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CETA : le Sénat pourrait faire tomber l'accord de libre-échange entre l'Europe et le Canada. Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France est l'invitée de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-jeudi-21-mars-2024-4694767

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Transcription
00:00 C'est un texte de plus de 2000 pages qui fait l'objet de discours enflammés en France depuis 10 ans.
00:05 Le CETA, cet accord de libre-échange entre l'Union Européenne et le Canada qui s'applique déjà provisoirement.
00:10 Le Sénat français doit se prononcer aujourd'hui sur sa ratification définitive.
00:14 Bonjour Karine Jacquemart.
00:15 Bonjour.
00:16 Vous êtes la directrice générale de Foodwatch en France,
00:18 l'ONG qui se préoccupe de ce qu'on met dans nos assiettes, de la qualité des aliments.
00:23 Et pour vous, les aliments qui viennent du Canada ne sont pas tous justement de qualité.
00:27 C'est bien ça le problème avec le CETA ?
00:28 C'est un des problèmes avec le CETA, mais en effet c'est une des premières contre-vérités
00:33 que le gouvernement maintient depuis des années pour faire adopter cet accord alors qu'on en connaît les risques.
00:39 Un des problèmes c'est en effet que les standards de production alimentaire pour le bétail au Canada et en Europe sont totalement différents.
00:47 Par exemple, contrairement à ce que le gouvernement maintenait en 2019 quand ce CETA a été voté à l'Assemblée Nationale,
00:53 il est très clair que c'est encore le cas aujourd'hui.
00:55 Au Canada, plus de 40 pesticides sont toujours autorisés.
00:59 Au Canada, le bétail peut toujours être nourri avec une certaine farine animale,
01:04 pas toutes mais certaines, ce qui est totalement interdit en Europe depuis le scandale de la vache folle.
01:08 Au Canada, le bétail est toujours nourri, aussi traité avec des antibiotiques activateurs de croissance.
01:14 On nous avait promis que les importations de bétail qui auraient subi ce traitement seraient interdites en Europe.
01:19 Ça n'est aujourd'hui toujours pas en place.
01:21 Et alors l'autre problème c'est quoi ? Vous nous dites que c'est une partie du problème ?
01:23 Absolument, parce qu'en fait plus largement, la question du CETA, cet accord Union Européenne-Canada,
01:29 c'est un vrai hold-up antidémocratique qui cherche à masquer les risques.
01:34 Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Il y a la forme et le fond.
01:36 Sur la forme, ça a été adopté au niveau européen en 2017, mais pas ratifié par les États membres.
01:41 Et en fait, depuis 2017, comme vous le mentionnez, 90% du texte est déjà en application dite "provisoire".
01:47 C'est tout ce qui dépend de la compétence européenne ?
01:50 Oui, ça a été assez décidé de façon arbitraire pour tout vous dire.
01:53 Ce qu'ils ont sorti, surtout, c'est le fameux tribunal qui permettrait aux investisseurs étrangers
01:58 d'attaquer des décisions d'intérêt général dans les États, ce qui posait le plus de controverses.
02:02 En gros, ce que ça veut dire quand même, c'est que depuis 2017, le plus gros du texte est en oeuvre,
02:06 avant même qu'il y ait des débats démocratiques dans les États membres.
02:09 Et donc, il reste 10 États membres qui ne l'ont pas ratifié, dont la France.
02:12 Nous, il y a l'Assemblée qui a dit oui.
02:14 Voilà, mais ce qui s'est passé là aussi, c'est pour ça que je parle de hold-up démocratique,
02:17 c'est qu'à l'époque, au lieu d'avoir un débat démocratique serein à l'Assemblée nationale,
02:21 le gouvernement l'a fait passer dans une procédure accélérée, en plein été, au mois de juillet 2019.
02:26 Donc, on a eu deux semaines pour essayer de contrecarrer les arguments qui étaient en faveur du CETA.
02:30 Et nous, Société Civile, montré les risques, farine animale, etc.
02:34 Ce qu'on a fait, résultat, le vote a été extrêmement serré.
02:37 Et je suis convaincue que s'il y avait eu plus de temps démocratique,
02:39 il aurait été très clair que la question se posait de refuser cet accord.
02:43 Et c'est plus serein de le faire maintenant, à trois mois des élections européennes ?
02:46 Le troisième volet sur la forme qui est inacceptable,
02:48 c'est que du coup, on attend depuis presque cinq ans, depuis juillet 2019,
02:52 qu'il y ait un vote au Sénat, puisque les parlementaires en France,
02:55 c'est l'Assemblée nationale puis le Sénat, et que là, ça arrive au Sénat.
02:58 Donc, il y aura le vote aujourd'hui.
02:59 Je serai devant le Sénat tout à l'heure avec la Confédération Paysanne et le collectif Stop CETA.
03:04 Et en fait, on apprend qu'une partie des sénateurs et sénatrices,
03:09 alliés de la majorité et du gouvernement, ont déposé une motion de retrait.
03:12 C'est-à-dire que concrètement, ils ont dit aux sénateurs,
03:15 avant de vous prononcer sur le CETA, plutôt que de vous prononcer sur le CETA,
03:18 comme ils craignent un refus de la part de la majorité des sénateurs et sénatrices,
03:22 ils posent une motion en disant "c'est un vote précipité, ne votons pas,
03:26 reportons le vote en commission".
