Violence chez les jeunes: l'interview de Jean-Marie Vilain et Béatrice Brugère

  • il y a 5 mois
Jean-Marie Vilain, maire de Viry-Châtillon et Béatrice Brugère, secrétaire générale d'Unité Magistrats FO, sont les invités de BFMTV-RMC ce mardi.

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00:00 Il est 8h32, vous êtes bien sûr à RMC et BFM TV avec deux invités ce matin pour revenir sur la question de la violence des jeunes
00:07 et du durcissement voulu par la justice. On va analyser ça avec vous, Monsieur le Maire, bonjour.
00:12 - Bonjour. - Vous êtes maire de Viry-Châtillon, Jean-Marie Villain.
00:16 On se souvient de votre émotion immense lorsque, dans votre commune,
00:21 Shamsiddine a été tabassée à mort pour ce qu'ils ont appelé un crime d'honneur.
00:27 On va revenir avec vous sur ce terme que vous refusez, évidemment.
00:31 Et vous, Béatrice Brugère, bonjour. - Bonjour.
00:33 - Vous êtes secrétaire générale d'unité magistrat FO et vous publiez d'ailleurs un livre qui s'appelle "La colère monte, la colère gronde".
00:40 Et vous dites qu'il y a un décalage entre la justice telle qu'elle est rendue et les attentes des Français,
00:46 un véritable besoin de justice qui n'est pas assouvi.
00:51 Je voudrais revenir donc sur ces annonces. Il faut apprendre aux enfants à différencier le bien du mal.
00:56 Voilà ce que vous disiez, monsieur le maire, au moment de la mort de Shamsiddine.
01:00 Le ministre de la Justice avait dit qu'il fallait durcir la justice pour les jeunes, mais aussi pour leurs parents.
01:07 On va y revenir, pénaliser les parents.
01:11 Mais, monsieur le maire, quand vous dites qu'il faut apprendre aux enfants à différencier le bien du mal,
01:15 comme vous avez dit, sous le coup de l'émotion, il va falloir se réapprendre aussi, nous, à vraiment punir, à vraiment être forts, à être fermes aussi.
01:25 Ce n'est pas pour être méchant avec eux, disiez-vous, c'est pour leur apprendre que dans la vie, il y a des choses bien et il y a des choses mal. On en est là.
01:33 Oui, tout simplement. C'est pour ça que le lien avec les parents est important, parce qu'un enfant, il naît, il a des parents, une maman,
01:42 et il ne connaît pas forcément tout. Il y a des valeurs qu'il doit apprendre.
01:49 Et encore une fois, les valeurs, ce n'est pas un gros mot. Et quand je parle de valeurs, c'est effectivement ce bien, ce mal, le respect des autres,
01:56 parce que toute la vie en société tourne autour de ça. Si on ne se respecte pas dès qu'on est à la maternelle, comment voulez-vous que plus tard on se respecte ?
02:02 Mais de la même façon, il est important aussi que les parents prennent leurs responsabilités.
02:10 C'est tellement dur de voir qu'on est devant une école, devant les 21 écoles de Viry-Châtillon et de France et de Navarre, d'ailleurs,
02:17 parce que ce n'est pas spécial à Viry, que des parents arrivent à vouloir déposer leur gamin quasiment dans la classe en voiture,
02:23 parce qu'il ne faut surtout pas qu'il fasse 5 mètres et qu'il se garde n'importe comment.
02:27 En fait, ça commence là, le respect des règles.
02:30 Comment voulez-vous que des enfants qui voient leurs parents se comporter de cette façon-là sur la route, dans la vie, puissent eux-mêmes avoir un comportement exemplaire ?
02:38 C'est quasiment impossible.
02:39 On parle évidemment d'une ultra-violence. Je ne sais pas d'ailleurs si vous le reprendriez, monsieur le maire.
02:44 Oui, bien sûr. On voit bien. Comment voulez-vous comprendre qu'on donne des coups avec ses mains, avec ses pieds, dans un corps humain ?
02:52 Le corps humain, il est super fragile. Même un colosse, même David Douillet, même Teddy Riner, si on lui tape dessus sans qu'il réponde, forcément à un moment donné, son corps va...
03:02 Il avait 15 ans, Shams Eddin. Et effectivement, juste après, vous aviez dit, vous aviez eu ces mots, ils l'ont massacré, véritablement massacré.
