20 Ans de bande dessinée : l'Interview !

  • il y a 3 mois
Merci à mon père Alain Lefebvre pour cet échange où on parle de mes deux décennies de BD

Au passage un grand merci aux amis, partenaires, lecteurs...toutes celles et ceux qui m'ont accompagné depuis 2003

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Transcription
00:00Alors nous fêtons les 20 ans, 20 ans de PD de Quentin et on va faire ça avec une petite
00:12interview, en fait petite, bon, ça va quand même être assez long parce qu'on a une dizaine de
00:15questions et puis Quentin a des choses à dire. Donc on va faire une interview dans le style
00:2120 ans dans le rétro. On commence tout de suite sur les 20 ans justement, alors est-ce qu'ils
00:28sont passés vite ? Est-ce qu'ils sont passés lentement ? Tu réalises que ça fait 20 ans que
00:33tu fais de la BD ? C'est à la fois beaucoup et pas beaucoup. C'est un peu une réponse de Norman,
00:39commencé à l'été 2003 quand je venais d'avoir 13 ans et c'est vrai que j'ai bientôt 33 ans,
00:46donc il y a déjà une vingtaine d'années. Je m'en souviens comme si c'était hier en fait,
00:51ça qui est un peu étrange, c'est qu'à la fois je m'en souviens très bien et à la fois j'avais
00:5413 ans, donc je n'étais pas du tout celui que je suis aujourd'hui. Et à la fois ça montre qu'en
00:5920 ans, on peut quand même faire plein de choses comme on va en parler. Tu sais que j'ai fait
01:03beaucoup de choses différentes et que ça prouve que quand on se bouge pour un art, pour sa passion,
01:10on peut faire beaucoup, beaucoup de choses année après année, mois après mois. Il y avait un
01:17petit peu un côté magique quand j'ai commencé, les premières planches forcément, création du
01:20personnage, les planches très inspirées au début par des auteurs précis. Et après, peu à peu,
01:25on élargit le champ d'action parce que je suis parti dans pas mal de directions comme tu sais.
01:29Oui, et puis il y a la magie du créateur, c'est-à-dire que tu peux, comme un programmeur,
01:35tu peux créer ton environnement, tu maîtrises tous les paramètres. Quelque part, c'est assez
01:40vertigineux, mais c'est très jouissif. C'est ce qui m'a plu dès le début. Tout est possible. J'étais
01:46en mode, ah mais en fait, un personnage, si on veut lui faire dire ça, lui faire dire ça,
01:48si on veut qu'il soit dans une rue ou dans l'espace, c'est assez incroyable. Comme dans le
01:54roman que tu maîtrises toi-même, la bande dessinée, ce qui est différent, c'est que là,
01:59on choisit ce qu'on va montrer au lecteur. Un peu moins de part d'imagination, mais on peut,
02:03tout d'un coup, si on a envie de travailler sur un décor marquant et passer quelques heures,
02:08après le lecteur, ah ouais, d'accord, quand même, le personnage est dans ce milieu-là,
02:12ou des dialogues que les gens vont retenir. C'est assez fascinant. Il y a un peu le côté,
02:16je suis maître du monde, puisque je maîtrise ce que disent plusieurs de mes personnages,
02:19même pas qu'un seul, mais je peux animer des dizaines de personnages.
02:28En plus, toi, pendant ces 20 ans, tu n'étais pas contenté de créer et de publier des albums. Tu
02:36as fait également des opérations diverses et variées. Comment as-tu pu gérer ce grand
02:42écart entre création d'albums, événementiel, des opérations comme l'interview de Zep,
02:51qui a sans doute été un des grands moments de cette période, ou l'opération à l'hôpital ?
02:59Ça part de mon enthousiasme, que tu connais à la base, d'aller dans des directions qui me
03:03ressemblent et que j'ai envie de déclencher. 100 BD pour Pâques, que tu évoques, que j'avais
03:08fait en 2018, c'est une opération que j'adorais faire, mais que j'avais pas mal pédalé dans la
03:13s'moule pendant plusieurs mois, parce qu'en fait, ça ne se déclenchait pas. Les hôpitaux, je
03:16contactais, ils me disaient qu'on n'était pas intéressé pour le faire, et je ne pouvais pas
03:20trop déclencher les auteurs tant que je n'avais pas le livre. Et ça finit par déboucher. En avril
03:262018, on allait offrir 100 albums de BD dans un hôpital. C'était quel hôpital ? C'était
03:32l'hôpital Couple Enfant, qui est en Isère, près de Grenoble. Et ça s'est déclenché parce que j'ai
03:40eu le partenariat avec l'association Les Blouses Roses, qui m'a aidé à décoller à partir de ce
03:46moment-là. Après, je crois que c'était 4 ou 5 mois de galère où je me disais, je veux aller au
03:50bout de ce projet, ça va se faire. Ça a fini par décoller grâce à eux, qui sont habitués à aller
03:55dans le milieu hospitalier voir les enfants, donc c'était un moment magique. Et c'est vrai qu'il
03:59fallait tenir bon, comme dans beaucoup de projets qui ne sont jamais gagnés d'avance. Mais le moteur,
04:03l'essence qui fait avancer la voiture, c'est l'enthousiasme, c'est la passion qu'on peut avoir
04:08pour ça. Donc très heureux quand ça se déclenche. L'interview de Zeb, comme tu dis, c'était un
04:12super moment parce que c'est mon mentor et mon auteur de préféré de bande dessinée. Donc
04:17pouvoir l'interviewer il y a déjà 4 ou 5 ans, c'était en 2018 aussi, pour ses 30 ans de BD,
04:23c'était génial. Il m'a partagé plein de belles choses en vidéo et après les albums aussi. Au
04:31début, j'ai fait les albums de bande dessinée et un jour, quand j'ai eu envie de faire 100 BD
04:34pour Pâques, c'était un peu un déclencheur pour moi de me dire, est-ce que je suis capable de
04:37fédérer des gens sur la bande dessinée, mais pas forcément sur mes bandes dessinées ou sur la
04:41sortie d'un album, mais sur un événement qui en plus est une bonne action caritative. Et à partir
04:47de ce moment-là, ça m'a donné confiance pour ensuite faire le festival de bande dessinée
04:50d'Exclément que j'ai co-créé et ça m'a vraiment donné confiance. Je pense que les 4 ou 5 mois de
04:56pédalage dans la Smoule valaient le coup parce que si on passe cette étape, ça peut ensuite
05:02enchaîner sur autre chose et ensuite enchaîner sur autre chose. Donc à tous ceux qui font des
05:06projets qui à un moment donné se sont dans la pédale dans la Smoule comme moi, je l'ai dit
05:10plein de fois, il faut persister parce qu'au bout du chemin, il y a peut-être quelque chose
05:13d'incroyable qui va ensuite mener vers autre chose. Il faut tenir bon. Cette caractéristique un peu
05:19multi-cartes, tu n'es pas contenté d'être un auteur, tu as également géré des événements, des
05:25projets, etc. Est-ce que c'est quelque chose que tu avais envisagé dès le départ ou c'est venu
05:31comme ça et qu'est-ce que ça t'a apporté ou qu'est-ce que ça t'a coûté ? Bonne question, je
05:37ne l'avais pas du tout envisagé quand j'avais 13 ans. C'est une question qui n'était pas prévue.
05:41Ça rebondit sur ce qu'on se dit. En 2003, quand j'ai commencé la BD, j'étais en mode je veux être
05:48un auteur de bande dessinée et je n'avais pas du tout pensé faire une action de vital, interviewer
05:51mon mentor, faire un festival. C'est venu au fur et à mesure parce que je pense que le côté faire
05:56des albums n'a pas suffi. Je me suis dit, je suis tellement fan de bande dessinée, j'aime tellement
06:00rencontrer des gens que si je me contente, entre guillemets parce que c'est déjà énorme, mais de
06:05faire des albums seul à ma table à dessin, il y a un manque pour moi. J'ai besoin d'aller voir tous
06:10ces gens et de créer des choses. Par exemple, un festival de bande dessinée, je n'étais pas
06:14toujours invité au festival que j'aurais aimé faire. Le déclic, c'était de se dire, je vais faire
06:18le mien. Comme ça, je suis sûr que je serais invité. Je pourrais inviter des auteurs dont j'ai
06:24connu le travail, que j'aime et que j'aimerais rencontrer, contacter. Du coup, ça s'est fait
06:29parce qu'on a eu Jean-Bernard. Ensuite, on a fait la deuxième édition d'Esphère avec l'Odecte. J'ai
06:33lu aussi ses albums quand j'étais enfant. C'était génial de pouvoir ouvrir le champ des possibles et
06:38se dire, il n'y a pas vraiment de formation pour lancer un festival et être directeur d'un
06:43festival de bande dessinée, à part tout le travail qu'on va faire et qu'on a fait de monter
06:47une assoce, de lever des fonds. À partir de ce moment-là, on est un directeur de festival,
06:52on est un organisateur parce que le festival a lieu. C'est en faisant qu'on devient forjours.
