Judith Godrèche brise le silence sur sa relation avec Benoît Jacquot

  • il y a 5 mois
En février 2024, l'actrice française Judith Godrèche a porté plainte contre le réalisateur Benoît Jacquot pour "viols avec violences sur mineur de moins de 15 ans". Cette révélation choc a brisé le silence sur une relation qu'elle entretenait avec Jacquot alors qu'elle était âgée de 14 ans et lui 40 ans.

Dans plusieurs interviews et notamment dans une série documentaire pour Arte intitulée "Sœurs d'armes", Godrèche a raconté son histoire, décrivant une relation empreinte de manipulation et d'abus de pouvoir. Elle a évoqué les pressions psychologiques exercées par Jacquot, l'emprise qu'il avait sur elle et les violences sexuelles qu'elle a subies.

Le témoignage de Judith Godrèche a libéré la parole d'autres femmes victimes d'abus sexuels dans le monde du cinéma et a contribué à mettre en lumière les dérives qui peuvent exister dans cet univers. Son courage et sa détermination ont été salués par de nombreuses personnalités du monde du cinéma et de la société civile.
Transcript
00:00 Salut tout le monde, j'espère que vous allez bien. Très heureux de commencer cette année 2024 avec vous.
00:04 Je suis assez excité de cette année parce qu'il y a énormément de projets qui vont arriver et j'ai
00:08 très très hâte de vous en parler. On commence cette année avec un témoignage qui n'est pas des plus fun
00:11 mais qui est très très important et d'autant plus en ce moment. On a l'immense honneur aujourd'hui
00:15 de recevoir Judith Godrech. Elle vient de sortir une série sur Arte qui traite entre autres de sa
00:20 relation avec un réalisateur qui avait 40 ans quand elle en avait 14. C'était une relation
00:24 qui à l'époque était connue par tout le monde, que ce soit le monde du cinéma mais aussi le grand
00:28 public et qui était même assez romantisé par les médias. Bravo et merci à elle d'avoir le courage
00:32 de venir en parler aujourd'hui, d'autant plus que vous pouvez imaginer les pressions subies pour se
00:36 taire sur les détails de cette histoire. Je vous laisse avec cette conversation entre Judith
00:40 Godrech et moi. Bonne vidéo. On n'a pas le droit en principe je crois. Une fille comme elle, comme
00:46 cette Judith qui avait en effet 15 ans, en principe j'avais pas, et moi 40 j'avais pas le droit. Judith
00:52 a braqué mon désir, mais comme une très jeune femme peut le faire je crois.
00:57 Judith comment ça va ? Ça va. Merci beaucoup d'être ici. Merci à toi. Ça s'est fait très
01:16 rapidement. Ouais. Tu m'as contactée il y a quatre jours je crois. On a dit "Allez vas-y, let's go,
01:20 c'est parti". Parce qu'il y a un petit timing en plus là avec ta série. Donc on essaie de rester
01:24 dans la promo et tout. Et moi je l'ai regardée très rapidement aussi. Et j'ai adoré ce que je
01:29 te disais. Tu veux dire que tu l'as regardée en avance rapide ou tu l'as vraiment regardée ? Non, je l'ai regardée très rapidement après ton premier message. Je suis ok là, j'ai passé ma demi-journée
01:37 dessus comme ça. Et je t'avoue j'ai tout enchaîné, j'ai adoré. Tout à l'heure j'ai appelé mon père en
01:42 disant "Est-ce que tu vois etc ?" Il m'a dit "Oui, oui, j'ai vu la série, incroyable". Je me suis dit "Ok". En général mon père est un gage de qualité.
01:48 Donc j'appelle toujours mon père avant pour une validation. Quel que soit l'âge de la personne qui a réalisé un truc, je suis pour les émulser.
01:54 Je t'avoue que si c'est sur une vidéo YouTube ou si c'est un tiktoker de 20 ans, je ne lui demande pas son âge.
02:02 Je connais la réponse à l'avance. En fait tu m'as envoyé un message sur Insta qui m'a vraiment interpellé où tu m'as dit "J'ai envie de sensibiliser les jeunes sur l'emprise".
02:12 Déjà la première question qui m'est venue c'est pourquoi en parler maintenant ?
