• il y a 7 mois
On connait leur visage, leur analyse, leur voix, mais les connait-on vraiment ? Quel a été leur parcours, leur formation, quelles épreuves ont-ils du dépasser pour exercer leur magistère ? Quelles sont leurs sources d'inspiration, leur jardin secret ? Une fois par semaine, Rebecca Fitoussi reçoit sur son plateau des personnalités pour un échange approfondi, explorer leur monde et mieux apprécier le regard qu'ils et qu'elles portent sur notre société. Ils, elles, sont artistes, scientifiques, historiens, universitaires, chefs de restaurants, associatifs, photographes, ou encore politiques.

Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production : 2023

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00:00Générique
00:02...
00:22Notre invité est un écrivain dont vous connaissez les histoires,
00:26mais pas l'histoire, pas son histoire à lui,
00:29sa vie intime, profonde, son parcours atypique, sa relation au monde.
00:33Vous ne la connaissez pas car derrière les 50 millions de livres vendus,
00:37derrière l'auteur français le plus mu au monde,
00:39il y a un homme pudique, devenu conteur par accident,
00:43qui aime écouter les autres et décrire leurs sentiments et leurs aventures.
00:47Écrire, c'est coucher sur le papier ce qu'on n'arrive pas à dire à voix haute.
00:52C'est pour cela qu'il prend peu la parole et que c'est une chance de l'avoir avec nous.
00:56Cela vous paraîtra surprenant, mais sa vie d'écrivain,
00:59c'est d'abord celle d'un travailleur acharné, seul, en ermite,
01:03en hibernation dans une caverne, dit-il.
01:06Un auteur dont on dit un peu vite qu'il est celui des bons sentiments,
01:10des fins heureuses.
01:11Pourtant, il est aussi un témoin anxieux et vigilant de l'époque et de ses menaces.
01:16Chaque sortie de livre est d'ailleurs pour lui un saut dans le vide.
01:19Mon nouveau manuscrit plaira-t-il cette fois ?
01:22Mon public va-t-il me suivre dans les virages que je prends ?
01:25Vais-je décevoir ? Est-ce qu'il se les pose, toutes ces questions ?
01:28Demandons-lui. Bienvenue dans un moment d'un regard.
01:31Marc Lévy, merci d'avoir accepté notre invitation au Dôme tournant, au Sénat.
01:36Vous publiez un livre par an
01:38et j'ai lu que vous trembliez à chaque sortie de livre.
01:41Est-ce que c'est vrai ? Et de quoi avez-vous peur ?
01:45– Eh bien, oui, c'est vrai, à peu près, tous les 15 mois.
01:50De quoi, comme n'importe quel chanteur ou acteur qui entre en scène,
01:57il y a le trac. – Le trac de quoi ?
01:59– Le trac des rencontres, le trac des émissions,
02:02le trac, je crois que c'est le trac de l'exposition.
02:05Et puis évidemment, ça représente des nuits et des nuits et des nuits de travail,
02:12donc il y a quand même un attachement… – À l'œuvre.
02:18– J'imagine qu'un cuisinier qui a cuisiné pendant des heures et des heures avec amour,
02:24au moment où son plat entre en salle, il a le trac.
02:27Il a le trac de savoir si les gens vont prendre du plaisir, si les gens vont aimer.
02:31– Votre rencontre avec l'écriture et le succès a été…
02:33alors j'ai parlé d'accident, parce que l'histoire est quand même assez incroyable.
02:36En fait, ça arrive à un moment où vous êtes père célibataire,
02:39vous racontez des histoires à votre enfant, à votre fils tous les soirs,
02:42vous écrivez deux heures le soir et vous apprenez par cœur l'histoire
02:45pour sembler naturel le lendemain.
02:48Et puis un jour, votre fils a environ 9 ans et il vous fait sentir que la télé,
02:52c'est peut-être plus intéressant que les histoires de papa,
02:54sauf que vous, ça vous frustre et vous continuez d'écrire,
02:58toujours pour lui, toujours en pensant à lui.
03:00Et c'est comme ça que va naître votre premier roman.
03:03Et si c'était vrai, publié en 2000 chez Robert Laffont,
03:06plus de 3 millions d'exemplaires vendus, traduits en 44 langues,
03:09repérés avant même sa sortie par Steven Spielberg,
03:13qui vous appelle pour vous proposer une adaptation.
03:16Même un scénariste hollywoodien n'aurait pas pu imaginer cette histoire.
