Interview de Zep pour ses 30 ans de carrière : partie 2 sur 3

  • il y a 3 mois
Pour ses 30 ans de carrière à la rentrée 2018, j'ai eu le plaisir d'interroger Zep sur son parcours.
Interview en 3 parties.

Dans cette 2ème partie, il est question de Happy Sex, Une histoire d'hommes, Un bruit étrange et beau, The End, les carnets, expos, les salons, les fan-arts, reprises...

Les images sont copyright Zep et ses éditeurs/partenaires
www.zeporama.com

Montage par Quentin Lefebvre
www.quentinlefebvre.fr
Transcription
00:00Alors tu as sorti Happy Sex en 2009 et t'as dit plusieurs fois que c'était l'album que
00:13beaucoup dans ton entourage ne voulaient pas que tu fasses, de peur que tu abîmes un peu
00:16ton image du dessinateur pour les enfants, mais tu l'as fait quand même cet album.
00:20Est-ce que tu étais stressé au moment de la sortie ou alors tu étais sûr que tu tenais
00:23quelque chose de fort ? Et quelle a été la réaction de tes proches une fois le succès
00:27arrivait ? Est-ce qu'ils ont un peu mieux compris ce que tu voulais faire avec cet album ?
00:29Ah ben quand il y a du succès, tout le monde comprend. C'est toujours pareil. Mais peu
00:37importe. Je pense que quand on fait un livre, il faut qu'on croit à son livre. Souvent,
00:43on est le seul à croire à son livre. On n'a pas besoin que les gens autour nous encouragent
00:47forcément. Moi pendant des années, j'ai fait des livres que j'étais le seul à aimer. Donc
00:53ce n'était pas un problème pour moi de faire Happy Sex avec tout le monde qui me disait que ce n'était
00:56pas bien de le faire. Pas tout le monde, mais quand même beaucoup de gens étaient contre
00:59ce projet. Et avec le recul, je suis très content d'avoir fait cet album. Et je n'ai
01:08pas besoin de le justifier. Je trouve que c'est un livre qui a sa raison d'être. Pour
01:13moi, la justification, c'était le plaisir, l'amusement de le faire. Je venais de travailler
01:17pendant deux ans sur l'expo Zizi Sexuel pour la Cité des Sciences. Donc sur le thème
01:23de la sexualité expliquée à des enfants. Et plus je bossais là-dessus, plus je me
01:29plaisais. Mais il y a plein de trucs géniaux à faire sur la sexualité expliquée aux
01:32adultes. Expliquer, je n'ai pas la prétention d'être sexologue, mais rien que de raconter
01:36nos pratiques sexuelles, je trouve ça très marrant. Et c'est un sujet central. Et pour
01:41finir, qui est assez sous-utilisé dans la fiction, dans le cinéma, évidemment. Pas
01:49du tout, parce que c'est le média le plus couille molle de tous. Donc ils ont très
01:54peur, ils ne le font pas. À part le cinéma porno. Mais le cinéma porno, ça ne raconte
01:58rien. La littérature utilise pas mal la sexualité. Mais autrement, dans la bande dessinée, ça
02:10reste cantonné à un genre ou aux blagues un peu plus grivoises et tradition des blagues
02:16un peu coquines. Mais vraiment un truc d'observation sociale, comme Brétéché l'a fait un petit
02:26peu. Elle a abordé un peu la sexualité dans Les Frustrés, mais elle abordait tout. Donc
02:31c'est un des nombreux sujets à aborder. Mais de le faire que sur la sexualité, je
02:34trouve qu'il y a vraiment de quoi faire. Et puis là, je suis en train de refaire un,
02:37parce que je trouve que dix ans après, il y a de nouveau plein de trucs à raconter.
02:43Et ça m'amuse encore beaucoup. Je ne sais pas si j'en ferai encore dans dix ans.
02:47Peut-être qu'à un moment, j'en aurai marre. Mais en tout cas, je trouve que ça reste un
02:51sujet éminemment drôle à raconter et à dessiner.
02:56En 2013, tu as publié ton premier album dits réalistes avec Une histoire d'homme. Tu as
03:02dit avoir redessiné trois fois l'album. Alors comment est-ce que tu as fait pour garder le
03:05plaisir ? Parce que quand on entend ça, moi-même qui suis dessinateur, je me dis comment on fait
03:09pour garder le plaisir quand on doit redessiner pas mal de fois, beaucoup de cases, des dizaines
03:13de cases et des dizaines de pages ?
03:14Parce qu'il y avait suffisamment de différences entre une version et une autre pour que ce soit
03:20plaisant. C'est-à-dire que je me rendais compte que moi, j'avais un dessin réaliste de téléphone.
03:27C'est-à-dire que je dessinais comme ça quand je parlais au téléphone sans faire attention des
03:32portraits, des gens qui étaient autour de moi, au café, comme ça, avec un dessin réaliste
03:36depuis toujours, mais sans le travailler. C'était une espèce de manie observatoire.