02:16 Pourquoi en parler maintenant ? J'étais en train d'écrire une série justement sur une actrice, donc moi, qui rentre en France.
02:23 Et je me disais qu'il manquait quelque chose dans l'écriture. Il fallait ancrer cette histoire du présent, la nourrir du passé.
02:31 Mais en fait il y avait un blocage et puis c'est en voyant ma fille évoluer à la maison, j'ai eu une forme de prise de conscience que
02:40 un jour j'avais eu cet âge là, qu'un jour j'avais été une adolescente. Et en fait, il était très compliqué pour moi de penser à moi
02:49 ou de mettre une distance avec ma propre jeunesse ou mon adolescence et de me dire "Oh là là ce que j'ai vécu".
02:56 Et j'y pensais jamais, jamais, jamais en fait. C'était très refoulé. Et à cause de Tess, à cause de ma fille, tout à coup, tout est revenu.
03:04 C'est revenu genre d'un coup ?
03:06 Non, en fait, c'est juste que je me suis dit "Oui, dans le fond, c'est vrai que c'est important de raconter ça pour la protéger elle ou l'informer
03:18 ou ma responsabilité à moi qui a été manipulée par un adulte et d'avoir le courage parce que même encore aujourd'hui, j'ai des moments...
03:28 C'est pas du tout parce que la parole ne libère pas en fait. Donc, c'est un peu un fantasme, une illusion de se dire "On parle pour se libérer".
03:37 Non, non, non, moi je parle pas pour me libérer. Je parle en tout cas pour témoigner et pour informer les générations à venir.
03:46 Puis, je me retrouve en face de gens, de personnes comme toi. J'ai des dialogues avec des gens intéressants, intelligents, avec des femmes
03:54 qui me racontent leur histoire, qui m'écrivent. Je reçois des lettres de femmes qui me disent "Quand t'étais avec ce réalisateur et quand tu jouais dans ce film
04:03 et que c'était public, que tout le monde savait, que c'était dans les journaux et tout, que t'étais avec lui, que t'avais 15 ans, 14 ans, 16 ans...
04:11 Il y a plusieurs personnes qui m'ont dit qu'en gros, mon histoire personnelle avait glamourisé...
04:17 Tu devenais un rôle modèle un peu de cette histoire-là malgré toi ?
04:20 Ouais, il y avait un côté romantisé par les journalistes, qu'on parlait de nous comme un couple comme ça, qu'on nous invitait à donner des interviews ensemble.
04:33 Une fille de 16 ans avec un mec de 40 ans et que du coup, les jeunes femmes à l'époque se disaient "En fait, c'est super, c'est cool".
04:42 Et c'est ça le modèle normal.
04:44 Il y a quelques années, j'ai invité sur cette chaîne Sophie Lambda, qui est une autrice de bande dessinée, qui a fait une bande dessinée qui s'appelle "Tant pis pour l'amour"
04:53 et où en fait, elle parle d'emprise, elle parle de manipulation, elle parle en gros d'une relation qu'elle a eue et où elle explique un peu tout le processus.
04:59 Et en fait, ce qui est intéressant dans l'emprise, souvent d'un point de vue extérieur, on se dit "Bon, pourquoi cette personne est là ? Pourquoi tu restes ?" etc.
05:06 Moi, à travers ton histoire, c'est aussi ce qui m'intéresse, de se dire comment l'emprise s'immisce et que j'imagine que tout ne se fait pas d'un coup.
05:15 Est-ce qu'on peut partir du début ?
05:17 Comment cette rencontre ?
05:19 Donc toi, tu as 14 ans.
05:20 Comment est-ce fait cette rencontre avec cet homme ?
05:23 Quand un adulte rencontre une personne bien, bien plus jeune, qui est en train de se construire, dont l'identité est encore en train de se former.
05:35 D'ailleurs, dont le corps est encore en train de se former.
05:38 Enfin, un enfant, quoi.
05:40 On se projette dans les livres, on idéalise des personnages de romans et on est, j'ai envie de dire, on est friable, on est accessible.
05:49 On est... Justement, c'est une métaphore, on peut te mettre la main dessus et t'attraper et te tenir.
05:55 Parce que dans le fond, c'est comme si tu étais poreux.
05:58 Il y a plein de points d'accroche.