03:19Même vous, sous votre plume, une histoire pareille
03:21n'aurait pas pu voir le jour. C'est incroyable.
03:25– Oui, c'était une succession de chances assez incroyable.
03:29D'ailleurs, je vous avoue que j'avais moi-même du mal à y croire.
03:33J'ai mis longtemps à y croire, mais bon, c'était merveilleux.
03:40Ça m'a apporté beaucoup de joie, vraiment.
03:48Énormément de joie, ça a changé évidemment le cours de ma vie.
03:50– Bien sûr.
03:52– Et surtout, j'avais 40 ans quand ça m'est arrivé,
03:59j'ai compris ce que j'avais cherché à faire depuis toujours.
04:03Enfin, je me suis découvert sur le tard,
04:08quoique la quarantaine, aujourd'hui, ça me paraît être un âge très jeune.
04:11Mais j'ai su, en écrivant le deuxième,
04:16que c'était ça dont j'avais rêvé toute ma vie.
04:19– Et quand Spielberg vous appelle, vous réagissez comment ?
04:22Vous y croyez ?
04:24– Alors, j'aurais eu une tendance, j'aurais eu une nature à ne pas y croire.
04:28Mais comme ça se passait dans les bureaux de mon éditeur
04:31et qu'il y avait d'abord un rendez-vous avec…
04:34Je sais, pardon, je dis ça en toute modéitie,
04:38mais avant on avait rendez-vous avec Julia Roberts au téléphone
04:41qui voulait adapter le film, enfin qui voulait jouer dans le film.
04:44On avait rendez-vous avec l'équipe de Working Title,
04:46donc il y avait une succession de rendez-vous.
04:49Ce à quoi je ne m'attendais…
04:50Je savais qu'on avait rendez-vous avec DreamWorks,
04:51je ne savais pas que c'était Spielberg qui allait me parler au téléphone.
04:54Mais j'ai reconnu sa voix tout de suite et c'était incroyable.
05:00Mais bon, voilà, c'était un moment…
05:03– Suivrons plus de 20 romans, un par an environ,
05:06vous l'avez dit, depuis 2000, certains plus personnels que d'autres.
05:10Je ne vais évidemment pas tous les citer, juste quelques-uns.
05:12« Mes amis, mes amours », « Les enfants de la liberté »,
05:14« Le voleur d'ombre », « Ghost in love », plus récemment « Noah »,
05:17« Éteignez tout et la vie s'allume », « La symphonie des monstres ».
05:19Est-ce qu'il y a un point commun à tous ces livres, une ligne directrice ?
05:25– C'est drôle que vous disiez ça, parce que…
05:28Oui, il y a un point commun, que ça soit une comédie,
05:31que ça soit un policier, que ça soit un thriller politique,
05:34ou que ça soit un roman historique,
05:36comme ça a été le cas avec « Les enfants de la liberté ».
05:39Ce qui est le plus important pour moi,
05:42c'est la mise en relief de l'humanité des personnages.
05:45– D'accord.
05:46– Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné de sa vie,
05:48je fais référence à un film qui ne date pas d'hier,
05:50mais qui a compté beaucoup pour moi,
05:54qu'est-ce qui fait qu'on devient Jean Moulin ou Lacombe Lucien ?
05:58Qu'est-ce qui fait qu'on résiste à la haine ?
06:00Qu'est-ce qui fait qu'on reste gardien
06:03de cette parcelle d'humanité qui nous est confiée ?
06:06Et c'est valable dans les grands moments,
06:07mais aussi dans les tout petits moments de la vie.
06:10Qu'est-ce qui fait que quand quelqu'un se fait agresser dans le métro,
06:16on se lève ou on a faim de ne pas entendre ?
06:21Et si on a faim de ne pas entendre, comment on vit avec ça ?
06:25Donc ce qui m'a toujours intéressé, c'est d'aller à la rencontre
06:29de personnages ordinaires,
06:32et de les mettre dans une situation qui, pour eux, est extraordinaire,
06:38et de voir la façon dont ils vont évoluer.
06:41Et de, par l'humanité des personnages
06:44et l'attachement qu'on va avoir aux personnages,
06:47de faire passer le lecteur de la position de jugement
06:51à celle de la compréhension et du ressenti.
06:55Dans vos derniers livres, vous avez quand même pris un virage
06:57et vous l'avez un petit peu dit,
06:58que vos lecteurs auraient pu ne pas prendre avec vous,
07:01vous y parlez géopolitique.
