Des villes telles que Montpellier ou Paris expérimentent à petite échelle, ou vont expérimenter, la sécurité sociale de l’alimentation (SSA), un système d’aide alimentaire s’inspirant de la sécurité sociale. Il s’agit d’allouer à chaque citoyen, de manière universelle et grâce à un système de cotisation, une certaine somme d’argent mensuelle à dépenser pour l’achat de produits alimentaires conventionnés. Objectif : lutter contre la précarité alimentaire, qui touche de plus en plus de Français, et soutenir les agriculteurs qui participent au développement d’une agriculture locale et durable.
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00:06 C'est le débat de ce Smart Impact avec Grégory Ackerman. Bonjour.
00:10 Bonjour.
00:11 Bienvenue. Vous êtes chargé de recherche en sociologie à l'INRAE,
00:14 l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement.
00:17 On est également en duplex avec Nicolas Verzotti.
00:20 Bonjour. Agriculteur dans le Vaucluse, la ferme du colibri. Bienvenue à vous.
00:25 On va peut-être commencer par le constat, Grégory Ackerman.
00:29 On va parler ensemble de cette idée qui est déjà testée à Montpellier de sécurité sociale de l'alimentation.
00:35 Mais il y a d'abord ce constat de la précarité alimentaire qui touche 16 % de la population en France.
00:43 Peut-être une double question. Quand on parle de précarité alimentaire, c'est quoi ?
00:47 On manque un repas. On ne peut pas se payer trois repas par jour, j'imagine.
00:50 Et puis est-ce que cette proportion, 16 %, elle est plutôt en augmentation ?
00:54 La précarité alimentaire, il y a deux formes de précarité alimentaire.
00:58 Une précarité alimentaire quantitative, c'est le chiffre que vous donnez qui est en fait une question qui est posée.
01:03 Est-ce qu'il vous arrive de ne pas avoir assez à manger ?
01:06 Et là, les gens, donc, il y a 16 % de la population qui a répondu à cette question de manière positive dans le sondage du Crédoc
01:13 et qui est en légère augmentation par rapport aux années précédentes.
01:17 Quand on pose la question plutôt qualitative, est-ce qu'il vous arrive de ne pas pouvoir acheter tous les produits que vous souhaiteriez acheter ?
01:23 Là, on arrive à des chiffres qui sont bien plus importants, autour de 30 ou 40 %.
01:27 Selon la manière dont on mesure la précarité alimentaire, on peut atteindre des chiffres qui sont assez importants.
01:32 Avec ? Forcément, j'imagine, depuis deux ans et l'inflation, ce que vous décrivez là, c'est-à-dire on se prive de certains produits, c'est encore plus important.
01:41 Oui, tout à fait, parce que l'inflation, surtout sur les produits alimentaires, a été très importante.
01:45 Donc, on voit une hausse de la précarité alimentaire dans les différents sondages qui sont produits.
01:52 Nicolas Verzotti, peut-être une question, on parle du prix, là. Est-ce que cette question du prix, c'est pour vous au cœur de ces enjeux du bien-manger,
02:00 d'une alimentation saine, d'une alimentation accessible à tous ?
02:04 Alors, bien entendu, en fait, ces questions de prix, de revenus, sont à mettre sur la pile des sujets, en tout cas, à traiter.
02:13 Et j'acquiescerais dans ce constat que nous faisons, nous, côté CISAM, les centres d'initiative pour valoriser l'agriculture et le milieu rural,
02:23 c'est qu'on le dit d'une autre manière, on a un système alimentaire qui est à bout de souffle.
02:28 On a fait le choix de déléguer au marché son organisation.
02:33 Aujourd'hui, on constate qu'il y a beaucoup d'opacité, que les effets délétères se font ressentir d'un bout à l'autre de la chaîne alimentaire,
02:40 et notamment chez les plus précaires, comme Grégoire Ackermann l'a rappelé, en fait, cette idée de précarité alimentaire est bien présente.
02:48 Et on peut dire que les effets se font sentir notamment en amont pour nous, côté agriculteurs.
02:55 C'est pour ça que je parlais de l'opacité du système alimentaire, et qu'il est important de pouvoir réfléchir et penser des solutions à la hauteur des enjeux,
03:07 des projets politiques et des solutions à la hauteur de ces enjeux.
03:10 Parmi ces idées, ces solutions, il y a donc cette sécurité sociale de l'alimentation. Je l'ai dit, elle était expérimentée à Montpellier.
03:19 Grégoire Ackermann, peut-être une définition pour commencer ? De quoi s'agit-il ?
03:23 C'est un projet qui est porté par un certain nombre d'associations et qui propose un système un petit peu comme la sécurité sociale de la santé,
03:30 qui reposerait sur un peu trois piliers. Un premier, ce serait qu'on pourrait acheter de l'alimentation dans des lieux conventionnés,
03:37 donc des lieux qui ont été décidés de manière démocratique par des citoyens.
