• il y a 8 mois
On connait leur visage, leur analyse, leur voix, mais les connait-on vraiment ? Quel a été leur parcours, leur formation, quelles épreuves ont-ils du dépasser pour exercer leur magistère ? Quelles sont leurs sources d'inspiration, leur jardin secret ? Une fois par semaine, Rebecca Fitoussi reçoit sur son plateau des personnalités pour un échange approfondi, explorer leur monde et mieux apprécier le regard qu'ils et qu'elles portent sur notre société. Ils, elles, sont artistes, scientifiques, historiens, universitaires, chefs de restaurants, associatifs, photographes, ou encore politiques.

Une collection de grands entretiens inspirante dans un monde en manque de repères et de modèles. Année de Production : 2023

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Transcription
00:00 Générique
00:02 ...
00:21 -Selon que vous avez 20, 40 ou 60 ans,
00:25 vous ne connaîtrez pas notre invité pour les mêmes raisons.
00:28 Certains verront le visage de l'actrice,
00:30 aux côtés de Delon dans "Le tout bib",
00:32 ou de Lanvin dans "Tir groupé".
00:34 D'autres, celui de la chanteuse,
00:36 aux côtés de Voulez-y, dans "Le tube" de l'été 84,
00:39 "Désir, désir".
00:40 D'autres encore, celui de la comédienne sur les planches,
00:43 dans "Un atelier pour deux", au théâtre de Passy.
00:46 D'autres, celui de la militante infatigable
00:49 de la cause tibétaine.
00:50 Peut-être vous revient-il aussi en mémoire
00:53 la série "Pose café" et son rôle mythique
00:55 d'assistante sociale Joëlle Mazart.
00:58 Elle a souvent incarné des personnages doux et bienveillants.
01:01 Ses proches la disent, d'ailleurs, rayonnante dans la vie.
01:05 Pourtant, elle n'a pas été épargnée par les épreuves,
01:08 des drames qu'elle confie, sans tabou, dans son livre,
01:11 "Le présent est mon refuge",
01:13 mais sur lesquels elle pose un regard serein.
01:15 Car sa grande quête, c'est l'harmonie.
01:17 Elle essaie de nous aider à la chercher, à la trouver, surtout.
01:21 Mais comment trouver l'harmonie dans ces temps d'inquiétude sociale,
01:25 climatique, géopolitique ?
01:26 Est-ce que le présent juste, l'instant présent,
01:29 est-il notre seule valeur sûre ?
01:31 Posons-lui toutes ces questions.
01:33 Bienvenue dans "Un monde à un regard".
01:35 Véronique Jeannot, merci d'avoir accepté notre invitation.
01:38 Je commence tout de suite par les questions un peu métaphysiques,
01:42 parce qu'elles sont au coeur de votre vie depuis des années.
01:45 Et au coeur de ce livre que vous publiez chez Ixo Éditions,
01:49 "Le présent est mon refuge",
01:50 est-ce que la clé pour traverser les crises
01:53 que nous traversons aujourd'hui, c'est vivre l'instant présent ?
01:56 - Est-ce que c'est... - Je pense que c'est...
01:59 extrêmement important, urgentissime de comprendre l'importance
02:04 vraiment de l'instant présent,
02:06 parce que c'est le seul temps qui nous appartient.
02:08 Le passé, c'est passé, on ne peut plus rien y faire.
02:11 Le futur dépendra du présent qu'on vit
02:13 et de la façon dont on va vivre ce présent.
02:16 Mais tellement de gens sont ou bien dans la nostalgie d'un passé
02:20 qui ne reviendra pas,
02:22 ou dans une projection d'un futur totalement hypothétique,
02:26 et sans être vraiment conscients de l'instant
02:28 et de ce qu'ils sont en train de vivre.
02:30 Les gens qui vivent au présent,
02:32 conscients de ce qui se passe profondément en eux,
02:36 sont très rares.
02:37 - Ici et maintenant. - Oui, c'est ma devise.
02:40 - C'est intéressant. - Mais c'est assez rare.
02:42 - D'ailleurs, vous réfutez le mot de crise.
02:46 Vous dites qu'on ne vit pas une période de crise,
02:48 on vit un moment de bascule.
02:50 J'ai trouvé ça très fort. On bascule vers quoi ?
02:52 - Vers un autre monde.
02:54 Pour moi, ce n'est absolument pas une crise.
02:56 Je le disais déjà dans mon précédent livre.
02:58 Là, c'est en plus une certitude, une conviction profonde.
03:03 Les gens qui disent qu'on vit une crise
03:05 et qu'on reviendra à ce qu'on a vécu, même il y a 20 ans,
03:08 c'est l'utopie, c'est illusoire.