05:59 Il y a un point d'accroche qui est, par exemple, que moi, j'adorais le cinéma.
06:03 Et que donc, du coup, cette personne s'inventait presque, s'inventait des relations ou des histoires avec des gens qu'elle n'avait jamais connus, en fait, mais qui correspondaient à des rêves pour moi.
06:17 Enfin, tu vois, si je te disais, par exemple, toi, t'adores, je ne sais pas qui, David Bowie, moi, j'étais avec lui.
06:23 OK, tu vois ?
06:25 Il te faisait rêver une vie ?
06:27 Un personnage, c'est comme si lui-même, cette personne, savait comment entrer dans mon monde imaginaire, entrer dans mon monde intérieur.
06:36 Au début, tu ne te vois pas, toi, comme un objet sexuel dans cette relation avec cet adulte.
06:43 Parce que vous vous rencontrez sur un casting ?
06:45 Oui.
06:46 Où il s'est passé une audition, c'est ça ?
06:48 Oui.
06:49 Et je trouve d'ailleurs, il y a une scène, cette scène qui est retranscrite, je ne sais pas à quel point elle a l'identique dans la série.
06:54 En fait, cette scène, elle est très, très forte parce que tu sens qu'il se passe un truc, tu sens qu'il se passe quelque chose.
07:00 Et je trouve que c'est ça qui est assez fort.
07:02 C'est le truc où toi-même, en regardant, je ne me sentais pas à ma place.
07:06 Je me disais, il y a un truc qui est malsain.
07:08 On sent le truc, et en même temps, factuellement, il ne se passe rien, mais on sent qu'il y a une intention.
07:12 Honnêtement, je ne peux pas.
07:14 C'est compliqué de faire des généralités, mais je vais forcément en faire parce que malheureusement, voilà.
07:19 Dans le fond, plus la personne qui met sa main sur toi, qui est intelligente, plus c'est fin, plus c'est compliqué.
07:29 Enfin, tu vois, et en fait, ce que j'ai retranscrit dans cette scène de casting, où mon personnage d'enfant passe un casting,
07:37 c'est ça que j'ai vraiment voulu montrer, filmer.
07:42 C'est-à-dire que tu te retrouves face à un adulte qui te pose des questions.
07:46 Mais dans la question, il y a un monde entier.
07:50 C'est-à-dire, j'avais donc un jean troué quand j'ai passé cette audition, et très troué, tu vois, vraiment.
07:56 C'était les années 90, non 80 d'ailleurs, fin des années 80.
08:01 Il y avait ce truc où tout d'un coup, il me parlait de mon jean.
08:04 Et c'est vrai que quand tu vas faire une audition, tu ne t'attends pas à ce qu'on te demande si tu as froid à l'intérieur de ton jean.
08:10 Et c'est cette espèce de truc où tout d'un coup, tu vois, à la fois, t'es cueilli,
08:17 parce que t'es à un endroit où tu vois, c'est pas quelqu'un qui te met mal à l'aise de façon très directe.
08:23 Enfin, je ne sais pas comment dire, mais il y a quelque chose d'insidieux.
08:27 Il y a quelque chose de pervers, quoi.
08:29 C'est-à-dire qu'à la fois, il te donne le sentiment qu'il voit plus loin.
08:32 Il voit même à l'intérieur de ton jean, ou même il s'intéresse à un détail de toi.
08:36 Parce que du coup, tu obtiens le rôle.
08:38 Et donc, cette personne-là devient le réalisateur.
08:41 Donc, il y a déjà un ascendant énorme à ce moment-là.
08:45 Et comment il se passe ce tournage ?
08:47 Est-ce que c'est pendant ce tournage-là qu'il y a un truc de séduction qui se met en place ?
08:51 Ou en fait, ça se fait beaucoup plus tard ?
08:53 Non, je pense que ça s'est fait dès l'audition.
08:56 Et au fur et à mesure, ensuite, j'avais les cheveux longs et il me les a coupés lui-même.
09:01 Pour le rôle sur le plateau.
09:03 Donc, il y avait déjà quelque chose de l'ordre de "tu es choisi, tu es spécial, tu es...
09:10 Il n'est pas coiffeur".
09:12 Oui.