03:43Et j'avais envie de raconter des histoires comme ça depuis longtemps. Et là, je suis allé,
03:50je le fais, je le dessine moi. Donc, j'ai commencé. Mais entre du dessin, parce que quand on dessine
03:55comme ça à la sauvette, on peut taper un dessin très virtuose. Ce n'est pas pour ça qu'on est un
04:00grand dessinateur. Après, il faut qu'on applique ça à une bande dessinée avec toutes les contraintes
04:06qu'ont la bande dessinée. Aussi, des cas qui ne sont pas forcément très fun à dessiner,
04:11qui sont juste là pour raconter un élément d'histoire. C'est une autre histoire. Et puis,
04:15je passais d'un registre humoristique, tit-off, avec un personnage qui est très volubile,
04:23qui a une espèce de petit Louis de Funès, comme ça, à un truc beaucoup plus statique avec des
04:28visages, des personnages qui bougent très peu, qui ont des émotions assez contenues. Donc,
04:33ma première version, elle était un peu entre deux. Apparemment, mon dessin oscillait entre le
04:38réalisme et la caricature. Et j'avais des personnages qui parlaient tout le temps avec
04:43les mains, qui faisaient beaucoup, qui faisaient un jeu très cru de la comédie italienne des années
04:4860. Donc, je l'ai entièrement redessiné. Et la deuxième fois, il n'était pas mal. Mais déjà,
04:54entre la première page et la page 60, il y avait un gap graphique. Ça bougeait. Donc,
05:01j'ai encore recommencé une troisième fois. La troisième fois, je ne l'ai pas entièrement
05:05redessiné. J'ai dessiné partiellement, mais j'ai dessiné, je pense, un bon 30% de l'album sur
05:11des cases qui ne fonctionnaient pas, certaines qui étaient déjà bien en place. Et c'était assez
05:18plaisant parce que je voyais mon dessin s'installer. Je voyais mon dessin prendre un peu ses marques
05:25dans du dessin réaliste. Ça a continué après avec Un bruit étranger beau et The End. Si je
05:35reprenais The End maintenant, je le redessinerais différemment. Mais disons qu'il tient pour ce que
05:41je veux raconter. Donc, il y a des dessins dont je suis très content, d'autres moins. Après,
05:46voilà, ce n'est pas le Louvre. C'est une bande dessinée. Ça doit d'abord raconter une histoire.
05:50Il y a des dessins qui ne sont peut-être pas au top de ce qu'ils pourraient être. Mais je suis
05:56content parce que l'énergie a été mise surtout sur les arbres. Et ce sont eux qui racontent
06:01l'histoire en premier. Je trouve que les arbres sont pas mal. Donc, Une histoire d'homme, c'était
06:05vraiment la transition entre le ZEP humoristique et le ZEP réaliste pour la première fois avec un
06:09album. Tu n'as pas redessiné trois fois ou cinq fois Un bruit étranger beau et The End. Là,
06:13c'était plus calé sur ton dessin réaliste maintenant. Oui, mais j'ai beaucoup, beaucoup
06:17redessiné. Je ne redessinais pas des pages entières. Je dessinais une case, une scène.
06:22Souvent, j'ai besoin. Je me suis rendu compte dans Une histoire d'homme que pour moi, c'était
06:30difficile d'inventer complètement des personnages réalistes et de les faire jouer de manière
06:34complètement imaginaire. C'est-à-dire que pour dessiner une séquence de deux personnages qui
06:39parlent à table, il faut que j'ai deux personnages à table qui posent pour moi et que je regarde ce
06:45qu'ils font, que je dessine, que je fasse des photos, que je vois comment ils portent leur
06:50verre sur des petits trucs de mise en scène que je n'utilise jamais dans Titeuf parce que dans
06:55Titeuf, on est dans une mise en scène beaucoup plus exubérante. Tandis que là, on est un personnage,
07:02il va froncer un tout petit peu une narine et ça dit ce que ça dit. Il n'y a pas besoin d'en
07:08faire plus. Mais ça, quand on ne l'a jamais fait, c'est vachement compliqué. Du coup,
07:13j'ai beaucoup dessiné avec des films aussi. C'est-à-dire que pendant un an, pendant l'année
07:18où je bossais sur Histoire d'Homme, je pense que chaque fois que je regardais un film, j'avais mon
07:21carnet sur les genoux et je dessinais les personnages dans toutes les séquences. Alors,
07:25justement, pas dans des séquences de baston parce que ça, c'est toujours plus, je ne vais pas dire
07:29facile, mais oui, c'est plus facile à dessiner. Mais plus, c'est justement une séquence où des
07:34gens parlent à table ou sont assis dans le bus ou marchent dans la rue, dans de l'acting très,
07:40très simple, très quotidien. Mais qu'est-ce qui fait que tout à coup, cet acting, il devient
07:45génial parce que le personnage, il a une manière de boire en tordant un peu la bouche. Et ce truc-là,
07:51il fait que la scène, elle devient exceptionnelle alors qu'a priori, sur le papier, elle n'aurait
07:57rien de spécial. Et tout ça, ce sont des petites choses que j'ai beaucoup observées. Et c'est pour
08:01ça qu'à partir de Bruits étrangers beaux, j'ai demandé à des copains de poser pour moi. Donc,
08:07j'ai fait comme pour un film, c'est-à-dire que j'ai fait un casting à partir de mon, juste sur
08:12mon storyboard. Et je dis voilà, lui, ça va être tel personnage, lui, c'est un tel personnage. Et
08:17après, je vais demander aux gens, je suis d'accord de poser pour moi, pour ce personnage. Et les gens
08:23ne comprennent pas trop des fois ce que je dis, il est posé pour toi. Mais c'est-à-dire, je vais