03:12 On ne peut pas en même temps parler de l'importance
03:15 de l'intelligence artificielle qui arrive,
03:18 mais alors plus qu'à grands pas, dans nos vies,
03:20 et penser que le monde redeviendra tel qu'il était.
03:24 C'est impossible.
03:25 Il y a les influenceurs, les réseaux sociaux,
03:28 l'intelligence artificielle qui va supprimer
03:31 beaucoup de postes, beaucoup de métiers.
03:33 Je ne suis pas sûre qu'on s'en rende compte
03:35 à quel point on est déjà sous l'influence de l'IA.
03:39 - Vous basculez vers quelque chose de plus sombre ?
03:41 Ou vous n'êtes pas spécialement inquiète ?
03:44 - C'est-à-dire que je suis quelqu'un de très positif, d'optimiste.
03:48 Donc je ne veux pas me dire qu'on bascule vers du noir.
03:52 Je veux croire que la lumière viendra,
03:54 mais on va passer une époque difficile.
03:56 - Cette philosophie de vie, vous la tenez du bouddhisme,
03:59 qui est votre croyance depuis plus de 40 ans.
04:02 Vous vous êtes tournée vers la spiritualité à 22 ans,
04:05 lorsqu'on vous a diagnostiqué un cancer de l'utérus.
04:07 "Ma vie a alors perdu tout son sens", dites-vous, disiez-vous.
04:11 "Je n'avais plus de repères, il fallait s'adosser à d'autres piliers."
04:14 Grâce à la lecture du livre tibétain de la vie et de la mort,
04:18 vous dites "J'ai appris à transformer l'adversité en leçon de vie."
04:22 Ça veut dire que ce sont les grosses épreuves de la vie
04:25 qui nous font aussi avancer, progresser, grandir ?
04:28 - Bien sûr.
04:29 Bien sûr, on ne peut pas dire "Je souhaite qu'il souffre."
04:32 Non, mais pourtant, la souffrance
04:35 vous confronte à une autre dimension, en fait, de la vie,
04:41 et à se dire "Comment est-ce qu'on passe derrière ce mur ?"
04:44 Parce que la souffrance peut parfois vraiment se présenter
04:47 comme un mur qu'on ne sait pas comment franchir.
04:50 Et c'est vrai que la spiritualité a été ma carte, mon joker.
04:54 Quand on parle la langue du cœur, qu'on l'apprive,
04:57 qu'on parle la langue de la spiritualité, on ne l'oublie pas.
04:59 Quand on a fait ce chemin de la conscience, on ne l'oublie pas.
05:03 Et même si, quelquefois, on prend des petits chemins de traverse,
05:07 elle revient forcément avec vous, elle fait partie de vous.
05:09 - Ce n'était pas si simple à l'époque de parler de spiritualité,
05:12 de religion, de foi.
05:13 - Parler de votre spiritualité ne vous a même pas toujours servi
05:16 dans votre carrière, cela vous a été reproché.
05:18 Tes histoires avec le Dalai Lama, "Tu arrêtes", vous auraient dit.
05:21 Etienne Moujotte, ancien patron de TF1, vous dit
05:24 "J'ai payé mon engagement spirituel, c'était considéré comme une secte."
05:27 Des gens vous ont tourné le dos à cause de cette spiritualité ?
05:31 - Des gens, en tout cas, à l'époque, TF1, oui, ça c'est sûr.
05:34 Et Etienne Moujotte, en l'occurrence, puisqu'à l'époque,
05:37 il m'avait dit "Devant témoin", je ne citerai pas ce témoin,
05:41 on fera la rentrée ensemble,
05:43 mais tes histoires avec le Dalai Lama, "Tu arrêtes",
05:46 je me souviens tellement de ces mots, tellement ça m'a marquée,
05:49 et je lui dis "Mais enfin, Etienne, toi qui es un ancien journaliste,
05:52 comment tu peux me dire tes histoires avec le Dalai Lama
05:55 alors qu'on parle quand même d'un génocide culturel,
05:58 puisqu'on ne peut pas parler d'un génocide, et pourtant,
06:02 et de tout ce qui se passe avec un peuple en exil depuis 50 ans,
06:06 comment tu peux me parler d'histoires avec le Dalai Lama ?
06:08 - Qu'est-ce que vous avez pendu ? - C'était violent.
06:11 Il ne m'a rien répondu, et je suis partie.
06:13 Et je n'ai pas fait la rentrée avec les femmes.
06:16 - Aujourd'hui, c'est quand même plus simple de parler de sexualité.
06:19 Vous sentez que l'époque est plus ouverte, finalement, à ça ?