09:13 Non, mais c'est vrai que c'est bizarre de dire que c'est le réalisateur qui crée des moments d'intimité.
09:17 Oui, voilà. Et du coup, il y a quelque chose presque...
09:21 Comment faire sentir à quelqu'un qu'il est complètement...
09:25 Te désigner comme l'élu.
09:27 Voilà.
09:28 Donc, dans le fond, au bout d'un moment, tu penses que tu ne peux plus faire un pas devant l'autre sans cette personne.
09:32 Donc, c'est à la fois ton maître et ta béquille.
09:36 Et quand tu es très, très jeune et qu'en plus, c'est le même milieu et que tout ta vie, ton art, tout se retrouve complètement imbriqué.
09:48 L'emprise, elle est tellement puissante parce que dans le fond, il n'y a pas d'échappatoire dans le fond.
09:56 C'est-à-dire que ton milieu valide ce que tu vis chez toi avec quelqu'un qui est de ton milieu.
10:01 Donc, en fait, où que tu regardes, tout va dans la même direction.
10:05 Est-ce qu'il y a un moment où concrètement, elle te dit "je veux qu'on se mette en couple"?
10:09 Non, non, pas comme ça.
10:11 Non, non, non. C'est beaucoup plus construit de façon bien plus mise en scène.
10:16 À partir de quand votre relation ne devient plus du tout un secret médiatique?
10:21 Je veux dire que même les médias, tu disais tout à l'heure, ils s'en emparent et que ça devient un peu normal.
10:25 Ça n'a jamais été un secret.
10:26 OK. C'est-à-dire que même après le film, la promo du film, les médias se disent "ah oui, ils sont ensemble".
10:32 Bah ouais. Mais non, oui, oui, j'étais au festival de l'Ocarno en couple. J'avais 15 ans, je crois.
10:42 En tout cas, vous ne vous cachiez pas.
10:44 Non, ça n'a jamais été un secret.
10:46 OK. Et l'histoire, elle va assez loin parce que vous achetez même une maison ensemble.
10:50 T'as 14 ans, tu te mets en couple avec un homme de 40 ans.
10:53 Comment ça se passe, les avis de tes parents? Quelle est ta situation parentale à ce moment-là?
10:59 Je pense que ma mère, elle n'avait pas vraiment son mot à dire. Elle n'arrivait pas à le dire, en tout cas.
11:04 Elle n'était plus... Elle s'occupait... J'y vais avec mon père.
11:08 Elle ne se sentait plus forcément légitime sur ton éducation?
11:11 Ouais, ouais.
11:12 Parce qu'elle était partie avant?
11:13 Oui.
11:14 Parce que vous en avez discuté à ce moment-là? Il y a eu une confrontation?
11:17 Non.
11:18 Tu n'auras pas dit "je suis en couple avec lui"?
11:20 "Tout le monde le savait, mes parents le savaient".
11:23 Dans le fond, moi, je n'ai aucun souvenir de qui que ce soit qui...
11:29 Même pas un souvenir. Je ne pourrais même pas te citer une personne.
11:33 Il n'y a eu aucune mise en garde? Personne qui t'a dit "méfie-toi"?
11:37 Pas une seule personne.
11:39 OK. Comment légalement, c'est possible que tu puisses acheter une maison avec lui? Là, t'as quoi, t'as 15 ans?
11:44 Ouais, j'ai été émancipée.
11:46 OK. Ça veut dire quoi, concrètement?
11:48 Ça veut dire que tu vas devant le juge des tutelles et que tes parents remplissent un dossier pour que tu deviennes majeure,
11:57 pour que tu puisses avoir accès à ton argent qui est à la Caisse des dépôts et consignations.
12:02 OK.
12:03 Parce que je travaillais depuis que j'avais 9 ans.
12:05 OK.
12:06 Et cet argent était nécessaire pour l'achat de cet appartement.
12:10 Ça veut dire que tu t'installes, t'as 15 ans.
12:12 C'est la première fois que tu es en couple, c'est la première fois que tu vis avec quelqu'un à 15 ans, avec un homme de 40.
12:19 Je n'arrive pas à imaginer votre vie à deux. Qu'est-ce que vous racontez?
12:23 C'est quoi le quotidien?
12:25 On parle d'Apollinaire.