03:41 D'autre part, qu'ils soient financés sur les cotisations, cotisations salariales ou patronales,
03:47 et puis qu'il puisse y avoir une alimentation de qualité, qui puisse être bonne pour la santé,
03:55 qui permette de faire vivre les agriculteurs et aussi de promouvoir une bonne santé.
04:01 Vous me disiez avant que l'interview démarre que ça a été un peu imaginé dans la continuité de la crise Covid,
04:07 que notamment France Relance a permis de lancer cette expérimentation. On est à peu près à un an aujourd'hui de fonctionnement normal.
04:15 Quel bilan vous en faites ? Comment ça marche à Montpellier ?
04:18 Comment ça marche à Montpellier ? On a constitué un comité citoyen qui est chargé de gérer un budget.
04:26 Ce budget permet aujourd'hui à environ 400 personnes de recevoir 100 euros chaque mois
04:32 pour aller dépenser dans des lieux qui ont été conventionnés par ce comité.
04:37 Ils le reçoivent en échange d'une cotisation qui est libre.
04:41 Ils peuvent mettre entre 1 euro et 150 euros pour recevoir 100 euros chaque mois.
04:46 C'est un dispositif qui est ouvert à tous. Ce que je n'ai pas dit, c'est que dans la SSA, il y a aussi la dimension universelle.
04:52 C'est l'universalité. On a bien sur ce dispositif cette dimension universelle où tout le monde peut participer,
04:58 qu'on soit pauvre ou qu'on soit plus aisé. Ça permet à toute la population de pouvoir rentrer dans ce dispositif.
05:05 Ces 400 personnes, aujourd'hui, peuvent dépenser dans environ une quarantaine de points de vente.
05:11 Ce sont des magasins uniquement ? Ça peut être des agriculteurs avec une vente directe ?
05:16 C'est les deux. Il y a une quarantaine. Il y a à peu près une trentaine de producteurs qui vendent en direct leurs produits sur des marchés de plein vent.
05:23 D'autre part, on a des magasins qui sont plutôt des magasins spécialisés, soit bio, soit des épiceries participatives ou aussi des groupements d'achats.
05:31 Ça permet dans certains lieux d'avoir une offre assez complète de produits.
05:35 Et dans d'autres lieux comme les marchés, de pouvoir rencontrer les producteurs et acheter directement leurs produits.
05:41 Nicolas Verzotti, cette sécurité sociale de l'alimentation, j'imagine qu'elle va dans le bon sens pour vous.
05:46 Est-ce que c'est aussi un levier pour développer une agriculture différente, une agriculture plus durable ?
05:51 Absolument. C'est la réponse, une des réponses appropriées.
05:55 Et notamment, un des piliers, comme il vient d'être évoqué, de la sécurité sociale de l'alimentation, c'est le conventionnement démocratique.
06:04 Donc là, il s'agit de manière démocratique de pouvoir sélectionner les produits, les professionnels qui seront éligibles à la sécurité sociale de l'alimentation.
06:13 Donc, partant de pouvoir vraiment, de manière démocratique, orienter nos systèmes de production vers la nécessaire transition écologique qu'on doit opérer.
06:24 Puisque pour répondre aux changements climatiques, pour répondre encore une fois aux enjeux à la fois environnementaux et sociétaux qui se présentent à nous, il faut faire cette transition.
06:33 Et que là, de façon démocratique, à travers le conventionnement, on peut le faire.
06:37 Le conventionnement, en fait, c'est donc un des piliers de la LSSA. Et c'est un outil de sortie du tout-marché.
06:44 C'est-à-dire que ce n'est plus le marché qui décide de ce qu'on produit ou de la manière dont on le fait.
06:47 Là, c'est le monde agricole avec ses concitoyens réunis qui vont justement produire les normes de production et tout ce qui les accompagne.
06:57 – Pardon de vous interrompre. Est-ce que ça répond, Nicolas Verzotti, aussi à la question, enfin, au fait d'assurer un revenu décent, plus décent aux agriculteurs ?
07:07 – Exactement. C'est là où je voulais venir, en fait. C'est que le fait d'être tous autour de la table, là, donc encore une fois, le comité citoyen,
07:14 par exemple, là, sur l'expérimentation de Montpellier, a été accompagné notamment par les civils pour aller faire des visites de fermes,
07:24 comprendre les problématiques des agriculteurs. D'ailleurs, les civams ont accompagné l'acclamation d'un groupement d'intérêts économiques et environnementaux,
07:33 c'est-à-dire un groupe de fermes maraîchères qui est en lien avec le comité citoyen.
07:37 Et ça a été donc l'occasion de pouvoir, tous ensemble, bien comprendre les problématiques qui se présentent au niveau de nos fermes, du monde agricole.
07:47 Et pour la construction des prix, par exemple, le dialogue est direct et le dialogue est d'autant plus détendu que tous les enjeux sont bien compris par chaque parti.
07:57 Donc on est enthousiaste à cette idée qu'en introduisant de la démocratie dans l'économie, on apporte des solutions sur différents enjeux qui se présentent à l'heure.
08:05 – Grégory Ackermann, comment on passe à l'échelle ? Parce que là, voilà, expérimentation, un an, Montpellier, 400 personnes, ça reste une petite échelle.
