Zoom d'été - Michel Maffesoli - Crise des institutions : le sang va couler

  • il y a 2 mois
Pierre Bergerault

10 juil. 2024 12:45 (il y a 12 jours)

À moi


De : Pierre Bergerault
Envoyé : mercredi 10 juillet 2024 11:56
À : Martial Bild
Objet : Zoom choisi Maffesolli

Le Zoom - Michel Maffesoli - Crise des institutions : le sang va couler
Vignette : L'ère des insurrections a commencé
Je vous invite à (re)découvrir l'entretien que le professeur Michel Maffesoli a accordé à TVLibertés pour parler de son ouvrage "Essai sur la violence". Un entretien qui entre évidemment en résonnance avec les législatives 2024, sa violence médiatique et la division de l'Assemblée en trois ensembles. La violence risque bien de rejaillir dans l'hémicycle jusqu'à la formation d'un nouveau gouvernement qui devra composer pour éviter l'éclatement. Comment comprendre l'invariance de la violence dans l'histoire ? Comment expliquer son omniprésence dans la société ? Comment analyser la fascination qu'elle ne manque pas d'exercer sur les esprits ? Loin de verser dans une théorie simpliste de la violence, j'amène Michel Maffesoli à mettre en lumière les aspects structurels de ce fait social. Il est vrai que cette mystérieuse part d'ombre imprègne nos vies et nos débats, taraude nos passions et nos raisons. Mais peut-être une violence ritualisée, homéopathisée est-elle préférable à l'ennui mortifère d'une société aseptisée, génératrice d'explosions incontrôlées. Une analyse profonde et flamboyante que je vous propose de découvrir.

Category

🗞
News
Transcription
00:00♫ Générique de fin ♫
00:05Bonjour à tous, bienvenue dans notre Zoom aujourd'hui en compagnie de Michel Maffesoli.
00:16Bonjour monsieur.
00:17Bonjour.
00:18Michel Maffesoli, vous êtes professeur émérite à la Sorbonne,
00:20membre de l'Institut universitaire de France,
00:23vous êtes sociologue et vous publiez cet ouvrage aux éditions du CERF.
00:28Et c'est sur la violence à retrouver, comme d'habitude, sur la boutique officielle de TV Liberté.
00:33Est-ce qu'on peut commencer, Michel Maffesoli, par donner une définition à la violence ?
00:38Oh, définition, toujours, c'est délicat.
00:41Disons, je rappelle tout simplement que notre espèce animale est aussi une espèce animale.
00:47Donc il y a, je dirais, anthropologiquement, si je puis dire,
00:50c'est-à-dire inscrit dans nos gènes, notre race, comme d'autres espèces animales,
00:56eh bien, cette violence, c'est-à-dire la force qui nous anime
00:59et qui fait que très souvent, l'autre est un ennemi, quel que soit cet autre d'ailleurs.
01:04Et donc la violence, on la retrouve sous toutes ses formes, et je dirais de tout temps.
01:09Est-ce que vous faites un distinguo entre la force et la violence ?
01:13Non, moi je dirais que la violence, c'est la virtue, c'est-à-dire la force, fondamentalement.
01:21Même virtu, on le traduit par, on a oublié, on dit vertu, mais fondamentalement,
01:25c'est la force en latin, excusez-moi d'être pédant, en latin c'est vis, V-I-S.
01:32Et cette force, si vous voulez, qui est au cœur même de ce que chacun d'entre nous
01:36est individuellement et collectivement.
01:39Donc la violence, le sous-titre de mon livre, c'est la violence banale et fondatrice.
01:45C'est-à-dire qu'il y a toujours de la violence, tout le problème,
01:48mais c'est de ce dont il faut discuter, et c'est ce que j'explique dans ce livre,
01:52comment on se dépatouille avec cette violence, comment, je dirais, on la ritualise.
01:58D'une manière un peu imagée, je dis comment on l'homéopathise.
02:01Et les sociétés équilibrées n'ont pas dénié la violence, mais s'en sont accommodées.
02:07On a su la gérer, en quelque sorte.
02:10Voilà, le cœur battant de mon livre, il est là.
02:13Savoir gérer quelque chose qui est là, structurellement, fondamentalement.
02:18– Mais entre la force et la violence, on peut, par exemple,
02:20à l'égard d'un enfant, faire preuve de force pour son éducation, pour son bien,
02:24sans aller jusqu'à la violence qui pourrait le détruire ?
