• il y a 4 mois
L'or rouge du Colorado provençal.

Au coeur du Luberon s'étendent des reliefs rougeoyants qu'on dirait tout droit sortis du Grand canyon du Colorado. Cette couleur, c'est celle du pigment ocre, présent en quantité dans le sous-sol de la région et utilisé depuis toujours dans l'artisanat et l'architecture locale. A la fin du XIXe siècle, l'intense exploitation des carrières d'ocre va transformer durablement les paysages de ce petit coin du Vaucluse.

Le Bleu, couleur de la gloire occitane.

Sur les collines fertiles du Lauragais pousse une plante qui a fait la richesse de toute une région : le pastel. Au XVIe siècle, elle est l'unique moyen de fabriquer du bleu. Le commerce de cette couleur recherchée par la noblesse à travers l'Europe entière apporte aux marchands occitans une source de richesse sans pareil et, d'Albi à Toulouse, va permettre l'essor des villes du Sud-Ouest de la France. Année de Production : 2022

Category

📺
TV
Transcription
00:00Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
00:30...
00:45Dans le sud de la France,
00:47le pays d'Apte détonne dans le paysage provençal.
00:50Il a des airs de canyon du Colorado,
00:53avec son improbable décor de western
00:56en plein coeur du Luberon.
00:58Un immense massif au crier
01:01entre les villages de Roussillon et de Rustrel.
01:04Sur une vingtaine de kilomètres,
01:06la terre est rouge, orange, parfois jaune.
01:09Ce sont les couleurs de l'ocre,
01:12un pigment naturel présent en abondance dans la région.
01:19Quand on fait comme ça, glisser le sable et l'ocre
01:23entre ses doigts, ce qui est le plus agréable,
01:26c'est la sensation de l'argile sèche,
01:29qui est très, très douce.
01:31Et ensuite, évidemment, la couleur,
01:34avec ses petites paillettes au soleil.
01:37...
01:41Cette terre que les habitants de la région foulent depuis toujours,
01:45qu'ils cultivent pour la vigne et qui colorent leurs villages.
01:49Cette terre, comme l'air ou le soleil,
01:51faisait partie du quotidien des Provençaux.
01:54Mais à la fin du XIXe siècle,
01:56elle connaît une destinée industrielle inattendue.
01:59...
02:04L'ocre est exporté depuis cette région dans le monde entier.
02:07Il entre dans la composition du caoutchouc.
02:10Une brève exploitation qui durera à peine plus d'un siècle,
02:14mais qui transformera les paysages du Luberon.
02:18Perchée sur une colline, le village de Roussillon
02:21exhibe les couleurs de son territoire.
02:26Roussillon est construit sur le minerai d'ocre.
02:29Comme le minerai est rouge, le rouge du sol revient sur les maisons.
02:32Le principal élément colorant des enduits, c'est le sable.
02:35C'est pour ça que la plupart des maisons de Roussillon
02:38sont de tradition plutôt rouges, voire plutôt fauves.
02:41...
02:44Le sable ocreux est résistant à l'eau et aux rayons du soleil.
02:48Les habitants de Roussillon l'utilisent comme enduit
02:51ou en badigeon sur leurs maisons.
02:53...
03:00L'intérêt des maisons anciennes à Roussillon,
03:02c'est que comme on a fait des différents badigeons par-dessus,
03:06quand ces badigeons s'abîment,
03:08on a l'histoire de la maison qui refait les surfaces.
03:12La beauté des enduits de Roussillon, c'est que ça varie souvent avec la lumière.
03:16Vous avez des façades dans ce quartier
03:18qui brillent au soleil, sous certains angles du soleil.
03:21Quand il pleut, c'est encore plus beau.
03:23Le soleil, après la pluie, permet d'avoir renforcé les couleurs
03:28parce que les ocres sont des argiles, très sensibles à l'humidité.
03:31...
03:34Les habitants ont une explication sur l'origine de cet ocre rouge.
03:38Une légende aux accents moyenâgeux
03:41qui relate le destin sanglant de Dame Siremonde.
03:44...
03:48Il était une fois le seigneur Raymond
03:50qui avait épousé une jeune et belle dame, Dame Siremonde.
03:54Un jour, un jeune troubadour est passé par là
03:57et elle est tombée amoureuse de Guillaume de Cabestan.
04:00Voyant ça, le seigneur Raymond
04:02a invité le jeune Guillaume de Cabestan à la chasse.