03:09 Béatrice Brugère, la question des peines pour ces jeunes. Vous-même, vous le dites, il y a un décalage aujourd'hui.
03:21 Les jeunes, d'abord, est-ce que vous reprendriez ce mot aussi d'ultra-violence ?
03:24 Oui, bien sûr.
03:25 Oui ?
03:26 Tout à fait. Alors après, elle est marginale, c'est ça. C'est-à-dire qu'il faut faire attention aux généralisations.
03:30 Il existe en effet une frange de mineurs qui sont ultra-violents, qui correspond de toute façon à une évolution peut-être plus globale de la société.
03:39 Qui est une société française assez fracturée, avec des tensions très fortes.
03:43 Mais simplement, pour venir sur la justice des mineurs, parfois, il y a un peu un quiproquo.
03:49 C'est-à-dire que la justice des mineurs, elle a deux vocations.
03:52 A la fois, la première, c'est de protéger les mineurs qui peuvent être en danger.
03:56 Et on a tout ce côté-là, protection du mineur victime.
04:00 Et c'est le même juge, sous une autre casquette, et c'est pour ça que parfois, on a du mal à comprendre un petit peu l'action de la justice.
04:07 Elle est aussi là pour rappeler ce que vient de dire Monsieur tout à fait, l'interdit.
04:11 C'est-à-dire qu'elle vient dire aux mineurs, lorsqu'ils dépassent les règles, ça c'est possible, ça c'est pas possible.
04:18 Or aujourd'hui, on a une situation qui a énormément évolué.
04:22 Alors c'est sans doute lié aussi à une situation générale de la société.
04:26 Vous parlez d'une délinquance ancrée désormais beaucoup plus jeune, avec des fois beaucoup plus grave, et qu'il faut donc changer de méthode.
04:33 Oui, parce qu'en fait, au sortir de la guerre, on a eu un code, qui est l'ordonnance de 45,
04:39 qui a été réformé il y a deux ans, qui est le code de justice pour les mineurs,
04:43 qui en fait s'est adapté à une situation qui est très différente de celle d'aujourd'hui.
04:49 On était sur la reconstruction...
04:51 La justice telle qu'elle est aujourd'hui pour les mineurs n'est plus en adéquation avec la situation.
04:55 En fait, on a, et c'est pas mal d'ailleurs, c'est bien, un primat de l'éducatif sur le répressif.
05:00 Or, aujourd'hui, il faut prendre en compte la réalité du terrain.
05:03 Et c'est ça qui manque, et d'ailleurs, même dans l'élaboration des lois, c'est qu'on n'a pas d'analyse criminologique.
05:10 On ne prend pas assez en compte cette petite marge de jeunes, en tout cas, cette petite frange de jeunes extrêmement violente.
05:17 Par exemple, je vous donne un exemple qui est assez intéressant, c'est que dans les statistiques,
05:21 on s'aperçoit que l'augmentation la plus forte concernant les mineurs,
05:26 ce sont les viols de mineurs sur mineurs par rapport aux viols des majeurs.
05:31 Vous voyez, c'est un espèce d'angle mort de la pensée.
05:34 De policiers, de collégiens entre eux.
05:36 Oui, et c'est même de plus en plus jeunes, c'est-à-dire même beaucoup plus jeunes.
05:40 C'est-à-dire que presque dès la maternelle, on a des agressions sexuelles.
05:44 Dès la maternelle, il y a déjà des attouchements qui commencent.
05:50 Ce qui veut dire quand même qu'un enfant de la maternelle ne découvre pas ça comme ça.
05:56 Quelque part, soit il y a quelque chose qu'il a découvert à la maison,
06:00 ou quelque part, ce n'est pas naturel d'avoir des gestes déplacés de cette façon-là.
06:05 Mais si vous réagissez comme ça, M. le maire, ça veut dire que c'est quelque chose dont vous avez une connaissance.
06:10 Parce que oui, il y a eu... Non, ce n'est pas tous les jours qu'on en entend parler.
06:15 Mais j'ai eu connaissance dans les dix ans de mon mandat, oui, de faits de ce type-là.
06:19 En réalité, ça va mettre sans doute en lien, c'est pour ça que je parle d'analyse et d'étude.
06:23 Il faut investir le champ aussi de l'étude et de la documentation.
06:26 On ne peut plus raisonner sur des principes qui ne correspondent plus à la réalité.