02:26– Oui, oui, non, certes, soyons clairs, vous avez raison,
02:29il convient de nuancer au niveau des termes même que l'on emploie.
02:33Là, je réfléchis sur la violence comme étant, je dirais, une matrice dans laquelle on baigne.
02:39Après, ça peut se décliner de diverses manières, ça peut prendre des formes diverses.
02:43La force en est une de cela, voilà.
02:46Mais là, moi, je me racle, vous savez, excusez-moi, ce livre, il a été écrit en 1800,
02:52il a paru en 1978, vous voyez, ma langue avait fourché, d'ailleurs.
02:57Donc, c'est un livre ancien, qui est du début de ma carrière, en quelque sorte,
03:01ça en est la 6e ou 7e édition, où, dans le fond, j'essaie de montrer que
03:06mon idée de base, telle que je viens de la dire, c'est-à-dire, dans toute société,
03:11il faut savoir gérer quelque chose qui est au cœur même de ce que nous sommes.
03:16Chacun d'entre nous a de la violence, qu'on le veuille ou non.
03:20Même dans la relation amoureuse, il y a une forme de violence qui est là, vous voyez.
03:24Alors, bien sûr, d'un point de vue politique, non moins, bien évidemment.
03:27Donc, voilà, mon propos est d'essayer d'insister sur le fait que
03:32ça ne sert à rien de dénier quelque chose qui est là.
03:35La dénégation, c'est que je ne vois pas, je ne veux pas voir.
03:39Je ne veux pas voir ce que la sagesse populaire dit bien, ce qui crève les yeux, voilà.
03:43Donc, c'est là. Donc, qu'est-ce qu'on fait avec ? Comment se dépatouiller avec ça ?
03:47– Et quand vous dites qu'une société équilibrée a recours à la violence,
03:50si je vous ai bien compris, est-ce que notre société est équilibrée, la nôtre, française ?
03:55– Non. Je n'ai pas dit à recours à la violence.
04:00J'ai dit que la société équilibrée est une société qui sait gérer la violence.
04:04– D'accord. – C'est un peu différent.
04:06Je vais vous donner un mythe qui est pour moi un mythe qui m'a beaucoup marqué
04:09dans ma jeunesse, au début de ma carrière.
04:12C'est la ville de Thèbes, qui est fondée par Cadmos, mythique.
04:18Cadmos a deux petits-fils.
04:19Il cède la gestion de la cité à Pinté, qui est le sage gestionnaire,
04:24le bureaucrate du moment, l'énarque de l'époque, si je puis dire, très rationaliste.
04:29Et le mythe commence en disant que la cité de Thèbes
04:34rachète le fait de ne plus mourir de faim par celui de mourir d'ennui.
04:38Tout est rationalisé, tout est bien géré.
04:41C'est à ce moment-là que les femmes, conduites par Agave, la mère de Pinté,
04:45curieusement, vont chercher le second petit-fils de Cadmos, qui est Dionysos.
04:49Et Dionysos est la figure, j'écris un livre sur Dionysos,
04:53qui est la figure, en quelque sorte, un peu, disons,
04:57de celui qui va introduire une force de violence.
04:59Ce sont les Dionysi, les Bacchanales.
05:02Une violence… – Le grec de la fête, du vin.
05:05– La fête, le vin, et des formes de violence aussi.
05:07Ce sont les fameuses Bacchanales, les Dionysi.
05:11Mais c'est une violence qui est ritualisée.
05:13C'est-à-dire que seul Pinté est tué, à minima, si je puis dire.
05:17Et à ce moment-là, la cité retrouve son âme.
05:19– C'est le sacrifice, quoi.
05:20– En gros. Mais qu'est-ce que je veux dire par là ?
05:22Je veux dire par là que, en gros, cette cité mourait d'ennui
05:27parce qu'elle était trop rationnelle.
05:29Et du coup, il convenait uniquement de ritualiser cette violence.
05:33Disons-le, au Moyen-Âge, c'étaient les Bacchanales.
05:36Pardon, c'étaient les fêtes des fous, les inversions,
05:39le combat, les duels au premier sang.
05:42Vous voyez ce qu'on appelait les duels au premier sang ?
05:44C'est-à-dire, dans le fond, des moments, disons-le très simplement,
05:49avec une expression d'Aristote, la catharsis.
05:52La catharsis, c'est quand on se purge de quelque chose qui est en nous,
05:56qui est dans le corps social comme dans le corps individuel.