08:26devoir venir tous les jours dans ton atelier pendant six mois. Je dis non, tu viens un jour,
08:30deux jours. Je fais 50 dessins, je prends 200 photos. Et puis, je regarde comment tu bouges,
08:37comment tu t'assieds, comment tu te remets les cheveux, comment tu te grattes l'oreille. Et
08:43voilà. Et c'est assez particulier. Tout le monde ne peut pas le faire parce que ça demande aussi
08:48que les gens soient naturels, ce qui n'est pas du tout naturel quand quelqu'un est en train de vous
08:53observer, de vous prendre en photo. Et en plus, apparemment, je dis stop, ne bouge plus. Cette
08:57pose, elle est géniale. Et bon, dès qu'on dit ça, la pose, elle change, elle ne vient plus. Mais
09:01j'essaye d'attraper ces petits moments. Et je pense que c'est ce qui fait que le jeu sur ces
09:07albums est pas mal réussi, je trouve. Alors, tu as publié des beaux livres, ce qu'on appelle
09:15des beaux livres, par exemple Le Monde de Zep en 2004, où Zep a montré quelques années après. Et
09:20tu dis plusieurs fois dans des interviews qu'à une époque, des auteurs comme Uderzo et Franquin,
09:25malgré leur immense succès, leurs éditeurs ne leur permettaient pas vraiment de faire des
09:30livres différents de leur série à succès, ou peut-être qu'eux-mêmes n'osaient pas vraiment
09:33faire ça. Donc là, on a des beaux, grands livres avec des croquis, des aquarelles. Est-ce que c'est
09:38la preuve aujourd'hui que les auteurs peuvent se permettre de faire tous les livres dont ils rêvent,
09:41grands formats, croquis, etc.? Est-ce que tu sens qu'un cap a été franchi à ce niveau?
09:45Sans doute, oui. On peut faire beaucoup de livres aujourd'hui. Après, il faut encore les vendre,
09:53c'est une autre histoire. Mais à l'époque d'Uderzo, il est toujours là Uderzo, mais dans les années
10:0060, 70, 80, quand ces mecs étaient des superstars, sortaient des livres qui se vendaient à des millions
10:08d'exemplaires, je pense qu'eux-mêmes n'auraient pas osé poser la question « est-ce qu'on peut
10:14faire un livre de mes croquis? ». Franquin l'a fait, cauchemarant, mais qui était vraiment quelqu'un
10:19qui est passé chez lui et qui a vu tous ces petits croquis et dit « ah, c'est magnifique, on pourrait
10:23les éditer ». Et lui, il a « non, non, non, non, non, non ». Je pense qu'ils ont insisté, insisté,
10:27pour finir, ils ont fait un livre de croquis qui était embarrassant même pour lui parce qu'il y
10:32avait un côté « regardez, je suis un artiste ». Et je pense que pour les dessinateurs de cette
10:38génération, c'était très rare qu'ils ne disaient pas ça. Pour eux, ils se considéraient comme des
10:43artisans. Et « artiste », c'était prétentieux de dire ça. Déjà, pendant longtemps, « artisan »,
10:49ils n'osaient pas trop le dire parce qu'ils faisaient de la bande dessinée, c'était considéré
10:53comme une activité un peu régressive d'ados attardés. Et ils gagnaient leur vie en faisant ça,
10:59mais ils ne la ramenaient pas trop. Ils disaient « oui, je fais du dessin ». Et tout à coup de dire
11:08« en plus, je suis un artiste », ça leur est difficile. Alors évidemment, ce sont des immenses
11:14artistes, des artistes majeurs du XXe siècle même, on peut le dire, mais c'était très, très difficile
11:21à dire pour eux, je pense. Et du coup, nous, on est arrivés après. Donc, on est arrivés quand ces
11:28gens-là avaient déjà une reconnaissance énorme. Et surtout, les gens qui les avaient reconnus comme
11:32enfants, qui ont grandi avec eux, étaient devenus adultes, étaient devenus des gens importants dans
11:37le monde de l'édition. Donc, c'était complètement naturel. Pour eux, ils rêvaient de sortir un beau
11:42livre sur Derzo ou un beau livre sur Franquin. Ils ne pouvaient pas forcément le faire. Du coup,
11:46ils proposaient de le faire au nouveau. Et c'était assez marrant parce qu'on est une génération
11:52d'enfants gâtés. Il y en a même qui ont sorti des artbooks avant même de sortir un album de
11:56bande dessinée parce qu'ils ont des beaux croquis ou des beaux crayonnés. Donc, on a dit « bon,
12:01on va d'abord faire un livre de croquis avant de faire un album de BD ». Et ce n'est pas idiot
12:05parce qu'il y a des artistes qui sont, je pense, des très grands artistes de dessin libre comme ça,
12:10très pur. Je pense par exemple à Claire Wendling qui est une dessinatrice incroyable. Et en bande
12:16dessinée, pour finir, elle n'a pas eu une carrière en bande dessinée. Et ce serait dommage que si on
12:23l'avait cantonnée à la bande dessinée, il n'y aurait peut-être aucun livre d'elle qui existe alors
12:27qu'on peut voir ses dessins, ils existent. Il y a des publications, pas beaucoup, malheureusement
12:30trop peu, mais des gens comme ça qui sont vraiment des grands artistes picturaux, mais pas forcément
12:36faits pour la bande dessinée. Et en fait, la bande dessinée, ça draine énormément de gens qui sont
12:41dans le para-BD, c'est-à-dire ils sont rattachés à la bande dessinée. C'est ce qui leur a donné
12:46envie de faire du dessin. Mais ils se révèlent être plus peut-être des dessinateurs, des illustrateurs,
12:51des gens qui vont faire de l'affiche, des graphistes, des designers. Mais ce qu'ils font
12:59en bande dessinée pure, ce n'est pas forcément la partie la plus intéressante de leur travail.