06:56En fait, tu as aussi beaucoup, tout au long de ton parcours, pas seulement au début, creusé la
07:05dimension culture de la BD que tu as bien labouré. Je pense que tu as été surpris de constater que
07:16ce n'était pas souvent le cas dans les gens que tu as rencontrés. J'ai eu exactement la même
07:20expérience en matière informatique. J'ai beaucoup creusé la culture informatique. J'ai toujours été
07:25très surpris de voir combien les informaticiens s'intéressaient peu à leur histoire, à leur
07:31patrimoine, à leur culture. C'est vrai que souvent les auteurs de bande dessinée s'intéressent à
07:36savoir dessiner, raconter, si ils sont scénaristes, et coloriser. Ils ne sont pas forcément fans de tout
07:41l'univers bande dessinée qui va de la connaissance des magazines à aller à des festivals, faire un
07:46festival, connaître les journalistes, l'histoire de la bande dessinée. C'est vrai que moi, je me
07:50suis plongé dedans. Tu m'as vu en étant ado toutes ces années, jeune adulte. J'avais le dictionnaire
07:56de la BD qu'on m'avait offert. On est allé ensemble, d'ailleurs, en partie en festival,
08:01avec les deux parents, et après tout seul. J'ai vraiment creusé cet aspect-là. Récemment,
08:08j'ai travaillé dans une galerie de bande dessinée. J'ai connu pas mal d'aspects, presque tout. Vu que
08:13je me suis édité moi-même, j'ai couvert un large champ. Mais après, c'est ma personnalité qui fait
08:18ça. D'autres vont me dire que je me suis contenté de faire une carrière d'auteur qui est déjà énorme
08:24parce qu'il faut pondre en des pages les albums, à la rencontre des lecteurs. Mais c'est vrai que ça
08:28dépend beaucoup de la personnalité de chacun. Clairement, dans ce parcours d'auteur, ton oeuvre
08:39remarquante, c'est la saga Handman. Tu peux nous en parler ? Est-ce que tu es satisfait du résultat
08:46sur le plan artistique ? Déjà, commençons par ça. Réponse honnête, niveau dessin, je ne suis pas un
08:54grand dessinateur. Donc, ça a été pas mal un challenge pour moi de dessiner des décors,
08:59des personnages en action et d'essayer de progresser. Niveau artistique, je suis assez
09:05satisfait, mais pas aussi satisfait que j'aurais aimé l'être. J'ai eu de la chance de trouver des
09:12bons coloristes qui ont quand même donné du peps au graphisme. J'ai trouvé des imprimeurs qui m'ont
09:18fait des beaux albums cartonnés, après le premier qui était souple. Globalement, on reconnaît le
09:24personnage. J'ai progressé. Après, j'ai vu aussi beaucoup de choses graphiques pendant ces 20 ans,
09:30où des fois j'ai dit, j'aimerais dessiner comme ça, ça c'est trop bien ce truc de couleur. Des
09:34fois, on choque des instants comme ça, des petits détails en disant, j'aurais très aimé mettre ça,
09:38mais maintenant les albums sont faits. En tout cas, je me suis pas mal donné parce que j'ai
09:42pu mettre des clins d'oeil à Aïx-les-Bains. On a vécu longtemps dans la saga, des rues que j'étais
09:46allé prendre en photo puis redessiner. Donc ça, c'était top. J'ai pu dessiner plusieurs personnages,
09:52les parents, la sœur de Mika, puis le univers des super-héros. Content quand je vois mes cinq
09:58albums, mes cinq tomes de Handmaid sur l'étagère, qui est mon oeuvre finalement. Après, toujours le
10:04regard exigeant. Tu peux comprendre, vu que tu fais des livres depuis plusieurs décennies, de dire,
10:08ah tiens celui-là, j'aurais aimé qu'il soit un peu plus comme ça. Des fois, on peut aussi le rééditer
10:12un peu différemment, mais bon, je vais pas tous les redessiner. Ce qui est sûr, c'est que je vois
10:16entre le début du tome 1 et la fin du tome 5, qui s'est coulé beaucoup d'années, parce que le début
10:21du tome 1, je l'ai commencé en 2011. Et le tome 5, qui est paru en juillet 2021, j'ai dessiné les
10:27dernières pages mai-juin 2021. Donc ça veut dire dix ans. Et encore, c'était encore, ça remontait
10:33encore. Deux ans par album, à peu près. Voilà, c'est à peu près ça. Et ça remonte encore plus
10:38lent, parce que comme tu sais, c'était mon projet d'adolescence. C'est-à-dire qu'on est né en janvier
10:422007 dans un carnet. Donc rien qu'entre janvier 2007 et 2011, où il y a les premières pages qui
10:47figurent dans le tome 1. Donc là, il s'est écoulé à peu près quatre ans. Et ensuite, dix ans jusqu'à
10:52la fin du tome 5. Donc c'est un sacré chemin. Et au niveau scénario, la façon dont l'histoire se
10:58développe ou s'est développée, et la façon dont les personnages ont pris vie, ont pris corps. Et
11:07est-ce que tu as réussi à garder les choses sous contrôle ? Ou par moment, tu t'es dit, tiens,
11:15j'avais pas imaginé ça, mais pourquoi pas ? C'est pas mal. Ce que j'ai fait, c'est que je me suis
11:20laissé porter. C'est-à-dire que je savais pas la suite. Si on m'avait torturé, j'aurais dit,
11:25j'en sais rien, moi, la suite du tome 2, tome 3. Je vais rien vous dire. J'ai des pistes, mais je me
11:29laisse porter, parce que j'aurais trouvé ça dommage de dire, bon, ok, tome 1, il y aura cinq
11:34tomes, et puis ça se finira comme ça. Moi, il y a un côté qui me frustre un peu de dire, bon,
11:38ce sera comme ça et pas autrement. Je préfère me dire, j'ai les grandes lignes, j'ai des envies,
11:42mais je vais rectifier le tir au fur et à mesure de mes envies, lectures et comment je sens mon
11:48personnage. Et du coup, j'ai pu un peu me surprendre moi-même en disant, tiens, c'est vrai que j'avais
11:51pas pensé aller dans cette direction-là, mais vu mes lectures récentes, vu comment je vois le
11:56personnage peut évoluer et doit évoluer, j'ai envie d'aller dans cette direction-là. Donc,
11:59niveau scénario, je suis très très content du résultat. J'ai relu les albums il n'y a pas
12:03longtemps, et là, je suis très très très content du résultat niveau scénario, plus qu'au niveau
12:08dessin. Donc, en tout cas, niveau scénario, je suis ravi et j'ai pu faire évoluer mon personnage
12:15surtout. Parce que le piège dans beaucoup de séries, c'est que les personnages, ils évoluent
12:18peu. Et donc là, il faut vraiment qu'il évolue. Et en 5 tomes, il a pas mal évolué et il pourrait
12:24même encore évoluer. Parce que là, j'ai fait, après ces 5 albums qui forment le premier cycle,
12:27j'ai fait une vraie pause. Mais si, je pense qu'il reviendra dans quelques années, peut-être même
12:34pas mal d'années, mais je pourrais le faire pas mal évoluer. On en a un peu discuté ensemble et
12:37je pourrais imaginer le faire complètement évoluer parce que je suis seul maître d'or.
12:41T'as été surpris par le fait que les personnages ont une certaine autonomie et qu'au bout d'un
12:51moment, finalement, on contrôle effectivement les choses, mais pas complètement.