06:21 - Oui, je pense malgré tout qu'il y a une prise de conscience
06:24 dans la méditation, dans une autre façon de vivre,
06:28 c'est-à-dire dans un calme, où on s'entend,
06:31 parce qu'on vit une époque tellement mouvementée à tous les niveaux
06:35 qu'on est tellement pressé,
06:37 on n'est pas sur le rythme normal, je dirais, d'un être humain.
06:41 On n'est pas fait pour aller aussi vite.
06:42 Ça va trop vite.
06:44 Regardez tout ce qui s'est passé en 30 ans de vie.
06:47 C'est trop vite pour nous.
06:48 Donc on est dans une vitesse qui n'est pas la nôtre,
06:51 dans laquelle on a du mal à trouver nos propres repères,
06:54 ceux qui sont les repères de notre réel individu.
06:58 - Quand vous apprenez que vous souffrez d'un cancer de l'utérus,
07:01 vous apprenez aussi que vous ne pourrez pas être enceinte,
07:04 et vous dites, étrangement,
07:05 "le plus dramatique n'était pas lié au risque de mourir,
07:07 "mais de ne pouvoir jamais réaliser mon rêve de maternité
07:10 "depuis mon adolescence."
07:11 Mais l'ouverture à la spiritualité m'a aidée à comprendre
07:14 que la vie d'une femme ne s'arrêtait pas à ça,
07:16 que je pouvais construire une autre maison, d'autres murs,
07:20 mettre d'autres couleurs à ma vie.
07:22 Et ça m'a fait penser à ce discours féministe aujourd'hui
07:25 qui est de dire que la vie d'une femme ne passe pas que par la maternité.
07:28 Ça m'a fait penser à ce que vous avez dit.
07:30 - Heureusement, d'ailleurs,
07:31 parce que la fertilité est quand même en danger en ce moment.
07:36 C'est de plus en plus difficile pour une femme, pour un homme,
07:40 de faire des enfants.
07:41 Il y a un vrai problème de stérilité.
07:44 Et donc, il faut bien prendre conscience
07:47 que la vie d'une femme ne s'arrête pas là.
07:50 Je crois qu'il y a la vie d'une femme et il y a l'essence de la femme.
07:54 Et moi, j'adore ce mot qu'il ne faut pas oublier,
07:58 l'essence féminine.
07:59 Elle est porteuse de tellement de choses.
08:01 Elle est porteuse du sens inné de la compassion,
08:05 de l'écoute, de la patience,
08:06 de l'acceptation aussi d'une forme de souffrance.
08:09 Parce que dans les gènes de la femme,
08:11 il y a l'acceptation de la souffrance quand elle va prolonger la vie,
08:14 quand elle va porter déjà l'inconnu en elle,
08:18 où elle accepte quelque part que son corps soit modifié.
08:20 Elle va souffrir, et depuis des centaines d'années,
08:24 les souffrances de la mise au monde,
08:26 et c'est une acceptation tacite.
08:29 Donc déjà, la femme porte ça en elle,
08:32 l'acceptation de cette forme de souffrance,
08:34 ce que ne porte pas du tout l'homme.
08:36 Et je pense que la femme est beaucoup plus forte profondément que l'homme.
08:40 D'ailleurs, j'ai pu le vérifier plein de fois.
08:42 La femme est beaucoup plus forte face à la souffrance que l'homme.
08:45 - Je lui perds les pédales. - Vous vous sentez féministe ?
08:48 Oui, mais je me sens pas... "Oui, la femme, la femme."
08:51 Non, j'aime la femme forte dans sa féminité propre,
08:55 dans sa féminité profonde, dans son essence féminine.
08:57 - Mais ce n'est pas un combat. - Mais le côté
08:59 où la femme devient un mec pour se prouver que la femme est forte, non.
09:04 On va reprendre le fil de votre histoire.
09:06 Vous êtes née en Haute-Savoie.
09:07 Votre famille n'était pas du tout dans l'audiovisuel, pas dans le cinéma.
09:10 Votre mère décide, quand vous avez 14 ans, je crois,
09:13 de vous inscrire dans l'annuaire du cinéma.
09:16 Est-ce que vous avez su pourquoi ?
09:17 Est-ce qu'elle avait envie de vous voir briller ?
09:20 Non, ce qui est très bien, d'ailleurs.
09:21 C'était pas une envie de voir sa fille aller grand, pas du tout.
09:24 Ce qui est une chance, parce que j'ai vu,
09:27 depuis que je fais ce métier, beaucoup de parents
09:29 qui veulent absolument mettre leurs enfants devant la caméra et tout.
09:33 Et j'ai vu des petits monstres, quand même,
09:35 débouler à l'époque de Pouce Café, par exemple,
09:37 où je voyais des parents qui faisaient la queue
09:39 pour que leurs enfants tout jeunes viennent,
09:42 et qui avaient déjà le melon, quoi.
