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L'écrivain François Sureau, membre de l’Académie française, présente son dernier roman "S'en aller", publié chez Gallimard.

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00:00 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un écrivain membre de l'Académie française.
00:04 Il publie « S'en aller » chez Gallimard en librairie ce jeudi.
00:09 Vos questions et réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:16 François Surault, bonjour !
00:17 Bonjour !
00:18 Et bienvenue à ce micro, on est heureux de vous recevoir.
00:21 Ça faisait longtemps que vous n'étiez pas venu dans la matinale.
00:24 Vous publiez donc « S'en aller », titre magnifique !
00:28 Vous dites ça, mais d'ailleurs vous êtes bien le seul à le dire parce que votre machin
00:31 a tellement de réputation que de temps en temps, mon fils me montre des tweets en disant
00:36 « mais ce type il est encore tous les matins à la matinale d'Inter ! » alors que ça
00:39 fait trois ans que je ne suis pas venu.
00:40 Non mais franchement !
00:41 C'est la longue traîne comme on dit.
00:43 Mais là, factuellement, ça faisait longtemps et on est donc très très heureux.
00:47 « S'en aller », titre magnifique, je le disais, d'un livre très personnel, même
00:52 si vous vous y cachez aussi.
00:54 Un livre de lecteurs où l'on croise Hugo Breton-Nabokov, mais aussi des figures moins
00:58 connues comme l'explorateur Victor Jacquemont ou l'écrivain britannique et voyageur Patrick
01:04 Lefermore.
01:05 C'est un livre à la fois mélancolique, mais parfois très drôle, foisonnant, digressif
01:11 et rudi dans lequel on apprend dix choses par page.
01:15 Qu'est-ce que ce livre, François Surault ?
01:18 Vos mémoires, un exercice d'admiration, les deux à la fois ?
01:22 Ou votre manière de dire au lecteur « voilà qui je suis, ce que j'aime, ce que j'ai
01:27 appris en lisant et en voyageant ».
01:29 En fait, je crois que c'est aussi une manière de dire « voilà comment je me suis rassuré
01:34 ». Je ne vais pas me présenter comme le raté absolu, le type qui est passé d'un
01:38 métier à un autre, etc.
01:39 Ce que pourtant je suis.
01:40 Mais au fur et à mesure de ma vie, je me suis rendu compte qu'en réalité, j'avais
01:46 toujours voulu échapper, d'une certaine manière.
01:48 Habiter par un sentiment d'étrangeté, le fait de n'être jamais tout à fait à
01:51 ma place à l'endroit où j'étais, que j'avais voulu m'échapper.
01:54 Et progressivement, j'ai vécu pendant des années dans une espèce de compagnonnage
01:59 avec des écrivains ou des hommes, pas nécessairement très connus d'ailleurs, qui eux aussi ne
02:04 s'étaient pas bien sentis là et avaient voulu s'en aller.
02:07 Et ça vaut pour tous.
02:08 Ça vaut pour les glorieux.
02:09 Regardez Hugo.
02:10 C'est Hugo, c'est le fils du général Hugo.
02:12 Il est membre de la Chambre des Pères.
02:13 À l'époque, il est royaliste, mais il passe la moitié de son temps à traîner dans
02:16 les rues de Paris pour parler aux personnes égarées.
02:21 Et ceci vaut pour énormément.
02:24 Jacques Mont, qui est, vous l'avez dit, un des grands personnages du 19e.
02:29 Stendhal et Mérimée pensaient que Jacques Mont serait le meilleur écrivain du 19e.
02:33 Et puis…
02:34 - Il est oublié.
02:35 - Et puis il est oublié.
02:36 Il n'est pas bien.
02:37 Oui, ça pourrait m'arriver aussi, naturellement.
02:38 Je l'espère bien.
02:39 Mais vous allez me porter malheur.
02:43 - Mais bien sûr que non.
02:44 Un mot sur le titre « S'en aller », ce titre magnifique.
02:47 On est allé regarder avec Nicolas dans le Grand Robert d'Alain Rey.
02:50 Et voilà ce qu'écrit Alain Rey de ce verbe.
02:53 « Aller », verbe fondamental, l'un des plus irréguliers de la langue française.
02:58 Fondamental et irrégulier.
03:01 On trouvait que cette définition vous allait bien.
03:03 - Oui, c'est pas mal.
03:04 C'est vrai que c'est un piège.
03:06 Je me souviens d'une extraordinaire chanson de Jean-Yann, que je pourrais vous chanter,
03:10 mais j'éviterais quand même, le premier vers, qui montrait que « s'en aller »
03:15 était extrêmement dur à conjuguer.