07:03Dans La Symphonie des monstres,
07:04vous parlez d'un aspect assez peu traité du conflit
07:07entre la Russie et l'Ukraine,
07:08ce sont les rafles d'enfants par les Russes.
07:10Des rafles dont le but est de rééduquer
07:13les très jeunes Ukrainiens après les avoir arrachés à leur famille,
07:16et d'en faire des citoyens russes totalement désukranisés.
07:20C'est l'état du monde qui vous inspire ce virage,
07:24vous l'avez dit, politique, dans vos ouvrages, dans vos livres.
07:30C'est une inquiétude ?
07:35Je ne crois pas que l'époque soit plus terrible
07:36qu'elle ne l'était en 1937 ou en 1938,
07:39et chaque siècle a connu ses années de barbarie.
07:46Je crois résolument au fait que les forces du mal avancent
07:51quand les forces du bien restent immobiles.
07:54Quand j'entends aujourd'hui le discours
07:57de certaines personnalités politiques,
07:59voire même de certaines personnes
08:00qui ont été érigées en tant qu'intellectuelles,
08:04et quand je vois leur lâcheté,
08:14je retrouve et j'entends les mêmes lâchetés
08:18que celles dites par certains intellectuels français,
08:22les mêmes égoïsmes.
08:24Et donc cette même vision à court terme sur l'avenir.
08:26Vous pensez à qui ? Vous pensez à quoi ?
08:28J'entendais hier Michel Onfray dans une émission,
08:31et j'étais consterné par son propos.
08:35Parce que c'est vraiment un homme qui se sert de son intelligence,
08:40et il y a un manque de courage, il y a un manque de lucidité.
08:44Et d'ailleurs, il en est tellement conscient de sa propre lâcheté
08:47qu'il fait des parallèles douteux
08:50sur les causes de l'intervention américaine
08:53pendant la Deuxième Guerre mondiale,
08:54sur les raisons de l'intervention américaine.
08:57Il est tout à fait lucide,
08:59mais il a quand même cette lâcheté.
09:02Et je trouve ça consternant,
09:05parce que le discours des souverainistes
09:10se mélange au discours de l'extrême-très-Union-droite,
09:17de cet égoïsme
09:22et de cet isolationnisme.
09:25D'un repli sur soi, vous voulez dire ?
09:27Oui, mais c'est simplement...
09:29L'égoïsme en politique ou l'égoïsme intellectuel,
09:34c'est le fait de ne considérer que le temps de sa propre vie
09:37et pas du tout celui de ceux qui vont venir.
09:40Je pense qu'à mes enfants,
09:42ma vie est en grande partie derrière moi,
09:45et quand bien même,
09:48ceux qui sont rentrés dans la Résistance
09:53pendant la Deuxième Guerre mondiale et qui avaient 18, 19, 20 ans,
09:56pendant que des Onfray et d'autres tenaient des propos,
10:00pourquoi est-ce qu'on irait entrer en guerre contre l'Allemagne
10:02pour aller contre l'Autriche ?
10:05Pourquoi l'Europe ?
10:07Ce sont les mêmes qui, ensuite, allaient manger au Bombeur
10:11ou aller faire leur course au Bombeur.
10:13Et puis, il y en avait d'autres qui étaient dans le maquis
10:15et qui se faisaient arrêter, torturer, déporter,
10:19mais qui se sont battus pour qu'aujourd'hui,
10:22Onfray soit à la télévision.
10:23Et cette courte mémoire...
10:28Je suis quelqu'un d'une nature très calme,
10:30mais c'est probablement la seule chose qui me met en colère.
10:34Parce que... Comment vous dire ?
10:36On n'a pas le droit de...
10:38Je ne comprends pas quel est le sens de la vie
10:41de quelqu'un qui se sert de son pouvoir, de son argent,
10:45de sa notoriété, pour décourager les autres
10:48de se battre pour la liberté.
10:50Ça, je ne comprends pas.
10:50– Vous pensez qu'avec vos romans, vous pouvez faire bouger les lignes ?
10:54Je vous pose la question parce que vous avez dit un jour,
10:57je me dis que si des écrivains populaires
10:58avaient raconté ce qu'était le nazisme dès 1933,
11:01certains Allemands auraient pu voir les choses différemment.
11:04– Mais évidemment !
11:05Enfin, pas les miens...
11:07– Oui, vous, en tant que représentant des écrivains populaires.
11:10– Mais tous, évidemment !
11:12Qu'est-ce qui fait que...
11:15Écoutez, je disais ça hier à Lyon dans une rencontre avec des lecteurs.