09:44 J'ai vu des gamins de 7-8 ans qui avaient déjà le melon, comme on dit.
09:47 Et moi, franchement, ça me fait peur, quoi,
09:49 parce qu'ils sont déjà plus dans la vie.
09:51 - Mais votre mère ne voulait pas faire de music-star. - Pas du tout.
09:53 En fait, maman a travaillé, à une époque de sa vie, dans la publicité.
09:57 Et elle avait sa meilleure amie, qui s'appelait Joson,
09:59 qui était peintre aussi, et c'était elle, en fait.
10:03 Je dois être comédienne aujourd'hui.
10:05 Parce qu'elle avait pris des photos de moi,
10:08 et une de mes photos était restée sur sa cheminée.
10:11 Et elle avait un ami metteur en scène qui a vu ma photo,
10:14 qui a dit "Oh, elle a une bouille, cette gamine,
10:16 "elle devrait faire du cinéma."
10:17 C'est comme ça, petit à petit,
10:19 comme quoi, quand les choses sont écrites,
10:20 il y a toujours des petites...
10:22 Pourtant, moi, j'écoute beaucoup les signes.
10:23 - Et votre bouille, comme vous dites,
10:24 elle a été repérée par Cécile Aubry, réalisatrice renommée,
10:28 qui vous voit dans cet annuaire, justement.
10:29 - Sur cet annuaire du cinéma.
10:30 Mais ma photo n'y était plus, en fait.
10:33 Parce qu'on n'avait pas renouvelé.
10:34 Pendant un an, il s'est passé un truc
10:36 avec un metteur en scène canadien d'envoyer une photo,
10:38 c'est tombé dans l'oubli.
10:39 Et du coup, quand on nous a demandé d'envoyer une photo
10:42 pour, justement, le feuilleton de Cécile Aubry,
10:44 en fait, on est venus directement à Paris.
10:46 On a eu le rendez-vous sur Paris,
10:48 et il s'est trouvé que j'étais...
10:49 Le...
10:50 Ben voilà, que j'étais, en fait, le fantasme de Cécile Aubry.
10:54 J'étais le rêve de son Isabelle.
10:56 - Et avec le recul, est-ce que vous diriez
10:58 que c'était un peu jeune pour intégrer le monde de l'audiovisuel ?
11:01 - Alors...
11:02 Dans l'absolu, certainement.
11:05 Mais j'étais...
11:06 J'avais la chance d'être très équilibrée.
11:09 Parce que je vivais à la campagne,
11:11 enfin en province, en tout cas, à Annecy,
11:13 que je faisais beaucoup de sport,
11:14 que j'étais plutôt dans le monde animal, je dirais,
11:18 et les sports d'équipe avec le handball,
11:20 et l'animal avec mon cheval,
11:23 je faisais du tennis, je faisais du handball,
11:24 ça m'équilibrait énormément.
11:26 J'avais des parents qui n'étaient pas du tout là-dedans
11:29 et qui n'ont pas changé d'aïtta quand j'ai commencé ce métier.
11:33 Donc tout ça fait que je suis restée parfaitement équilibrée.
11:36 C'est la façon dont on est entouré, qui joue beaucoup.
11:39 - Mais alors, quel regard vous portez sur ce qui se passe en ce moment,
11:42 depuis les révélations de Judith Gaudrech ?
11:43 On s'interroge beaucoup sur ces très jeunes filles
11:46 qui intègrent le milieu du cinéma, de l'audiovisuel,
11:49 et on se demande s'il n'aurait pas arrivé quelque chose,
11:51 et si on n'a pas été tous un peu aveugles
11:53 devant cette notoriété ou cette joie apparente
11:56 qui, en fait, cachait des choses terribles derrière.
11:58 Quel regard vous portez, vous qui avez commencé si jeune, très jeune ?
12:01 - Oui, j'ai commencé... J'ai eu 15 ans sur mon premier tournage.
12:04 - Ça vous paraît quand elle parle de ce milieu
12:07 qui ne s'est pas bien comporté ?
12:09 - Moi, j'ai juste ressenti un peu de solitude
12:12 parce que je tournais pas tous les jours
12:15 et que c'était la première fois que je quittais, en fait,
12:18 le cocon familial.
12:20 Donc ça a été un petit peu douloureux,
12:21 mais j'étais chez les cousins de Cécile Aubry,
12:25 et voilà, mais qui étaient une famille de médecins.
12:28 Et là aussi, je me suis rendue compte
12:29 que les médecins sont pas non plus tendres
12:32 et que j'ai beaucoup souffert de ça, moi,
12:34 qui étais dans une famille extrêmement affectueuse et tendre.
12:37 Donc j'ai souffert de ça.