05:59Et donc, moi, quand je dis « gérer la violence »,
06:01c'est de savoir gérer, c'est-à-dire s'empurifier de la violence, la sortir.
06:06Moi, je m'étais, à l'époque, il y a fort longtemps,
06:09disputé théoriquement par divers articles avec une ministre dont j'ai…
06:14Ségolène Royal, pour ne pas l'en nommer, une sotte à l'époque,
06:17qui avait écrit, qui avait fait cette loi contre le bizutage, par exemple.
06:21Et je montrais que refuser le bizutage
06:25allait entraîner des formes de violence beaucoup plus graves.
06:27Vous voyez, c'est-à-dire que si on ne sait pas catharsiser cette chose,
06:31bon, qui peut avoir des formes de violence, le bizutage, bien évidemment,
06:35mais cela allait entraîner des éléments beaucoup moins incontrôlables.
06:39Et on voit bien comment, de diverses manières,
06:41les racailles de banlieues, les bagarres de jeunes actuellement ou autres,
06:44pour moi, c'est, je dirais, la réponse du berger à la bergère.
06:47– Vous pensez que c'est l'absence de guerre
06:50que l'on vit sur notre territoire français aujourd'hui
06:52qui conduit à cette violence que l'on voit dans notre société ?
06:55– Je vais aller être un peu plus profond.
06:57C'est parce que, justement, on n'a pas trop voulu aseptiser toute chose.
07:01Aseptiser ou… – Le principe de précaution.
07:03– En gros, le risque zéro, si je puis dire.
07:05Ce qui s'est passé dans les trois ou deux ou trois dernières années,
07:08porte de la muselière, gestes barrières, je ne sais plus quoi,
07:13tous les trucs comme ça. – Les permis de sortie.
07:15– Voilà, confinement et autres, voilà de la pasteurisation de l'existence.
07:20C'est-à-dire, tout simplement, ne pas reconnaître que notre espèce humaine,
07:24il y a de la finitude.
07:25« Vers la mort, c'est notre lieu », enfin, c'est ainsi.
07:30Et donc, tout là, en quelque sorte, n'est pas de dénier la finitude,
07:34le risque sous ces diverses modulations, mais de savoir le gérer.
07:37Voilà le cœur battant de mon livre.
07:39Encore une fois, ne pas valoriser la violence,
07:41mais se rendre compte que, d'une certaine manière,
07:44si on ne trouve pas les manières de sang, je redis, de sang purgé,
07:49cela devient, dans le sens simple du terme, pervers.
07:52Pervers, pervit à s'apprendre des voies détournées.
07:55Et moi, je considère que…
07:56J'écris un livre qui s'appelle « L'ère des soulèvements »,
07:59antérieurement à celui-ci, qui est paru il y a 2 ou 3 ans.
08:02Je montrais qu'il va y avoir de plus en plus de ces soulèvements,
08:05que le sang va couler à bien des égards.
08:06Parce que, vous voyez, dans le fond, on n'a pas su, encore une fois,
08:11intégrer, reconnaître, accepter, pas canoniser,
08:16mais se rendre compte que cette violence nous constitue,
08:21et qu'est-ce qu'on fait avec.
08:23Comment, en quelque sorte, j'ai dit 2 ou 3 fois, on s'en dépatouille.
08:27Comment, en quelque sorte, voilà,
08:28voilà l'idée fondamentale de mon propos, de la longue durée.
08:33Vous voyez, c'est-à-dire qu'il ne sert à rien de vrai pour un risque zéro.
08:40Mais qu'au contraire, il faut, je dois ça à mon maître Gilbert Durand,
08:46qui montrait qu'il y avait toujours du nocturne au sein de nous.
08:49Il y a de l'ombre, il n'y a pas simplement de la lumière,
08:51et un homme sans ombre n'existe pas.
08:53Une société sans ombre n'existe pas.
08:56Donc, tout l'art est de voir comment, en quelque sorte,
08:58je vais, en quelque sorte, gérer cette ombre.
09:00La violence est une ombre.
09:02– Mais justement, quand vous évoquez ce risque zéro,
09:06ce principe de précaution, on l'a bien vu lors de l'épisode
09:10de la crise dite sanitaire, qu'elle a entraîné,
09:13que tout cela a entraîné de la violence.
09:15– C'est ce que je vous dis.
09:16– Et du sacrifice.
09:16– Je le pense.
09:17– Non mais, la volonté du risque zéro, c'est aussi de la violence.