03:17 « Si tu t'en irais, des fois que tu serais plus ma blonde.
03:20 »
03:21 Et c'est un peu ça, « s'en aller ».
03:24 En effet, il y a un côté irrégulier.
03:26 En même temps, j'ai pensé surtout, en l'écrivant à cette phrase formidable de
03:29 Saint-Jean de Perse, qui est « s'en aller, s'en aller, parole de vivant ».
03:32 Quand Nabokov a été reçu, il y a des années de ça, chez Pivot, moi j'aime énormément
03:39 Nabokov, et il y a eu un moment très émouvant où il a parlé avec cette espèce d'accent
03:43 russe-blanc qui le caractérisait « j'ai toujours envié ceux qui sont restés accrochés
03:49 comme des huîtres à leur nacre natale ».
03:52 Encore faut-il se sentir bien dans la nacre natale.
03:55 Et le point commun de tous ces personnages, avec moi d'ailleurs, notre point commun,
04:01 c'est que nous ne nous sommes jamais sentis accrochés véritablement à la nacre natale.
04:05 - Oui, Claude Lévi-Strauss avait cette phrase fameuse dans « Tristes Tropiques » « Je
04:09 hais les voyages et les explorateurs ». On pourrait dire que c'est l'inverse pour
04:13 vous, vous n'aimez que ça les voyages et les explorateurs.
04:15 Vous ouvrez ce livre par cette phrase étrange « Dis-moi ce que tu quittes, je te dirai
04:20 qui tu es ». Qu'avez-vous quitté ?
04:24 - A mes yeux en tout cas, à peu près tout sauf l'essentiel.
04:29 C'est-à-dire à peu près tout ce qui était, comment on dit maintenant, ancrage institutionnel.
04:39 Je suis rentré dans l'administration pour laquelle je n'étais aucunement fait.
04:42 J'ai démissionné du conseil d'État assez vite.
04:44 Je suis allé voir l'entreprise, ça ne me convenait pas du tout et je suis parti.
04:47 Je me suis inscrit au barreau, je n'étais pas un bon avocat.
04:50 Je me suis fait un nom dans les histoires constitutionnelles, mais je n'étais pas
04:53 un vrai avocat, un grand pénaliste.
04:55 Et puis au bout d'un moment, j'en suis parti.
04:58 Je suis arrivé au conseil d'État et à la Cour de cassation comme avocat pour plaider
05:01 des affaires.
05:02 Je l'ai fait et j'en suis parti.
05:03 Tous les deux mois, je me demande si je ne vais pas quitter l'Académie française
05:08 et je ne le fais pas parce que je m'y trouve bien.
05:11 Mais néanmoins, cette tendance est là qu'il faut sans arrêt contrebattre.
05:14 En revanche, ce que je n'ai pas quitté est difficilement dissible à l'écran,
05:19 mais il relève pour moi de l'essentiel.
05:20 - C'est-à-dire ?
05:21 - C'est-à-dire d'abord…
05:22 - Même si c'est difficilement dissible, essayez.
05:24 - C'est d'abord là où se joue, à mes yeux en tout cas, la vie de ceux qui n'ont
05:37 pas d'autre endroit où aller qui est la littérature.
05:39 Quand j'étais jeune, en fait, avant d'écrire des livres, je voulais être un écrivain
05:43 parce qu'il me semblait que cette condition correspondait à la condition entre guillemets
05:48 du goût errant que je sentais être la mienne.
05:50 Et être un écrivain, par exemple, je lisais ces recueils extraordinaires, vous vous souvenez,
05:57 les écrivains par eux-mêmes en collection du Seuil, alors ça me bouleversait.
06:01 Et alors ça me bouleversait quelles étaient les options politiques ou esthétiques des
06:04 écrivains en question.
06:05 Par exemple, sur les éditions du Seuil de Barès, le livre était fait par Domnach,
06:10 on voyait simplement des soldats monter à l'assaut en 14 avec un officier devant et
06:15 en dessous la citation de Barès "se refaire une âme complète".
06:19 Ou bien dans le Joyce, qui me fascinait également, on voyait, vous savez, Joyce était très
06:24 pauvre, il faisait des listes de comptes sur des papiers de blanchisserie, millimètres
06:30 par millimètre, en comptant les sous, etc.
06:32 Et en face, en regard, il y avait simplement une citation du Lys "j'ai payé mon dû".
06:37 Ça, ça ne m'a pas abandonné.