06:30 C'est sans doute à mettre en place avec, bien sûr, une déstructuration de certaines familles,
06:34 mais l'hyperviolence sans doute sur laquelle les enfants sont confrontés, y compris sur les réseaux.
06:39 L'hypersexualisation aussi, il y a sans doute la pornographie, des choses à mettre en lien,
06:44 qui fait qu'aujourd'hui, on a des phénomènes qui sont nouveaux.
06:47 Vous avez des nouvelles infractions aussi qui sont liées à notre époque.
06:50 Le cyberharcèlement, ça n'existait pas il y a 50 ans, parce que vous n'aviez pas les moyens technologiques.
06:55 Le revenge porn, comme on connaît, vous savez, où des jeunes filment d'eau...
07:00 - Les revenge porn, ce sont ces photos ou ces vidéos qui sont prises lors de relations intimes ou même de force,
07:07 qui sont ensuite diffusées sur les réseaux sociaux.
07:10 - Exactement, et qui sont d'une violence inouïe.
07:12 C'est-à-dire qu'on peut forcer un adolescent un peu à se déshabiller, à être filmé,
07:16 et on l'envoie à toute la classe, à tout l'établissement.
07:18 Vous imaginez, c'est d'une violence extrême.
07:20 Donc tous ces nouveaux délits, ces retours par exemple aussi au niveau pénal,
07:24 des bandes qui sont liées au narcotrafic, avec des règlements de compte extrêmement jeunes,
07:31 avec quand même une présence d'armes très importante, où des mineurs utilisent des armes,
07:36 voire des armes de guerre, avec des règlements de compte,
07:39 et des choses extrêmement barbares parfois, font qu'aujourd'hui,
07:43 nous sommes obligés de prendre en compte cette nouvelle réalité criminelle.
07:47 Moi, je pense qu'on a tort de le nier, et on a tort sinon de la généraliser.
07:52 C'est-à-dire qu'il ne faut ni la nier, ni la généraliser.
07:55 - Il faut dire les choses comme elles sont, de la manière la plus juste possible.
07:57 - Oui, en fait, ça concerne une petite frange de mineurs.
08:00 Et puis on a une autre difficulté aujourd'hui, si je puis me permettre après,
08:03 sur ce panorama qui n'est pas toujours très réjouissant.
08:06 On a aussi ce qu'on appelle les mineurs non accompagnés,
08:10 qui sont aujourd'hui aussi un enjeu criminel, qui ne sont pas ignorés,
08:13 et sur lequel on n'arrive pas...
08:15 - Alors les mineurs non accompagnés, précisons bien de quoi il s'agit.
08:17 Et effectivement, aujourd'hui, ils prennent une grande part des places
08:21 qui sont normalement attribuées aussi aux enfants placés,
08:24 notamment dans les foyers d'aide sociale à l'enfance.
08:26 Ce sont donc des jeunes migrants, sans parents.
08:30 - Alors, déclarés sans parents, parce que parfois, ce n'est pas tout à fait vrai,
08:33 mais parfois, ils ne sont pas vraiment mineurs, d'ailleurs.
08:35 C'est la deuxième difficulté.
08:37 - Et la troisième difficulté, c'est qu'une petite partie de ces mineurs,
08:40 c'est toujours pareil, il faut être extrêmement précis,
08:42 sont enrôlés aussi dans des groupes criminels,
08:45 qui leur font faire des délits.
08:46 Il faut comprendre qu'en France...
08:48 - Et là, il y a à la fois la question de l'accompagnement de ces mineurs,
08:50 et puis, il y a la question de la justice.
08:53 Comment rendre justice sur des mineurs qui n'ont parfois pas d'identité ?
08:58 C'est très compliqué.
08:59 - Tout à fait. Par exemple, juste pour finir là-dessus,
09:00 sur les réseaux criminels, notre code des mineurs fait que,
09:04 sous 13 ans, vous êtes quasiment peu redevable de la justice.
09:10 C'est-à-dire que vous avez une forme d'immunité, en tout cas pénale,
09:14 qui fait que des jeunes mineurs sont enrôlés dans des réseaux criminels,
09:18 parce qu'on les utilise.
09:19 C'est-à-dire que toutes nos failles...
09:20 - On va faire la basse manœuvre, on va faire ce qu'on se dit.
09:22 - Ils n'auront rien.
09:23 - Il y a une impunité, il n'y aura rien.
09:25 - Exactement. Donc, tout ça est à revoir, sans excès,
09:28 mais sans non plus aveuglement.