09:22Ça débouche aussi sur de la violence.
09:23– C'est un totalitarisme.
09:24– Oui.
09:25– Moi, ma thèse d'État, à l'époque, elle était, dans les années 70,
09:29c'est ça où j'ai développé cette idée de risque zéro,
09:33d'hygiénisation, etc.
09:34Je disais, c'est un totalitarisme.
09:37J'ai eu tort de dire, j'appelais ça un totalitarisme doux.
09:40En fait, c'est un totalitarisme stricto sensu, voilà.
09:42Et on l'a bien vu dans la psychopandémie qui vient de s'écouler,
09:46si vous voulez, qui était véritablement…
09:48qui ne peut que susciter de l'hystérie par après.
09:51Vous voyez, tout l'art, je dirais, de la sagesse,
09:53mon propos sur la violence, c'est la sagesse populaire,
09:57qui sait, le bon sens sait qu'il y a de la violence.
10:00Donc, vous comprenez, je n'ai pas envie, encore une fois,
10:02de la canoniser, la violence.
10:04Je n'ai pas envie de dire qu'il ne faut qu'il n'y ait que ça.
10:07Au contraire même, je dis, il faut trouver les moyens,
10:09les sociétés équilibrées, reprenons l'expression que je disais,
10:12les sociétés équilibrées savent gérer cela.
10:14Nous, ce n'est pas le cas, voilà.
10:16Et donc, du coup, quand on ne sait pas gérer cela,
10:20cela peut aboutir à des formes, j'ai bien dit perverses,
10:23qui vont se développer, de mon point de vue.
10:25C'est intéressant de voir comment, à bien des égards,
10:28les émeutes qui ont eu lieu ces derniers mois-là, je crois…
10:31– Oui, la suite de la mort de ce jeune garçon à Eltsin par un policier.
10:34– Ce jeune garçon, etc., qui n'était pas justifiable,
10:35on ne va pas justifier, c'est un voyou.
10:37Bon, de toute façon, ce n'est même pas la question,
10:39mais il n'en reste pas moins qu'il va y avoir
10:42de ces émeutes de cet ordre, ce qui se passe dans les manifestations,
10:46quand vous avez toujours des petits groupes qui viennent manifestement
10:51essayer de pousser jusqu'au bout le désordre, en quelque sorte.
10:55Voilà, moi, je n'ai pas autre chose à dire que de dire, tout simplement,
10:59il ne sert à rien de dénier, si je le dis de manière un peu savante,
11:04une structure anthropologique,
11:06c'est-à-dire ce qui nous constitue en tant que hommes,
11:08c'est ça l'anthropos, et qu'il ne sert à rien de dénier cela,
11:12la violence est du nombre, l'agressivité, peu importe les termes,
11:15donc c'est la sagesse, la vraie sagesse,
11:18c'est de voir, en quelque sorte, de quelle manière je vais faire en sorte
11:23que cette violence ne devienne pas exacerbée,
11:27ne s'exprime pas, dans le sens simple du terme,
11:30d'une manière tout à fait incontrôlable.
11:32Et il se trouve, voyez-vous, que c'est, à mon avis,
11:35ce qui va de plus en plus se passer.
11:37– Comment vous l'expliquez, cette mauvaise gestion
11:40par l'État de la violence ?
11:42On parle beaucoup de la violence légitime de l'État,
11:45et aujourd'hui, pourquoi cela pose problème ?
11:48– Oh, là, c'est un autre débat que je ne développe pas là-dedans,
11:51mais je peux vous le dire d'un mot tout de même,
11:52puisque c'est quand même là aussi une de mes constantes,
11:55c'est que les élites, sous leurs diverses modulations,
11:59éditent ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire,
12:01c'est-à-dire la technocratie, la bureaucratie, les journalistes,
12:05soyons clairs, les mainstreams qui répondent à ça,
12:07les fameux experts qui n'ont rien à dire, d'une certaine manière,
12:11tous ces gens restent, je dirais,
12:13sur une conception très ancienne du monde de la modernité,
12:16c'est-à-dire une conception progressiste, rationaliste, individualiste,
12:21voilà pour moi le tripod moderne.
12:23Et cette élite, et les pouvoirs publics en particulier,
12:27la bureaucratie française en est l'expression achevée,
12:29regardez comment ce mot de progressisme
12:35être laïque, laïcité, rationnel,
12:40encore le Président a ses mots à la bouche, il n'a rien à dire,
12:43donc il le dit bien évidemment, ce qu'il n'a rien à dire.