11:19Quand j'avais 18 ans, je suis entré à la Croix-Rouge.
11:21Je travaillais dans une équipe de désincarcération routière.
11:24Il y avait à l'époque 17 000 morts sur les routes de France.
11:29Nous, on savait ce que c'était,
11:33quelqu'un qui meurt incarcéré dans une voiture.
11:35On savait ce que c'était que de retrouver une petite fille
11:37sectionnée en deux parce qu'elle avait été expulsée par la fenêtre
11:40parce qu'elle n'avait pas de ceinture.
11:42On savait ce que c'était que de voir des gens qui se mettaient à hurler de douleur
11:46parce qu'il fallait leur annoncer que quelqu'un était mort.
11:48Mais il y avait des tas de Michel Onfray à la télévision
11:51qui allaient vous expliquer que rendre la porte de la ceinture obligatoire,
11:54c'était une atteinte aux libertés fondamentales.
11:56Et puis, un jour, il y avait un photographe qui a eu une idée de génie.
11:59Il a demandé la collaboration d'une ville entière
12:02et 15 000 personnes se sont allongées dans la rue.
12:04Et il y a eu cette fameuse photo avec marqué ça,
12:06c'est le bilan des morts sur la route.
12:08Et tout à coup, ça a été un choc dans la société française.
12:11Pourquoi je vous fais ce parallèle ?
12:13Parce que la surenchère de l'actualité
12:15fait que l'actualité, aujourd'hui, elle est totalement déshumanisée.
12:18Elle n'est pas incarnée.
12:20Quand je vous dis aujourd'hui,
12:22les Russes ont bombardé telle ville d'Ukraine
12:26et il y a eu neuf morts,
12:30ça vous fait moins de choses que si je vous dis
12:32qu'il y a un gros orage qui va tomber sur Paris ou sur Lyon à midi.
12:35Mais si vous lisez un livre
12:37et que vous lisez l'histoire d'un de ces personnages
12:40ou de son entourage,
12:41alors à chaque fois que vous allez entendre qu'il y a eu un bombardement,
12:45cette histoire sera incarnée parce qu'elle va rentrer en vous.
12:48Ça, c'est pas propre à mes romans.
12:49Donc l'écrivain humanise, vous voulez dire ?
12:52L'écrivain, le cinéaste...
12:53L'artiste, en fait.
12:55Oui, alors le mot artiste,
12:57moi, je sais pas si j'ai le talent d'être un artiste, mais...
13:05À 14 ans, j'ai lu Les raisins de la colère, ça a changé ma vie.
13:10Et le nombre de livres...
13:12À 23 ans ou à 24 ans,
13:15je venais d'être quitté par une fille dont j'étais extrêmement amoureux.
13:18Et donc j'étais malheureux comme les pierres
13:21et résolu à ne plus jamais aimer parce que ça faisait trop mal
13:23et que c'était complètement idiot et que ça servait à rien.
13:25Et j'étais...
13:27Je dormais sur le canapé d'un copain
13:31et comme je dormais pas, j'ai pris un bouquin,
13:33c'était Claire de Femmes de Romain Garry.
13:36Et j'ai terminé le livre à 3 heures du matin
13:39et à 3 heures du matin, j'avais qu'une envie,
13:41c'était de retomber amoureux.
13:42Et c'est ça, l'extraordinaire magie des livres.
13:47– Vos livres, ceux que vous consacrez au conflit russo-ukrainien,
13:51est-ce qu'ils sont traduits en ukrainien, en russe ?
13:54Est-ce que vous savez comment c'est vécu ?
13:56Perçu là-bas et notamment par votre lectorat russe
13:58qui, je crois, est à 75 ans en plus.
14:00– Oui, c'est drôle que vous parliez de ça.
14:03J'ai la chance d'avoir beaucoup de lecteurs en Russie.
14:06Et beaucoup de lecteurs russes aussi en dehors de Russie.
14:09J'ai fait beaucoup de tournées en Russie
14:11et des rencontres dans pas mal de librairies.
14:14Mon éditeur russe qui est aujourd'hui en exil
14:16avait réussi à publier le précédent Noa.
14:20J'ai été déjà très étonné parce que, comme dans Noa,
14:24c'est un roman qui raconte la chute du dictateur biélorusse
14:27mais que j'avais appelé Lutschine
14:29parce que c'était un mélange de Loukachenko et de Poutine.
14:32Et c'est un roman dans lequel je racontais
14:33que la guerre en Ukraine allait arriver.