09:30 - Monsieur le maire, Béatrice Longière, a dit à l'instant
09:33 qu'il y a une forme de barbarie.
09:35 Vous-même, vous aviez utilisé ce mot.
09:37 Qu'est-ce que vous observez ? Qu'est-ce que vous avez observé ?
09:40 Je ne parle pas uniquement du cas de Chamceddine.
09:42 On sait que Viry-Châtillon est une des villes qui a été très touchée
09:45 par les émeutes de juillet.
09:47 Vous êtes maire depuis très longtemps, mais on a l'impression
09:50 que récemment, il y a eu une forme de réveil, d'une colère chez vous,
09:53 et même d'une certaine détresse.
09:55 - Je ne sais pas si c'est une détresse, parce qu'en ce qui concerne
09:59 les émeutes, on a bien senti, moi, je veux bien beaucoup de choses,
10:02 mais ce qui était évident, c'est qu'on avait envie de casser,
10:06 on avait envie de voler, on avait envie de piller,
10:08 et il n'y avait aucun phénomène de société là-dedans.
10:11 Il n'y avait pas de revendications, il y avait juste une envie
10:14 de casser des magasins, d'aller les piller, d'aller en profiter.
10:17 Quand on voit les enfants de 10, 12 ans, 13 ans, qui étaient dans la rue
10:21 à balancer des mortiers comme ça sur les forces de l'ordre,
10:25 il y a un vrai problème.
10:27 - Des profils très jeunes ? Des jeunes que vous connaissiez ?
10:29 - Non, pas forcément.
10:30 D'abord, parce que vous savez, ils étaient quand même tous cagoulés,
10:33 parce que bien évidemment, c'est très facile de jouer les caïds,
10:37 surtout quand on se camoufle et quand on est en bande,
10:39 c'est plus facile que de venir en face.
10:41 Vous savez, on les reçoit aussi de temps en temps, ces primo,
10:44 parce qu'on parle de revoir un petit peu tout le panel répressif
10:51 pour pouvoir accentuer, et puis peut-être faire plus d'exemples,
10:54 parce que moi, je reste persuadé qu'il faut plus d'exemples.
10:58 Il faut le faire dès le départ. On fait les rappels à l'ordre
11:00 qui peuvent être une des solutions pour les primo,
11:03 même pas délinquants, pour les premières bêtises, on va dire.
11:06 - Mais précisément, M. Le Maire, quand on découvre le profil
11:10 des assassins de Chem Cédine, il y a quatre hommes,
11:16 quatre jeunes hommes, l'un est majeur, les autres sont mineurs,
11:20 qui tous ont déjà rencontré la justice.
11:23 L'un a purgé sa peine, mais les autres...
11:26 - Ça montre bien que les peines telles qu'elles ont été
11:31 ou pas appliquées, ou en tout cas avec sévérité ou sans sévérité,
11:35 à l'arrivée, elles ne servaient à rien.
11:37 Ce qui veut dire qu'il va falloir revenir dessus,
11:39 se poser la question tout simplement, qu'est-ce qu'il faut faire
11:42 pour que ça serve à quelque chose ? Est-ce qu'il faut que ça soit
11:45 juste plus dur ? Très certainement, mais c'est peut-être pas la seule chose.
11:49 Il y a peut-être d'autres idées à faire, et encore une fois,
11:52 l'éducation par les parents...
11:54 - On va revenir sur la responsabilité des parents,
11:56 mais puisqu'on évoque le profil de ces jeunes qui sont mis en examen
11:59 et soupçonnés d'être les assassins de Shams Eddin,
12:02 Béatrice Brugière, je voudrais comprendre une chose.
12:05 Très naïvement, j'ai découvert à cette occasion-là
12:08 que dans la justice des mineurs, il y a deux temps,
12:11 il y a déjà l'attente, l'attente terrible...
12:14 - Ça c'est infernal.
12:16 C'est la pire des choses, c'est justement qu'un ado de 12-13 ans
12:20 qui commet là une première faute importante,
12:24 le temps... Vous allez être beaucoup plus qualifiés que moi
12:27 pour en parler, mais entre le moment où il commet la faute
12:30 et le moment où éventuellement il va avoir une sanction,
12:34 6 à 6 mois, c'est fini. Il ne pourra pas mesurer,
12:37 il ne fera pas le lien direct, ce n'est pas possible.