12:27 Ouais. En fait, c'est ça qui vous lie, en fait, ça?
12:30 Non, tu sais, c'est comme deux adultes, en fait. Sauf qu'il y en a un qui n'en est pas un.
12:36 En fait, t'as pas l'impression que c'est comme un deuxième père à ce moment-là? Il se met dans ce rôle-là?
12:40 À ce moment-là, je peux pas me le dire, je peux pas me le formuler, mais je pense que de toute façon, je suis passée d'un père à un autre, forcément.
12:46 Oui, bien sûr. Je pense que si j'avais vécu avec mes deux parents dans un contexte différent et dans un contexte où je...
12:54 Oui, je pense que je suis passée d'une figure paternelle à une autre, bien sûr.
12:58 Est-ce que après coup, sur le coup, même avec le recul, il y a des moments pendant cette relation où tu te dis mais ce moment-là, mais c'est pas normal, en fait.
13:08 Ça n'avait aucun sens. Comment j'ai pu vivre ce moment-là?
13:10 Non, bien sûr. Oui, oui, bien sûr. Pendant cette relation et... Mais c'était des moments dont je pouvais pas parler à personne.
13:22 Je peux même pas en parler encore aujourd'hui pour toutes sortes de raisons.
13:26 Et oui, il y a des choses dont je sais que c'était absolument pas... Oui, oui, évidemment.
13:33 Il y a des choses qui étaient absolument pas acceptables, mais dont je ne parlais à personne ou quasiment à personne.
13:46 Comment réagissent les gens dans le milieu du cinéma? Est-ce qu'à ce moment-là, parce que j'imagine qu'il y a des soirées qui sont chez vous...
13:53 Non, non, non. Ah non, d'accord. Vous recevez jamais de personne? Non. Ah, ok.
13:59 Ça veut dire quoi? J'avais pas d'amis et personne ne venait jamais à la maison.
14:02 Et t'as la sensation que c'est... J'ai une idée. La réponse, c'est lui qui a aussi fait en sorte de t'isoler,
14:09 qui est souvent un truc de manipulation où on isole un peu la personne, on la coupe un peu de tous ses liens sociaux.
14:15 Bah en fait, j'avais pas de liens sociaux. Enfin, presque pas, parce que j'ai quitté l'école à 14 ans.
14:22 C'était mon lien social, en fait, et ses amis à lui.
14:25 Donc tu rencontrais quand même ses amis à lui? J'avais une amie d'enfance qui est venue à la maison, je crois, une fois, quand il était pas là.
14:30 Ok. En cachette, du coup? Ouais. Et donc à ce moment-là, tu te dis, bon, il y a quand même... C'est peut-être pas normal, quoi.
14:37 Non, non. Les trucs pas normaux étaient bien plus graves. Non, à ce moment-là, je me dis, c'est les règles de la maison.
14:46 C'est comme ça qu'on vit. Et est-ce que tu rencontres sa famille à lui? Non, jamais.
14:53 Tu lui demandes à un moment de dire, bah peut-être si on est en couple, peut-être je peux rencontrer mes beaux-parents.
14:58 Ce qui paraît très logique, en fait. Et lui, il te touche.
15:04 Ouais, c'est un truc que je crois que j'ai dû exprimer plusieurs fois parce que j'ai toujours eu un peu ce truc de me demander.
15:11 Mais ça n'allait jamais très loin dans mon esprit. On le sent bien dans la série, c'est-à-dire que le personnage, mon personnage enfant,
15:20 il y a quand même ce truc très présent, l'idée d'être à la hauteur.
15:26 T'avais peur de le décevoir? Ouais. Ce qui fait qu'une question où tu sentais que ça ne l'arrangeait pas ou que ça l'énervait,
15:32 tu préférais la mettre de côté pour ne pas créer de problème plutôt que d'insister. Combien de temps elle dure, cette relation?
15:39 Écoute, en tout cas, j'avais 14 ans et après 19 ou 20.
15:49 En fait, comment ça se finit concrètement? Ça se finit comme une histoire normale de "on s'aime plus" ou est-ce que toi, en grandissant,
15:54 tu te rends compte qu'il y a quelque chose qui ne va pas ou il y a un clash?
15:58 C'est en grandissant, c'est en... Dans le fond, la vraie émancipation, elle est bien, bien, bien, bien plus tard.