14:37Mais il avait réussi à le publier, ce qui était incroyable.
14:40Là, quand il a reçu le manuscrit de la Symphonie…
14:42– Il a dit non, ça ne va pas être possible.
14:44– Il a dit, on ne peut pas. Déjà, lui vit en exil.
14:48Et on a pris la décision de le publier gratuitement sur Internet.
14:53– Ok.
14:55– Dans cette même ligne d'esprit,
14:56c'est qu'il faut faire une distinction entre la Russie de Poutine et la Russie.
15:00– Et les Russes.
15:02– Et les Russes, comme il fallait faire une distinction
15:04entre les Allemands et les Nazis.
15:05– La critique littéraire n'a jamais été tendre avec vos œuvres,
15:08mais ça semble glisser sur vous.
15:10Vous répondez avec beaucoup de sérénité.
15:12Je dis aux critiques, rassurez-vous,
15:14je n'ai jamais pensé que j'avais inventé le vaccin contre le cancer.
15:16Je n'ai jamais prétendu être Camus.
15:18Nous sommes quelques écrivains dits populaires,
15:20souvent agressés par les écrivains dits littéraires.
15:22La pire des choses que l'on puisse faire,
15:24c'est de redonner goût à la lecture, ce qui n'est pas très grave.
15:27Il y a une forme de snobisme dans ce monde littéraire ?
15:31– Écoutez, il y a des trucs tellement plus graves dans le monde
15:34que je n'ai jamais été, je ne me suis jamais senti victime.
15:37Surtout que ce n'est plus vrai maintenant.
15:41– C'est en train de changer ?
15:43– Oui, ça a beaucoup changé depuis dix ans.
15:45– Depuis dix ans ? Pourquoi, d'après vous ?
15:48– Je les ai eus à l'usure.
15:49Non, mais vous savez, je vais vous dire pourquoi.
15:53Et là aussi, il faut voir ça avec beaucoup d'humilité,
15:56à force de travail.
16:00Ce qui crée la jalousie et l'agacement,
16:04c'est le succès qui arrive trop tôt.
16:07À part quelques cas d'école, même la critique a beaucoup changé.
16:11Pas seulement à mon égard, elle a changé parce que finalement,
16:16c'est le public qui a gagné, c'est le public qui a fait évoluer la critique.
16:21Alors, vous avez toujours à Paris un petit milieu littéraire
16:23qui est un entre-soi ultra conservateur et très…
16:27Mais c'est pas grave.
16:30– Ça glisse, ça glisse sur vous.
16:31– Non, mais je veux dire, c'est très bien.
16:35À la rigueur, c'est représentatif d'un petit noyau du livre.
16:40Et puis, il y en a d'autres qui ont trouvé d'autres moyens de vivre.
16:43On n'a plus cette concentration d'influence,
16:47vous voyez, par un tout petit noyau très élitiste.
16:53Et la critique, au sens large du terme,
16:56elle a fini par rencontrer le public
17:01et elle a fini non pas par s'intéresser à ce qu'elle estimait être ou ne pas être,
17:05elle s'est vraiment intéressée à ce que le public aime.
17:09Et ça, je crois, ça a contribué énormément
17:15à se rapprocher pour perpétuer l'envie de lire.
17:19– Vous n'étiez pas du tout parti pour être écrivain,
17:21vous rêviez d'être médecin.
17:22Ça a même été une souffrance de ne pas pouvoir le devenir,
17:25ni les moyens intellectuels, ni les moyens financiers, dites-vous.
17:28En revanche, vous grandissez dans un univers
17:29où l'écriture et la lecture sont omniprésentes,
17:31de même que le cinéma et la musique.
17:34Chez vous, on connaissait par cœur les dialogues des films de Claude Sauter,
17:36on écoutait du Barbara, du Léo Ferré, du Brassens, du Brel.
17:40Vous avez vraiment baigné dans la culture et en lisant ça,
17:42je me suis dit qu'en fait, l'accident dans votre vie,
17:45c'était plutôt d'avoir fait des études de gestion et d'informatique,
17:47parce qu'en fait, vous êtes... On est d'accord ?
17:49– Oui, mais c'est drôle que vous disiez ça parce que c'est...
17:53Je crois que c'est aussi...
17:57C'est peut-être aussi le fruit des angoisses de mes propres parents.
18:02– C'est-à-dire ?
18:04– Parce que c'était un milieu...