12:55Oui, on en a parlé ensemble, c'est le fait que tu dis, ben non, je peux pas lui faire faire ça,
12:59tel personnage. Comme quelqu'un que tu connaîtrais et tu dirais, lui, il pourrait faire ça. Tu dis,
13:03ben non, je le connais, il voudra pas faire ça. Au bout d'un moment, les personnages nous échappent
13:07un peu avec des guillemets parce qu'on dit, ah non, lui, si je lui fais faire ça, ça marche pas,
13:12c'est plus lui parce que ça y est, il a pris vie. Oui, j'ai ressenti ça, c'est vrai. Mais c'est
13:16bien. Ça prouve que t'es pas non plus marionnettiste et que tu peux avoir un contrôle
13:26sur les personnages, mais qui n'est pas 100% illimité. Il va quand même dire, ah non, lui,
13:29je l'ai créé, je lui ai donné vie, maintenant, je peux un peu influer sur sa destinée, mais pas
13:33faire n'importe quoi. Est-ce que ça t'est arrivé aussi de te dire que tu fonctionnais en mode
13:38correspondant à un de tes personnages pour une situation particulière dans ta vie? Ah ouais,
13:43ouais, c'est vrai. Le côté débridé d'un personnage, tu vas être débridé. Le côté timide d'un autre,
13:49tu peux être timide. En fait, nos personnages sont le reflet de ce qu'on est ou des fois de
13:55ce qu'on n'est pas, mais qu'on a envie d'injecter dans un personnage. Ça, c'est assez marrant.
13:59La magie de la création, je veux dire, il n'y a pas d'autre chose. Tu connais parce que tu en
14:04as créé plus que moi des personnages. J'aime bien cette citation, la magie,
14:07c'est quand l'âme agit. Ah oui, c'est pas mal, c'est un décortique, ouais.
14:15Toujours sur Handman en particulier, mais ton parcours d'auteur en général, abordons le
14:22volet commercial qui est important, bien entendu. Et la question, c'est pourquoi est-ce que c'est
14:26si dur de percer dans ce milieu-là, dans ce domaine-là ? Il y a plein de domaines où c'est
14:32dur. On en est tous là, à ramer. Mais bon, pourquoi ? Est-ce que tu as une explication ?
14:38J'en ai plusieurs. Il faut trouver son public. Quand tu sortes un disque, une bande dessinée,
14:43un film, à un moment donné, si tu ne trouves pas ton public, c'est très compliqué. Trouver son
14:48public, ça veut dire que des fois, il se passe une magie, qu'à un moment donné, il y a une oeuvre
14:52qui correspond à quelque chose qui est attendu par le public. Et les deux se rencontrent.
14:56Une période aussi, des fois.
14:57Oui, période, le contenu, un public, une petite magie et d'autres éléments dont je peux parler
15:02après qui vont arriver et faire que tout d'un coup, une bande dessinée se vend à un million
15:06d'exemplaires, un disque se vend à 5 millions d'exemplaires, alors que d'autres se vendent à 15
15:10exemplaires. Et on dit, pourtant, quelqu'un qui a même lu les deux et dit le truc que j'ai acheté
15:15qui s'est vendu à 15 exemplaires, je trouve ça génial. Le truc que j'ai acheté qui se vend à un
15:18million, je trouve ça aussi génial. Je ne sais pas trop pourquoi. Il y a l'aspect magique qui
15:22joue dans tous les domaines artistiques et même tous les domaines commerciaux du monde à un moment
15:25donné. Les Américains appellent ça le product market fit, quand il y a un fit entre le produit
15:31et le marché. C'est vraiment son décor. Et des fois, il se passe ça, une magie avec une oeuvre,
15:37comme Astérix par exemple, qui est un géant phénomène où c'est en quelque sorte les
15:43Français qui ont dit, nos ancêtres, c'est Astérix, on se retrouve là-dedans, ça nous fait rire,
15:47c'est bien et les albums nous plaisent. Et tout d'un coup, tout le monde lit et achète ça.
15:51C'est vrai parce qu'au départ, ce n'était pas si évident de faire des albums de BD sur l'antiquité
15:56gauloise. Et maintenant, ça nous paraît évident. Avant Astérix, on n'avait pas vraiment notre
16:03héros gaulois en BD, c'est ce qu'on ressent. Même si on n'est pas spécialement fan, on peut dire
16:08que c'est vrai qu'il y avait Astérix, c'est obligé. Un aspect plus technique mais très important,
16:15c'est la diffusion. Comme tu connais, si on est mal diffusé, ça réduit nos chances d'être
16:21exposé devant les yeux des lecteurs et du coup, qu'ils achètent notre oeuvre, qu'ils la connaissent,
16:24qu'ils la partagent, qu'ils en parlent, qu'ils la connaissent même, ne serait-ce qui arrivait à
16:28eux. Comme tu sais, moi, je suis allé beaucoup des marchés, des livrairies, des bibliothèques,
16:32même des grandes surfaces. Je suis diffusé à la FNAC, Cultura, Librairie indépendante. C'est vrai
16:36qu'il faut toujours d'abord arriver à convaincre les décideurs du lieu de nous diffuser et ensuite
16:41que ça se vende. Pas juste un, deux, trois, mais qu'on ait donné des dizaines, puis des centaines,
16:45puis des milliers qui puissent s'écouler pour rentabiliser. Donc c'est difficile mais pas
16:52impossible parce qu'il y a beaucoup de séries comme Astérix ou Titeuf ou Spider-Man qui n'étaient
16:56pas du tout attendus et qui ont trouvé leur public et décollé et fait des miracles. C'est vrai que
17:02pour tous les créateurs qui se lancent là-dedans, il faut qu'ils aient conscience que trouver un marché,
17:07un lectorat, c'est plus que difficile. J'ai envie de dire que c'est difficilissime parce qu'il y a
17:11des milliers de livres. Rien qu'en bande dessinée, il y a à peu près cinq ou six mille sorties par
17:15an. C'est juste incroyable. Personne ne peut lire tout ce qui sort. Personne ne peut connaître tout
17:21ce qui sort. Ensuite, il faut arriver à motiver les gens, dire ok, je passe à l'acte et j'achète.
17:25Puis ensuite, j'achète la suite. Puis j'en parle un peu autour de moi. Et puis après,
17:29il y a Noël qui arrive et puis on enchaîne. Personne n'attend personne. C'est vraiment un
17:34marché où ça roule et puis il faut arriver à trouver sa place. Il y a des techniques pour
17:40essayer de percer. Il y a des stratégies commerciales. Je donne un exemple des bandes
17:44dessinées sur les Jeux olympiques. Pendant les Jeux olympiques, il y a un focus qui est fort.
17:48Mais après, quid après les Jeux olympiques ? Ça peut paraître daté et plus se vendent. Plus du
17:52tout se vendent, tout simplement. Ça veut dire qu'il faut tirer tout ce qu'on peut pendant cette
17:55période. Après, il n'y a plus rien. Et d'autres qui vont dire moi, c'était mon choix de dire je
17:59fais mon oeuvre dans le monde à mon rythme. J'aurais pu, par exemple, plus commercialement
18:04parlant, j'aurais pu dire ça se passe à Aix-les-Bains, qui est la ville où on a habité
18:0825 ans. Et il y a des panneaux Aix-les-Bains. C'est clairement Aix-les-Bains. Je le rayonne,
18:12je le claironne sous tous les toits. Non, j'ai plutôt dit c'est un peu inspiré d'Aix-les-Bains,
18:17mais il n'y a pas le nom de la ville. Et des fois, c'était des clins d'oeil dans des cases à Paris
18:21ou à d'autres villes. Donc, ça prouve que je n'ai pas voulu surfer sur ça à tout prix. Peut-être
18:27que j'aurais vendu deux fois plus si sur la couverture, il y aurait eu... On va savoir.
18:30On va savoir. Mais donc voilà, comme je disais tout à l'heure dans la question sur l'opération à
18:36l'hôpital qu'on a fait, il faut tenir bon parce que des fois, il y a des albums. Moi, je me suis
18:40penché sur cette question des séries qui ont commencé à vraiment avoir du succès après le
18:44sixième, septième album. Beaucoup de séries qui sont arrivées à devenir des millions de salaires.
18:48Souvent, j'avais fait le calcul une fois, c'était au bout du septième album que ça commençait à
18:51rouler. Ça veut dire qu'il faut quand même tenir. Si tu fais un album tous les ans, c'est-à-dire
18:54que pendant sept ans, tu es à la recherche d'un succès. Des fois, ça monte jusqu'à atteindre le
18:59fameux million d'exemplaires vendus, mais des fois, ça n'arrive pas. Et après sept, huit albums,
19:03il y a un plateau. Voilà, ça ne marche pas tout le temps.