13:03Donc, c'est vachement bien qu'éditorialement, on développe aussi ce côté-là. Et d'une manière
13:08plus personnelle, moi, ça m'a ouvert quelques portes. Parce que le fait d'avoir montré mes
13:13carnets de croquis dans des livres comme ça, qui a déclenché que Gallimard a proposé de faire
13:19Carnet intime. Et je pense que Carnet intime a déclenché Une histoire d'homme, etc. Donc,
13:24il y a un moment, c'est ouvrir la porte à d'autres choses et dire ces choses-là qui font partie de ma
13:28vie artistique, elles intéressent aussi quelques personnes. Donc, il faut peut-être les développer.
13:35Et parfois, on s'aperçoit que c'est celles-mêmes qui intéressent le plus de personnes. Donc,
13:39un dessinateur qui va peut-être végéter dans la bande dessinée va se révéler un
13:44illustrateur absolument génial. Est-ce que c'est aussi peut-être, aujourd'hui,
13:47il y a un intérêt fort du public pour voir tout ce qui est croquis, making-of, d'où le succès de
13:51certains artbooks pour des gens qui n'ont même pas sorti encore d'albums BD classiques ?
13:55Oui, je crois que même de manière plus large, il y a un intérêt très fort pour le dessin. Le
14:00dessin est redevenu une discipline qui intéresse les gens, qui intéresse le milieu des beaux-arts
14:09aussi. Moi, quand j'ai fait mes écoles artistiques, les arts d'éco depuis une année de beaux-arts et
14:17puis après encore cinq ans d'arts d'éco, ce n'était pas très bien vu de dessiner. On était
14:24graphiste, on pouvait faire de la photo, on pouvait faire de la retouche photo, ce qui était de la
14:28préhistoire de la retouche photo, il n'y avait pas encore photoshop, de l'illustration, de la peinture,
14:33et tout le domaine de la peinture était complètement tourné vers la peinture conceptuelle. Donc, c'était
14:39plus de l'installation, les débuts de l'installation en vidéo, du travail vraiment autour d'une idée,
14:45et peut-être exposer des objets liés à cette idée. Mais le fait de dessiner, c'était considéré
14:51comme quelque chose d'assez vulgaire, d'assez primaire. Quelqu'un qui dessinait à l'école
14:54les beaux-arts, c'était un con, c'était vraiment quelqu'un qui n'avait rien compris. Et moi, je n'ai fait
15:00qu'une année de beaux-arts à cause de ça, parce que j'étais le con qui dessinait, je n'étais pas le seul,
15:03heureusement pour moi, mais ce n'était vraiment pas perçu. Alors qu'aujourd'hui, il y a un salon du
15:09dessin, beaucoup d'artistes contemporains dessinent de nouveau, retrouvent le plaisir du dessin, et il ne faut
15:16pas se cacher la face, c'est aussi une histoire de fric tout ça, c'est que les collectionneurs d'arts,
15:22ils en avaient un petit peu marre d'acheter des installations vidéo qui étaient foutues après
15:25trois ans, et des objets conceptuels qui, sans le mec qui vous explique le concept à côté, ne sont pas
15:31très très intéressants, et que le plaisir d'une image dessinée, il est inaltérable. Un dessin qui
15:40vous touche, il va vous toucher à travers le temps. Quelque chose qui vous touche, parce que le concept
15:45est rigolo, c'est amusant en deux minutes, mais une fois qu'on l'a raconté une fois, le plaisir a
15:49disparu, et puis c'est comme souvent dans l'histoire de l'art, c'est des twists comme ça,
15:53on fait des choses un peu extrêmes pour faire bouger, mais ce qui traverse le temps quand même,
15:59les gens vont continuer à aller voir une exposition de Van Gogh, parce que sa peinture elle va toucher
16:05les gens, pour des raisons relativement inexplicables, pour des choses qui nous rassemblent tous
16:10certainement, et le fait d'arriver à poser une image à plat sur une toile, ou sur du papier, ou sur du
16:16carton, ça touche, ça nous touche, chacun peut se raconter notre histoire avec ça, et je pense
16:23que ça, ça disparaîtra jamais. Mais il y a des modes, et moi quand j'ai commencé mes études d'art,
16:29c'était vraiment pas la mode, c'était très très mal perçu. Il y a du chemin qui a été parcouru en 30 ans.
