• il y a 6 mois
Aujourd'hui, Maya Lauqué reçoit Gaël Tchakaloff, écrivaine et autrice de « La vie à mort ». C'est une plongée d'un an dans le milieu très polémique de la corrida aux côté de la star Léa Vicens. 

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Transcription
00:00 -Bonjour Gaëlle Tchekaloff. -Bonjour.
00:02 -Merci d'être avec nous ce matin.
00:03 Décidée de suivre la star du Réjon, la Corrida portugaise à cheval,
00:07 quand on déteste soi-même la Corrida, c'est une drôle d'idée.
00:11 Pourquoi est-ce que vous vous êtes enfligée ça ?
00:14 -Je pense que d'abord j'avais pas réfléchi qu'il fallait aller dans les arènes.
00:17 J'ai rencontré par hasard cette femme, j'ai été subjuguée par son intensité,
00:22 en fait sa puissance, elle était différente.
00:25 J'ai tout de suite vu qu'elle était différente de nous,
00:27 qu'elle était très déterminée et qu'elle avait une poésie incroyable.
00:32 Et j'ai pas pensé à la Corrida.
00:34 Donc j'ai commencé par la suivre dans sa finca avec ses animaux,
00:37 elle est très proche des animaux, paradoxalement,
00:39 et elle monte à cheval comme ça dans les champs.
00:42 J'ai vu toute cette aspect onirique d'elle,
00:45 et puis au bout de quelques mois, elle m'a emmenée dans les arènes,
00:47 et là je me suis évanouie.
00:48 -On va en parler. Vous plantez le décor tout de suite dans le livre.
00:51 Léa Vicennes vit dans une finca en Andalousie, au milieu de rien,
00:55 avec son trois animaux et deux revolvers.
00:58 D'ailleurs, la première nuit que vous passez là-bas, vous dormez pas,
01:00 et pourtant vous avez bataillé pour aller là-bas et pour vous inviter chez elle.
01:04 -Je me suis un peu imposée parce que j'avais repéré Léa Vicennes
01:08 dans un journal américain, je crois que c'était le New York Times d'ailleurs,
01:12 elle était en couverture, j'avais vu sa photo, en plus elle est très très belle,
01:15 et je l'avais trouvée intéressante, et je m'étais dit,
01:17 bon, comme elle remplit autant les arènes que Beyoncé remplit les salles de spectacle,
01:23 il faut quand même que je comprenne pourquoi les gens vont voir ça.
01:26 -Pourquoi ils lui font des offrandes, ils lui font bénir des bébés,
01:29 enfin, elles fascinent... -Ils se tatouent à son effigie,
01:31 il se couche dans la rue espagnole devant elle, il se fait à gel devant elle,
01:35 enfin bon, il y a tout un cinéma autour d'elle.
01:37 Et donc, je l'ai rencontrée par hasard après cet article dans le New York Times,
01:43 je me suis retrouvée à une terrasse de café assise à côté d'elle,
01:45 je l'ai abordée, je me suis dit, l'ironie du sort fait que on est rassemblées,
01:50 et puis après pendant deux ans, je lui ai envoyé des SMS pour lui dire,
01:52 je voudrais écrire sur vous, je voudrais vous suivre,
01:54 et puis elle a fini par me répondre non.
01:56 Au bout de deux ans, elle m'a dit non, non, mon métier...
01:58 Elle se méfie un petit peu parce qu'elle sait que la corrida est clivante,
02:01 mon métier ne mérite pas un ouvrage, et ce que je suis non plus, donc non merci.
02:05 Et ça m'a tellement énervée que... -Vous avez pris un avion, vous êtes allée...
02:08 -J'ai pris un avion et je suis allée à Séville,
02:10 et j'ai réussi à trouver l'adresse de son domaine,
02:11 et ensuite je me suis couche sur la route, et j'ai attendu que la porte s'ouvre.
02:14 -Et dans cette fine cas, vous le dites, on a le droit de tuer,
02:17 mais les animaux sont maîtres, leur traitement passe avant tout.
02:20 C'est-à-dire que vous allez assister à des scènes,
02:22 elle va soigner un taureau toute une nuit,
02:25 qui a été blessé par un autre taureau,
02:28 alors même qu'elle va en tuer d'autres le lendemain matin.