19:06Question dans la question. Pourquoi c'est si difficile de se faire éditer par des éditeurs,
19:12justement ? De se faire publier par des éditeurs.
19:14C'est devenu un peu plus facile qu'avant. Maintenant, ces dernières années, il y avait
19:18un éditeur qui avait dit une fois une phrase que j'avais bien aimé. Il n'a jamais été aussi facile
19:22à notre époque de se faire éditer et paradoxalement de trouver son public. Je pense que j'ai une
19:28explication à cette phrase. C'est que vu qu'il n'a jamais été aussi facile de se faire éditer,
19:31donc il y a 6000 BD, comme je le disais, par an en France qui sont édités. Du coup,
19:36pour sortir du lot, bonne chance. Sur 6000, ça tient du coup de poker.
19:41Oui. Et puis, on sait aussi que beaucoup des grandes maisons volent au secours de la victoire,
19:48c'est-à-dire font des opérations de promo, principalement sur les titres qui se vendent.
19:53Donc, comment sortir de ce cercle qui a l'air complètement fermé ?
19:58Les éditeurs ne me l'ont jamais dit texto, mais je pense pour avoir beaucoup réfléchi sur le
20:02marché pendant 20 ans. En fait, ils lancent des bandes dessinées comme des bouteilles à la mer,
20:07des ballons de dessert, on va dire. Ils disent quand il y en a un qui marche un petit peu tout
20:11seul sans qu'on le pousse beaucoup, on ne va pas mettre beaucoup de marketing sur un tome 1,
20:14etc. Là, on le pousse et là, on met la force de frappe derrière. Il a réussi à marcher tout seul,
20:19à nager tout seul. On lui donne une super combinaison de nageur et il devient un méga
20:24nageur. Mais c'est vrai que ça fait un peu voler au secours de la victoire. Il y a aussi l'autre cas,
20:30il faut quand même leur rendre justice. Parfois, il y a des éditeurs qui maintiennent des séries
20:34qui ne marchent pas bien commercialement. J'avais lu un livre sur les éditeurs de bandes dessinées
20:38qui parlait de tout cet aspect commercial et qui disait que cette série ne marche pas bien,
20:42on n'arrive pas à la faire fonctionner depuis des années, c'est tout juste rentable,
20:44mais on l'adore tellement qu'on la maintient quand même. Les auteurs aiment ce qu'ils font,
20:48nous on aime cette série, on pense qu'elle doit exister et peut-être qu'un jour elle marchera
20:53mieux, mais en tout cas il la maintient. Ça c'est quand même bien. En effet, comme quoi tout existe.
21:01Revenons sur l'opération du festival de BD d'Axe-les-Bains. Bon, ça a été un souvenir fort,
21:09une opération difficile, mais réussie. Mais au final, qu'est-ce que ça t'a apporté ? Est-ce
21:17que ça ne t'a pas coûté un petit peu dans ta carrière ? Soyons honnêtes, tout ce que j'ai
21:22fait m'a un peu coûté à un moment donné en temps, des fois en argent et des fois avec des
21:28espoirs qui n'étaient pas forcément récompensés à la fin, en partie du job. Par exemple,
21:33sans BD pour Pâques, j'avais vraiment envie de le faire pour revenir sur ça, parce que c'est ça
21:37qui m'a donné confiance pour le festival en 2018. Je me souviens que j'avais vraiment tout mis dedans,
21:41je ne pensais que à ça pour faire aboutir le projet. J'avais un peu négligé le côté stabilité
21:47à côté, donc je m'étais mis dans une situation compliquée. Et après j'ai dit bon, on a réussi
21:52à le faire, maintenant j'ai confiance, prochaine étape, créer un festival de bande dessinée. Une
21:56fois que j'ai convaincu deux amis de fonder l'association pour le faire, on l'a fait. Et
21:59après 18 mois de travail, on arrive à l'édition 2019, Festival BD X les Bains, qui est le premier,
22:05on n'avait jamais eu. Ça coûte pas mal de temps, d'énergie, en plus moi je suis très intense,
22:10donc j'avais tendance à me relever la nuit pour noter des micro-idées qui, mis bout à bout,
22:14mis bout à bout, ont fait le festival. Pour les gens qui veulent se lancer là-dedans, c'est vrai
22:17qu'il faut être conscient de la chose avant, peut-être. Mais des fois, quand on est inconscient,
22:22c'est pour ça qu'on le fait, sinon on ne le ferait pas. Je ne suis pas sûr que mes deux potes
22:26m'auraient suivi si je leur avais dit au début le cahier des charges réel, réaliste. Combien on va
22:31en baver ? Même moi je ne le savais pas à ce moment-là. Heureusement qu'on ne le savait pas,
22:35sinon on ne l'aurait pas fait. Donc oui, ça coûte. Ça coûte pas mal, tout simplement il faut dire
22:39aux salariés qui nous écoutent, est-ce que vous seriez prêt à travailler un an et demi sur une
22:43opération où vous n'êtes pas payé, où vous utilisez votre voiture pour transporter des cartons,
22:48où vous mettez des chèques de caution à votre nom parce qu'on n'a pas encore créé le compte,
22:53etc. Est-ce que vous êtes prêt à faire ça pour un rêve qui est de créer un festival de bande
22:57Disney où vous allez maîtriser les différentes étapes ? Mais c'est vrai qu'il y a un coût.
23:01Alors ce que ça m'a apporté, j'ai quand même une expérience maintenant même de management en
23:06quelque sorte, parce que les bénévoles, en remerciant encore au passage, sans eux les
23:09événements ne sont pas faisables, on en a souvent parlé ensemble. Sans eux, il n'y a pas de festival,
23:14donc la trentaine de bénévoles qui ont suivi sur le festival, j'ai eu une expérience de pouvoir les
23:20motiver, les rassembler. En plus, on aurait relancé pour la deuxième puis troisième édition,
23:26donc il faut quand même suivre sur le long terme, sur plusieurs années, rester motivé. Et les
23:29partenaires aussi, pareil, sans eux rien n'est possible, donc il faut arriver à à la fois
23:33négocier avec la mairie pour une subvention, à la fois motiver la télé à venir, à la fois prendre
23:37les billets d'avion pour l'invité d'honneur, c'est ultra formateur, je peux tout faire. Une fois
23:41que j'ai fait un festival de bande dessinée, je le dis souvent, c'est mon école, c'est comme une
23:45école de commerce, une école de vie, ça ira plus vite que ce que je vous dis, ce que je n'ai pas
23:50fait. Tellement c'est vaste, et on s'appuie sur les forces de chacun, bien sûr, c'est vrai que sans
23:55aussi mes potes qui ont lancé le festival avec moi, ça n'aurait pas été faisable tout seul. Mais c'est
24:00vrai que ça nous apprend à être moteur, de dire on a un cap, on sait ce qu'on veut faire et pourquoi
24:04ça va être superbe, maintenant il faut faire ça, ça, ça, ça, ça, et ça va d'imprimer un flyer à
24:10tout simplement pour héberger un auteur, parce qu'au dernier moment on se rend compte qu'avec
24:14l'hôtel ça ira pas, enfin tout un tas de choses. Donc très formateur. C'est presque de l'ordre de
24:19la vocation en fait. Ouais, je pense que j'étais bien fait pour ça, parce que j'ai mené ça avec
24:25succès, après maintenant je veux faire d'autres choses, bien sûr, mais c'est vrai que je suis très
24:29content d'avoir fait, si je l'avais pas fait, là on serait en train de faire un bilan des 20 ans de
24:32BD, mais il n'y aurait pas un festival dans l'histoire, je dirais c'est dommage, j'ai toujours
24:36ressenti une petite envie de faire un festival BD, donc peut-être que ça me titillerait, pour la
24:40petite histoire, il est sorti de terre en 2019 le festival, mais j'avais eu l'idée en 2015, ça
24:45s'était pas fait, puis en 2017 avec d'autres amis avec qui je voulais lancer, ça s'est pas fait, donc
24:50c'est le troisième essai qui était le bon, ça a mis quand même 4 ans pour déboucher. Alors là tu
24:55me tends la perche pour une question imprévue, dans ton parcours qu'est ce que tu regrettes de ne
25:01pas avoir fait ? Tu dis si j'avais pas fait le festival, là je le regretterais parce que j'ai
25:09toujours eu envie, est-ce qu'il y a eu comme ça un gros truc de mis de côté ? Pas vraiment en fait,