16:04 J'ai l'impression que c'est un pattern qu'il y a beaucoup dans des relations de manipulation, il y a un ascendant, c'est-à-dire que même quand la relation est finie,
16:10 l'ascendant existe encore. Bien sûr. Est-ce que toi, t'arrives à savoir combien de temps t'as mis réellement à te détacher de cette personne-là?
16:18 Moi, je crois que je suis toujours... En fait, l'ascendant a toujours été présent, présent, de manière différente.
16:26 Ensuite, la vraie différence aujourd'hui, c'est ce qui s'est passé avec ma fille. Ce que je veux dire, c'est que c'est parce que Tess a eu 15 ans ou parce que j'ai une fille.
16:39 Je ne sais pas sinon si aujourd'hui je pourrais même... Si j'arriverais à même à formuler le fait que ce qui m'est arrivé n'est pas normal, si je n'avais pas eu ma fille.
16:53 Comment on fait confiance aux hommes après une situation comme ça, une relation qui a été aussi intense et puis assez longue sur ton pré-adolescence et début de l'âge adulte?
17:05 C'est drôle parce que je me suis plus ou moins enfuie. En tout cas, je suis partie avec quelqu'un qui avait une moto, une guitare, qui faisait de la musique qui n'avait rien à voir avec ce qu'on écoutait,
17:18 qui était un peu le contraire. C'était un peu la crise d'adolescence, mais je suis allée vers l'anti... vers le contraire de cette personne.
17:28 Je me suis... Je n'ai plus jamais été avec un intellectuel.
17:34 OK.
17:35 Tous les gens qui vont m'écouter vont se dire "bon d'accord".
17:39 C'est sympa pour tous les ex qu'on suivit.
17:42 Non, mais le stéréotype de l'intellectuel, du cinéma d'auteur, enfin voilà, le metteur en scène, cinéma d'auteur, post Nouvelle Vague, Crème de la Crème, quoi qu'il fasse, il fait la couverture, il laisse son article dans l'idée.
17:59 J'ai pas été ensuite avec quelqu'un comme ça. J'étais plutôt dans une forme de d'anti...
18:06 Oui, parce que ça, on peut le dire parce que c'est public, mais derrière, t'as eu d'ailleurs ta fille avec Maurice Barthélémy et ton fils avec Danny Boon, qui en effet, deux humoristes qui, je pense, sont un peu l'anti cinéma d'auteur pour le coup.
18:17 On passe d'un univers social à un autre, en tout cas.
18:20 Ensuite, les gens dans leur intimité ont tous des personnalités différentes, mais en tout cas, le monde dans lequel tu évolues, les gens avec qui tu vas dîner ou les trucs que tu fais n'ont plus rien à voir.
18:31 Moi, j'ai dû couper tout, j'ai dû quitter la gent avec qui j'étais.
18:34 J'ai dû... J'étais très difficile pour moi parce qu'en plus, c'était une figure maternelle et j'étais très forte dans ma vie.
18:40 Parce que c'était une de ses amies ?
18:42 C'est lui qui me l'avait présenté, quand j'avais 14 ans. Et donc, j'avais aucun désir de la quitter.
18:49 Enfin, professionnelle, c'était une agent, une très, très bonne agent et quelqu'un que j'aimais, pour qui j'avais beaucoup d'estime, enfin, comment dire, dont la vie m'importait beaucoup.
19:01 Mais pour arriver à le quitter, j'ai dû la quitter elle aussi.
19:05 Cet homme, il est encore vivant aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas encore la dernière chose qui fait que tu te sens encore un peu enchaîné ?
19:13 Il y a des moments où tu te dis même "merde, est-ce que je suis en train de m'attaquer ou de m'attaquer ?".
19:19 Je n'ai même pas le sentiment de m'attaquer puisque je ne suis pas dans un réquisitoire, je ne suis pas dans un truc de revanche.
19:25 Mais c'est vrai que tu te dis "bon, j'ai raconté cette histoire qui, moi, me semble être absolument inadmissible".
19:31 Enfin, qu'il y a un endroit où tu peux faire des films avec des jeunes femmes et faire des magnifiques films sans coucher avec elles.