06:40 Mais c'est vrai qu'au cœur de ce livre, il y a la phrase de Sandrard que vous aimez
06:43 beaucoup et que vous citez "quand tu aimes, il faut partir".
06:45 Et je pense que c'est la ligne directrice de votre vie.
06:48 Tout le temps, vous avez voulu partir, quitter votre pays, quitter votre ville, vos habitudes,
06:54 quitter vos meubles également.
06:55 On sent chez vous une volonté de vous en aller dans les livres, vous le dites à l'instant,
06:59 dans l'Orient aussi, il y a beaucoup d'Orient dans ce livre, en Inde, en Égypte, dans le
07:02 désert saoudien de Laurence d'Arabie et de Joseph Kessel, sur la rivière avec Somerset
07:06 Morgan.
07:07 S'en aller aussi dans les monastères.
07:08 Il y a toute une partie du livre, à la fin, où vous évoquez votre tournée des monastères
07:12 de France, en vous en allant ainsi, en quittant en permanence.
07:16 A quoi vous voulez échapper ? Au temps présent, à la modernité, au vacarme, à l'époque
07:24 tout simplement ou c'est autre chose ?
07:26 Non, c'est tout à fait autre chose parce que je pense que je n'aurais pas moins ressenti
07:31 le vacarme, l'époque ou la vulgarité du temps si j'étais né en 1750, en 1850.
07:38 C'est vraiment à l'éthnopédie.
07:40 En réalité, s'en aller pour moi n'est pas fuir, mais essayer de trouver quelque
07:45 chose, de trouver la confirmation de quelque chose.
07:47 Depuis que je suis enfant, je crois, je pense que c'est une singularité qui est partagée
07:52 par beaucoup de gens, depuis que je suis enfant, j'ai eu, j'ai eu continuement l'impression
07:57 que ce monde était en réalité la version imparfaite d'un monde parfait.
08:01 Une idée un peu platonicienne, une idée de caverne, une idée de tout ce que nous voyons
08:06 avait son sens ailleurs, et avait son sens ailleurs, trouvait son sens ailleurs.
08:10 Qu'il existait un monde dans l'éternité où notre conversation à trois de ce matin
08:14 prenait un sens que nous-mêmes en ce moment ne sommes pas capables d'imaginer.
08:17 Et évidemment, le voyage est une sorte d'anticipation de ça, de la même que la vie des moines
08:23 est une anticipation de ce qu'ils espèrent être l'au-delà de la vie.
08:26 Et en fait, pour moi, le départ ne vise moins à la fuite de quelque chose qu'au fait
08:32 de retrouver quelque chose d'essentiel, dont j'ai toujours pensé qu'il était
08:36 là, caché comme une rose, impossible dans la nuit, comme dit André Breton à propos
08:40 de Saint-Cirque.
08:41 François Seureau, sur l'époque, sur notre siècle, vous écrivez la chose suivante
08:46 « Notre siècle, qui dispense sans discontinuer sa propre propagande, n'a rien inventé,
08:52 bien qu'il croit l'inverse, puisqu'il faut y survivre.
08:56 J'ai appris à en aimer le mouvement, les zombies à écouteurs des rues, les patineurs
09:01 nocturnes et les sermons des sportifs, les ministres à microphone, les femmes voilées,
09:07 les chiens démineurs dans les gares, les policiers dans leurs pyjamas de guerre.
09:12 Puisqu'il faut survivre à l'époque, vous avez appris à en aimer le mouvement.
09:16 De ce point de vue, est-ce qu'on pourrait dire que vous êtes un anti-moderne tolérant
09:22 des bonaires ? »
09:23 Oui, c'est ça, des bonaires, où en fait, mon rire, comme disait Nabokov, est un petit
09:31 imant bonhomme.
09:32 Et puis ensuite, un anti-moderne, non, je ne sais pas, il y a toute une partie de moi
09:37 qui aime ça.
09:38 Il y a toute une partie de moi qui aime cette étrangeté du monde moderne, comme au fond
09:42 Apollinaire aimait l'aviation ou Blessandra l'industrie.
09:45 C'est une chose que j'aime.
09:47 En revanche, les formes de la vie moderne ne m'ont jamais déplu.
09:51 Les formes de l'imposture moderne, spécialement de l'imposture politique, elles, quelquefois,
09:58 me plongent dans des états où la colère, le dispute, a une certaine forme de ravissement
10:04 esthétique, si vous voulez.
10:05 Je me dis quand même, j'ouvre le journal officiel, je trouve que ça ressemble au
10:08 Gorafi.