25:17le seul petit truc c'est que j'aurais voulu plus pérenniser le festival, malheureusement,
25:21brosser dans le contexte, premier festival novembre 2019, gros succès, très très content,
25:27et moi tu sais juste après j'étais chaud pour continuer, préparer la deuxième édition et j'ai
25:30même l'idée de faire d'autres festivals dans d'autres villes, ce qui aurait demandé encore
25:34plus d'heures, j'aurais un peu moins dormi, et en fait est arrivée la crise covid qui a presque tout
25:39mis par terre et tout mis à plat, t'as pas été le seul mais c'était un de ceux pour qui ça a fait
25:45un peu mal, parce qu'on a bossé toute l'année 2020 pour un festival, deuxième édition qui était
25:48prévue pour novembre encore une fois, et en fait malheureusement annulé à cause de la crise covid,
25:51à ce moment là je disais je veux plus entendre parler de faire un festival, et je l'ai quand même
25:55refait un retour en 2022, la crise s'était beaucoup calmée, et c'est vrai que j'aurais voulu le
25:59pérenniser, s'il n'y avait pas eu le covid j'aurais fait 2019, 2020, 2021, 2022, peut-être qu'on aurait
26:05solidifié, mais c'est en fait ce qui a été difficile à cette époque là, c'est les nouveaux festivals qui
26:09venaient de se lancer, donc encore les événements, les vieilles charrues tout ça, l'état, les
26:13collectivités, les pouvoirs publics ils vont suivre en disant c'est quand même un festival qui existe
26:16depuis 20 ans, donc malgré le covid on continue d'alimenter, mais nous on était un tout juste
26:20festival, on a tout juste lancé, il y a une crise, on dit on va peut-être plus le faire, c'est trop compliqué,
26:24et du coup on n'est pas forcément aussi aidé que si on leur avait dit, les gars ça fait
26:2815 ans qu'on fait un festival, il faut vraiment nous soutenir, il y a eu même des événements ultra
26:33connus sur le plan mondial, qui n'ont pas résisté à cette crise, je pense en particulier au salon de
26:37l'auto de Genève, qui a disparu suite à ça, extraordinaire, si on avait dit ça avant, on aurait du mal à le croire
26:45Retour au coeur de ce qui fait la création de la BD, et un peu une question piège, qu'est-ce qui est le plus
26:59dur, ou qu'est-ce qui te plaît le plus, le dessin ou le scénario ? Une grande question pour tous ceux qui veulent
27:04faire de la BD, moi je pense que le dessin est plus difficile, parce que le dessin, même quelqu'un qui
27:10s'y connaît pas trop en dessin, il peut jauger en une demi-seconde si c'est bien fait, mal fait,
27:16si ça l'inspire ou si ça l'inspire pas, un scénario, il faut un peu plus de temps pour rentrer dedans,
27:19et les scénaristes peuvent développer plusieurs scénarios en même temps, c'est-à-dire qu'un scénariste
27:24dans le milieu, il peut faire 2-3 albums par an, certains vont chercher 6-7 albums, je sais pas
27:32où ils trouvent le temps, mais ils font beaucoup d'albums, alors qu'un dessinateur c'est rare qu'il fasse 2-3
27:36albums par an, souvent c'est 1 album par an, pour les plus rapides, 2-1,5, donc ça veut dire qu'on peut
27:42multiplier les projets, quand on est scénariste, notre carrière peut commencer à être tentaculaire,
27:46un dessinateur il peut pas vraiment être sur le pont sur 3 scénarios en même temps. Moi j'aime plus le
27:51scénario en réalité, je me considère même plus comme un scénariste qui a voulu dessiner pour faire
27:55ses propres histoires, que comme le dessinateur fou qui remplit 36 carnets par jour et qui vit plus
28:01par le dessin que par la parole, il dessine plus qu'il ne parle, c'est même pas une caricature.
28:07J'ai vu en école d'art. Donc le scénario me plaît plus, je préfère faire ça, après ça se bosse
28:14quand même pas mal, c'est à dire que pour un album de handmaid qui se lit en 20 minutes, je mettais
28:197 mois de travail de scénario. Ça m'étonne pas. Par petites touches, les pages que j'avançais,
28:23que je relisais, que je refaisais, et une fois que le scénario entier me plaisait vraiment,
28:28après 7 mois, même 8 mois de travail parfois, je me disais ça y est c'est bon, on peut enfin
28:32commencer le dessin soigné à proprement parler. Et là, page après page, il y a quand même 40,
28:36plus de 40 pages à faire, chaque décor, chaque personnage, chaque bulle, il faut la dessiner.
28:41Alors moi je faisais en plus crayonner, ancrage, gommage et puis nettoyage sur l'ordinateur,
28:47donc c'est quand même sacré travail. D'une façon générale, je pense que les gens ont
28:52tendance à sous-estimer le travail, l'importance, le poids du scénariste vis-à-vis du dessinateur,
28:59alors qu'on a des exemples célèbres qui montrent que si le scénario n'est pas au rendez-vous,
29:05c'est la cata. Avec l'exemple d'Astérix justement, à partir du moment où le scénariste a disparu,
29:13le dessinateur était toujours là, mais la série valait plus rien. A l'inverse,
29:17il y a des scénaristes qui sont devenus célèbres par leur apport, comme Van Damme par exemple.
29:25A Van Damme, il a porté ses fameux héros cultes. Il a pas mal galéré aussi. On pourrait faire lui
29:34aussi passer 20 ans de BD, peut-être 40 ans de BD, avec son autobiographie où il parle qu'avant
29:39d'avoir ses trois héros cultes, il a galéré à les placer, mais une fois qu'il les a placés,
29:43c'est parti. Alors il y a quelque chose qu'on dit souvent, c'est qu'on peut acheter un tome 1
29:47pour un dessin qui nous envoûte, un peu comme le physique d'une personne, on est sous le charme,
29:51mais si le scénario est bidon, on n'achètera pas le tome 2. Alors qu'un album où on n'aime
29:58pas trop le dessin, mais on dit bon je tente ma chance et que le scénario on adore, on achètera
30:02le tome 2, même peut-être en disant ouais j'avoue le dessin n'est pas terrible, mais l'histoire est
30:07tellement bien que je m'en fiche, je continue à l'acheter et peut-être que le dessin progressera.
30:11Tu vois ce que je veux dire ? Ça arrive souvent ça. Je reviens là-dessus, ça n'a rien à voir
30:16avec le sujet qu'on traite là tout de suite, mais dans ton parcours, tu as eu la possibilité de
30:24connaître et même d'échanger avec des superstars, on parle de Van Hamme, on parle de Zep, c'est
30:32dingue que tu imaginais ça au début, d'approcher d'aussi près les top guns du domaine. J'en rêvais,
30:41c'est devenu réalité à force des fois de chance, des fois de personnalité. Tu as rencontré des
30:45éditeurs aussi connus ? Ouais presque tous, par chance, par petite touche, mais après au-delà de
30:52les rencontrer, c'est qu'est-ce que tu fais de ce qu'ils t'ont dit, qu'est-ce que tu fais de cette
30:55rencontre. Des fois effectivement Zep m'a dit des choses dans l'interview et quand j'ai rencontré pas
30:59mal de fois qui sont restées dans ma tête et dont on peut se dire même des années après,
31:03des phrases philosophiques ou des choses vraiment intéressantes et j'ai rencontré d'autres
31:08dessinateurs moins connus. Quand j'étais ado, on est allé dans l'atelier de Rullio Ribeira.
31:12Oui je m'en souviens. Qui m'avait donné quelques clés aussi sur le dessin, des fois à laquelle je
31:17repense aujourd'hui. Donc il faut se servir de tout ce qu'on va pouvoir dire et c'est vrai que c'est un
31:23rêve de pouvoir rencontrer ses mentors, ses idoles et les auteurs qui nous ont fait rêver.
31:30Alors pendant les festivals tu fais tout, mais quand tu t'occupes de créer tes albums tu fais
31:37pas tout. Pourquoi t'as choisi de ne pas faire les couleurs alors qu'on pouvait imaginer en gros
31:42c'est de l'intégration verticale, l'auteur fait tout ? C'est vrai. Raconte ça. Certains qui sont
31:48multi-talents dessin, scénario et couleurs. C'est vrai que moi la couleur j'ai voulu la déléguer,
31:52je l'ai délégué parce que c'est pas quelque chose que j'aime vraiment faire en réalité.
