• il y a 8 mois
Jean-François Ricard, procureur national anti-terroriste, s'apprête à quitter ses fonctions, ayant atteint la limite d'âge. Premier magistrat à occuper ce poste depuis la création du parquet en 2019, il dresse un bilan de l'état de la menace terroriste en France.

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Transcription
00:00Il est 7h48, Sonia Devillers, votre invitée ce matin dirige le parquet national anti-terroriste depuis 2019.
00:08Et ce procureur, qui fut le premier en France à occuper ce poste, va quitter ses fonctions dimanche prochain,
00:15c'est la limite d'âge qui s'approche, pour qu'on comprenne bien, il dirige une équipe de 30 magistrats,
00:20chargés de déclencher les enquêtes, d'engager les poursuites judiciaires, de saisir les juges d'instruction
00:25et de soutenir l'accusation lors des grands procès en matière de terrorisme.
00:29Bonjour Jean-François Ricard.
00:31Bonjour.
00:32Depuis que le plan Vigipirate a été rehaussé au niveau urgences attentats le 25 mars dernier,
00:37que pouvez-vous nous dire de la menace terroriste à ce jour en France ?
00:41La principale menace terroriste aujourd'hui en France reste la menace endogène,
00:46c'est-à-dire l'individu qui se trouve déjà sur notre territoire.
00:51Il faut simplement se souvenir que depuis que le parc antiterroriste existe,
00:55c'est-à-dire bientôt 5 ans, nous avons pu éviter 19 attentats,
00:59tous issus de cette menace endogène.
01:02Mais ce qui a changé depuis quelques mois, depuis un an et demi environ,
01:07c'est la résurgence d'une menace exogène, c'est-à-dire d'une possibilité d'action projetée.
01:13Action projetée, on s'en souvient lors des attentats du Bataclan notamment,
01:18mais on peut également se soucier d'une telle opération aujourd'hui.
01:23Pourquoi ? Parce qu'il y a un certain nombre d'individus qui sont en liberté dans le nord-ouest syrien
01:28et qui sont issus de notre pays.
01:30D'autres se trouvent dans les pays du Maghreb après avoir quitté la zone iraco-syrienne.
01:36Ils peuvent évidemment revenir sur le territoire européen via l'Espagne ou par d'autres biais.
01:42Et puis, tout le monde en parle depuis quelques temps,
01:45c'est la fameuse menace de l'État islamique au Khorasan,
01:48c'est-à-dire dans cette région globalement, pour faire court, autour de l'Afghanistan.
01:53C'est le retour de l'État islamique ?
01:55C'est une autre forme de l'État islamique, c'est une des branches de l'État islamique
01:58qui se réorganise et qui n'a plus son centre uniquement en zone iraco-syrienne
02:03mais également à partir de cette région beaucoup plus lointaine
02:07et qui peut actionner des individus soit originaires d'Asie centrale,
02:12on a beaucoup parlé d'individus venant du Tadjikistan par exemple,
02:15soit ou en lien avec les précédents du Nord Caucase, par exemple du Daguestan ou Tchétchénie.
02:21Alors, le ministre de l'Intérieur a organisé une réunion d'urgence la semaine dernière
02:24suite à des menaces de l'État islamique justement visant plusieurs matchs de la Ligue des champions.
02:28Est-ce qu'on peut dire que cette menace terroriste va grandissante, chaque jour grandissante ?
02:34Je ne dirais pas qu'elle y va grandissante mais je dis qu'elle est sérieuse et qu'il faut la considérer comme telle.
02:39Est-ce qu'Emmanuel Macron a évoqué hier matin des scénarios de repli
02:45pour la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques prévus sur la scène ?
02:50Est-ce que concrètement il y a des menaces qui visent les Jeux olympiques ?
02:54Il n'y a pas concrètement des menaces, c'est-à-dire que ces groupes-là ne vont pas dire
02:58nous allons frapper tel jour, à telle heure, à tel endroit.