12:46Mais c'est la technobureaucratie qui actuellement domine,
12:52reste sur des schémas dépassés, c'est ce que je veux dire, c'est tout.
12:56C'est-à-dire que la vieille tradition,
12:58moi je suis pour une conception, je suis maestrien,
13:00Joseph de Metz, je suis pour une conception traditionnelle du monde
13:03qui de mon point de vue est en train de revenir.
13:06Je considère que le sacré est en train de revenir,
13:07ce n'est plus le simple rationalisme,
13:09ce n'est plus simplement l'individualisme mais c'est le nous.
13:12À l'époque j'avais parlé des tribus.
13:13– Les communautés oui.
13:14– Maintenant je dis communautés pour ne pas trop choquer,
13:16mais dans le fond gardons cette idée du nous dans le sens simple du terme.
13:20Pour moi c'est, alors soyons clairs quand même,
13:23dans mes derniers livres, pas dans celui-ci mais dans mes derniers livres
13:25j'en parle, c'est le retour dans le vrai sens du terme
13:30d'une belle conception catholique du monde.
13:34Je vous prie de m'excuser cher ami,
13:36le vrai catholisme traditionnel de mon point de vue.
13:38– Oui le catholique traditionnaliste.
13:39– Voilà je ne vais pas aller dans le détail,
13:41mais disons quelque chose où dans le fond
13:44il y avait cette idée de la communauté fondamentalement
13:47et que dans cette idée de la communauté,
13:50eh bien la finitude avait sa part.
13:52On n'avait pas peur de la mort, on savait la ritualiser.
13:55Je ne sais plus dans lequel de mes livres sont les affoulements,
13:57je montre comment à Poitiers il y a Notre-Dame de la Bonne-Mort,
14:01à l'abbaye de Font-Gorbeau il y a Notre-Dame du Bien-Mourir,
14:04vous voyez, c'est-à-dire non pas la dénégation de la finitude,
14:06mais comment on va ritualiser cette finitude.
14:10Et ça c'est la belle idée catholique, pour le dire simplement.
14:13Et il me paraît que, puisque c'est ça votre question,
14:16qu'est-ce qui fait que le pouvoir public,
14:18ou je ne sais plus le terme que vous avez appris…
14:19– Oui c'est le recours à la violence légitime de l'État.
14:23– La violence légitime, bon c'est une bonne,
14:25moi je trouve que c'est bien cette idée-là, ne me chagrine pas,
14:28je dois vous avouer.
14:29Mais disons que c'est cet État qui ne représente plus rien,
14:34qui n'est plus en phase, excusez-moi je serais un tout petit peu sociologue,
14:40moi qui n'aime pas trop la sociologie,
14:43mais quand on voit les processus d'abstention actuellement
14:46dans quelque élection que ce soit, 53% d'abstention,
14:5184% des jeunes de 18 à 34 ans qui ne votent pas,
14:55les 3 ou 4 millions de non-inscrits sur les listes électorales,
14:59les votes blancs, les votes nuls,
15:02un élu, un président ou un député représente 10% de la population.
15:06C'est ça le vrai problème, on n'est plus dans la représentation.
15:10Et donc du coup, c'est parce qu'il n'y a plus de représentation
15:13qu'il y a ces formes exacerbées de la violence.
15:16Puisque je ne me reconnais plus dans ce qu'ils sont censés me représenter,
15:21et le processus que je viens de dire est assez important,
15:24eh bien cela ne peut qu'aboutir à des expressions à côté.
15:29C'est-à-dire on va s'exprimer non plus dans le vote,
15:32mais dans la violence, qui là est une violence immatrisée.
15:37Et c'est ce qui risque de se développer.
15:39– Qu'est-ce qui différencie l'usage de la violence
15:42par un État dit démocratique comme le nôtre
15:45de celle d'un État autoritaire ?
15:49– Vous savez, il faudrait des longs développements que je ne peux pas faire ici.
15:53Pour moi, je dois vous avouer, cher ami, que c'est la fin de l'idéal démocratique.
15:56Il faut accepter cette idée-là.
15:58C'est une grande dame de la pensée qui est Anna Arendt
16:01qui avait montré que l'idéal démocratique s'élaborait sur ce que je viens de dire.
16:05J'ai une représentation philosophique, un ensemble d'idées,
16:08j'arrive à vous convaincre, vous me donnez votre voix,
16:11c'est la représentation politique.