31:57D'accord. Vu que je sens, je suis honnête avec moi, je me dis que c'est pas mon truc. Je pense
32:02que je pourrais trouver des personnes qui sont meilleures que moi donc je les ai trouvées,
32:05on a pu travailler ensemble. Du coup j'ai envoyé les pages en noir et blanc et c'était Noël parce
32:10que j'ai recevus en couleurs. C'est incroyable. C'est le premier à en profiter. C'est ça. Et au
32:16début c'est vrai que je voulais pas mal contrôler les coloristes en faisant telle couleur, telle
32:20couleur je veux la veste qu'elle soit verte, qu'elle ait un reflet etc. Je fais ça un peu au
32:24début et après j'ai tout de suite arrêté de faire ça parce que je les laissais libres en me disant
32:30ils vont amener des choses auxquelles je pense pas et après je leur fais rectifier. Ça c'est
32:33excellent. Ça par contre je voyais pas comme ça, il faut qu'on change. Et ils ont amené plein
32:38d'idées auxquelles j'avais pas pensé. Et je me souviens, il y a une scène en particulier dans
32:43le tome 2 de Handman où là ça se passe la nuit et il fallait quelque chose de bien précis. J'étais
32:47allé prendre des photos avec Slebin la nuit avec les lumières des vitrines. Donc là il y a plein
32:53de reflets, même une pharmacie qui est allumée à 22h, il y a le côté la croix verte qui rayonne
32:58sur la rue et il y a des reflets verts par terre. C'est ce charme là que je voulais avoir. Vraiment
33:02on s'est plongé dans l'histoire et on se dit, il ressort la nuit, on a tous connu cette ambiance
33:07avec toutes les vitrines qui est assez charmante. Ça j'aurais été incapable de le faire tout seul.
33:10Sur d'autres BD plus courtes que j'ai faites, comme tu sais j'ai fait des BD d'une page,
33:14de quatre pages, des fois je fais mes couleurs. Mais c'est des couleurs vraiment basiques,
33:18c'est pas mon truc. Peut-être qu'un jour à travers un test à l'aquarelle ou autre j'aurais
33:23envie de me lancer et de faire des choses un peu moi-même. Aussi pour la couverture du tome 5,
33:28le fond c'est à la peinture que j'ai scanné. J'ai fait pas mal d'essais que j'ai scanné et du coup
33:34là je me suis dit, ça il y a un charme particulier à la couleur que j'ai envie d'intégrer. Donc peu
33:38à peu j'ai demandé à mon coloriste d'intégrer des couleurs peintures scannées en plus de ce
33:43qui se fait sur Photoshop. Maintenant parlons de l'auto-édition. Quelles sont d'après toi les
33:53forces et faiblesses de cette approche ? Qui est bien souvent une approche subie plutôt qu'une
34:00approche choisie. D'où de par la difficulté de se faire éditer, même si c'est moins difficile
34:05qu'avant. C'est en train de changer, de bouger pas mal. Il y a pas mal d'auteurs même qui ont
34:09déjà été édités chez des gros éditeurs qui choisissent de faire aussi certains bouquins
34:12en auto-édition. Il y a eu le financement participatif ces dernières années qui a
34:16complètement explosé et ça se fait beaucoup alors qu'en 2000 il n'y avait que dalle. Donc
34:21l'auto-édition, pour et contre. Alors les pour, c'est qu'on est complètement libre. On fait
34:26absolument ce qu'on veut. Si on veut que le livre ait 47 pages au lieu de 48 comme c'est le cas pour
34:31le tome 1 de Handmade, j'ai fait un petit pied de nez au fameux 48 pages parce qu'il en fait 47,
34:35on peut le faire. Si on veut qu'il sorte à tel moment avec... En plus moi tu sais j'ai fait des
34:40soirées de lancement. Je pouvais maîtriser, je veux tel jour, tel gâteau, tel flyer. Ça c'est
34:47génial parce qu'au fond de nous, quand on se couche, on se dit j'ai fait exactement ce que je
34:53veux faire. Ça c'est un prix qui est incroyable. Donc ça pour tous ceux qui sont des gens qui ont
34:57vraiment envie de faire à 100% ce qu'ils veulent, l'auto-édition est une bonne avenue s'ils ont la
35:01personnalité qui va avec. Parce qu'on se le cache pas, il y a quand même des cartons à porter,
35:05des financements à trouver et puis il faut que ça vive. C'est pas juste j'ai fait un livre,
35:10j'arrive pas à vendre, j'en ai vendu deux. Non, pour rentabiliser, il faut en vendre 200. Donc
35:14maintenant il faut y aller, il faut aller voir les librairies, se faire jeter, retourner. Donc il
35:18y a quand même pas mal de paramètres qu'il faut travailler et se connaître. Les contres, c'est la
35:27diffusion. C'est très très dur d'avoir une bonne diffusion en auto-édition. Si on n'a pas de
35:30diffuseurs, si les librairies nous disent non, qu'on est un peu timide, ça va pas très loin quand on
35:35n'arrive qu'à diffuser. Alors après ça dépend. Si on veut faire son livre et être fier et en
35:38vendre 50 ou 100, qu'on a fait un tout petit tirage chez nous, ça peut être un rêve qui est
35:42accompli. Mais si on veut commencer à en vivre, si on veut commencer à vraiment avoir la consistance
35:46dans notre carrière, il faut y aller à fond. Et du coup on se heurte souvent à la diffusion ou à la
35:53non-diffusion plutôt j'ai envie de dire. J'ai pas mal de copains qui s'auto-édite, qui font des
35:59festivals, qui font leur carrière, que je croise souvent. Et eux ils misent surtout sur les salons
36:03maintenant. Ils ont compris que c'est là où on peut rencontrer les lecteurs, vendre en direct.
36:06En plus il y a cette ambiance sympa, tour de France avec notre oeuvre. Mais ils ont laissé
36:12tomber le côté diffusion dans les grandes surfaces, dans les librairies, parce qu'ils ont vu qu'il y a
36:16beaucoup de portes qui se fermaient. Moi-même j'ai mis des années à vendre des dispos à la FNAC,
36:20à Cultura. C'est au gré aussi des opportunités qui peuvent arriver. C'est vrai que si on veut
36:26s'auto-éditer, toi tu connais aussi parce que tu en fais également, il faut savoir les pour et les
36:31contre. Et qu'est-ce qu'on veut faire exactement ? Quelqu'un qui dirait je veux en vendre des
36:36millions, je veux que ça aille vite. Quand on sait, comme on a parlé, que même quand tu es chez un
36:41gros éditeur qui a une force de frappe, ça met 5, 6, 7, 10 ans. Il ne faut pas s'imaginer qu'avec
36:46l'auto-édition tout va exploser d'un coup. En revanche on peut se dire même dès le premier
36:50jour j'en ai déjà vendu 50. Moi c'était le cas le premier jour de lancement de Landman. Premier
36:54octobre 2014 j'en ai vendu 53 exemplaires. J'étais le roi du monde ce soir-là. Avec tous ces gens
37:00qui étaient venus me voir au centre des congrès, c'est touchant de voir qu'on lance un livre et
37:06ça y est c'est parti, on en vend 50, on dit ça y est ça marche, les gens ont envie de suivre ce
37:09que je fais. Et il y en a qui achètent parce qu'ils te connaissent, ils veulent t'encourager
37:12aussi et ça fait partie du truc. Alors est-ce que tu as ressenti dans ton parcours la stigmatisation
37:20liée à l'auto-édition qui était sans doute plus forte dans les décennies précédentes que
37:28ne l'est maintenant ? C'est un peu rentré dans les mœurs. Mais est-ce que par moment ça t'est
37:32arrivé de voir des gens avoir un reniflement de mépris parce qu'il n'y avait pas le nom d'un
37:37éditeur sur la couve ? Beaucoup. Beaucoup de mépris d'auto-édition. J'en me prends mal pendant
37:422014 et pendant au moins cinq ans. Grosse gros mépris. Mais là depuis deux ans, mettons depuis
37:502020-2021, je sens que c'est en train de pas mal changer. Parce que j'ai vu certains, comme je te
37:55disais à certains auteurs qui étaient déjà édités chez des gros éditeurs, dire pas forcément
38:00j'arrête ma collaboration avec les éditeurs, mais dire j'ai fait des albums avec des éditeurs,
38:03des fois je touche une avance au droit, mais pas de droit d'auteur après. J'ai envie de faire un
38:08livre particulier qu'ils ne veulent pas forcément faire. Donc celui-là je le fais en auto-édition.