03:00Mais il y a une menace globale qui est à prendre tout à fait au sérieux.
03:03Il suffit de voir ce qui s'est passé à Moscou pour le comprendre aisément.
03:07Est-ce qu'il y a, comment dire, ça c'est la menace d'origine djihadiste,
03:12mais est-ce qu'il y a d'autres menaces terroristes issues d'autres mouvances ?
03:16L'extrême droite par exemple, pas seulement.
03:18La menace de type djihadiste reste de très loin la menace principale et elle est prise très au sérieux.
03:24Mais à côté, il y a effectivement une menace d'ultra-droite sur laquelle nous travaillons depuis plusieurs années
03:30puisque une douzaine de dossiers ont été ouverts.
03:33Plusieurs condamnations lourdes, notamment devant la cour d'assises, ont été prononcées
03:38contre les individus issus de cette menace qui préparait des actions violentes sur notre territoire.
03:43Et c'est aussi une menace sur laquelle nous sommes particulièrement attentifs.
03:46Qu'est-ce qu'un attentat Jean-François Ricard ?
03:48Je vous pose la question parce qu'il y a quelques jours à Bordeaux,
03:51un afghan a poignardé deux Algériens.
03:53Il reprochait à ses victimes de boire de l'alcool le jour de l'Aïd.
03:56Dans ce crime, le motif est objectivement religieux, il est donc idéologique.
04:01Pourquoi n'avez-vous pas retenu la qualification d'attentat ?
04:04Ça a fait débat.
04:06La qualification terroriste de certains faits est une qualification restrictive.
04:10On ne peut pas et on ne doit en aucun cas retenir une qualification terroriste pour n'importe quelle action violente.
04:17Il ne suffit pas d'avoir une motivation politique ou religieuse
04:21pour que les faits commis puissent être considérés comme terroristes.
04:25Il faut la volonté d'adhérer à une entreprise
04:29ayant pour finalité de troubler l'ordre public par intimidation ou par terreur.
04:34C'est une qualification exigeante, difficile,
04:37et il faut, si je peux employer une expression familiale,
04:40rester dans les clous, c'est-à-dire respecter le droit.
04:43Si on commence à vouloir dépasser cette qualification,
04:48on peut porter atteinte aux libertés et c'est particulièrement dangereux.
04:51Donc depuis des années, le parc anti-terrorisme reste extrêmement vigilant
04:55sur le respect strict de ces exigences juridiques.
04:58On a vu récemment des personnes mises en examen très jeunes,
05:01très très jeunes, dans des dossiers de terrorisme.
05:03Est-ce que vous diriez que c'est un phénomène récent ?
05:06Est-ce que vous diriez que vous êtes de plus en plus confronté à des mineurs ?
05:10C'est exact.
05:12C'est un phénomène qui date d'environ un an, un an et demi.
05:16Et pour vous donner un chiffre, au cours de l'année 2023,
05:19nous avons à douze reprises demandé la mise en examen
05:24de mineurs pour des projets d'action violente déjà assez finalisés.
05:29Des mineurs de quel âge ?
05:31Des mineurs qui souvent ont entre 15 et 17 ans.
05:34Et effectivement, il y a d'une part la présence de mineurs dans ces dossiers-là,
05:38et puis d'autre part le fait qu'il s'agisse de mineurs de plus en plus jeunes.
05:41Comment vous l'expliquez ?
05:43C'est quelque chose de tout à fait nouveau.
05:44Alors d'abord, il faut être prudent.
05:45Nous sommes sur des petits chiffres.
05:47Je parle de 12.
05:48Dans les années précédentes, il y en avait simplement 3 ou 4.
05:51Mais vous voyez quand même, passer de 3 ou 4 à 12,
05:53c'est un phénomène qu'il faut souligner.
05:55Est-ce que c'est un phénomène qui se maintient aujourd'hui en 2024 ?
05:59Pour l'instant, oui.
06:00S'agit-il véritablement d'une nouvelle génération qui est en train d'apparaître ?