10:09 Ah, le journal officiel !
10:10 Je suis fasciné par ça !
10:11 Il y a des pages sur votre fascination du journal officiel, sur la passion de la France
10:16 pour l'administration, ça c'est quelque chose qui vous a toujours fasciné ?
10:20 C'est fascinant, il y a un livre d'André Bretaud qui s'appelle « Introduction au
10:24 discours sur le peu de réalité ».
10:26 Et il y a toute une partie de la vie française qui est marquée par le peu de réalité.
10:30 Mais ça va du petit au grand.
10:32 Alors ça va du JO avec ses trucs absolument invraisemblables, jusqu'à ce qu'on voit
10:37 réforme après réforme.
10:38 Tenez, on va parler de ça, mais ça m'a quand même fasciné.
10:42 Mais il y a une chose par jour me fascine.
10:44 Par exemple, l'usage d'une monstrueuse presse de 300 kilos pour sceller le texte
10:48 inscrivant l'IVG dans la Constitution.
10:50 Le vrai sujet n'est pas que l'IVG soit dans la Constitution, c'est que les femmes
10:53 ne puissent pas techniquement avoir recours à l'IVG, vu que 7% des obstétriciens en
10:57 pratique et que la France est un désert médical.
10:59 C'est le seul vrai sujet.
11:00 La réalité dont parle Bretaud.
11:01 C'est symbolique de l'inscrire dans la Constitution.
11:04 Bien sûr, c'est ça.
11:05 Et qu'est-ce qui vous fait marrer ?
11:06 Qu'est-ce qui vous fascine ?
11:07 La presse.
11:08 Le ministre, seul chez lui, avec une presse de 300 kilos, se met à mettre des sceaux
11:14 sur un texte qui ne règle pas un problème concret.
11:16 Ça, c'est ce qui me donne envie de relier 200 années d'exemplaires du journal officiel
11:22 et de le mettre absolument partout chez moi.
11:24 Vous consacrez plusieurs développements assez assassins aux hommes politiques que vous
11:27 avez bien connus, de tous les âges et de toutes les générations.
11:30 Vous écrivez « La plupart des politiciens n'ont jamais travaillé.
11:33 Si l'on entend par travail autre chose que la présence active à la bourse des services
11:37 rendus et acceptés, ils n'ont pas non plus tiré bénéfice d'une éducation particulière
11:41 et s'ils ont jamais lu, ont très tôt cessé de savoir comment le faire.
11:45 Leurs idées leur viennent de l'administration, de la nécessité de s'opposer à celle
11:49 de leurs adversaires, de la société observée par le trou de la serrure ou celui de la
11:53 statistique.
11:54 Ainsi errent-ils de poste en poste, comme des clochards d'abri en abri.
12:01 Oui, c'est la bohème du monde moderne.
12:02 Mais cette sévérité, si vous voulez, en fait, elle a une origine un peu personnelle.
12:09 Au début, par erreur évidemment, mais j'ai passé les concours me permettant d'appartenir
12:15 à ce monde-là.
12:16 Et puis comme…
12:17 Les nains…
12:18 Vous avez tout fait.
12:19 Et comme au fur et à mesure, je me suis rendu compte que ça n'était pas ce qui me convenait
12:24 et que de là j'ai décidé de m'en aller.
12:25 Si vous voulez, ça m'a fait basculer dans une collectivité mystérieuse que vous connaissez
12:32 sûrement qui est la communauté des gouvernés.
12:34 C'est-à-dire que désormais, depuis presque des dizaines d'années maintenant, je ne
12:39 me sens pas du tout appartenir à ceux qui gouvernent.
12:41 Évidemment, j'en suis parti.
12:42 Mais n'appartenant pas à ceux qui gouvernent, je me sens appartenir à la collectivité
12:45 des gouvernés.
12:46 Je me mets à leur place.
12:47 Je ne vais pas prendre la parole en leur nom ici, mais nous autres les gouvernés, je
12:52 crois qu'on en a par-dessus la tête d'être sermonnés par, disait Tocqueville, ces bergers
12:57 qui ne sont pas de meilleurs animaux que nous et qui bien souvent sont de pires.
13:01 Cermonnés, catéchisés, protégés, sommés d'applaudir.
13:06 Avec d'ailleurs ce phénomène d'étrange courtisanerie qui fait que par exemple à
13:10 chaque élection présidentielle, tout d'un coup, nous chargeons l'élu avec un grand
13:15 « E » de tous nos rêves, quitte à être déçus ensuite.