16:34Tu as fait des grandes expos au Mudak, à Angoulême, à Lille, qui faisait plusieurs centaines de mètres
16:42carrés, ça t'a permis un peu de faire le bilan sur ton travail, pour progresser, est-ce que c'était
16:47plutôt le vertige ? A Lille c'était particulier, parce que c'était une exposition, c'était pas une
16:53exposition de mes dessins, c'était une exposition sur la collection de Lille, la collection du Palais
16:58des Beaux-Arts, donc c'était s'amuser avec les Beaux-Arts, et là j'ai fait un truc que j'aime
17:04beaucoup faire, j'ai fait le trublion, c'est-à-dire que j'allais faire le garnement qui va dessiner sur les
17:08statues, et je me suis bien amusé avec ça, je trouve que c'était une bonne manière de faire
17:13cohabiter, alors en contrepartie j'avais droit à une salle au Palais des Beaux-Arts, qui était une
17:18petite salle du Palais des Beaux-Arts, mais une petite salle du Palais des Beaux-Arts c'était quand même genre
17:21400 m² d'expo, et c'était marrant de se trouver dans un lieu aussi vénérable, mais je pense que
17:27maintenant c'est quelque chose qui est relativement acquis, que la bande dessinée, il y a eu cette
17:32exposition magnifique d'Hergé au Grand Palais, à partir du moment où on est au Grand Palais, je
17:37pense que c'est bon là, c'est plus ou moins acquis que la bande dessinée fait partie de l'histoire
17:42de l'art, après ça reste, je pense que c'est plus facile pour un musée d'exposer
17:51Bilal ou Schwitten que de la bande dessinée humoristique, après voilà moi j'ai fait pas
17:58mal de genres différents, et puis il y a cette histoire aussi avec Titov qui est un personnage
18:04un peu totamique, donc on me demande souvent aux expositions dans toutes sortes d'endroits, mais
18:12les musées ça reste quand même encore quelque chose qui est, c'est difficile, en tout cas je sais
18:19qu'à Genève c'est très compliqué, il y a un débat autour d'un musée de la bande dessinée, ça reste
18:23quelque chose qui est, il faudrait qu'on soit morts depuis plus longtemps que ça pour que ce soit
18:29facile. Est-ce qu'il y a d'autres grands expos prévus dans les cartons ? Est-ce que t'as fait des grands
18:34lieux ? Est-ce qu'il y en a d'autres en projet ? Non pas de grands expos, ce qu'on nous propose
18:40maintenant souvent sont des expositions dans des galeries, puisque comme tu le sais maintenant les
18:44originaux de bande dessinée c'est devenu une valeur marchande, donc il y a énormément de choses
18:49qui sont faites pour le meilleur et pour le pire, moi je vends pas mes originaux, très très peu, donc
18:54je fais pas ça, donc je suis condamné à faire des expos soit dans des salons, soit dans des musées,
19:00donc c'est pas si fréquent que ça, j'en ai une là tout l'été à Amiens, et j'aime bien ça, mais en
19:09même temps il faut pas faire ça trop souvent parce que ça nous prend la tête, c'est beaucoup
19:14de travail de monter une expo, et évidemment on le fait en plus du reste du travail, c'est pour ça
19:19que généralement les expos c'est quand on est mort et quelqu'un le fait à votre place, parce qu'on
19:23n'a pas le temps quand on est dans la vie active du dessinateur. Mais toi à choisir le temps que tu
19:29as, tu veux le consacrer sur tes livres et pas six, huit mois sur une grande expo, ou alors juste de
19:33temps en temps ? Par exemple sur l'exposition de Lille, c'était marrant parce que c'était de la
19:37création, c'était que de la création, pour moi là c'était vraiment du travail de dessinateur, trouver
19:42des idées, faire des petits dessins animés, mais quand c'est une exposition rétrospective où on
19:47présente mon travail, évidemment ça fait plaisir à l'ego, ça fait plaisir aussi de voir ces dessins
19:53exploser, parce qu'au moins ils sont dans des tiroirs chez moi, donc d'un coup de les voir, j'ai oublié
19:56qu'ils existaient. J'aime bien de voir les gens qui les regardent, comment ils réagissent, ça me fait
20:01plaisir, mais il ne faut pas faire ça trop souvent, parce que c'est des espèces de bilans, d'étapes,
20:07donc si on commence à faire ça tous les trois mois, on n'avance plus.
20:13Alors dans tes trois albums réalistes, t'as abordé des grands thèmes, le deuil, le silence, la fin du
20:18monde, qui sont très centrés sur l'humain et les émotions, les approches de la vie. Est-ce que tu
20:22as l'impression de faire un peu la même chose avec Titeuf, mais avec un autre angle, quand il se
20:26questionne lui aussi sur des grands thèmes, comme le chômage, la mort ou la maladie ?