12:38 D'ailleurs, j'avais tellement envie qu'on s'occupe de moi.
12:42 J'avais envie de dire, "Oh, je suis là, j'existe !"
12:45 Et je fus gaie.
12:46 Et quand je suis revenue, je suis comme une fleur en disant,
12:49 "Ah, mais non, j'ai pas prévenu, mais je suis allée faire un footing."
12:51 En fait, non, j'avais juste besoin de sentir qu'on s'occupe de moi.
12:55 - Et alors le fait de mettre des espèces de coachs
12:58 pour les jeunes enfants, les jeunes acteurs,
13:00 sur les plateaux de tournage... - Oui, c'est une bonne chose.
13:02 - Vous pensez que c'est une bonne idée ? - C'est une bonne chose.
13:04 Parce que franchement, il y a de quoi péter un boulon,
13:08 parce que tout d'un coup, on s'occupe de vous,
13:11 vous êtes un peu la reine des abeilles,
13:13 et il faut quelqu'un qui n'encourage pas juste ça.
13:17 Quelqu'un qui soit justement très équilibré
13:21 et qui vous donne de l'affection, qui vous entoure.
13:24 C'est pour ça que c'était très bien à l'époque.
13:26 Moi, je me souviens, quand je suis partie faire Polyvirginie,
13:29 j'avais 16 ans, et ma mère m'accompagnait.
13:32 Il fallait que quelqu'un de la famille vous accompagne.
13:35 Il y avait l'autorisation pour mineurs
13:38 de sortie du territoire métropolitain.
13:40 Je trouve ça très bien,
13:41 parce qu'en fait, on n'est pas mûr pour s'expatrier comme ça
13:47 et pour vivre la notoriété, mais aussi la solitude,
13:50 l'absence de famille.
13:52 Et c'est tôt pour quitter une ambiance familiale.
13:58 - Une sécurité. - Équilibrante.
14:00 Et à l'allure de celle que vous êtes aujourd'hui,
14:02 quel conseil donneriez-vous à la petite fille
14:04 qui s'apprête à se lancer dans la vie ?
14:06 Qu'est-ce que vous lui diriez pour la prévenir de quelque chose ?
14:09 L'avertir de quelque chose ?
14:10 Ne te perds pas.
14:14 Va à la recherche de qui tu es.
14:17 Pas seulement de ce qu'on te fait faire.
14:19 Trouve-toi, trouve ton être profond,
14:22 parce que c'est là qu'il y aura ta force, nulle part ailleurs.
14:25 Et c'est là qu'on trouve son courage, son vrai courage.
14:30 Pas celui qu'on vous dit "tu peux y aller",
14:32 non, il faut avoir nourri à l'intérieur pour tenir le coup.
14:37 Pendant plusieurs années, les pièces, les films, les séries
14:39 vont s'enchaîner.
14:40 Le tournant, c'est "1981" avec Pause Café,
14:43 première saison d'une série qui va faire un carton
14:45 et booster votre notoriété au niveau national.
14:48 Vous interprétez le rôle de Joëlle Mazard,
14:50 assistante sociale.
14:51 - J'ai aspiré tellement ! - Justement !
14:54 C'est ça qui est intéressant.
14:55 A propos de cette série,
14:57 Pause Café a été un phénomène social,
14:58 un rendez-vous, une rencontre incroyable avec le public.
15:01 Cela pourrait ressortir aujourd'hui.
15:03 C'était très avant-gardiste, dites-vous.
15:05 Joëlle Mazard donnait de l'espoir.
15:07 On manque aujourd'hui d'incarnations
15:08 qui fédèrent et qui donnent de l'espoir ?
15:10 Bien sûr.
15:11 On manque tellement d'espoir aujourd'hui.
15:14 On manque... Regardez, bon, voilà.
15:15 Il y a beaucoup, beaucoup de films
15:19 de science-fiction, de plus en plus.
15:22 D'ailleurs, le futur n'est pas forcément réjouissant
15:26 dans ces films, et loin de là.
15:28 Et les Polars.
15:30 Mais quand il y a des films qui défendent
15:33 des belles valeurs humaines profondes,
15:36 il n'y en a pas beaucoup aujourd'hui, quand même.
15:38 J'ai quand même une archive à vous proposer.
15:40 La voici. Je vous la mets entre les mains
15:42 et je vais la décrire pour les gens qui nous écoutent.
15:44 C'est la photo d'une des nombreuses manifestations
15:46 organisées par les assistantes sociales,
15:48 je vous le dis, entre 1990 et 1992.
15:52 Mais vous savez, j'ai reçu, il n'y a pas longtemps,
15:54 un message, un mail, d'une assistante sociale
15:56 qui me dit "Mais aujourd'hui, on nous oublie.