19:39 Et malgré tout, même la série est sortie et tout. Et dans le fond, l'agence en question représente toujours cette personne.
19:45 Rien ne bouge.
19:46 Il y a des journalistes qui ont essayé de joindre l'agent en question, qui ne répondent pas.
19:50 Parce que dans le fond, je me dis que ça veut dire que le système n'a pas envie que je sois là. Il n'a pas envie que je parle.
19:55 Et que moi, je reviens aussi en France avec cette série, que dans le fond, mon agent aimerait bien ma nouvelle agent.
20:02 Enfin, ma nouvelle, elle n'est pas nouvelle, mais tu vois, les gens avec qui je travaille aujourd'hui,
20:06 et qui m'aiment et qui apprécient ce que je fais, et qui ont envie que je bosse, ils n'ont peut-être pas envie qu'on m'enterre immédiatement.
20:13 Parce que tu as l'impression potentiellement d'avoir trop ouvert ta gueule, en gros, et de te dire "le cinéma, c'est terminé".
20:19 Ah bah ouais, bien sûr. On me dit tous les jours "fais attention, dis pas ça".
20:25 "Ça, il faut que tu parles à un avocat pour savoir si tu as le droit de le dire. Ça, ne le raconte pas".
20:31 Pardon.
20:35 Pas de souci.
20:36 Et on ne m'a pas déroulé le tapis rouge en me disant "ne t'inquiète pas, on est tous là à te soutenir".
20:46 Les gens de mon enfance qui sont encore dans le métier, qui ne m'ont pas écrit.
20:52 C'est plus la nouvelle génération de cinéastes. Les gens de mon enfance et de ma jeunesse, j'ai peut-être reçu deux messages en tout.
21:03 Et je crois que dans le fond, il doit y avoir une pudeur, il doit y avoir un malaise.
21:09 Mais il se trouve que je n'ai pas non plus le sentiment d'avancer en roulant des mécaniques et de me sentir avec une forme d'armure ou d'être à la tête d'un convoi avec tout le monde qui dit "ouais, ouais".
21:26 J'ai quand même, je me dis "bon, voilà, j'ai raconté mon histoire dans cette série et elle fait son chemin".
21:36 Et elle marche plutôt bien.
21:38 Voilà.
21:39 Parce que là, au moment où on parle, il y a plus d'un million de spectateurs, donc c'est quand même assez fou.
21:43 C'est un sujet qui est fil conducteur à l'essai, les séquences. Il y a plein de séquences entre des moments très drôles, mais je te l'avais dit après avoir regardé la série.
21:50 Ouais, c'est ça. Je me dis que si c'est ça qui est... Enfin, c'est pas embêtant, mais c'est forcément que le sujet dont je parle toujours, c'est ça.
21:57 Et que du coup, tout le côté comédie... Je suis sûre qu'il y a des gens qui se disent "oh la la, je vais pas aller regarder".
22:02 Oui, la série n'est pas du tout lourde à regarder.
22:04 Voilà.
22:05 Et au contraire, je trouve que ça rend tous ces moments de flashback, du coup, ça les rend encore plus pertinents et encore plus forts.
22:11 Qu'est-ce que l'adulte que tu es aujourd'hui dirait à cette Judith de 14 ans ?
22:16 "Mets tes baskets et cours aussi vite que tu peux".
22:21 Tu l'aurais écouté ?
22:23 Je pense, ouais.
22:28 Ouais.
22:29 Le bon adulte, je l'aurais écouté, ouais.
22:31 Si à l'époque, un adulte, juste un adulte, avait dit "il faut t'en aller"...
22:35 Pas juste un adulte, mais le bon adulte, ouais.
22:38 C'était un plaisir de te recevoir.
22:40 Merci.
22:41 Et puis voilà, j'espère que les gens vont aller le voir. De toute façon, dans la description, je mets le lien pour aller voir ta série.
22:45 Génial.
22:46 Et on attend une saison 2 peut-être, ou une autre série.
22:49 Ouais, plutôt une autre série à mon avis.
22:51 Trop bien. Merci beaucoup.
22:52 Merci à toi.
22:53 Merci à toi.
22:54 Merci.
22:56 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
23:00 "Tout ceci est une récité en espérant que tu aies appris à t'en aller" - M. Le Pen

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