12:39 - C'est d'ailleurs là-dessus que vous insistez aussi,
12:41 Béatrice Brugière. Le rapport au temps, évidemment,
12:43 à l'âge de 13, 14, 15 ans, n'est pas le même.
12:46 Mais je voudrais juste repréciser avec vous le cheminement,
12:49 parce que c'est quand même un long cheminement.
12:51 Il y a la faute commise, il y a l'enquête, la justice,
12:54 ça prend déjà des mois. Et ensuite, il y a encore deux temps,
12:57 puisqu'il y a le moment où on dit à un jeune "tu es coupable",
13:01 "vous êtes coupable", et puis il y a ensuite,
13:03 dans un deuxième temps, la sanction.
13:05 C'est-à-dire que la sanction et le jugement sont séparés.
13:10 C'est quoi cette histoire ?
13:11 - On dit ceci. Alors, vous avez raison de poser cette question
13:13 parce que cette question a été majeure lors de la discussion
13:16 de la réforme qui a eu lieu il y a deux ans, trois ans maintenant, en 2021.
13:19 - De la justice des mineurs.
13:20 - Oui, qui s'appelle maintenant le Code de justice pour les mineurs.
13:22 Notre syndicat s'était opposé à ce que vous appelez la césure du procès.
13:27 C'est-à-dire qu'on a, d'une certaine façon, dans la loi,
13:31 peut-être réduit un peu, en tout cas, on a essayé de réduire
13:35 le temps de la culpabilité, mais on a coupé le temps en deux
13:40 et le temps du jugement arrive après.
13:42 - C'est comme si on disait à son enfant, enfin pardon,
13:43 parce que la comparaison est peut-être ridicule,
13:45 mais enfin, c'est comme si on disait à son enfant,
13:47 déjà, bon, c'est pas bien ce que t'as fait, mais on en reparlera dans six mois.
13:50 Au bout de six mois, on lui dit, bon, je te confirme que c'est vraiment
13:52 pas bien ce que t'as fait et je te donnerai une punition.
13:54 Et six mois après, alors qu'on est complètement dans le chose en l'air,
13:57 on fait ta punition.
13:58 - Alors, en réalité, nous, on avait dit que ce système était totalement absurde.
14:02 On n'a pas été écouté. C'est là où on voit qu'il y a un problème
14:05 de logiciel dans la justice des mineurs et peut-être aussi
14:09 de grande résistance, y compris idéologique.
14:12 C'est-à-dire qu'il y en a qui pensent...
14:14 - Honnêtement, votre livre, il est très intéressant,
14:17 Mme Trismouchir, parce que vous allez un peu à l'encontre,
14:19 effectivement, d'un certain nombre de vos collègues.
14:21 C'est-à-dire que vous, vous dites, le problème, c'est pas seulement
14:22 un problème de moyens, c'est aussi un problème...
14:24 - De logiciel. - Vous allez prononcer le mot à l'instant.
14:25 D'idéologie. - D'idéologie, tout à fait.
14:27 - Vous allez dire que les juges, aujourd'hui, ne rendent pas la justice
14:31 telle que les Français aimeraient qu'elle la rende ?
14:33 - C'est-à-dire que vous avez un exemple, le temps pour les mineurs,
14:35 il est essentiel, mais vous avez deux écoles.
14:36 Vous avez l'école qui dit, il faut leur laisser le temps
14:39 parce que c'est un temps de construction, et vous avez une autre école qui dit,
14:42 et je suis d'accord avec vous, monsieur, au contraire, la sanction n'a de sens
14:46 que si elle arrive très vite dans le cheminement et dans la construction
14:49 psychologique d'un mineur. Et moi, je rejoins ce que dit, par exemple,
14:53 un pédopsychiatre qui a eu l'occasion de voir ces mineurs délinquants
14:57 qui s'appellent Maurice Berger, qui dit exactement la même chose,
14:59 en disant, si la sanction est beaucoup trop tardive, elle n'a plus de sens,
15:03 d'ailleurs, ils l'ont oublié, et elle n'a plus la pédagogie,
15:05 parce que moi, je n'oppose pas pédagogie, éducatif et sanctions.
15:09 Je crois qu'il y a des sanctions qui sont éducatives,
15:11 et nous, on est encore dans cette opposition complètement stérile
15:14 qui date des années 80 et qui n'a pas de sens, notamment pour ces profils-là.