38:12Et si ça commence, il commence à y avoir un auteur, puis deux auteurs, puis trois,
38:16et notamment il y a un auteur qui vend beaucoup, Riyad Satouf, qui a même vendu des millions chez
38:20les gros éditeurs, qui a décidé de créer sa propre structure. Là le milieu commence à se dire
38:24ah tiens, il se passe quelque chose. Après est-ce que ça va vraiment se pérenniser ? Pas
38:29forcément, parce qu'on n'est pas tous, on n'a pas tous la personnalité, on n'est pas tous capables
38:33de dire je commence à créer ma structure, une entreprise, un expert comptable, des cartons
38:37partout, les journalistes à contacter. Il y en a qui ont horreur de ça, certains auteurs qui disent
38:40oh là là, moi je sais que c'est compliqué. Ils ne sont pas des hommes d'affaires. Ils ne sont pas
38:43des hommes d'affaires du tout, et ils disent moi je me range dans l'écurie d'un éditeur,
38:47qui fait parfois très bien son travail, et je ne suis pas du tout un entrepreneur.
38:52Est-ce que justement ça ne t'a pas gêné souvent, voire blessé, qu'on te qualifie
39:00d'homme d'affaires en plus d'être un auteur ? Est-ce que des fois on ne t'a pas balancé ce
39:08qualificatif à la figure, en disant bah oui non mais tu n'es pas vraiment un auteur, tu n'es pas
39:13vraiment un artiste, parce que tu as la dimension business, bien obligé de l'avoir.
39:19Une fois il y a un auteur qui m'a dit tu ne te comportes pas comme un auteur de BD,
39:24et à ce moment là c'est vrai que ça ne m'a fait pas du bien, mais aujourd'hui j'ai envie de dire
39:27ouais t'as raison je ne me comporte pas comme un auteur de bande dessinée, je me comporte comme
39:30un auteur, organisateur de festival, entrepreneur, et là je suis en train de lancer mon agence de
39:35communication. Donc on peut lui rendre hommage en disant merci de m'avoir donné cet aspect là,
39:40parce qu'on le prouve aujourd'hui avec la discussion qu'on a sur tout ce qui a été
39:44entrepris, c'est qu'on n'est pas obligé d'être le dos courbé sur une table et ne faire que
39:49dessiner. On peut à un moment donné, on peut faire ça, être un auteur, uniquement auteur,
39:53et c'est déjà énorme, mais on peut aussi dire moi j'ai envie de faire un festival, de lancer
39:56une librairie, j'avais ce projet à un moment donné par exemple. Heureusement que tu ne l'as pas fait.
40:01Il y a une librairie qui s'est lancée qui n'accueille que des auto-édités.
40:04Ah ouais carrément, ça c'est un positionnement.
40:06Voilà c'est un positionnement clair, et il y en a en fait des dizaines qui étaient un peu
40:09chez eux en disant je n'arrive pas à me faire diffuser de par la librairie, et là ils débarquent
40:12et la librairie est pleine d'auto-édités, donc ça c'est une démarche qu'on peut saluer.
40:15Et ça marche ?
40:16Ça a l'air de pas mal marcher. Je n'ai pas le chiffre d'affaires, mais ça a l'air d'avancer.
40:20D'accord.
40:25Ah, une question où on va déborder un peu de ton parcours, ton propre parcours,
40:31ton parcours personnel, et on va puiser dans ta culture du milieu.
40:37La question que j'ai envie de te poser, c'est, bon 20 ans quand même, c'est une période,
40:41comment tu as vu en 20 ans le milieu évoluer, la BD évoluer ? Qu'est-ce que tu peux donner
40:48comme feedback là-dessus ? Et puis on va s'amuser aussi à aller plus loin.
40:54Est-ce que tu pourrais, dans un deuxième temps, te projeter et dire bon moi voilà,
41:00je pense que dans les 20 ans à venir, ça peut tourner comme ça, il peut y avoir
41:04telle ou telle piste, telle ou telle hypothèse. Bon déjà, commençons sur les 20 ans passés.
41:09Comment ça a évolué par rapport à ta découverte de la BD en 2013 ?
41:14Il y a un bon indicateur pour ça, c'est la série Spirou, que moi j'adore. Quand j'ai commencé la
41:19bande dessinée en 2003, en 2004 ça a été repris, donc c'était le retour de Spirou.
41:24Mais depuis ces 20 ans, c'est parti dans pas mal de directions. Ils ont fait pas mal d'albums
41:31one-shot, Spirou vu par... Il y a même eu un Spirou manga. Donc c'est bien la preuve qu'un éditeur qui,
41:38quand j'ai commencé en 2003-2004, était sur un schéma classique, Spirou depuis des décennies,
41:43très classique, est parti dans plusieurs directions et parfois avec des succès que même
41:49l'éditeur n'attendait pas forcément. Des Spirou qui ont eu tout d'un coup dans un autre style.
41:53Pour faire vivre la franchise ou pour des questions de survie ? Pourquoi ?
41:57Il faudrait leur demander, parce que des fois on se pose la question. C'est vrai que moi j'ai vu
42:00différents Spirou, des fois que j'adorais, des fois que j'étais moins convaincu. Mais il y a eu
42:04beaucoup de choses qui ont été tentées, en tout cas ça c'est bien. Et même le Spirou manga qui
42:07était assez culotté. Ce que je pense sur ces 20 années qui viennent d'arriver, c'est qu'on est en
42:13train de voir la fin du 48 pages classique. 48 pages à 4, classique couleur. Je pense pas qu'il
42:19va disparaître, mais je pense qu'il va être beaucoup moins omniprésent qu'il ne l'était
42:22avant. Parce qu'il y a encore 20 ans, les gens disaient c'est le format classique. Tu veux faire
42:28une BD de 120 pages noir et blanc, ça se fait pas vraiment. Je vous dis, on va voir un éditeur,
42:33un tiers de ce qu'il fait c'est des one shots de 80, 100 ou 130 pages. Un tiers de ce qu'il fait
42:39peut-être c'est le classique 48 pages quand même, qui reste encore, qui se vend très bien. Et un
42:44tiers ça va être des intégrales, d'autres choses différentes. Mais on a vu des albums à l'italienne,
42:49par exemple le Spiromanga, il était comme ça à l'italienne. On a vu des one shots de jeunes
42:54auteurs de 150 pages en 2003, j'aurais même pas imaginé ça. J'en voyais un petit peu, j'en ai vu
42:59un peu arriver, mais ça se faisait pas beaucoup. C'était un peu de l'ordre de l'exception. Alors
43:05que là, la BD est complètement partie dans plein de directions tentaculaires en disant on peut
43:10absolument tout faire. Et il y a même des auteurs qui ont fait des albums. Mon album préféré de
43:16bande dessinée, si je ne l'ai regardé qu'un seul, c'est Blanquette, c'est un album de 600 pages noir
43:19et blanc. Et quand moi j'ai découvert ça, que tu m'avais offert d'ailleurs quand j'étais adolescent,
43:23ça a presque redéfini ma vision de la bande dessinée parce que quelques mois avant j'étais
43:27sur des Spirou de 48 pages, la suite dans un an. Et là je vois un album, 600 pages, le pavé, je me
43:36suis dit c'est possible d'aller dans ces directions. C'est ça aussi qui a créé mon côté tout est
43:40possible. Si j'avais été resté dans les années 80 ou même avant dans des Tintin, Astérix, Spirou,
43:47etc., j'aurais été bon sur la bande dessinée. C'est ce que j'adore, que tu adores aussi. Mais c'est vrai
43:52qu'à partir du moment où un mec arrive et redéfinit ça, et après l'arrivée du manga aussi a beaucoup
43:57bousculé. C'est vrai qu'il y a encore quelques années, beaucoup d'éditeurs ou même d'auteurs
44:01disaient le manga, on ne sait pas trop comment le prendre, etc. Aujourd'hui, il y a des jeunes
44:06auteurs qui ont été biberonnés au manga et à la BD franco-belge et qui du coup nous sortent un style
44:10qui est un peu un mix des deux. Moi j'en connais qui ont un style qui est un mixte et donc ça veut
44:16dire pour répondre à la deuxième partie de la question, pendant les 20 prochaines années, je
44:19pense que la bande dessinée va pouvoir encore partir plus loin dans différentes directions et
44:24que le côté ultra classique va rester, et j'espère d'ailleurs, les 48 pages. Il ne va pas
44:31disparaître, mais je ne pense pas qu'il va rester comme le sacro-saint BD franco-belge, c'est comme
44:37ça et pas autrement. Et la BD numérique, ou plus exactement la diffusion numérique de la BD,
44:44ça tarde à décoller, c'est enfin établi, qu'en est-il ? Moi je consomme la BD comme ça, y compris
44:54à travers un site spécialisé qui s'appelle Izneo, qui est très bon par ailleurs. Quelle est ta vision
45:00des choses là-dessus ? J'aurais pu penser que ça décollerait pas mal, finalement ça stagne un peu,
45:05peut-être parce que les français sont ultra attachés aux papiers, ultra attachés à la collection,
45:11dans la bibliothèque, de voir comme ça toutes les couvertures, les tranches des couvertures, ça les
45:16touche, ça peut être un cadeau. Il y a une vraie tradition comme tu sais chez nous, la BD franco-belge,
45:21en Europe c'est un peu une exception, la France et la Belgique, la Suisse on peut rattacher aussi
45:25parce qu'ils sont très fans. De ce côté, l'auteur, le sacro-saint auteur, la sacro-sainte dédicace,
45:32la sacro-sainte collection, ou d'autres pays, j'ai l'impression que les US par exemple sont
45:37moins accrochés à ça, donc peut-être que le numérique a un plus percé chez eux. On verra,
45:44franchement tout reste ouvert. Moi ce que je pense pour résumer, c'est le 48 pages couleur
45:50classique en diminution de domination, beaucoup d'influences manga et comique qui vont se mélanger
45:56dans des styles un peu hybrides, et le numérique qui devrait je pense trouver, peut-être qu'en fait
46:02il n'a pas encore vraiment trouvé son modèle économique, on en parlait à début, son product
46:07market fait qui fait que hop, on peut imaginer qu'un site dise tous les mois mille nouvelles
46:12pages, c'est un euro par mois, et tout d'un coup il y a plein de gens qui déboulent, et puis qu'il
46:15trouve au bout d'un moment un lectorat assez suffisant pour que ça marche. A voir, tout reste ouvert.