15:58 "Aujourd'hui, on ne se rend pas compte de l'importance qu'on a."
16:01 Et c'est vrai, mais mon Dieu,
16:02 moi, je lance un SOS pour elle.
16:04 C'est déjà le coup de gueule qu'elle poussait à l'époque.
16:06 Il y avait écrit sur leur pancarte
16:08 "Les AS vont craquer, les assistantes sociales."
16:10 Elle revendiquait la reconnaissance d'un BAC +3
16:12 et non d'un BAC +2, à l'époque.
16:14 Elles ont fini par obtenir un gain de cause, mais 30 ans plus tard,
16:16 pas du tout à l'issue de ce mouvement-là,
16:18 qui a quand même duré deux ans.
16:19 Et j'ai trouvé intéressant que ce mouvement intervienne
16:22 juste après la diffusion du troisième volet de Pause Café,
16:25 dans lequel vous étiez.
16:26 - Mais je pense que ça leur a donné aussi de la force.
16:28 - Mais c'est la question que j'allais vous poser.
16:29 - Je pense. Parce qu'elles ont vu le travail
16:33 que pouvait faire Pause Café, l'importance,
16:35 et enfin l'importance reconnue d'une assistante sociale
16:38 dans un lycée, comme il y en a dans les hôpitaux.
16:41 Mais c'est capital, parce que c'est une écoute
16:44 que n'ont pas le temps aujourd'hui de donner les médecins.
16:47 Les médecins, aujourd'hui, sont pris dans un tel rythme,
16:49 il n'y en a presque plus.
16:50 Les médecins généralistes disparaissent les uns derrière les autres.
16:53 Il faut deux mois, trois mois pour avoir un rendez-vous chez un médecin.
16:56 La médecine est en danger, les hôpitaux sont en danger.
16:58 Notre système médical est en grand danger.
17:01 - Donc là, vous lancez un appel aussi pour les assistantes sociales.
17:03 - L'éducation est en danger, mais bien sûr que je lance un appel.
17:05 - Vous avez créé des vocations ?
17:06 - C'est comme les infirmières.
17:07 Pour moi, les infirmières, ce sont des anges.
17:10 Quand on sait le travail qu'elles font,
17:12 c'est un moment le plus difficile que vous pouvez passer,
17:14 c'est-à-dire dans la maladie, où tout d'un coup,
17:16 vous vous sentez seule, vous perdez vos amis,
17:19 vous êtes le plus vulnérable, vous perdez votre métier,
17:22 vous perdez votre santé, donc vous perdez vos repères.
17:25 Et là, il y a des infirmières,
17:27 alors il y en a des plus ou moins attentives.
17:29 Mais quand vous voyez le travail, l'engagement qu'elles ont,
17:32 ce qu'elles sont payées et la reconnaissance qu'elles ont,
17:35 moi, ça me...
17:36 - Vous avez créé des vocations ?
17:37 - Ah oui, plein, plein, mais plein.
17:39 Le nombre de gens, hommes et femmes, d'ailleurs,
17:42 qui viennent me voir et qui me disent...
17:44 Encore hier, au théâtre, où je joue justement
17:46 un atelier pour deux, au théâtre de Passy,
17:48 il y a une dame qui est encore venue me dire,
17:50 "Vous savez, vous connaissez mon métier ?"
17:51 Je dis, "Non, dites-le-moi."
17:53 Je lui ai dit, "Je suis assistante sociale, et ça, c'est vous.
17:56 "Et c'est tellement formidable, et je vous remercie."
17:59 Et il y a plein, plein, plein de gens qui sont venus me dire ça.
18:03 Comme il y a plein de gens aussi qui sont venus me dire merci.
18:06 Et ça, ça a été extraordinaire.
18:08 - Merci pour quoi ? - De gens...
18:10 d'avoir fait exister Pause Café,
18:12 de l'avoir incarné comme ça,
18:14 et des gens dont le rendez-vous avec Pause Café était vital.
18:20 Il y a des gens que ça a sauvé du suicide.
18:25 Mais vraiment.
18:26 Et quand on m'a dit ça, quand ils sont venus me dire ça,
18:29 je me dis, "Vous savez, si j'ai retardé ce moment-là,
18:32 "si je ne l'ai pas fait, c'est grâce à vous."
18:35 Jamais, jamais, au moment où je tournais Pause Café,
18:38 je n'aurais pu imaginer ça.
18:41 Mais j'ai eu la conscience après, en fait.
18:44 J'incarnais avec bonheur Pause Café,
18:46 car je trouvais que c'était un personnage formidable,
18:49 que je découvrais des choses hyper importantes
18:52 dont je n'avais pas conscience au moment où je les tournais,
18:54 qui étaient même aux prémices et qui aujourd'hui existent.