04:06Et le soir, pour le repas, il a dit à sa femme,
04:10oui, vous vous êtes régalé, vous avez mangé le coeur de votre amant.
04:14Dame Siremonde a ouvert la fenêtre
04:17et se jeta du haut de la tour.
04:20Depuis ce temps, toutes les falaises de Roussillon sont rouges.
04:23...
04:27Musique sombre
04:30La géologie, elle, nous raconte une toute autre histoire.
04:34Pour l'entendre, il faut se rendre à l'est de ce village,
04:38dans le Colorado Provençal, où une carrière a été surnommée ainsi
04:42pour ses fosères de grands canyons.
04:44Musique sombre
04:48Ici, la formation de l'ocre est bien antérieure
04:51à l'apparition de l'homme sur Terre.
04:53Difficile de concevoir qu'à cet endroit,
04:56il y a 200 millions d'années, il y avait la mer.
04:59...
05:03Une mer peu profonde, chaude, très agréable.
05:06Cette mer dépose, par son flux et son reflux,
05:09une argile verte chargée en fer, mêlée à du sable.
05:12En des millions d'années, cette mer se retire
05:16et l'argile va s'altérer au contact de l'oxygène de l'air
05:20pour donner l'ocre, qui est tout simplement du fer oxydé.
05:24Ce sont les couleurs de la rouille que l'on voit ici.
05:27...
05:29Cet extraordinaire concours de circonstances
05:32a donné naissance à une bande de sable au creux.
05:35Recouverte par la végétation, elle passait presque inaperçue.
05:39Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle
05:41pour qu'un habitant du village de Roussillon,
05:44Jean-Étienne Astier, réalise quelle richesse se trouve sous ses pieds.
05:48...
05:50A force d'expérimentation, il élabore un système
05:53pour séparer l'ocre du sable
05:55grâce à des lavages dans des bassins de décantation.
05:58...
06:02Comme tout expérimentateur, il est très gênant pour ses voisins
06:05puisqu'il fait ça en plein milieu du village de Roussillon.
06:09Il y a des plaintes qui indiquent
06:11qu'il laisse le dépôt du sable lavé chez son voisin,
06:14que ça dérange tout le monde,
06:16qu'il y a du sable qui se retrouve dans les citernes,
06:19c'est très grave à l'époque.
06:21Et en plus, quand il y a du vent et qu'il fait sec,
06:24ce sable très fin se retrouve sur tout le linge des maisons alentours.
06:28Ce procédé permet d'extraire de l'ocre pur,
06:31débarrassée de son sable.
06:33Un siècle plus tard, avec l'arrivée du chemin de fer,
06:36le pigment est exporté dans toute l'Europe.
06:39Au départ utilisé comme colorant, l'ocre trouve alors un nouvel usage.
06:43...
06:46On a un matériau qui est extrêmement fin,
06:48qui assèche les matières dans lesquelles il peut être mêlé.
06:52On va l'utiliser pour mélanger l'ocre
06:54avec le latex naturel des E.V.A. pour en faire le caoutchouc,
06:58qui va être vraiment le matériau le plus efficace
07:01et le plus utilisé à cette époque-là.
07:03En 1929, cette industrie atteint son apogée.
07:07On produit 40 000 tonnes d'ocre.
07:10Des dizaines de carrières sont exploitées dans la région
07:13pour répondre à la forte demande.
07:15...
07:18Le promeneur peut encore aujourd'hui
07:20admirer quelques vestiges de ce passé industriel,
07:23comme ce moteur qui permettait d'actionner les pompes à eau
07:26nécessaires au lavage de l'ocre.
07:29...
07:31Ce moteur faisait un fracas énorme.
07:34Quand les ouvriers le mettaient en marche le matin,
07:37le patron entendait, depuis le village de Rustrel,
07:40le moteur se mettre en marche,
07:42et il disait que c'était son coeur qui battait dans le Colorado.
07:45...
07:54À l'époque où on faisait l'extraction de l'ocre,
07:56il n'y avait pas un seul arbre.
07:58Aujourd'hui, la nature a repris ses droits,
08:01les arbres ont repoussé.
08:02Je pense que les gens, quand ils viennent ici,
08:05ne se rendent pas compte qu'on est dans un site
08:08fait complètement de la main de l'homme.
08:10...