20:29Ouais, ouais, je pense. J'ai jamais trop réfléchi à ça, mais en même temps, quoi d'autre ? Je ne sais pas de quoi parler d'autre.
20:42Parce que c'est le gag, mais sous un prisme, avec des thèmes un peu plus profonds, tu ne vas pas
20:46juste parler du gag du moment. Oui, parce qu'il y a aussi des gags complètement cons dans Titeuf,
20:52il y a aussi des choses très très potaches. Pour moi, c'est la vie de l'enfance. L'enfance,
20:56elle est partagée entre rigoler en mettant un pétard dans une crotte de chien et se poser la
21:03question sur le devenir de notre planète, ou est-ce qu'on va mourir, ou est-ce que pourquoi
21:09l'épreuve traumanuelle pue de la bouche. Tout ça, ça fait partie du quotidien de l'enfance. C'est des
21:13questions qui n'ont pas de hiérarchie. Il n'y a pas un truc important, il n'y a pas un grand thème
21:17et un petit thème. Après, quand on est adulte, c'est vrai que dans ces livres réalistes, je ne vais
21:22pas faire un livre sur la mauvaise haleine, par exemple, de 60 pages, parce que je pense que ça
21:27me fascinerait moins qu'avec Titeuf. Je vois mal faire un truc avec. Donc, on est sur des thèmes
21:32plus, qu'est-ce qu'on va dire, qui sont plus grands. Le silence, ce n'est pas forcément un grand thème,
21:39mais ça me semble être quelque chose d'intéressant à explorer. Je n'ai pas fait une liste de grands
21:47thèmes à aborder. Je ne sais pas ce que sera le prochain. En général, le seul truc, c'est que je
21:54n'ai pas envie de faire un album qui ressemble à celui d'avant. Donc, je ne vais pas faire une suite
21:59de The End et puis je ne vais pas faire de nouveau quelque chose autour de l'environnement, même si
22:07c'est des thèmes qui traversent mon travail, souvent qu'on retrouve de petites manières. Là, je suis
22:13en train de travailler sur un livre que je ne dessine pas, qui sera dessiné par Dominique Bertaille,
22:17qui est un livre de science-fiction, d'anticipation. Alors, il y a aussi des trucs autour de l'environnement.
22:22Il y a beaucoup de choses autour de l'humain, de nos rapports humains, de comment, qu'est-ce qui fait
22:28ou ne fait pas notre identité. Mais tout ça dans une histoire de SF, dans un thriller de SF.
22:35J'aime bien explorer le genre aussi. J'ai jamais fait de western, par exemple, j'ai jamais fait de polar,
22:42vraiment. Et j'aime bien, c'est des genres que j'aime bien. Oui, mais comme ça, tu vois, je te dis ça,
22:49je n'ai pas d'idée de polar. Mais peut-être que rien que le fait d'en parler là, cet après-midi,
22:56il me vient une idée que je vais écrire. Puis peut-être que dans un mois, je la relis, je me dis
23:00elle est trop cool, celle-là, et je la fais. Ou peut-être, elle est un peu cool, donc je la laisse
23:06encore mûrir un an ou deux. Voilà. Je pense qu'il faut, les choses viennent, je dis ça aujourd'hui,
23:15je pense que mon agent Jean-Claude Carmano, s'il m'entendait, il se marrerait, parce que c'est lui
23:19qui me l'a dit pendant 20 ans. Il m'a dit, il faut attendre que les choses soient prêtes. Et pendant
23:24les dix premières années où je bossais avec lui, j'étais tout le temps à le harceler. Alors, alors,
23:29et on fait ça, on fait ça. Si on faisait un magazine, si on faisait ça. Puis il me disait,
23:32attends, attends que les choses soient prêtes. Ce n'est pas le moment, attends. Et ça me rendait
23:36fou qu'il me dise ça. Mais tu vois, j'ai 51 ans, je deviens un peu plus âgé aujourd'hui.
23:40Et justement, tu avais parlé d'Un bruit étranger beau, en disant que sûrement,
23:45d'une certaine manière, ce livre, tu le portais en toi depuis pas mal d'années,
23:48avec ce thème du silence, etc. Et ça a mûri, mûri, jusqu'au jour où vraiment tu t'es dit,
23:55ça y est, c'est le bon moment, j'ai vraiment, il y a le besoin de sortir.
23:58Ouais, c'est peut-être ce qui est plus propre de ces albums-là, c'est que ce sont des histoires
24:04qui ont eu souvent une lente maturation. C'est des sujets qui m'intéressent,
24:09des choses qui me touchent, et puis ça met peut-être des années à se matérialiser.
24:13Mikwak, Dantiteuf, je parle de l'enfance, ça a mis aussi des années à se matérialiser parce
24:18que j'ai commencé à parler de mon enfance à 25 ans. Donc, ça a mis du temps.