03:27 Et en fait, c'est totalement inacceptable, parce qu'ils le précipitent avec un passage en force en juillet 2019,
03:32 et là, quand ça ne les arrange pas parce qu'ils craignent un non,
03:35 ils font une espèce de refus d'obstacle.
03:37 Ce n'est pas possible, le débat démocratique doit avoir lieu,
03:40 les sénateurs et sénatrices doivent se prononcer ce matin.
03:42 - Et sur la globalité de cet accord, de ce CETA, sur le bilan de ces premières années,
03:48 il penche quand même clairement du côté européen, on est gagnant,
03:51 juste en termes de chiffres et d'exportation.
03:53 Les agriculteurs français sont gagnants par rapport aux agriculteurs canadiens, non ?
03:57 - Merci d'avoir joué l'avocat du diable, si le discours dominant
04:00 est ce que le ministre et le gouvernement passent son temps à répéter partout,
04:04 c'est faux en fait. C'est faux pourquoi ?
04:06 C'est faux parce que d'une part, ils ne parlent que des aspects économiques des filières exportatrices.
04:12 Or, les filières exportatrices, même s'il y en a quelques-unes qui vendent plus,
04:15 et d'ailleurs qui vendaient déjà, qui étaient déjà compétitives avant le CETA,
04:19 on parle du vin, on parle du fromage, donc en fait on parle des gros exportateurs.
04:23 D'une part, ce chiffre, d'après des sources économiques assez fiables, il est gonflé.
04:27 - C'est quoi ces sources économiques assez fiables ?
04:28 - Il y a un rapport de l'institut Veblen qui a été publié en janvier sur le bilan des 6 ans du CETA,
04:33 qui montre en fait que ces chiffres ne prennent pas en compte l'inflation.
04:36 En gros, ces chiffres paraissent excessifs.
04:38 - Oui mais ça reste quand même positif, même si on enlève la fraction.
04:39 - C'est quand même favorable, on est d'accord.
04:40 - D'une part, il y a quand même un gouvernement aujourd'hui qui cherche à gonfler les intérêts économiques,
04:45 alors que ce ne sont les intérêts que pour quelques-uns, donc ces filières d'exportation,
04:49 et qui cherche à minimiser les risques.
04:50 La réponse de la colère des agriculteurs aujourd'hui,
04:52 elle n'est certainement pas de donner un avantage à certains acteurs.
04:56 On est encore sur un système qui va donner un petit avantage à certains acteurs en particulier,
05:00 au détriment de tous les autres.
05:01 Ce que les agriculteurs et les agricultrices ont demandé, et continuent de demander aujourd'hui,
05:05 c'est de vivre dignement de leur production.
05:07 Ça n'est certainement pas en aggravant les importations de produits
05:11 qui ne sont pas produits au même standard.
05:12 - 52 tonnes de bœuf canadien l'an dernier, c'est ridicule pour la France, 52 tonnes.
05:16 - Oui mais ça, c'est ce qu'il se passe aujourd'hui.
05:18 - C'est 0,034% de notre consommation de bœuf.
05:20 - Oui mais le quota qu'autorise le CETA, c'est 65 000 tonnes.
05:23 Donc en fait, la réalité c'est quoi ?
05:25 C'est que si on veut en rester à 52 tonnes, très bien, on est tous d'accord,
05:27 on n'a pas besoin de ratifier le CETA.
05:29 En fait, on va rester comme on est aujourd'hui, puisqu'on commerce déjà avec le Canada.
05:32 En revanche, si on signe le CETA, ce à quoi on s'engage,
05:35 c'est un quota de 65 000 tonnes le jour où le Canada aura envie de les importer.
05:38 Et c'est aussi en Canada qui veut attaquer les normes protectrices en Europe sociale, environnementale.
05:44 - Mais pourquoi du jour au lendemain, on se mettra à acheter plus de bœuf canadien
05:46 si on ne le fait pas aujourd'hui, pour qu'on le ferait demain ?
05:48 - Pourquoi on signerait un accord CETA qui autorise un contingent et un quota de 65 000 tonnes
05:52 si on pense qu'on ne va jamais les importer ?
05:54 Ne le faisons pas.
05:55 En fait, c'est vraiment ça le truc, c'est pourquoi on va se tirer une balle dans le pied
05:58 à signer un accord qui ouvre des quotas, qui ouvre des importations encore plus importantes
06:03 avec des productions qui créent une concurrence déloyale.
06:06 Et surtout avec un Canada qui passe son temps à attaquer à travers le CETA
06:10 et à travers les règles de l'Organisation mondiale du commerce,
06:13 qui passe son temps à attaquer les décisions européennes
06:15 quand enfin on arrive à faire interdire des pesticides, des OGM
06:20 et faire par exemple un étiquetage obligatoire.
06:22 Le Canada a attaqué l'Europe quand on a interdit le bœuf aux hormones.
06:26 Le Canada continue à travers le CETA de dénoncer à chaque fois qu'on dit
06:30 peut-être qu'on va interdire le glyphosate.
06:32 Pourquoi croyez-vous qu'on n'a pas interdit le glyphosate en Europe ?
06:34 On a la pression de ces acteurs commerciaux.
06:36 Et on verra donc la décision du Sénat aujourd'hui face à ce CETA.
06:40 Merci Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch en France.

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