16:12Pour les raisons que j'ai dites, il n'y a plus ces représentations.
16:15Le pouvoir actuel n'a plus d'idées.
16:17Donc, du coup, il y a cet absentionnisme, etc.
16:20Et que donc, du coup, c'est un peu délicat ce que je vais dire,
16:23mais que ce n'est plus l'idéal démocratique qui est en jeu.
16:26Il n'y a plus de démocratie.
16:27On continue à parler de démocratie, démocratie, démocratie,
16:30pour les raisons que je viens de vous dire, très concrètement,
16:33ce n'est plus tout à fait le cas.
16:34Et donc, du coup, ben voilà, il y a un retour peut-être à des régimes autoritaires,
16:39moi qui ne me gêne pas, autoritas en latin, ça veut dire ce qui fait croître.
16:44Donc voilà, peut-être que la démocratie a été ce qui a caractérisé la modernité.
16:49XVIIe, XVIIIe, XIXe, et ça s'est effiloché à partir du XXe siècle, du siècle précédent.
16:56Et là, actuellement, on est dans un de ces moments
16:58où on pressent qu'est en train de s'achever quelque chose, une époque.
17:02Donc la démocratie, on ne sait pas très bien ce qui va prendre la suite, ça balbutie.
17:08Mais n'ayons pas peur des mots, peut-être que l'idée de…
17:11Alors bien sûr, en français, autoritarisme, c'est embêtant, ça a une connotation…
17:15– Oui, on pense à Xi Jinping, enfin les journalistes nous disent comme ça,
17:18Xi Jinping, à Poutine…
17:19– Exactement, voilà.
17:20Mais il se trouve qu'il y a là, peut-être, moi je ne connais pas la Chine,
17:23mais il y a là, pour ceux qui concernent la Russie,
17:25des éléments non négligeables qui sont en jeu,
17:28qui ne sont pas simplement ce qui fut un bel…
17:31L'idéal démocratique, ce fut une belle idée, moi je ne dis pas ça, je ne dis pas le contraire.
17:35Mais peut-être faut-il revenir à ce qu'était, je dirais, la démocratie
17:39dans son sens original, qui était très autoritaire, dans la CT grecque, par exemple.
17:44Les métèques ne votaient pas, par exemple, enfin bon…
17:46– Les femmes non plus.
17:47– Les femmes non plus, de surcroît, bon, il y a des quantités…
17:50Peu importe, vous voyez, c'est-à-dire qu'il y a quelque chose qui fait
17:52qu'il faut repenser ce qui est en jeu actuellement,
17:56et il ne faut pas se contenter de la bien-pensance, en gros.
18:00– Vous dites que le son va couler, Michel Maffesoli,
18:02mais est-ce que notre société a besoin de ce recours à la violence
18:07pour faire accoucher de ce qui va arriver après ?
18:11– C'est toujours délicat, je n'aurais pas dû dire ce que je viens de dire, mais…
18:17Disons que chaque fois qu'il y a un changement d'époque,
18:20oui, il y a des formes de violence sanglantes, c'est vrai.
18:23– Mais pourquoi est-ce obligatoire d'en passer par là ?
18:26– Parce qu'il y a, à un moment donné, un décalage très fort,
18:29dont on vient de parler, entre ceux qui sont censés représenter le peuple
18:33et le peuple lui-même.
18:34Le peuple ne se reconnaissant plus là, à ce moment-là,
18:37il y a ces processus d'insurrection.
18:39Un de mes livres s'appelle l'ère des soulèvements,
18:41je pense qu'on va rentrer dans l'ère des soulèvements.
18:44Tout simplement parce qu'on ne se reconnaît plus
18:47dans ce qu'ils sont censés représenter, tel que je l'ai dit tout à l'heure.
18:50Alors, faut-il employer l'expression que j'ai dit à l'instant ?
18:54Pas forcément, mais enfin, disons qu'il va y avoir des insurrections,
18:58des révoltes, des soulèvements multiformes,
19:01ne faisant que traduire, en quelque sorte,
19:03qu'on ne se reconnaît pas dans la théâtralité,
19:06la théâtralisation de ceux qui ont actuellement le pouvoir.
19:10Et donc, de plus en plus, ça va se faire soit par l'abstention,
19:12soit par les soulèvements, voilà.