02:31 -Je pense que c'est la raison pour laquelle je suis allée au bout de ce livre,
02:35 pour laquelle j'ai soutenu, en fait,
02:38 pas mon aversion, mais mon extrasensibilité au milieu des arènes,
02:41 c'est, je me suis dit, il faut que je résolve l'énigme, le mystère qu'elle représente,
02:45 puisque, effectivement, une des premières nuits que je passe dans la fine cas,
02:49 elle avait acheté des taureaux de combat pour s'entraîner,
02:53 c'est des taureaux de l'élevage,
02:55 qui étaient le même que celui qu'elle allait affronter dans une grosse arène quelques jours plus tard,
03:00 et donc il y avait quelques taureaux dans le coral,
03:03 alors je l'ai vu embrasser ses chiens, ses chats, son cochon,
03:06 qui s'appelle Peggy, son cochon noir qu'elle a complètement domestiqué,
03:08 son dromadaire, ses chevaux,
03:10 et puis elle m'a dit, à un moment, il faut qu'on aille voir les taureaux de combat dans le coral,
03:13 tout ça en quad, parce qu'il y a 70 hectares, c'est sublime.
03:16 Et en arrivant près du coral, les taureaux s'étaient battus entre eux,
03:18 il y en avait un qui était au sol, couvert de sang et tout,
03:20 et là, elle est partie à toute blinde,
03:24 elle a réussi à isoler le taureau, elle l'a soigné, elle lui a fait des piqûres,
03:28 elle a désinfecté la plaie, elle a appelé un véto, le véto ne pouvait pas venir,
03:31 et toute la nuit, elle a mis son alarme, toutes les heures de la nuit,
03:33 pour aller le veiller, pour ne pas qu'il souffre.
03:35 Et je me suis dit, cette fille est folle.
03:36 - Quand on parle avec des taureaux, ou taureras,
03:40 on constate ce qu'ils disent, aimer, avoir un respect infini pour les taureaux.
03:45 - Vous connaissez du coup ?
03:46 - Un peu, je viens d'une ville taurine,
03:50 et ils disent aimer les animaux, et malgré tout, ils les tuent.
03:54 Est-ce que vous lui avez posé la question ?
03:55 On ne comprend pas, comment peut-on autant aimer ces animaux, et les tuer ?
04:00 - Je lui ai posé la question, d'abord, je pense qu'elle ne veut pas résoudre son mystère,
04:03 et moi non plus.
04:04 C'est-à-dire, quand on a un personnage de roman,
04:06 parce qu'il y a un vrai personnage de roman,
04:07 on a envie de fermer le livre, sans savoir vraiment ce qu'il y a dans sa tête.
04:11 Emma Bovary, à la fin, je ne vais pas me comparer,
04:14 mais à la fin, on ne sait pas qui elle est,
04:16 pourquoi elle veut se foutre en l'air, pourquoi elle veut changer de vie,
04:18 on ne sait pas vraiment.
04:19 Elle, c'est pareil.
04:20 Je pense qu'elle ne veut pas, elle-même, résoudre son propre mystère,
04:22 mais ce qui est sûr, c'est que quand on est tauréau,
04:24 on vit dans la nature, on doit comprendre le taureau,
04:26 parce qu'on doit voir, au moindre mouvement, à son œil,
04:30 comment est-ce qu'il faut agir en face de lui.
04:31 On doit savoir repérer les bons taureaux, les mauvais taureaux,
04:34 ceux qui vont sauter par-dessus la barrière, etc.
04:36 Donc, ça demande une proximité avec l'animal qui est incroyable.
04:39 Elle, elle l'a, je pense, encore plus que les autres,
04:42 c'est une espèce de valkyrie des fauves,
04:43 et donc, elle a le droit de vie et de mort sur les animaux.
04:46 C'est un peu comme ça que je le perçois.
04:48 Il y a une scène qui m'a beaucoup troublée,
04:51 ça faisait deux ou trois mois que je la suivais,
04:53 on était dans une rue de Séville,
04:54 et puis il y a des chiens errants, vous savez, en Espagne, pas mal,
04:56 et puis il y a un chien qui a commencé à la suivre,
04:58 un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième.