08:15Quand ils ne peuvent pas extraire l'ocre à fleurs de collines,
08:18les Provençaux n'hésitent pas à creuser la terre pour en trouver.
08:22...
08:25Tous les efforts sont bons pour sortir ce précieux minerai.
08:29La mine de Bruoux montre cet autre visage
08:32de l'extraction ocrière.
08:34...
08:41Toute la partie qui se trouve au-dessus de ces galeries,
08:44c'est du minerai qui est pauvre en ocre.
08:47Il a été décidé de rentrer dans la montagne,
08:49de creuser des filons d'ocre, un peu comme des filons de charbon,
08:52pour avoir le plus d'ocre possible dans le minerai extrait.
08:55...
08:58En pénétrant dans la mine,
08:59le visiteur s'immerge dans le quotidien des ouvriers.
09:02...
09:08L'œil s'habitue doucement à l'obscurité.
09:12Le corps a une température de 10 degrés.
09:15Et le casque de chantier rappelle les dangers
09:18menaçant constamment le mineur.
09:20...
09:27Au départ, c'était une extraction un peu anarchique.
09:30Chacun s'est mis à creuser la montagne.
09:33Tant que ça tenait, ça tenait.
09:34Jusqu'au jour où il y a eu des effondrements, des éboulements,
09:37des personnes qui sont mortes
09:39de ce travail d'extraction de la montagne.
09:42...
09:43L'Etat promulgue des règles pour sécuriser la mine.
09:47Les galeries doivent faire 3 m de large
09:49et la base des piliers, 6 m2.
09:52Et avant d'exploser le tunnel à la dynamite,
09:55les mineurs vont creuser une voûte de soutien.
09:58Une tranchée à droite et une tranchée à gauche
10:01pour isoler le minerai.
10:03...
10:06A l'époque, la société obligeait les gauchers
10:08à travailler de la main droite.
10:10On considérait ça comme une tare.
10:12Dans les mines, on avait besoin du mineur gaucher
10:15pour tailler à gauche.
10:16Ils étaient mieux payés que les droitiers.
10:19Rapidement, les droitiers apprenaient à piocher de la main gauche
10:23et ils devenaient gauchers pour être mieux payés.
10:26...
10:28Ce sont des gens qui étaient habitués au labeur.
10:31Ils venaient de la terre.
10:33Au départ, c'était des paysans et après, des ocriers.
10:36On est dans une période où le phylloxéra arrive dans les vignes.
10:39Les vignes sont détruites en totalité.
10:42Ici, dans cette région, l'ocre va devenir la source de revenus supplémentaire
10:46qui va permettre aux familles de pouvoir vivre.
10:50...
10:51A la seule force des bras, 40 km de galeries sont creusées.
10:55Les traces de pioches se devinent sur les parois,
10:58telles les cicatrices du travail harassant des mineurs.
11:02...
11:03Dès qu'on éclaire, on découvre une galerie.
11:06Dès qu'on tourne à droite, il y en a une autre.
11:08C'est gigantesque.
11:10Je ne sais pas comment décrire cette impression,
11:13mais c'est grandiose, c'est émouvant.
11:16Il y a l'âme de ces ocriers qui se promènent quelque part ici.
11:20Ca vous prend... On a des sensations formidables.
11:24...
11:27Après la Seconde Guerre mondiale,
11:29l'avènement de la chimie fragilise l'économie de l'ocre.
11:33Le pigment est peu à peu remplacé par des matières synthétiques.
11:37Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une seule usine d'exploitation
11:40dans le Luberon.
11:42...
11:44...
11:47Prédapte, dans la campagne,
11:49Olivier Féraud habite un masque provençal du XVIIe siècle.
11:53Dans certaines de ses fermes traditionnelles du Luberon,
11:57l'exploitation des matériaux locaux se perpétue.
12:00...
12:03C'est l'utilisation de la pierre,
12:05récupérée dans les champs, qui sont cultivés à côté.
12:08Pour ce qui est de la couleur, il suffit de ramasser les ocres
12:11qui étaient là pour mettre en peinture les façades
12:14sous forme d'aplats, de peinture ou d'enduit.
12:17...
12:26On n'a pas des aplats de couleurs qui sont figés,
12:28mais on a la trace de l'artisan qui est présente.
12:31On a des aplats très nuancés.
12:33...
12:35Les gens baignent dans l'ocre du matin au soir,
12:37dans ce paysage ocrier,
12:39mais ils ont perdu le sens social qu'avait derrière cet ocre.
