Avec « le Couteau », qui paraît chez Gallimard, l’écrivain raconte les vingt-sept terribles secondes de son agression, son expérience de mort imminente, ses longs mois de rééducation, et sa résilience. A l'occasion de la publication d'extraits exclusifs, en couverture du numéro du "Nouvel Obs" de la semaine du 18 avril 2024, le journaliste Didier Jacob qui connaît bien Salman Rushdie décrypte pourquoi ce livre est l'évènement littéraire de l'année.
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00:00 Le Couteau de Salman Rushdie, c'est un événement littéraire mondial
00:03 et c'est aussi, paradoxalement, le livre qu'on aurait aimé ne jamais lire de Salman.
00:08 Le Couteau, c'est le récit incroyablement fort des 27 secondes
00:25 où Salman Rushdie a été attaqué au couteau
00:28 par un homme qui a surgi de l'assemblée où il se trouvait
00:31 pendant un festival littéraire dans l'État de New York.
00:34 Et c'est le récit de ce moment très fort parce qu'attendu depuis plus de 30 ans
00:39 par Rushdie, en réalité depuis la fatwa, le déversé satanique,
00:42 cet homme surgit, s'avance, il n'y avait pas de sécurité dans cette assemblée.
00:47 Rushdie a à peine le temps de se protéger avec son bras
00:50 que déjà il reçoit un premier coup de couteau dans le bras,
00:53 puis au cou, puis au visage, puis dans l'œil.
00:57 Rushdie s'écroule et c'est poignant évidemment parce qu'on vit l'événement
01:00 presque seconde par seconde jusqu'au moment où Rushdie perd connaissance.
01:05 Mais après, le récit continue, des gens se précipitent,
01:08 Rushdie est emmené et le Couteau, c'est après aussi le récit de la convalescence,
01:12 la très longue convalescence de Rushdie qui revient petit à petit à la vie
01:16 et qui va finir par écrire ce livre.
01:18 Il avait déjà raconté toute sa clandestinité,
01:21 toute la période où il était obligé de se cacher,
01:24 qui a duré dix ans au Royaume-Uni, notamment à Londres.
01:27 Il a changé soixante fois de plans, c'était très dur.
01:30 Tout ça, il l'avait déjà raconté dans une autobiographie,
01:32 mais qui était à la troisième personne, avec un nom de code.
01:36 Ce n'était pas Salman Rushdie, c'était Joseph Anton.
01:38 Et là, c'est la première fois que Rushdie parle de lui à la première personne,
01:42 raconte en disant "je".
01:43 C'est ce qui rend ce livre très particulier, très exceptionnel aussi pour Rushdie,
01:48 puisque c'est la première fois qu'il assume totalement
01:50 de raconter les troubles et les malaises intérieurs.
01:55 Il y a le récit de cet attentat, et puis après,
01:58 c'est tout le récit d'abord de qu'est-ce qui se passe
02:01 quand Rushdie vient d'être agressé,
02:03 c'est-à-dire que la rumeur se propage à toute vitesse.
02:05 On ne sait pas s'il est mort, s'il est encore vivant,
02:07 et les rumeurs s'annulent presque heure par heure.
02:10 C'est un suspense incroyable.
02:12 Et après, c'est le récit de la lente, on va l'essent,
02:14 c'est du retour chez les vivants, en quelque sorte.
02:16 Rushdie va bien, il va mieux, il a perdu un œil.
02:20 Le coup a été trop profond, et il le raconte dans ce livre
02:23 pour que cet œil ait pu être sauvé,
02:26 et son autre œil n'est pas non plus en super forme.
02:28 Mais enfin, il va bien, il a retrouvé toutes ses fonctions,
02:31 et on le voit bien en lisant le livre qu'il va bien,
02:33 en réalité, parce que c'est un livre de quelqu'un
02:35 qui reste, après toutes ces années,
02:37 et après cette dernière attaque, le livre d'un combattant.
02:39 Cette fatwa, c'était 89, le livre "Les Versets sataniques"
02:43 est paru en 88, ça fait plus de 30 ans qu'il traîne
02:46 ce livre comme un boulet, et dans "Le Couteau", il dit
02:49 "Ne comptez pas sur moi pour renier ce livre,
02:51 parce que ce livre, je l'ai écrit, il existe,
02:53 et il existera toujours."
02:54 L'ironie extrême de la chose, c'est que dans le livre,
02:57 en réalité, il est très peu question de religion,
03:00 presque pas, il y a quelques paragraphes
03:02 qui peuvent être éventuellement considérés
03:04 comme discutables par les extrémistes,
03:06 mais le livre, ce n'est pas du tout ça.
03:07 C'est un texte pas facile du tout à lire,
03:10 post-moderne, très référentiel, avec un peu de joyeux sien,
03:14 avec une écriture pas simple, et probablement d'ailleurs
03:16 que de tous les adversaires de Rushdie,
03:18 de tous ceux qui l'ont menacé, de ceux qui ont essayé
03:20 de le tuer, je pense qu'aucun ne l'a lu, le livre, en réalité.
03:23 Peut-être un extrait, et ce n'est même pas sûr.