18:06– Votre père était éditeur ? – Mon père était éditeur,
18:08et puis comme vous le disiez, tout l'entourage de mes parents,
18:11c'était des acteurs qui se voyaient plus comme des saltimbans,
18:15parce qu'il y avait beaucoup de modestie et beaucoup d'humilité dans tout ça,
18:18et beaucoup d'envie de joie de vivre et de rire,
18:21et de déconnade, et le seul interdit était celui de se prendre au sérieux.
18:26Mais en même temps, pour chacun, de faire extrêmement sérieusement son métier.
18:31Il y avait un profond amour du travail, et bref...
18:40Et je ne sais pas...
18:41– Est-ce que vous êtes devenu chef d'entreprise ?
18:42Vous vous êtes lancé dans un univers...
18:44– Oui, plus créateur que chef, parce que j'ai jamais été un très bon chef,
18:47mais d'ailleurs, j'ai été chef d'entreprise parce que c'était un prétexte pour moi
18:53pour voyager, pour parcourir le monde, et pour découvrir d'autres cultures.
18:58– À l'allure de celui que vous êtes aujourd'hui,
19:00quel conseil donneriez-vous aux petits garçons,
19:02aux jeunes hommes qui s'apprêtent à se lancer dans la vie ?
19:05Qu'est-ce que vous lui diriez ?
19:11– D'en profiter, parce que ça va passer très vite.
19:15Non mais vraiment, les regrets, les remords...
19:20J'ai toujours l'impression, dans ce rapport justement,
19:24de la responsabilisation, du travail, de ne pas en profiter assez.
19:33– J'ai un document à vous proposer, Marc Lévy, c'est un...
19:37Non, sans lunettes, ce n'est pas grave, je vais vous le décrire,
19:38ne vous inquiétez pas, c'est un document délivré par nos partenaires,
19:40les archives nationales, quand même.
19:42– C'est écrit très gros, mais quand même...
19:44– Il s'agit de la deuxième demande de naturalisation
19:47d'un certain Missak Manouchian,
19:49un document manuscrit qui date du 12 janvier 1940.
19:52Sa première demande en 33 avait été rejetée parce qu'il était au chômage.
19:55Manouchian, je le rappelle pour les gens qui nous écoutent,
19:57c'est une grande figure de la Résistance,
19:59survivant du génocide des Arméniens.
20:01Il est entré au Panthéon le 21 février 2024,
20:04et je vous en parle parce que votre père, Raymond Lévy,
20:05fut aussi un grand résistant, engagé comme Manouchian
20:08dans la Résistance, franc-tireur et partisan, main-d'œuvre immigré.
20:12Votre père, c'était Jeannot,
20:13et votre oncle, c'était petit Claude, c'est ça ?
20:16Le jour de la panthéonisation de Manouchian,
20:18vous avez trouvé que c'était une juste réparation de l'histoire ?
20:23Vous avez pensé à votre père ?
20:26– Oui, bien sûr, mais je sais que mon père aurait voulu
20:28que je pense aux enfants d'Ukraine et aux enfants de demain.
20:35Le symbole était magnifique, c'était magnifique que Manouchian...
20:39Mais...
20:41– Vous êtes plus tourné vers l'avenir que vers le passé,
20:43c'est ça que vous voulez dire ?
20:44– Dans la même journée, Manouchian entre au Panthéon,
20:47c'est magnifique, le symbole est merveilleux,
20:50mais au même moment, la Russie perpétue
20:53des crimes de guerre épouvantables en Ukraine,
20:57la situation dans la bande de Gaza est terrifiante,
21:00donc, comment vous dire...
21:03L'heure, vous savez cette expression, l'heure, état,
21:06l'heure, état, sauver le monde...
21:09– Ce sont les résistants d'aujourd'hui qui vous intéressent
21:10plus que ceux d'hier.
21:11– Bien sûr, et en même temps, je...
21:13Comment vous dire, je descends de l'un d'eux.
21:17Mais c'est tout ce que je crois que mon père m'a transmis,
21:23c'est de déporter son centre de gravité de son nombril vers les autres
21:27et que c'était la condition du parfait équilibre,
21:30parce que sinon, bon, vous voyez, ça vous pèse dessus...
21:33Il était bien, mon boupe ?
21:35– Parfait. – Je l'avais répété.
21:37Et donc, c'est ça...
21:39– Oui, parce que c'est un très grand résistant, votre père,
21:41sauf que vous l'apprenez relativement tard,
21:42vous comprenez relativement tard ce qu'il se passe.