18:58 Puissance 10, malheureusement.
18:59 Il y a les mêmes problématiques,
19:02 mais Puissance 10 avec une violence accrue énorme.
19:07 Il aurait des sacrés dossiers, Joël Mazard, aussi.
19:10 C'est sûr.
19:12 Mais moi, j'aimerais reprendre Pause Café.
19:14 - C'est vrai ? - Bien sûr, j'adorerais.
19:17 Vous êtes en contact avec des producteurs, des diffuseurs ?
19:20 - C'est un appel ? - C'est un appel.
19:22 - Vous auriez envie de reprendre ? - Oui, j'adorerais.
19:25 Parce que j'aime...
19:28 Maintenant, je le jouerai en plus en conscience.
19:31 Avec une conscience des choses bien plus fortes.
19:34 C'est un appel au retour de Pause Café, c'est une super idée.
19:38 J'ai des photos à vous proposer, Véronique Jeannot.
19:40 Voici la première photo. Il s'agit évidemment d'Alain Delon.
19:47 Un acteur qui a beaucoup compté pour vous.
19:48 Lorsque vous êtes sur le tournage du "To Be", avec lui,
19:52 personne ne lui dit alors que vous souffrez d'un cancer.
19:55 Il prend mal votre silence au début.
19:57 Puis il se met à veiller sur vous avec beaucoup de pudeur.
20:00 C'est ce que vous avez ensuite raconté.
20:02 Vous avez gardé une relation très profonde avec lui
20:05 pendant des années.
20:06 Alors, moi, je cultive la gratitude,
20:10 qui est une émotion
20:13 que je trouve tellement importante.
20:16 Quand on rencontre quelqu'un qui a une telle notoriété,
20:20 une telle prestance,
20:23 une telle aura que Delon,
20:25 et qu'on découvre ses qualités...
20:29 Parce qu'on va en parler après de Delon, de son côté,
20:32 Mégalo et tout,
20:33 mais c'est quelqu'un qui a une parole,
20:35 quelqu'un qui a une générosité.
20:38 Où il aime ou il n'aime pas, il va mieux être dans ce qu'il aime,
20:40 mais il ne peut pas laisser indifférent.
20:42 Pareil, de la même façon, on l'aime ou on ne l'aime pas.
20:44 Vous avez gardé contact avec lui ?
20:46 Là, en ce moment, c'est très difficile de garder contact.
20:49 Quand on s'était vus il y a peut-être deux ans,
20:51 pour la dernière fois,
20:52 et à chaque fois, on se prend dans les bras,
20:54 il y a un profond attachement, vraiment.
20:59 Et moi, je l'adore.
21:01 Et ce qu'il est en train de vivre en ce moment,
21:03 avec la pudeur que j'ai pu lui connaître,
21:05 et qu'il soit, en ce moment, livré en pâture,
21:08 que son image, son histoire, soit livrée en pâture,
21:11 et sa famille, comme ça, se déchire,
21:14 au nom de l'héritage de l'argent,
21:17 et dans ce côté médiatique, ça doit être...
21:19 J'espère qu'il n'a plus tous ses neurones en place
21:22 pour vivre ça.
21:24 Parce que le connaissance, ça doit être tellement douloureux
21:27 que je voudrais qu'il arrive à s'isoler,
21:30 de toute façon, de tout ça, qui est un peu lamentable.
21:33 Une deuxième photo, il s'agit de Linn Renaud,
21:35 que vous avez bien connue,
21:36 vous avez joué avec elle au théâtre,
21:38 dans "Plein feu", en 91.
21:40 Dans son autobiographie, "Merci, la vie",
21:41 elle révèle qu'elle a tout prévu pour sa fin de vie.
21:43 "Si je dois souffrir, dit-elle, je veux sortir tout de suite,
21:46 "c'est mon ultime liberté, choisir sa mort."
21:49 On a choisi sa vie, on doit pouvoir choisir sa mort,
21:51 et on se dirige vers une loi,
21:53 vers l'aide active à mourir.
21:55 Il est temps. Ah oui, je suis pour,
21:57 mais alors pour à 100 %, sans restriction.
21:59 À partir du moment où on est conscient de ce qui nous arrive,
22:03 on sait que de toute façon, c'est sans espoir, et on y va,
22:06 et qu'on est serein, et que notre vie a été belle,
22:09 et qu'on sait qu'on va aller
22:12 que vers de plus en plus de souffrance pour soi,
22:15 et comme pour les autres, qu'on nous laisse cette dignité,
22:18 cette décence.
22:20 Je trouve ça important de partir dans sa dignité,
22:24 avant de devenir une loque,
22:26 et que les autres et que vos proches gardent cette image.