19:14Qu'est-ce que ça va… je ne suis pas prophète,
19:16donc qu'est-ce que cela va donner, j'en sais rien,
19:18mais j'observe que chaque 4 siècles, quand s'achève une époque,
19:23quand il y a cette déconnexion entre les élites et le peuple,
19:26immanquablement, il y a toujours des formes d'insurrection, de soulèvement.
19:31– C'était quoi la précédente forme ?
19:32– Avant la Révolution française.
19:34– Oui, donc tous les 200 ans, alors.
19:36– Oui, c'est un peu plus, 1789, bon, ça fait un tout petit peu plus,
19:41mais il y a des hésitations quand les historiens, les philosophes
19:45disent 3-4 siècles, enfin peu importe en la matière,
19:48mais disons, une époque, c'est ça quand même, ça dure 3-4 siècles.
19:52Mais avant, c'était ce qui s'est passé avec la réforme protestante,
19:56qui a été aussi une violence, la guerre des 30 ans par exemple,
19:59et toutes ces guerres religieuses qui ont eu lieu en Europe,
20:02on le sait, qui n'est pas négligeable,
20:03et très précisément à partir de la réforme protestante,
20:06voilà une des coupures, on pourrait s'amuser à trouver
20:07des quantités de coupures de cet ordre,
20:09la décadence romaine fut quelque chose de cet ordre,
20:13les grouillements à la fin du Moyen-Âge avant la Renaissance,
20:16c'est pareil, enfin voilà, on pourrait trouver,
20:18moi je ne suis pas historien, mais on pourrait trouver
20:19des quantités d'autres exemples qui montrent bien
20:23que quand il y a une déconnexion entre la technostructure,
20:27la bureaucratie, pour nous actuellement, ceux qui nous dirigent,
20:30et le peuple, on a peur du mot peuple, on dit du populisme,
20:35c'est amusant, mais non, le peuple c'est Saint-Thomas d'Aquin,
20:38amnes autorita, sapopulo, toute l'autorité vient du peuple,
20:42et quand il y a une déconnexion entre le peuple et le pouvoir,
20:46eh bien il y a des formes d'insurrection,
20:47d'ailleurs Saint-Thomas le montre bien,
20:49il dit quand justement il n'y a plus cette représentation,
20:52dans la Somme théologique, il parle de la nécessité de l'insurrection.
20:57– Donc l'homme ne doit pas renoncer à la violence,
21:01il ne doit pas chercher à renoncer à la violence.
21:03– J'ai bien dit depuis tout à l'heure,
21:04la violence ça ne sert à rien de renoncer à elle,
21:07il faut voir comment on la gère, c'est tout,
21:11comment, alors je l'ai dit vulgairement,
21:13comment on se dépatouille par rapport à ça,
21:16comment on s'empurge, comment on trouve les rituels,
21:20il faut la ritualiser la violence.
21:22– Comment ?
21:23– Je ne sais pas, moi par exemple, je le disais à la fin du Moyen-Âge,
21:27ce qu'était le carnaval, la fête des fous,
21:31les fêtes d'inversion dans le quartier latin où j'habite,
21:33il y avait une inversion,
21:35le professeur devenait, l'évêque devenait le vicaire,
21:39le professeur devenait l'étudiant,
21:42l'étudiant devenait le mimé,
21:46avec des formes de violence homéopathisées,
21:49mais mimé quelque chose qui était une inversion,
21:52une expression que l'on a en français,
21:54auquel on ne prête pas attention, le duel au premier sang,
21:58c'est-à-dire qu'il y avait duel pour marquer cette violence
22:02qu'il y a entre vous et moi, une bagarre quelconque,
22:05le sang avait coulé, l'honneur était sauf,
22:07vous voyez, le duel au premier sang traduit bien en quelque sorte
22:10ce que j'appelle cette gestion d'une violence ritualisée.
22:13– Mais la violence c'est parfois pour le meilleur ou pour le pire,
22:16par exemple quand on imagine,
22:17quand on repense à la révolution française
22:19ou à la révolution culturelle en Chine,
22:21quand les étudiants chinois remettaient en cause
22:25ce que leur racontait leur professeur.
22:28– Oui, mais voyez-vous, la révolution française,
22:30moi je fais toujours une distinction
22:32entre la révolution française et la terreur,
22:35c'est-à-dire qu'il y avait quelque chose qui faisait
22:37qu'on ne se reconnaissait plus dans l'ancien régime,
22:39et au début d'ailleurs, le roi a été très nuancé,
22:43Louis XVI à ce moment-là, vous voyez, il n'a pas…
22:45– Oui, il y avait encore beaucoup de français
22:47qui croyaient au bienfait de la monarchie et qui aimaient leur roi.
