appris aux actualités,
25:23et là je me suis dit, zut,
25:25et en plus ce convoi qui a l'été 1992,
25:28fait un détour par l'Hôtel du Nord
25:32avant d'aller au cimetière de Courbevoie où elle est enterrée.
25:36– Vous lui avez donné une postérité, une éternité ?
25:39– Gageons !
25:40– Merci à vous. – Merci beaucoup.
25:42– Sous-titrage ST' 501

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