05:00 Finalement, il y avait toute une meute de chiens errants autour d'elle,
05:03 et ça m'est arrivé dans plusieurs villes avec elle.
05:05 J'ai compris qu'en fait, les animaux, je ne sais pas,
05:07 il doit y avoir quelque chose, je ne sais pas si c'est une hormone,
05:11 la reconnaissent ou reconnaissent entre elles.
05:12 Donc, effectivement, je pense qu'elle a le droit de mort aussi.
05:19 Mais comme sur elle, elle chérit la vie,
05:23 mais elle tutoie la mort en permanence avec les animaux, c'est pareil.
05:25 - Vous ne résolvez pas le débat sur les pourres, les anticorridas,
05:29 et ce n'est pas forcément le propos ?
05:31 - Non, parce que le livre, enfin, la corrida est un objet du livre,
05:34 mais ce n'est pas mon sujet, mon sujet c'est elle.
05:36 - Et vous êtes, vous le dites, vous tombez dans les pommes dans les arènes,
05:40 vous insultez un picador, on menace de vous virer des arènes en pleine corrida,
05:46 elle le voit, elle sait que vous n'aimez pas la corrida,
05:48 mais elle vous ouvre les portes de tout, de la scène de l'habillement,
05:52 qui est normalement très, très intime,
05:54 jusqu'au moment où les bouchers récupèrent les corps des taureaux,
05:57 qui donne un échange sur la manière de mourir des animaux entre les abattoirs,
06:02 je renvoie au livre pour que les gens le découvrent.
06:04 Un mot aussi sur la féminité, elle veut qu'on l'appelle la torero et pas la torera,
06:09 et elle a, je vais la citer, "je serai féministe lorsque les militantes
06:14 iront libérer leurs soeurs en Afghanistan plutôt que de passer le temps
06:16 à faire des mitos déguisés en folle", les intéressés apprécieront,
06:19 mais elle a une vision particulière de la féminité
06:22 dans un monde très macho qu'elle ne reconnaît pas d'ailleurs.
06:25 C'est une grande partie du livre, c'est-à-dire que le livre interroge évidemment
06:29 sur l'époque, sur la tauromachie, mais aussi sur qu'est-ce que c'est
06:32 qu'être une femme aujourd'hui, une femme dans un monde d'hommes,
06:36 parce qu'elle a conquis un monde d'hommes,
06:37 comme aurait pu le faire Frida Kahlo ou Simone de Beauvoir
06:40 ou certaines astronautes, les premières cosmonautes,
06:44 c'est une vraie question, et elle a conquis un monde d'hommes,
06:46 évidemment parce qu'elle est excellente,
06:48 mais évidemment parce qu'elle a renoncé à beaucoup de choses,
06:50 parce qu'elle a du génie, du talent, du travail, de la détermination,
06:52 du charisme, tout ce qu'on veut, mais elle l'a conquis aussi
06:56 en se comportant comme un homme, c'est-à-dire qu'elle dit
06:59 "moi, je veux qu'on m'appelle Torero et pas Torera"
07:01 parce que le taureau ne fait pas la différence entre un homme et une femme,
07:05 et en même temps, elle ne refuse pas sa féminité,
07:07 elle est extrêmement féminine dans la vie de tous les jours,
07:10 elle est gracieuse, elle est sous le charme des hommes,
07:13 et inversement d'ailleurs, beaucoup plus dans l'autre sens
07:16 que dans ce sens-là, mais elle est très étrange
07:20 parce qu'en réalité, elle est affranchie de tous les mouvements de l'époque,
07:24 elle est affranchie du matérialisme, du consumérisme, du genre,
07:29 elle est affranchie de ses paradoxes, c'est-à-dire de pouvoir soigner un taureau
07:32 alors qu'elle en tue 12 par semaine, et sur la question de la féminité,
07:36 la question que je me suis posée, c'est
07:38 "est-ce qu'on peut être une héroïne féminine et féministe
07:41 quand on refuse la question du genre ?"
07:44 et dans notre époque actuelle, c'est un vrai sujet.
07:47 Et c'est-à-dire donc dans ce livre "La vie à mort",
07:50 merci beaucoup Gaile Sacaloff d'avoir été avec nous ce matin.

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