22:52– J'entends, et la royauté ce n'était pas rien d'ailleurs,
22:55d'une certaine manière, en plus d'un titre,
22:57et un équilibre qui n'était pas négligeable,
23:00mais peu importe, il s'est trouvé qu'il y avait cette déconnexion,
23:03mais au début de la révolution française,
23:05c'était quelque chose qui exprimait cette insatisfaction,
23:10la terreur c'est autre chose, ça devient totalitaire à ce moment-là,
23:13il faudrait qu'on fasse là une distinction,
23:16très précisément pour la révolution française,
23:18on ne peut pas parler de la révolution française en son entier,
23:211792, là il y a quelque chose qui va être ce sur quoi a vécu
23:25par après la bourgeoisie, qui s'est servi du peuple
23:27pour aller au pouvoir en quelque sorte,
23:29et c'est le développement du capitalisme,
23:31c'est le développement d'argent, etc.
23:33Mais ça c'est tout à fait, c'est une récupération de la violence.
23:38– Est-ce qu'Emmanuel Macron a aujourd'hui un rôle,
23:41en tout cas un rôle dans la mauvaise gestion
23:45de cette violence dans la société ?
23:46– Oh, vous m'embêtez de parler d'Emmanuel Macron,
23:51j'ai dit ce que j'avais à dire de lui dans divers de mes livres précédents,
23:56Platon, dans La République, quand il montre comment la démocratie
24:02est en dégénérescence, il dit ce qui va triompher,
24:05c'est la théatrocratie, et je me suis appuyé sur ce mot de Platon
24:10pour dire qu'actuellement c'est exactement cela,
24:12c'est-à-dire que notre président est un théâtreux,
24:14il fait de la théâtralisation, il n'a rien à dire,
24:18donc il le dit, c'est ce grand théoricien qui est Raymond de Vos,
24:21qui dit quand j'ai rien à dire, je veux que ça se sache,
24:24et quand on entend un discours du président,
24:27bon, qui est un énarque, chez moi, dans mon petit village,
24:32on dit qu'il est instruit et pas intelligent.
24:35– Il a lu tout Paul Ricoeur.
24:37– C'est une fausseté, j'ai eu l'occasion,
24:41il m'a convoqué deux fois d'aller discuter avec lui,
24:44et je lui ai rappelé que ce qu'il a fait,
24:46ce qu'avaient fait des kilos de mes étudiants,
24:48quand ils étaient, certaines de mes filles,
24:50quand elles étaient auprès d'un éditeur, assistant éditorial,
24:53c'est-à-dire regarder les notes de bas de page
24:56pour voir si ça colle, etc.
24:58Et dans le fond, il a été assistant éditorial sur un livre de Ricoeur.
25:02On a traduit ça comme étant assistant de Ricoeur,
25:04c'est un scandale absolu, c'est un mensonge,
25:06voilà la théatrocratie, voilà, voilà.
25:09Donc, c'est un autre développement, cela.
25:12Mais à mon avis, la position de notre président,
25:15et pas que de lui, tout ce qu'il génère, etc.,
25:19s'inscrive dans cette théâtralisation du monde.
25:22Le problème d'un théâtre, c'est que tant que ça marche, ça marche.
25:26Si ce n'est pas bon, on siffle, voilà.
25:29Et à mon avis… – On envoie les tomates.
25:31– Voilà, par exemple, je disais siffle pour dire être assez gentil,
25:34mais ça peut être tomate ou autre chose, peu importe.
25:37Et alors, moi, c'est un peu ce qui est en train de se passer,
25:39au-delà du président actuel, il y a une classe au pouvoir,
25:43une élite au pouvoir qui fait de la théâtralité,
25:47mais le théâtre devient de plus en plus mauvais.
25:49Donc, ça risque, encore une fois, de saigner.
25:52– Emmanuel Macron avait d'ailleurs failli être pris par une bande,
25:57juste avant le confinement,
25:59qu'il voulait s'en prendre à lui physiquement.
26:01Il était dans un théâtre à ce moment-là, en tout cas.
26:03Merci Michel Maffesoli, votre ouvrage
26:06« Essai sur la violence » a retrouvé, comme d'habitude,
26:08sur la boutique de TVL.
26:09Merci monsieur. – Merci Pierre.

Recommandations