46:20Bon on passe un bon moment ensemble, mais on est arrivé au bout là, on est arrivé à la
46:29dernière question, question classique pour conclure ce type d'interview. Si j'étais à refaire ces 20
46:37ans, qu'est-ce que tu changerais ? Est-ce que tu changerais quelque chose ? Oui bien sûr, cette
46:42question est toujours intéressante parce qu'on peut se dire, là je réponds aujourd'hui, en 2023,
46:47donc c'est facile de dire, tu vois 2015, je ferais autrement comme ça parce que j'ai mon Savoie
46:522023. Donc déjà, je suis très content d'avoir publié ma série Handmade et l'avoir fait comme
46:57je voulais, mais c'est vrai que si c'était à refaire, j'aurais un petit peu changé l'aspect
47:01commercial, c'est-à-dire que j'aurais plus pensé à, d'accord c'est ma série de coeur, d'accord
47:05j'ai envie de la faire, mais pour que ça développe, pour que ça avance, il faut en vendre, il faut
47:10toucher un public, etc. Donc j'aurais peut-être essayé d'accélérer les choses pour en faire un
47:15tous les ans. Là j'ai pris mon temps en faisant un tous les 18 mois. Mais pour revenir sur ta
47:19question d'avant, c'est long aujourd'hui pour des gens d'attendre 18 mois pour un 45 pages, à l'heure
47:24des séries où ils consomment quatre épisodes par jour et ils veulent la suite, c'est très long, très
47:29très long d'attendre. Donc je pense que j'aurais, je pense en tout cas, j'aurais aimé plutôt en faire
47:33un tous les ans. Mais j'ai un peu cette même réflexion pour le festival, dont on a parlé
47:38tout à l'heure, c'est de dire, après c'est un idéal parce que c'est pas facile à faire, mais je me
47:42suis dit, pour vraiment pérenniser un événement et que ça rentre dans la vie des gens, si on avait
47:47réussi à en faire deux par an, peut-être un peu plus réduit, pas avec, si on a un gros festival, on le
47:54coupe en deux, ça fait deux festivals peut-être plus modestes. Mais le fait d'en avoir un par
47:58exemple l'été et un autre l'hiver, juin, décembre par exemple, ça aurait peut-être créé quelque
48:03chose chez les gens de récurrent, de plus fort. Du coup tu t'ancres peut-être plus facilement et
48:08c'est le même mécanisme pour l'album. Chaque Noël retrouve un nouvel album, tchac tchac tchac,
48:13du coup c'est plus facile pour les gens dans leur tête de dire tous les Noëls il y a un
48:17nouvel album. Là j'ai voulu le faire à ma façon, avec ça sera prêt quand ça sera prêt. Et c'est
48:23vrai que commercialement c'est pas la meilleure chose, il faut le dire. Donc ça peut-être qu'avec
48:27l'œil que j'ai aujourd'hui, j'aurais fait différemment et j'aurais voulu aussi peut-être
48:30faire plus de collaborations avec d'autres auteurs. J'en ai fait assez peu. Là j'ai fait des pages,
48:35le scénario qui ont été dessinés par un Greg Blondin, qui est un superbe dessinateur, qui vont
48:40sortir dans un des agendas Clairefontaine dans deux mois, à la rentrée 2023. J'étais très
48:44content de faire ça, mais c'est vrai que si ça avait été à faire, j'aurais aimé faire ce genre
48:47de choses plus tôt. J'ai pas beaucoup développé cet aspect-là, il y a eu mes coloristes, il y a eu
48:51des projets, mais cet aspect collaboration j'aurais peut-être aimé plus le faire.
48:54Pourtant en matière d'expériences diverses et variées, on n'a pas grand-chose à te reprocher,
48:59tu as eu un parcours très éclectique. À un moment donné il faut manger et dormir,
49:03il y a des heures qu'on ne peut plus se cuiser. C'est sain je pense, c'est très bien de dire
49:10j'aurais aimé faire plus, j'aurais aimé faire ça, parce que ça prouve qu'on a encore la flamme et
49:14l'enthousiasme. Et il me reste encore des belles années j'espère à faire plein de choses. Mais
49:19c'est vrai que quand on se penche sur le parcours, on dit ok stop, on regarde, on a envie de dire
49:23là j'aurais voulu faire un petit peu mieux, là j'aurais voulu faire plus, là j'aurais voulu
49:27mieux dessiner. C'est normal, c'est normal. Et après peut-être qu'on peut se nourrir de
49:33petites frustrations cognées comme ça pour dire pour les années à venir, je vais faire plus de
49:36ça, j'aurai un meilleur budget, je vais faire plus de collaborations, je vais plus soigner le dessin,
49:41le scénario, je vais partir dans une direction que je m'interdisais avant parce que j'étais plus
49:44timide et maintenant on va y aller encore plus à fond. Donc à tous ceux qui peuvent se dire
49:48ouais mais j'aurais voulu faire ci, j'aurais voulu faire ça, c'est normal. Je pense pas qu'il y ait
49:52un seul auteur qui va nous dire après 20 ans, après 30 ans, absolument parfait, je ne changerai pas une
49:56virgule. Et à Le Quentin de 2003 si on pouvait lui dire tu vas consacrer les 20 prochaines années à
50:05la BD, il serait content, il serait surpris. C'est ce qu'il voulait, j'ai commencé en août 2003 et en
50:15décembre 2003 j'ai commencé à écrire mon aventure et mon parcours dans la BD. J'avais créé un
50:20document, la BD et moi, et je mettais mois après mois, j'ai fait ci, j'ai fait ça, j'avance, j'ai
50:26envie de faire ça. Donc je pense qu'il serait content de dire j'ai fait mes albums comme je le
50:30rêvais. Surtout quand même c'était le rêve d'adolescence. Beaucoup de gens ont un rêve
50:33d'adolescence qu'ils ne font pas en réalité. Ils ont changé de projet, un jour ils ouvrent un
50:37carton, ils voient que c'est vrai que ça aurait été bien si je l'avais fait. Et moi c'est vrai que
50:41j'ai réussi à le faire donc c'est superbe. Le festival aidé par beaucoup de gens, il n'a plus
50:44sorti de terre. Donc je pense qu'il serait content sur cette BD Le Quentin de 2003. On va rester là
50:50dessus. Allez bravo Quentin pour ses 20 ans. Merci. Bon anniversaire. Merci.

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