12:42Il y avait une économie, des gens qui travaillaient,
12:45qui produisaient l'ocre.
12:47Il y avait d'autres personnes qui allaient le transformer.
12:50...
12:57Une histoire haute en couleurs,
12:59celle de la beauté du massif des ocres,
13:01le résultat combiné du travail des hommes et de la nature.
13:05...
13:14Musique intrigante
13:17...
13:22Musique douce
13:25...
13:29Compliqué à fabriquer, délicat à maîtriser,
13:33un véritable travail d'alchimiste
13:36pour une couleur qui a été longtemps la plus chère.
13:40Aristocrate et autres puissants ne jurant que par ce coloris,
13:45jusqu'à la fin du XVIe siècle, l'unique source de bleu,
13:49c'est un végétal qui se nomme pastel.
13:52...
13:54Une teinte extraite d'une petite plante,
13:56pourvoyeuse d'immenses richesses pour ceux qui en font le commerce.
14:01Musique douce
14:04Des collines fertiles du Lauraguet, aux grandes villes de la région,
14:08de Albi à Toulouse, durant la Renaissance,
14:12cet or bleu va métamorphoser tout un pays
14:15et lui offrir son surnom, le pays de cocagne.
14:19La cocagne, cette petite pelote de feuilles de pastel.
14:24Après, dans les cuves, autrefois,
14:26on mettait des morceaux de cocagne,
14:30de la cendre de bouleau, des morceaux de fruits,
14:32également de l'urine qu'ont payé des hommes,
14:35en général, plutôt des soldats.
14:37Ils étaient payés à boire beaucoup d'alcool, surtout de la bière,
14:40et ensuite à uriner dans les cuves de teinture.
14:42Musique douce
14:45De la fin du XVe siècle au début du XVIe,
14:48la culture du pastel transforme les campagnes.
14:51...
14:52Et côté ville, engendre une caste de marchands.
14:55...
14:56Ceux dont les belles demeures du centre-ville d'Albi
15:00se laissent encore admirer.
15:01...
15:03Certaines, ornées de motifs, rappellent la production du pastel
15:08et d'autres sa transformation,
15:10comme cet espiègle petit pisseur.
15:13Albi n'est plus le fief des Cathares depuis longtemps.
15:17De grands seigneurs comme les Amboises et les Roberts
15:20se succèdent ici et apportent avec eux
15:23le goût pour l'esthétique italienne
15:25à l'origine du style renaissance français.
15:28...
15:30La fortune de la bourgeoisie marchande locale
15:32joue un rôle prépondérant dans la transformation de la ville.
15:36...
15:40Albi compte nombre d'hôtels particuliers de cette époque faste.
15:44Un des plus notables est celui de la famille de Roger Rennes.
15:49Comme son père avant lui, Roger Rennes ne cultive pas le pastel.
15:53Lui est vendeur et fait fortune en commerçant cocagne et safran.
15:59...
16:02Ce capital accumulé lui permet d'ériger,
16:05entre 1520 et 1530,
16:08l'un des plus beaux hôtels particuliers de la ville.
16:11Un lieu qu'il souhaite à la mode de son époque.
16:15...
16:19Il va faire reconstruire un hôtel style renaissance.
16:22C'est-à-dire, c'est le mariage réussi à la fois de la brique et de la pierre.
16:26Alors, il va faire édifier une logiale italienne.
16:31Donc, comme vous pouvez le voir, les colonnes sont bombées,
16:34les arcs sont en lances de panier,
16:36et au niveau des clavos médias, il y a des mascarons,
16:39c'est-à-dire des têtes grimassantes,
16:41chargées de chasser les mauvais esprits,
16:43comme cela se faisait dans les belles demeures à Rome
16:47pendant l'Antiquité.
16:48...
16:51Et les lauriers de la victoire symbolisent celles du propriétaire.
16:55Une réussite qu'il aime aussi proclamer du haut de sa tour.
17:02Mais la concurrence est rude.
17:04A quelques mètres de là,
17:06Simon Sonal, lui aussi pastelier,
17:09fait ériger une tour encore plus imposante.
17:16Sa grandeur, il l'affiche jusqu'à l'intérieur de sa demeure.
17:21Au sedan.
17:22Dans les appartements privés des actuels propriétaires,
17:26on peut découvrir de merveilleux plafonds peints.
