À l’occasion du second tour des élections législatives françaises ce 7 juillet, « Courrier international » a rencontré Richard Werly, correspondant en France du média suisse « Blick ». Il explique que pour les Européens, la France ne court plus le risque de l’instabilité.
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00:00Et on découvre la nouvelle Assemblée,
00:03et ce n'est pas le tiercé qui était attendu à l'issue du premier tour.
00:11Une majorité de Français ne souhaitent pas aujourd'hui
00:14confier les clés du pays au Rassemblement national.
00:17C'est ça quand même, le premier enseignement.
00:25Ce n'est pas un résultat qu'on avait envisagé,
00:26en tout cas que j'avais envisagé,
00:29pour essentiellement deux raisons.
00:30J'ai passé pas mal de temps en province,
00:32d'abord dans la région de Nice,
00:34ensuite dans la région de la Sarthe,
00:36puis à Mâcon, en Bourgogne.
00:38J'avais pu constater le niveau de colère,
00:40de ressentiment envers les élites.
00:42Je voyais que la marmite électorale du Rassemblement national
00:47continuait de fonctionner à plein.
00:49Donc je m'attendais à ce que la dynamique
00:51du Rassemblement national du premier tour
00:53soit à nouveau très forte au second.
00:56Le deuxième élément, c'est que je ne m'attendais pas
00:59à ce que le camp présidentiel d'Emmanuel Macron
01:01réussisse à s'en tirer avec 160 et quelques sièges.
01:05Tous les sondages le plaçaient plutôt autour des 100 sièges.
01:09Donc au fond, les deux surprises, ce sont celles-là.
01:15De quelle gauche parle-t-on ?
01:16Et ça aussi, c'est une interrogation.
01:17Nous avons en Suisse un Parti vert,
01:19nous avons évidemment le Parti socialiste,
01:21nous avons des gauches plus radicales,
01:23mais nous n'avons pas l'équivalent d'une force
01:25aussi importante que la France insoumise.
01:27Jean-Luc Mélenchon a réalisé quasiment un sans-faux.
01:30Bien évidemment, il reste une personnalité controversée,
01:33il divise, mais en termes d'initiative politique,
01:36il a répondu présent.
01:37Il a très vite défendu l'union de la gauche
01:39en acceptant de donner pas mal de circonscriptions
01:42au Parti socialiste, aux écologistes.
01:44Ensuite, il a pris la parole tout de suite au soir du premier tour
01:47pour appeler au barrage républicain
01:49contre le Rassemblement national.
01:51Et ensuite, hier, il a de nouveau refait le coup,
01:53cette fois pour dire que son Parti était prêt à gouverner,
01:56mais à condition d'appliquer tout son programme.
01:58Je pense qu'il existe en France une gauche forte,
02:02avec ses deux ailes traditionnelles,
02:05gauche radicale puis révolutionnaire,
02:07gauche sociale-démocrate, c'est-à-dire l'ancien Parti socialiste.
02:10Depuis plusieurs années, Emmanuel Macron avait mis un éteignoir
02:13sur cette gauche, puisque toute une partie
02:15de la gauche sociale-démocrate l'avait ralliée.
02:17Donc ce qu'on voit maintenant, c'est se reconstituer une gauche
02:22qui est indépendante du centre, et notamment se reconstituer
02:25un Parti socialiste qui aura maintenant à peu près 60 députés.
02:28Donc oui, la gauche renaît, mais ce n'est pas parce qu'elle avait disparu.
02:32C'est juste parce qu'une partie de son personnel
02:36avait été victime, en quelque sorte, ou victime consentante
02:39d'un hold-up politique par Emmanuel Macron.
02:45Alors vous savez, du point de vue de la Suisse,
02:46aucun pays n'est incouvernable, parce que nous prouvons en Suisse
02:49que nous pouvons gouverner avec des partis complètement opposés
02:53au sein de la coalition qui forme le Conseil fédéral.
02:56Puisque, pour mémoire, le Conseil fédéral,
02:58c'est-à-dire le gouvernement national suisse,
03:01comprend aussi bien des ministres issus de ce qu'on appellerait
03:05en France l'extrême droite, mais également des ministres socialistes.
03:08Donc nous, gouverner l'ingouvernable, on sait faire.
03:12La vraie question, c'est est-ce que l'idée suisse
03:15d'une grande coalition nationale qui rassemblerait tout le monde
03:18est possible en France ?
03:19La réponse est non.
03:20Il est évident qu'après ce qui vient de se passer,
03:23aucune coalition gouvernementale ne pourra inclure le Rassemblement national.
03:27Il y a un potentiel pour une coalition, une coalition un peu à l'allemande,
03:32puisque je rappelle qu'en Allemagne, les sociodémocrates,
03:35c'est-à-dire l'équivalent du Parti socialiste,
03:37gouvernent avec les verts et avec les libéraux.
03:39Et on peut considérer que les libéraux allemands
03:41représentent une partie de la droite traditionnelle française.
03:45Donc il y a une possibilité pour une coalition de ce type en France.
03:49Mais ce qui est clair, c'est que ça ne peut pas être Emmanuel Macron
03:51qui la monte et qui la conduit,
03:53parce qu'aujourd'hui, la détestation, le rejet d'Emmanuel Macron est fort.
03:58Gabriel El Attal lui-même a pris ses distances très vite
04:01avec le président de la République.
04:06Alors, je ne crois pas que la crise de régime,
04:08ça aurait été que le fonctionnement de l'État était impossible.
04:12Par exemple, si le Rassemblement national avait gagné la majorité absolue,
04:17s'il était rentré dans une cohabitation heurtée,
04:20très dure vis-à-vis du président de la République,
04:23il y aurait eu une crise de régime.
04:25On pouvait se poser la question,
04:26est-ce qu'Emmanuel Macron aurait pu tenir trois ans dans ces conditions ?
04:30Tout existe dans la Constitution
04:32pour qu'une coalition parlementaire puisse gouverner.
04:41J'étais ce matin à la radio suisse
04:43et je n'ai jamais entendu prononcer le mot « instabilité ».
04:46On n'a pas le sentiment qu'aujourd'hui,
04:48la France entre dans une zone de turbulences.
04:50C'est l'inquiétude qu'on avait après le premier tour.
04:54On craignait les turbulences.
04:55Rappelez-vous, même guerre civile, les affrontements, la possibilité d'émeutes.
04:59Aujourd'hui, on n'est plus dans ce cas de figure.
05:01Je dirais que les partenaires européens de la France,
05:03dont la Suisse, pensent qu'il y a de la lumière au bout du tunnel.
05:06Ils pensent que cette lumière, elle est plutôt à gauche
05:09et qu'elle est plutôt dans une coalition.
05:11Mais on n'a plus le sentiment d'une impasse qu'on avait après le premier tour
05:16et cette impasse aurait sûrement été encore plus dure
05:19si le Rassemblement national l'avait emportée.