24:24Je sais pas, je sais pas ce qui est déclencheur, qu'est-ce qui fait qu'un truc, à un moment,
24:29sort, et d'autres choses mettent très, très, très longtemps à sortir. Peut-être même des
24:33choses sortent jamais. J'ai l'impression que rien est coincé, j'ai pas l'impression de garder en
24:37moi une histoire formidable que j'arrive pas à formuler. Mais j'ai plein de morceaux de trucs
24:41que j'ai notés, des thèmes qui m'intéressent, mais j'ai jamais réussi à en faire quelque chose
24:47qui est intéressant comme j'aimerais que ce soit intéressant. Donc, pour le moment,
24:54ça reste coincé quelque part dans mon organisme. C'est un peu un truc de digestion. Quand on écrit
25:03des histoires, il y a une forme de constipation, elles sortent pas toujours. Pas une très jolie
25:08parabole de ne pas la garder, celle-là. Mais disons qu'il y a un temps de digestion qui est
25:14inévitable. Il y a des choses qui se digèrent très, très vite. On vous dit un truc, une heure
25:17après, vous avez une idée, pourquoi vous l'écrivez ? Et puis, ça tombe bien, ça tombe parfait. Quand
25:22c'est des choses dans l'air du temps, c'est mieux parce qu'il ne faut pas écrire un truc sur
25:26« me too » 10 ans après. Mais parfois, c'est intéressant aussi de voir comment des choses
25:30qui ont impacté la société à un moment vont ressortir 10 ans, 15 ans après. On le voit beaucoup
25:36dans la culture, dans la musique par exemple, comme des forts courants musicaux qui ont bouleversé le
25:43monde de la musique populaire dans les années 80. Après, ils sont complètement tombés dans
25:49l'oubli et ressortent en 2.0, 10 ou 20, enfin une génération après. On aura besoin de digérer tout
25:58ça pour en faire quelque chose, de réactualiser. Parfois, on ne change presque rien. Mais c'est
26:03juste le fait que ça ressorte après avec d'autres gens, qu'on trouve ça génial alors qu'à l'époque,
26:09on est un peu passé à côté.
26:14On t'a proposé de dessiner des albums de Donjon, Mickey, Spirou, Gaston. Tu as dit plusieurs fois
26:19que tu n'étais pas vraiment intéressé, que tu préfères garder ta liberté et avoir tes propres
26:23personnages. Pourtant, au début de ta carrière, tu avais postulé pour reprendre Spirou quand tu
26:27étais tout jeune et tu fais très souvent des fan arts. Je voulais savoir un peu comment tu te
26:31positionnais. Est-ce que tu as prévu un jour de faire un album de Spirou ou autre ou si les
26:36reprises, ce n'est vraiment pas ton truc ? Non, je pense que ce n'est vraiment pas mon truc,
26:40mais c'est un problème de patience. C'est que j'adore faire du fan art. J'adore la bande dessinée.
26:46Je ne peux pas dire que je la connaisse aujourd'hui aussi bien qu'il y a 10 ans. J'en lis moins,
26:50je suis moins éclectique qu'avant. Mais disons que si je lis une bande dessinée que j'aime,
26:56j'aurais envie de dessiner les personnages à ma manière, de les réapproprier, de me les remettre
27:01dans mon trait. C'est un exercice, c'est une pirouette. C'est juste pour s'amuser. C'est ça,
27:09c'est juste pour s'amuser. Mais après, faire un livre, c'est au-delà de ça. On s'amuse,
27:13mais c'est quand même du boulot. C'est pendant des mois s'immerger dans un personnage. Et si
27:19ce personnage, ce n'est pas le vôtre et qu'il a déjà un peu la forme de quelqu'un, pour moi,
27:24c'est comme marcher des chaussures. Quand tu es formé par quelqu'un d'autre, c'est assez
27:27inconfortable. C'est marrant juste pour faire le clown, mais au quotidien, ce n'est pas génial.
27:33Je me dis pourquoi je ne remets pas les miennes. Et donc, c'est pour ça que ce n'est pas un exercice
27:38qui m'intéresse. Et il ne me convainc pas en plus. C'est-à-dire que tous ceux qui le font,
27:43je trouve que pour moi, ça illustre ce que je viens de dire. C'est que je sens qu'ils
27:48sont amusés un petit moment, et puis qu'après, ils ont souffert. Et je trouve que souvent,
27:54on ressent ça dans les livres. Il y en a quelques-uns qui arrivent à faire des livres
27:57où j'ai l'impression que le plaisir traverse tout le livre. Par exemple, Mickey de Causet,
28:01je trouve. Mais après, moi, j'aime mille fois mieux quand il dessine ses histoires.
28:08Je trouve que ça reste un peu anecdotique, tout ça.
28:12Est-ce que tu as l'impression qu'on perd un peu son authenticité d'auteur quand on veut
28:16faire un album de reprise, en quelque sorte ?
28:18Oui, c'est marrant. C'est comme un chanteur qui fait un album de standards,
28:25où il chante des standards. C'est super d'entendre sa voix sur ces standards-là.