17:33Simon Sonal, qui espère sans doute être anobli,
17:36veut lui aussi prouver son attachement au roi de France,
17:40François Ier.
17:42Et pour lui-même, il fait inscrire quelques phrases.
17:46On voit beaucoup de philactères qui ont un sens très intéressant,
17:50qui nous montrent son état d'esprit, sa devise.
17:53Par exemple, vous avez, comme philactère,
17:56« vive qui flatte »,
17:57alors que l'on sait que dans les transactions commerciales,
18:01si on flatte l'adversaire,
18:02peut-être on arrivera à mieux le rouler dans la farine.
18:06C'est révélateur aussi de son état d'esprit.
18:08Le commerce des cocagnes dépasse largement
18:11les frontières du royaume.
18:13Les pasteliers eux-mêmes s'expédient aux quatre coins de l'Europe.
18:19Le fils de Simon Sonal est resté 20 ans en Flandre
18:22pour représenter les intérêts de son père.
18:25Et c'était un marchand type,
18:27puisqu'il parlait aussi bien l'occitan, le français, le flamand
18:31et l'italien, qui était la langue des marchands à ce moment-là.
18:40Mais c'est à l'ouest d'Albi
18:41qu'une autre ville va devenir la capitale française du pastel,
18:45Toulouse.
18:47Alors 3e ville du royaume de France.
18:52Ici, les marchands bâtissent des fortunes colossales
18:56en voyant leurs produits dans toute l'Europe.
18:59Ils peuvent compter sur la Garonne pour expédier les précieuses cargaisons
19:03qui partent en radeau jusqu'à Bordeaux avant d'être réexpédiées.
19:08Le pastel que l'on produit dans le Louragais,
19:11que l'on produit dans les grandes plaines autour de Toulouse,
19:14est vendu dans toute l'Europe.
19:15C'est une plante territoriale extrêmement recherchée.
19:18On va commercer avec les grandes places économiques d'Angleterre,
19:23d'Anvers, surtout, bien sûr,
19:24qui va permettre de diffuser partout dans l'Europe du Nord,
19:28mais également avec l'Espagne,
19:30mais également avec l'Italie.
19:34La ville est alors si riche, si puissante,
19:37qu'elle a les moyens de financer sa métamorphose.
19:41En 1542, on va poser la 1re pierre de ce que l'on appellera le Pont-Neuf,
19:45qui mettra tout de même plus de 80 ans à être construit.
19:50C'est un pont qu'on n'a jamais construit encore,
19:53par l'amplitude même de la Garonne, à cet endroit-là.
19:55Il va y avoir des prodiges d'hydraulique
19:58qui vont être réalisés par, d'abord, des artistes,
20:01puis des ingénieurs, tous uns, notamment les charpentiers.
20:04On va même faire appel aux architectes du roi
20:07au début du XVIIe siècle pour terminer l'ouvrage.
20:16Musique douce
20:19...
20:21A quelques mètres de la Garonne et du Pont-Neuf alors en construction,
20:25un des plus célèbres marchands toulousains,
20:28Pierre d'Assezat se lance, lui aussi, dans les grands travaux.
20:33Il acquiert des terres dans les années 1550
20:36et finance un palais.
20:37...
20:41C'est un hôtel très particulier par son ampleur, d'abord,
20:44il est très vaste.
20:45Il a pu construire deux grandes ailes
20:48sur fond de cour,
20:50avec, en plus, un pavillon avec galerie sur la rue,
20:53avec un grand portail et une coursive que nous avons derrière nous,
20:57qui permet de relier les différentes parties de cet hôtel,
21:00avec une très vaste cour
21:02qui lui permet justement de stocker ses marchandises.
21:05...
21:10Plus près du coeur palpitant de Toulouse,
21:13un autre hôtel particulier de la Renaissance
21:15abrite aujourd'hui un lycée de la ville.
21:18C'est celui de Jean de Bernuy.
21:21...
21:29Un pastelier si riche
21:30qu'il devient un proche du roi de France.
21:34Comme d'autres commerçants toulousains,
21:36il acquiert un pouvoir politique
21:38et se fait élire, parmi les capitules,
21:41ces puissants magistrats qui dirigent la cité.
21:45Mais Jean de Bernuy est auréolé d'une autre gloire.
21:50Il se serait même porté garant
21:52de la rançon demandée par le roi espagnol Charles V,
21:56pour faire libérer son éternel rival, François Ier.