08:13 Je crois que ça devrait être testé à Paris, si j'ai bien compris. C'est quoi l'objectif ?
08:19 – Normalement, Paris devrait lancer une expérimentation en septembre.
08:23 Il y a d'autres villes qui souhaitent lancer des expérimentations.
08:26 Il y en a à Grenoble, il y a la Gironde aussi qui a déjà lancé une expérimentation.
08:31 Alors comment on change d'échelle ?
08:33 Déjà, on expérimente parce que ça c'est important.
08:36 Et puis au-delà de l'expérimentation, on évalue.
08:38 C'est pour ça qu'à Montpellier, on a un certain nombre de chercheurs, dont je fais partie,
08:43 qui évaluent et qui cherchent à regarder quels sont les impacts.
08:45 – Ce qui marche, ce qui ne marche pas, ce qui est duplicable, ce qui ne l'est pas, etc.
08:49 – Tout à fait, parce que tant qu'on n'a pas évalué, on ne peut pas savoir quels sont les bons chemins pour pouvoir changer cette échelle-là.
08:55 Il y a quand même des pistes, parce que, notamment dans le comité scientifique,
09:00 on a un groupe de travail qui travaille sur cette question de changement d'échelle.
09:03 D'ailleurs, c'est aussi en lien avec des étudiants de l'université de Paul-Valéry, accompagnés par Jean Cartelier,
09:09 et qui analysent plusieurs hypothèses pour essayer de changer d'échelle.
09:13 Ce qu'il faudrait, c'est déjà avoir en tête certaines idées sur le pourcentage que ça représenterait pour le salaire,
09:22 par exemple, ça serait autour finalement de 6 %, qu'il faudrait prendre…
09:25 – De cotisations supplémentaires.
09:26 – Voilà, de cotisations supplémentaires.
09:28 – Qui supposent cotisation des salariés et des patrons.
09:31 – Et des patrons, voilà, et ce qui permettrait de cette manière-là, de toucher au moins tous les salariés.
09:38 – Est-ce qu'il faut passer par une loi, forcément, pour ensuite le mettre en place dans toute la France ?
09:45 – Si on veut vraiment…
09:46 – On est dans une démarche très collaborative, très citoyenne.
09:49 – Aujourd'hui, c'est les collectivités territoriales qui portent aussi,
09:53 qui accompagnent ces expérimentations et qui les financent.
09:56 C'est vrai que si on veut passer à l'échelle de la France, il faudra que ça passe par une loi,
10:01 parce que les cotisations patronales et les cotisations salariales,
10:04 ça ne peut pas être juste les entreprises qui décident de leur côté,
10:08 encore que je pense qu'on doit pouvoir convaincre aussi, peut-être, certaines entreprises
10:12 de pouvoir se lancer dans ces systèmes en offrant un service supplémentaire à leurs salariés.
10:16 – Est-ce que ça aurait un coût pour le budget de l'État également,
10:18 puisqu'on est en pleine période, au contraire, de réduction de dépense et d'austérité ?
10:23 – Aujourd'hui, par exemple, à Montpellier, sur 100 euros qui sont dépensés par les participants,
10:30 en fait, on a 60% qui est fourni par les cotisants eux-mêmes.
10:34 Donc, ça veut dire que les participants fournissent 60% déjà de l'argent du budget qui est dans la caisse.
10:42 Ensuite, les 40% de plus, je pense qu'on doit pouvoir demander plutôt des contributions aux entreprises
10:48 ou bien trouver des formes de financement qui pourraient être peut-être mixtes
10:53 entre des collectivités territoriales, des entreprises et puis une cotisation des salariés.
10:57 – Un dernier mot, Nicolas Verzotti,
11:00 est-ce que ce type de projet, d'initiative, de perspective politique,
11:05 c'est aussi un moyen de donner encore plus, je dis bien encore plus de sens à votre métier ?
11:11 – Absolument, et j'insisterai d'ailleurs, une petite réaction pour ce qui a été dit avant,
11:16 vous avez fait remarquer que ça coûterait de l'argent de l'État,
11:18 mais l'argent de l'État, c'est nous qui fournissons cet argent à l'État.
11:23 Et par ailleurs, aujourd'hui, je ne suis pas certain que moi et mes concitoyens,
11:27 on puisse être à la décision de comment allouer cet argent-là
11:31 pour encourager telle ou telle pratique agricole par exemple.
11:34 Or là, dans ce système de sécurité sociale et d'alimentation,
11:37 il y aurait encore une fois une voie démocratique très importante
11:40 à travers du pays et du conventionnement qui nous permettrait de le faire.
11:44 Donc vous voyez que la voie est heureuse, la voie ouverte est heureuse pour le monde paysan
11:48 qui aujourd'hui est plutôt accablé, est très accablé.
11:50 – Merci beaucoup, merci à tous les deux d'être venus nous présenter
11:54 cette idée déjà testée de sécurité sociale, de l'alimentation.
11:58 On passe à notre rubrique "Start-up".