15:18 Et donc, on fait les choses à l'envers. C'est pour ça que nous, on dit,
15:22 non seulement il faut aller vite pour certains délinquants...
15:25 - Il faut que culpabilité et sanctions soient à nouveau réunies.
15:27 - Mais bien sûr, mais en plus, il y a un effet collatéral qui est très important,
15:29 il faut que tout le monde comprenne. C'est que déjà, les juges des enfants,
15:32 leurs cabinets sont saturés. Et en faisant une césure,
15:35 on a rajouté deux audiences. Et donc, pour bien faire, on fait mal,
15:40 parce qu'en fait, on a encore plus ralenti le temps de la sanction
15:44 qui arrive encore plus tard.
15:45 - Dans ce contexte, et je voudrais vous interroger là-dessus,
15:48 la justice a décidé de renforcer la culpabilité des parents.
15:55 Jusqu'à présent, les parents devaient payer des amendes qui vont être alourdies.
16:01 Le code pénal prévoyait deux ans de prison possible et 30 000 euros d'amende
16:05 si les parents se soustrayaient à leurs obligations légales envers leurs enfants.
16:10 Désormais, si plusieurs crimes et délits sont commis par le mineur,
16:13 la peine encourue par les parents sera de trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.
16:18 Avant de vous donner la parole, Monsieur le maire, j'aurais quand même une question.
16:20 On va renforcer ça, mais est-ce qu'au moment où on se parle,
16:23 la sanction telle qu'elle existait, c'est-à-dire telle que le code pénal la prévoit,
16:27 est-ce qu'elle est vraiment appliquée ?
16:28 - Quasiment pas.
16:29 - Donc on va renforcer un truc qui déjà n'est jamais appliqué.
16:31 - Mais surtout, on déplace le problème.
16:33 Ce n'est pas que moi, sur le principe, on peut discuter.
16:35 - Tout ça est très théorique.
16:36 - Oui, mais pourquoi pas ?
16:38 Mais en réalité, ce n'est pas ça le sujet.
16:40 Le sujet, c'est bien les mineurs.
16:41 C'est eux qu'il faut renforcer dans leur responsabilité,
16:43 dans leur conscience et dans leur sanction.
16:46 Bien sûr qu'il y a des parents qui sont défaillants.
16:48 C'est toute une question même de sociologie et de la société.
16:50 Les juges vont parler de tous les problèmes de la société.
16:53 On a déjà quelque chose, mais on ne l'applique pas.
16:55 Donc moi, je veux bien qu'on le renforce, mais on ne l'applique pas.
16:58 En fait, ce qu'il faut, c'est qu'il ne faut pas s'égarer.
17:01 C'est-à-dire qu'en parlant de ça, on ne parle pas du reste.
17:03 Or, le reste, c'est comment on renforce une sanction efficace
17:07 pour des mineurs ultra violents, ultra délinquants, ultra récidivistes,
17:12 à la mesure, pour stopper, parce qu'on n'y arrive pas,
17:15 si vous regardez les taux, la récidive des mineurs continue à augmenter.
17:18 Donc on voit bien que notre modèle ne fonctionne pas.
17:20 - Monsieur le maire, qu'est-ce que vous observez ?
17:22 Est-ce que vous estimez que les parents sont effectivement responsables ?
17:25 - Alors, ils ont déjà la responsabilité de l'éducation.
17:27 Je reviens dessus, parce que c'est important pour moi
17:29 que des parents prennent conscience dès la naissance de leur enfant
17:33 que ce n'est pas juste un jouet, que c'est un enfant,
17:35 et que c'est bien de l'aimer, c'est bien de l'adorer,
17:37 c'est bien de lui faire des cadeaux, mais c'est bien aussi de lui expliquer la vie.
17:40 La vie, c'est aussi de respecter et d'assumer.
17:43 Et donc, il faut qu'ils assument, bien entendu.
17:45 Là, on parlait de respect lorsqu'il y a des saisines,
17:50 enfin tout l'arsenal qui est mis en place.
17:53 Pourquoi pas ?
17:55 Le simple fait d'augmenter ses peines, par exemple, pour les parents...
17:58 - Mais qu'est-ce que vous observez ?
17:59 Est-ce que vous, monsieur le maire, vous avez vu ces dernières années
18:02 des parents qui, en effet, n'assument pas leur responsabilité ?