21:45Le jour où il est décoré, d'ailleurs.
21:46– Je l'apprends le jour où il est décoré, 20 ans après les faits.
21:50Et d'ailleurs, je me souviens toujours,
21:52pour moi, l'image la plus marquante de cette décoration,
21:55donc, on est à Toulouse, et c'est Charles Hernu
21:58qui décore les survivants de la 35ème,
22:01et papa n'a jamais parlé de ça avant, donc je suis là,
22:04je suis ici parce que ma mère m'a appelé la veille en me disant
22:07il faudrait que tu viennes avec nous à Toulouse demain,
22:08et elle était restée très mystérieuse.
22:11Et donc, je me marre aujourd'hui, je me dis à quel point
22:15mes parents étaient fous, quand je dis fous,
22:18c'est avec amour, vous entendez bien.
22:20– Bien sûr.
22:21– Mais le moment le plus marquant, c'est, donc, Hernu,
22:25ils étaient comme ça une quinzaine sur l'estrade,
22:28Charles Hernu accroche les médailles après un discours absolument,
22:32lui qui était bouleversant, bref, que j'ai reproduit d'ailleurs
22:35dans les Enfants de la Liberté, parce que c'était un discours magnifique,
22:38et papa est descendu de l'estrade et il a immédiatement
22:43enlevé sa médaille et l'a rangée dans sa poche.
22:45– Pourquoi ? Par humilité ?
22:47– Oui, parce que…
22:48– Vous supportez pas les décorations ?
22:50– Non, mais je lui ai demandé, et d'ailleurs ça va faire le lien
22:55avec la question que vous m'avez posée par rapport à Manouchian,
23:01quand on est rentrés de Toulouse, je me suis demandé à mon père,
23:04je lui ai dit, pourquoi tu ne m'as jamais dit ?
23:06Et mon père avec son petit sourire en com' a dit, te dire quoi ?
23:10Et je lui ai dit, écoutez, moi quand j'étais à l'école,
23:13j'aurais aimé savoir que mon père avait été un héros,
23:15et il m'a dit, je t'arrête tout de suite, on n'a pas du tout été des héros,
23:18on a fait ce qu'il fallait faire, parce qu'il n'y avait pas d'autre chose
23:21à faire que ce qu'on a fait, il n'y avait pas d'autre choix.
23:24Et quand j'ai écrit les Enfants de la Liberté, des années après,
23:29j'ai rencontré les survivants de la 35ème brigade,
23:32et ils avaient tous cet état d'esprit-là,
23:33on a fait ce que nous devions faire.
23:37Et c'est peut-être pour ça que ma réaction tout à l'heure
23:41sur la lâcheté de certains propos,
23:44elle est plus emportée qu'elle ne devrait l'être,
23:47en tout cas, c'est comme ça que je la vis.
23:49Et un jour, mon père m'a dit cette phrase
23:51qui a probablement conditionné toute mon écriture
23:55et tout mon parcours de vie, il m'a dit,
23:58tu sais, la victoire, on l'a obtenue très longtemps après la guerre.
24:03Et je lui ai demandé pourquoi,
24:04parce que bon, mathématiquement, ça ne collait pas.
24:07Il m'a répondu parce que, tu vois, ils nous ont interdit de vivre,
24:12ils nous ont dépossédé de notre identité,
24:14ils nous ont arrêtés, ils nous ont torturés,
24:16ils nous ont assassinés.
24:18Mais pour tous ceux qui ont survécu,
24:21on a travaillé, on s'est mariés, on a eu des enfants,
24:25et on a aimé.
24:26Et jamais ils n'ont pu nous prendre notre humanité.
24:29Et c'est pour ça que...
24:31Comment vous dire ?
24:33La vraie réponse à votre question,
24:35au moment où Manouchian entre au Panthéon,
24:39pour moi, ce que ça représente,
24:42c'est l'espoir que ceux qui le regardent entrer
24:45comprennent l'importance de protéger les résistants d'aujourd'hui.
24:49Voilà.
24:50J'ai des photos à vous proposer maintenant, Marc Lévy.
24:53Alors on ressort les lunettes.
24:57Vous allez tout de suite voir de quoi il s'agit,
25:00alors de qui il s'agit.
25:01Là, je vous présente Rikudan, peut-être que vous la connaissez,
25:03elle est lauréate du prix littéraire japonais
25:05le plus prestigieux du pays,
25:07c'est l'équivalent de notre Goncourt.