21:59...
22:01A son retour en France, le roi passe par Toulouse,
22:05remercier son bienfaiteur.
22:07Selon la légende, il se fait remettre les clés de la ville
22:11par une très belle jeune fille.
22:13Et c'est au Capitole, siège actuel de la mairie de Toulouse,
22:17et dont les huit colonnes de la façade
22:19évoquent les huit capitules d'autrefois,
22:22que l'on découvre le portrait de cette jeune fille,
22:24toute de bleu vêtu.
22:27Lorsque François Ier est libéré, il arrive à Toulouse.
22:31François Ier, c'est un homme de 1,95 m,
22:33c'est un coureur de jupons.
22:35Lorsqu'il voit cette belle jeune fille de 15 ans,
22:38blonde, avec des yeux bleus,
22:39il s'écrit, oh, la belle Paule !
22:41Mais la belle Paule, après le départ de François Ier,
22:45provoque des émeutes à Toulouse,
22:47parce que les Toulousains veulent la voir.
22:49Et donc, l'Assemblée des Capitoules condamne la belle Paule
22:52à paraître deux fois par semaine à sa fenêtre
22:55pour que les Toulousains, et surtout les Toulousains,
22:58puissent la voir.
23:01Mais la puissance des pasteliers ne dure qu'un temps.
23:04...
23:07Dans la seconde moitié du XVIe siècle,
23:09leur empire s'effondre.
23:11...
23:13L'indigo, dont la culture s'appuie sur le système esclavagiste,
23:17est moins cher et plus facile à produire.
23:19...
23:22Ils ont investi dans le bâtiment, dans la pierre, dans des palais,
23:26et donc ils n'ont pas investi dans une diversification
23:29ou dans de l'innovation.
23:30Et du coup, lorsque l'indigo est arrivé,
23:33ils n'ont pas résisté,
23:34et finalement, le pastel a quitté Toulouse et de l'Auraguay.
23:38...
23:41Dans la salle des illustres,
23:42les fresques monumentales racontent la grande histoire toulousaine.
23:47Des peintures qui datent, pour la plupart,
23:49de la Troisième République,
23:51à une époque où le capitoula, aboli à la Révolution,
23:54a disparu et où le pastel, lui,
23:57est tombé dans l'oubli depuis longtemps.
24:00...
24:05Mais depuis une trentaine d'années,
24:07cette plante a replongé ses racines dans le sud-ouest de la France.
24:11...
24:13Un agriculteur de la région a même replanté un champ de pastel
24:17sur son exploitation.
24:19C'est une plante ancienne qui a été oubliée,
24:22donc qui a des résistances, et nous en profitons.
24:25Donc les animaux sauvages ne sont pas intéressés par leur feuille,
24:29par consommer leur feuille.
24:30Il y a quelques maladies, il y a des insectes,
24:33mais c'est pas du tout un souci pour la culture.
24:36...
24:41À quelques lopins de terre de ces champs,
24:43dans la petite ville de Lectour,
24:45plusieurs volets sont peints en bleu.
24:48Une douce teinte qui drape les épaules de la Vierge
24:52depuis le Moyen Âge.
24:55Et c'est ici, depuis le début des années 90,
24:58dans un atelier de teinture,
25:00qu'on recommence à utiliser le pastel.
25:04Désormais, deux jeunes femmes s'emploient à teindre
25:07les étoffes en bleu, presque comme autrefois.
25:14Il y a deux siècles, on utilisait encore des colorants naturels,
25:18et c'est vrai que les produits chimiques sont arrivés.
25:21On a synthétisé les molécules de ces colorants
25:24et on a facilité la vie à tout le monde en proposant des colorants.
25:27Mais le naturel revient toujours au galop.
25:29Les personnes se demandent pourquoi on a tout simplifié
25:32et on s'est rendu compte qu'elles avaient des allergies,
25:35étaient très sensibles,
25:37et qu'on s'est rendu compte que les colorants naturels,
25:40c'était des couleurs vivantes.
25:41Donc, cette couleur, vous la portez,
25:43vous la mettez un jour où de pluie, le bleu est grisé,
25:46un jour où c'est lumineux, le bleu est lumineux.
25:49Ce sont des couleurs vivantes.
25:51Une couleur vivante comme un souvenir vibrant
25:55de l'histoire du bleu du pastel.
26:02Sous-titrage ST' 501

Recommandations