18:07 J'aimerais aussi que vous me parliez de la place du père,
18:09 c'est-à-dire qu'honnêtement, dans tous ces drames,
18:12 et y compris au moment des émeutes de juillet,
18:14 j'étais très frappée qu'un certain nombre de vos collègues,
18:16 Béatrice Mugière, racontaient que dans les tribunaux,
18:20 lorsqu'il y avait des comparutions immédiates,
18:22 les premiers rangs, c'était les mères, les sœurs, parfois les copines,
18:26 mais qu'il n'y avait pas de père.
18:27 Est-ce que vous avez constaté ça, monsieur le maire ?
18:29 - Oui, c'est vrai, mais de toute façon, c'est vrai aussi.
18:31 J'ai aussi croisé pendant les émeutes, à 2h du matin,
18:33 des mamans avec des gamins de 10 ans,
18:35 regarder et en train de filmer les émeutes pour voir ce que ça faisait,
18:38 et montrer ça à leurs gamins de 10 ans, c'était quand même assez impressionnant.
18:41 - Qu'est-ce que vous avez dit dans ce moment-là, quand vous étiez dans la rue ?
18:44 - Je les jette, je leur dis de partir ailleurs,
18:46 mais c'est surtout, je leur demande "qu'est-ce qu'il fait là ?"
18:48 Qu'est-ce que leur gamin fait à 2h du matin, en train de filmer des émeutes ?
18:51 C'est quasiment pas possible.
18:52 Mais on les voit aussi, je les vois aussi en rappel à l'ordre,
18:55 où les mamans viennent, et la première des choses qu'ils nous disent,
18:58 et que ce soit les mamans ou les papas, parce qu'il y en a de temps en temps qui viennent,
19:01 c'est "Allez-y, surtout, punissez-le bien ou engueulez-le bien,
19:06 parce que moi j'y arrive plus, vous comprenez, il fait 1m80,
19:09 moi je suis 1m60, il répond plus, il m'écoute plus."
19:13 Sauf que d'abord, c'est pas mon rôle.
19:15 Les rappels à l'ordre, c'est une façon quand même,
19:18 parce que tout l'arsenal doit être renforcé, y compris les rappels à l'ordre.
19:22 Mais il faut que dès qu'il y ait des vrais faits de délinquance,
19:27 il faut impérativement qu'on mette les moyens,
19:30 ça veut dire peut-être plus de centres...
19:32 - Mais ça veut dire des parents dépassés ?
19:33 - Oui, bien sûr.
19:34 - Il y en a des défaillants, comme vous le racontiez,
19:36 mais c'est aussi des parents dépassés ?
19:38 - Oui, par la violence de leurs jeunes.
19:40 Sauf que s'ils sont devenus violents, c'est pas juste par un claquement de doigts,
19:44 ils sont des violents, on fait rien de dur.
19:46 - Ils en sont eux-mêmes les propres victimes, mais responsables aussi.
19:48 - Ils sont victimes, mais par contre, ils sont responsables,
19:50 ou en partie responsables, ils n'ont pas toute la responsabilité du monde non plus,
19:53 mais ils sont en partie responsables.
19:55 C'est pour ça que j'approuve complètement le fait de mettre des moyens
19:59 pour que les sanctions soient réellement, rapidement, mais réellement effectuées.
20:05 Vous savez, on demande aux élus aussi de prendre des TIG,
20:10 c'est pas anodin, moi je viens de signer avant-hier des travaux d'intérêt généraux,
20:14 qui permet à un jeune qui a, par exemple, cassé une vitrine,
20:18 de faire 160, 170 heures, 200 heures, comme ça,
20:22 à nettoyer les rues et à nettoyer les bacs à fleurs.
20:25 Ça ne l'amuse pas du tout, en général.
20:28 - Mais justement, c'est très concret.
20:29 - C'est concret, et de toute façon, au moins,
20:31 on a la sensation qu'il serve à quelque chose par rapport à ce qu'il fait.
20:33 - Merci, merci à tous les deux, vraiment, d'avoir pris le temps de nous dire aussi
20:36 ce qui se passe sur le terrain, du côté de la justice, du côté des élus locaux.
20:41 Vous êtes Jean-Marie Villain, le maire de Viry-Châtillon.
20:44 Béatrice Brugère, vous êtes secrétaire générale d'unité magistrat FO.
20:47 Et je rappelle le titre de votre ouvrage, "La colère gronde".
20:51 Il est 8h53 et vous êtes bien sur AMC BFM TV.

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