25:09Et pendant la cérémonie,
25:10elle a admis avec beaucoup de naturel et de simplicité
25:12qu'elle avait utilisé Chachipiti pour écrire une partie de son roman.
25:165 % des lignes de son roman viennent de l'intelligence artificielle.
25:20Est-ce que ça vous choque ? Est-ce que ça vous intrigue ?
25:22Est-ce que ça vous inquiète ?
25:28Non.
25:29Enfin, est-ce que ça me choque ?
25:33Vous dites 5 % ?
25:34Oui, 5 % de son livre.
25:35Oh, 5 %.
25:37La vraie...
25:38Non, mais ce qui sera intéressant,
25:40c'est de savoir si les 5 % pondus par l'intelligence artificielle
25:44font partie des 5 meilleurs % de son bouquin,
25:47ou des 5 plus mauvais,
25:51ou surtout, comment vous dire,
25:56à quel dessein, parce que...
25:58Comment vous dire ?
26:01Est-ce qu'elle aurait pu le faire elle-même ?
26:02Est-ce que ça lui a fait gagner du temps ?
26:04Est-ce que...
26:05Est-ce que...
26:07Ça ne vous viendrait pas à l'idée, à vous,
26:08d'utiliser l'intelligence artificielle ?
26:10Non, parce que...
26:14Moi, je n'arrive même pas à sous-traiter mes recherches.
26:17Une deuxième photo ?
26:18Allez, c'est une manifestation pour le droit à l'avortement
26:20aux États-Unis, votre pays d'adoption.
26:23Depuis juin 2022, une quinzaine d'États supplémentaires
26:25ont interdit l'IVG sur le territoire.
26:27Dans d'autres États, il est très sérieusement menacé.
26:30Comment le franco-américain que vous êtes
26:33voit ce virage que prennent les États-Unis aujourd'hui ?
26:36C'est très instructif.
26:38Ce qui se passe aux États-Unis,
26:40c'est une très grande entreprise
26:43de reprise du contrôle sur les libertés des femmes.
26:46Ça va bien au-delà.
26:48Il ne faut pas du tout croire.
26:50Il y a, ce qu'on va dire, les pro-life.
26:53Les pro-life, particulièrement aux États-Unis,
26:56sont d'une hypocrisie flagrante,
26:58parce qu'ils se battent comme des hystériques
27:02pour défendre le droit à la vie d'enfants qui ne sont pas nés,
27:04mais une fois qu'ils sont nés,
27:06pour légiférer sur le port d'armes et sur la sécurité des enfants,
27:09ils n'ont rien à foutre des enfants qui sont nés.
27:11Donc ça, c'est...
27:13C'est un combat des ultraconservateurs
27:16pour contrôler les droits et les libertés des femmes.
27:20Et ça n'est rien d'autre.
27:21C'est une croisade qui est menée.
27:22Mais il fait toujours bon vivre aux États-Unis ?
27:24Ou vous envisagez un retour en France ?
27:27Alors, moi, je crois que c'est quand...
27:30Vous savez, au moment où on parlait beaucoup en France
27:33de l'arrivée du Front national,
27:34j'ai entendu beaucoup d'artistes dire
27:36« Si elle est élue, moi, je m'en vais. »
27:40Moi, je crois que c'est quand les choses vont mal
27:42qu'il faut rester résisté.
27:44Marc Lévy, j'ai une dernière question
27:45qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes.
27:47Nous sommes entourés de quatre statues
27:48qui représentent chacune une vertu.
27:50Il n'y a pas la résistance, mais il y a la sagesse,
27:52la prudence, la justice.
27:54Et l'éloquence, laquelle de ces vertus vous parle le plus ?
27:57La justice.
27:58La justice, c'est votre mot.
28:01Oui, la justice.
28:03C'est ce qu'il y a de plus important.
28:04Enfin, je ne sais pas...
28:08Ce que je ne supporte pas, c'est l'injustice.
28:12C'est quelque chose qui me...
28:17Oui, très douloureux.
28:19Et même l'injustice faite aux autres,
28:23je ne peux pas la supporter.
28:24Ce sera votre mot, votre vertu à vous.
28:26La justice. Merci, Marc Lévy, d'avoir accepté notre invitation,
28:29d'avoir été avec nous au Sénat et au Dôme tournant.
28:31Merci beaucoup, on a été ravis.
28:32Et merci à vous de nous avoir suivis
28:33comme chaque semaine,
28:35émission à retrouver en podcast.
28:36Vous le savez maintenant. A très bientôt. Merci.

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