28:29Quand c'est un virtuose, c'est marrant. Enfin, quand c'est un virtuose, c'est intéressant,
28:33parce que, par exemple, Loisel qui dessine Mickey, c'est assez génial de voir le dessin
28:39de Loisel qui s'empare de ses personnages qui ont été dessinés par les pires dessinateurs
28:45de la planète. Il y a des Mickey vraiment très, très mal dessinés. Donc, c'est marrant
28:48de voir lui qui en fait quelque chose, mais aussi par des excellents, bien sûr.
28:54Mais pour moi, ça reste un peu une anecdote. C'est-à-dire que ce n'est pas l'album
28:59majeur de Loisel. Alors, on ne peut pas toujours faire des albums majeurs, mais je ne sais
29:06pas, je suis peut-être trop prétentieux pour ça. J'ai l'impression que je tente
29:09toujours à faire un album qui sera un album, j'espère, qui sera mémorable. Ça m'embête
29:15de faire un bouquin, de passer un an de ma vie sur un truc. Je dis que je fais ça comme
29:18ça. On a tendance par un album dont on se souviendra. Même si, évidemment, il y en
29:24a plein qui sont comme ça, mais on ne le sait pas. C'est pour ça qu'on les fait.
29:28Et quand tu avais la vingtaine, comment tu voyais quand tu as postulé pour Spirou ? Comment
29:31tu voyais les choses ? Tu te voyais faire 15 albums de Spirou ? Tu n'étais pas dans
29:35la même optique ?
29:36Oui, là, j'avais faim. C'est-à-dire que je cherchais du boulot et j'adorais Spirou.
29:41En plus, Spirou, ça avait été repris par les plus grands. Évidemment, Franquin, Giger
29:47j'adorais. Chalon, on avait fait un. Tom et Jean-Ric, j'adorais aussi. Reprendre Spirou,
29:52là, c'était vraiment du très high level. Donc oui, j'avais envie. Et puis, j'avais
29:59envie de bosser. Mais on m'a proposé, évidemment, pas Spirou, on m'a proposé de reprendre Barbe
30:04Rouge à ce moment-là. Je n'ai pas fait. Pourtant, j'avais faim. J'avais besoin de
30:09bosser et tout. Mais ce n'était pas possible. Je me disais que je vais m'ennuyer. Je vais
30:15m'ennuyer. Ce n'est pas moi. C'est déjà un univers qui est balisé, qui a été fait
30:19par des gens. Je serais incapable de refaire quelque chose qui ne soit pas honteux.
30:26Après, on peut toujours s'en sortir sur un dessin, un fan art. Tout le monde peut faire
30:33une illu fan art d'un personnage qui aura vachement de gueule. Mais après, raconter
30:39une histoire, ça, c'est autre chose. Ça, ça demande vraiment de connaître ce personnage,
30:44d'accepter de vivre avec. Quand on m'a proposé ça, j'avais 21, 22 ans. Je ne pouvais pas
30:52prétendre raconter des histoires d'un pirate. C'était de la bande dessinée des années
30:5750. C'était une autre époque. Ce n'était pas du tout une bande dessinée que j'aimais.
31:01C'est-à-dire que j'aurais dû me replonger dedans, faire semblant. Ça me semble de toute
31:09façon être une assez mauvaise idée. Et puis, c'est une idée qui est là pour des
31:15mauvaises raisons, en plus. C'est que la bande dessinée, on souffre du fait que le
31:20public ne se renouvelle pas assez. Et en même temps, on fait exactement ce qu'il faut pour
31:26qu'il ne se renouvelle pas. C'est-à-dire qu'au lieu d'accepter que des séries vieillissent
31:32et petit à petit disparaissent, on veut les faire vivre sous perfusion à tout prix en
31:37les faisant redessiner par plein de gens. Et ce qui est terrible, c'est que quoi qu'il arrive,
31:43même s'il y a des reprises de Spirou géniales, même si tout le monde va vous dire que le
31:49journal des mille bravos, c'est super, tout le monde va quand même dire que les meilleurs
31:54Spirou, c'est Franquin. Et donc, c'est des albums qui ont été faits il y a 60 ans, 50 ans,
31:5840 ans les derniers. Donc, c'est un constat quand même assez frappant. C'est-à-dire qu'on a affaire
32:06des classiques de la littérature qui sont d'une époque. Il faut accepter que cette époque, c'est
32:11plus la nôtre et qu'aujourd'hui, plutôt que d'essayer de refaire des classiques empaillés,
32:17il faut créer les classiques d'aujourd'hui. Il faut faire les nouveaux classiques. Heureusement,
32:23il y en a aussi qui le font, mais c'est là qu'il faut mettre l'énergie. Je pense que si on laissait
32:28ce mauvais instinct éditorial prendre le dessus, un jour on se réveillerait et le monde de la
32:34bande dessinée, ce ne serait plus que des personnages empaillés et on s'ennuierait
32:37comme des rats. Pour la petite histoire, qu'est-ce qu'ils t'ont dit, Spirou, quand t'as postulé
32:41« Je veux reprendre Spirou », qu'est-ce qu'ils t'ont dit ? Ils m'ont renvoyé mes pages en disant
32:45« Apprenez à dessiner et rappelez-nous dans dix ans ». C'était assez méchant, mais ils avaient
32:51raison, c'était assez mauvaise ce que j'avais envoyé.

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