22:29 Moi, je suis, mais alors, 200 % pour.
22:33 Et ce que vit Françoise Hardy en ce moment,
22:35 alors qu'elle demande qu'on la laisse partir,
22:36 je comprends pas qu'on la laisse pas partir.
22:39 C'est inhumain.
22:41 Une dernière photo à vous présenter,
22:44 il s'agit de l'acteur Pierre Ninet.
22:46 - Formidable. - Il a décidé de partir vivre
22:48 loin de la ville, il a posé ses valises à la campagne
22:50 il y a quelque temps. - Moi aussi.
22:52 - Et justement, c'est un choix que vous avez fait,
22:53 alors vous, ça fait plus longtemps,
22:55 pour être au plus près de la nature, que vous aimez tant.
22:58 Est-ce que c'est aussi un peu...
23:00 pour échapper à cette société qui ne vous plaît plus,
23:03 qui ne vous correspond plus ?
23:04 Est-ce que c'est vivre comme un ermite ?
23:07 - Non, pas du tout. - Non, pas du tout.
23:08 - C'est pas... - C'est pas une fuite.
23:10 - Non, non, non.
23:11 Vivre un ermite, c'est s'échapper du monde,
23:14 c'est une démission, c'est une fuite.
23:17 Et non, moi, la nature, c'est une force.
23:20 Donc, pour mieux affronter, au contraire,
23:22 le quotidien ou les choses, et la société aussi,
23:26 parce que moi, quand je travaille, je suis obligée d'être...
23:29 - La preuve. - Et puis, oui.
23:31 Et puis, j'ai des messages à porter, donc...
23:34 Je suis en plein dans la société pour porter au mieux des messages.
23:37 Mais quand vous me demandiez aussi ce qui faisait une force aussi,
23:39 quand on est... La nature en fait partie.
23:41 Moi, quand j'ai été très malade,
23:43 je me souviens avoir demandé à la terre de me garder.
23:47 La prière, je l'ai faite à la terre.
23:49 Et elle m'a écoutée.
23:51 Et je la remercie tous les jours.
23:53 Et je suis très malheureuse de voir ce qu'on fait à la nature.
23:56 Et je milite aussi beaucoup chaque fois que je peux
23:59 pour l'écologie, pour qu'on la préserve, qu'on la respecte.
24:04 Le mot "respect" est un terme qui me tient énormément à cœur.
24:08 Je trouve qu'aujourd'hui, entre autres, dans cette société,
24:11 le nom de "respect", le mot de "respect",
24:14 eh ben, Foué n'a plus de raison d'être,
24:17 ne vit plus assez, nulle part.
24:19 On ne respecte plus les gens âgés,
24:21 on ne respecte plus les valeurs
24:24 sur lesquelles je trouve qu'il est important de se construire
24:28 en tant qu'être humain. On ne respecte pas la nature.
24:31 On ne respecte plus grand-chose.
24:32 Et pourtant, je trouve qu'une société
24:35 qui est digne de ce nom se construit sur le respect.
24:39 C'est très important. - C'est marrant.
24:40 C'est une des... Une vertu, le respect.
24:42 Mais j'en ai quatre autres à vous proposer.
24:43 Vous l'aurez remarqué, nous sommes entourés de quatre statuts
24:46 qui représentent chacune une vertu. Il n'y a pas le respect,
24:48 mais il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
24:52 En plus du respect, est-ce qu'il y en aurait une
24:54 qui vous caractériserait ? - Toutes.
24:56 Je dirais toutes, même s'il paraît... Déjà, bon...
24:59 Alors, la sagesse, je la cultive.
25:02 Je fais de mon mieux.
25:04 L'éloquence, c'est mon métier.
25:07 Et...
25:09 - La prudence et la justice. - La prudence, indispensable.
25:13 Parce que si on va comme un chien fou,
25:15 on peut se prendre des claques qu'on aurait pu éviter.
25:17 Et l'autre ? - La justice.
25:19 - Et la justice, alors ça...
25:21 La justice est quelque chose qui me fait sortir de moi.
25:24 Ça peut me faire péter les plombs, la justice.
25:27 Donc oui, la justice est quelque chose qui me tient à cœur.
25:31 - Merci, Véronique Jeannot, d'avoir été avec nous.
25:33 - Avec grand plaisir. - Merci beaucoup
25:35 de vous être livrée, comme vous l'avez fait, dans cet entretien.
25:37 Merci à vous et merci à vous de nous avoir suivis,
25:39 comme chaque semaine.
25:40 Émission Entretien retrouvée, évidemment, au podcast,
25:43 vous le savez maintenant. Merci. - Au revoir.
25:45 - Au revoir.
25:46 ...

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