06:04Je l'ignore.
06:05Il faudra attendre un peu plus longtemps quand même pour le savoir.
06:08Les motifs de cette nouveauté, si l'on peut dire la nouveauté de ce phénomène,
06:13tiennent-ils à la présence d'une génération qui n'a connu que le numérique
06:18et qui vit énormément dans le numérique,
06:20qui fait ses relations uniquement à travers le numérique
06:23et qui a une consommation du numérique extrêmement violente,
06:28puisque ce sont des gens qui se gavent,
06:31on peut dire que le terme est extrêmement violent,
06:33mais se gavent d'images épouvantables,
06:36notamment des vidéos de l'État islamique,
06:39des vidéos de décapitation par exemple.
06:41Est-ce que c'est cela qu'ils sont habitués à l'ultra-violence ?
06:44Donc c'est un phénomène que vous mettez en lien quand même avec le regain,
06:47le retour de l'État islamique en matière de propagande et d'impact ?
06:50Cette idéologie-là n'a pas disparu.
06:53Elle est encore très forte et effectivement, vous avez tout à fait raison,
06:56on la remarque chez des jeunes, très jeunes,
06:58qui n'ont pas connu l'État islamique dans l'état où il se trouvait,
07:02c'est-à-dire il y a une dizaine d'années.
07:04L'affaire de Birakem récemment,
07:06des coups de couteau donnés pas très loin d'ici,
07:09là nous sommes à la maison de la radio,
07:11a montré les limites peut-être des suivis des sortants de prison.
07:15Que diriez-vous des individus, monsieur le procureur,
07:17qui sont passés entre les mains de la justice,
07:19qui ont été incarcérés, qui ont purgé leurs peines
07:22et qui sont libérés ?
07:23Est-ce qu'ils constituent des menaces ?
07:25Est-ce que la prison joue son rôle en France ?
07:28C'est un des sujets les plus difficiles.
07:31Le parc anti-terroriste suit environ 500 condamnés.
07:35Un peu plus de la moitié sont encore en détention
07:38et les autres sont en milieu ouvert.
07:40Toute une série de mesures sont mises en œuvre
07:43pour assurer le suivi, mais pendant un temps limité,
07:47le suivi le plus strict par des séries d'obligations,
07:50voire d'interdictions.
07:51Mesures judiciaires, mesures administratives également
07:54qui sont prises par ailleurs.
07:55L'individu qui est l'auteur des faits commis au pont de Birakem
07:58n'était plus sous surveillance judiciaire.
08:02Les délais s'étaient écoulés.
08:04Le risque de récidive est tout à fait sérieux
08:07pour un certain nombre d'entre eux.
08:09Il s'agit d'un véritable sujet tout à fait sérieux.
08:11Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité
08:14sont aussi de votre ressort, Jean-François Ricard.
08:17Vous rentrez tout juste de Kigali au Rwanda
08:19où l'on commémore le génocide Tutsi.
08:21Le seul Français abrite des complices de ce génocide
08:24que notre justice poursuit encore 30 ans après.
08:27Combien de personnes ont été condamnées à ce jour
08:31et combien de dossiers sont en cours ?
08:33Ce qui a totalement changé depuis trois ans,
08:35c'est que la France juge.
08:37Enfin, la France juge des individus
08:41qui vivaient tranquillement sur notre territoire,
08:44parfois depuis des années,
08:46et qui étaient impliqués dans un génocide,
08:48voire dans d'autres crimes contre l'humanité
08:50qui ont pu être commis sur d'autres théâtres.
08:53La France juge.
08:54La France a jugé déjà cinq affaires de ce type.
08:58Il y en aura encore deux autres qui seront jugées
09:01d'ici la fin de l'année.
09:02C'est un véritable changement
09:04puisqu'il n'y avait pas eu de jugement de première instance
09:07en matière de crimes contre l'humanité depuis 2016.
09:10Merci Jean-François Ricard.

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