13:18 Et ensuite, l'élu et ses collaborateurs en profitent chaque matin.
13:22 Vous savez, on est en temps de carême.
13:23 J'ai vu que vous receviez un évêque avant.
13:25 - On va vous poser la question sur la fin de vie.
13:27 - Je voudrais vous proposer la création d'un carême républicain.
13:31 Où pendant 40 jours, on interdirait au président, au premier ministre, au ministre de nous
13:38 tympaniser avec un récit, comme ils disent, avec une idée, avec une mesure technocratique.
13:45 Avec un référendum, avec une séquence, une cérémonie de panthéonisation.
13:50 Le carême républicain serait un rêve.
13:52 - Il y a trop de panthéonisation ?
13:53 - Oui, il y a trop.
13:54 - Ah ben moi j'ai un vrai problème avec la panthéonisation.
13:58 Je pense qu'il faudrait, je suis un adepte de la dé-panthéonisation, je pense qu'il
14:04 faudrait les en faire sortir les malheureux.
14:06 Prenez Manouchian, le brave garçon, et je le dis avec toute l'émotion possible.
14:12 Prenez Jean Moulin, qui aimait les femmes, les Amilcars, les Citroën C9, à la conduite
14:18 héroïque en 40 et ensuite, qui aimait aller manger des huîtres au Dôme, et qu'on a
14:23 figé dans une espèce d'idole de plâtre, caressée par les lumières modernes, avec
14:30 les chansons des enfants des écoles, les en faire sortir, leur rendre leur vérité
14:35 humaine.
14:36 C'est ça un exemple pour le citoyen.
14:37 - C'est beau le symbolisme républicain, c'était beau l'élala cérémonie de Manouchian.
14:41 - Vous êtes passé à côté ?
14:43 - Oui, parce que si vous voulez, d'abord je suis passé à côté pour des tas de raisons.
14:47 Je vous parlais de l'imposture, si vous voulez, bien sûr c'est beau, et puis une part de
14:52 moi vibre.
14:53 Alors une part de moi vibre davantage.
14:55 - Une part de vous vibre qu'un étranger pour la première fois en frontée ?
14:58 - Ca, ça, ça vibre.
15:00 Et puis l'autre chose qui vibre aussi, mais elle vibre davantage je dois dire, à la figure
15:07 monolithique et immobile du général comme un bloc chus d'un désastre obscur le jour
15:12 de la panthéonisation de Jean Moulin.
15:14 La simplicité.
15:15 Quand vous parlez du symbole, je trouve que le symbole serait plus fort si les cérémonies
15:18 étaient plus simples.
15:19 Mais c'est un autre débat.
15:20 Non, dans Manouchian, ce qui m'a frappé, c'est que j'ai eu du mal quand même à voir
15:26 la même semaine faire voter avec l'extrême droite la loi sur l'immigration qui en réalité
15:32 réduit l'étranger à être à la fois un risque, une menace et un objet de doute.
15:39 Pour immédiatement après, dans les flonflons portés par les légionnaires de la 13, voire
15:44 Manouchian porté au Panthéon, oui j'ai du mal à penser deux choses à la fois.
15:48 - On le voit dans ce livre, François Surault, vous aimez plus la géographie que l'histoire
15:54 à laquelle, dites-vous, vous n'avez jamais accordé beaucoup de crédit.
15:58 Mais vous avez de la tendresse pour les historiens.
16:00 Pourtant, l'histoire en train de se faire, vous en avez été témoin à Sarajevo par
16:04 exemple, je vous cite, dans les villages à demi-détruits, les blessés montraient des
16:09 visages d'anciens enfants.
16:11 Ils avaient le regard de ceux qui sont passés de l'autre côté du miroir, où plus rien
16:16 n'est pareil.
16:17 Témoin aussi à Budapest quand tombe le mur de Berlin.
16:20 Le retour de la guerre sur le continent européen est la nouvelle donne fondamentale.
16:24 Aujourd'hui, vous le savez, Emmanuel Macron, à ses derniers jours, déclarait qu'il n'excluait
16:29 pas l'envoi de troupes au sol dans cette guerre, appelant ses alliés à se réveiller
16:34 au risque sinon d'être des lâches.
16:36 Comment avez-vous reçu ces déclarations ?
16:38 Je ne les ai pas vraiment reçues parce que je crois qu'il est en jeu là quelque chose
16:43 que je ne connais pas profondément.
16:45 C'est-à-dire le jeu diplomatique complexe où un président qui a fait ce qu'il croyait
16:50 devoir faire dans ce conflit, essaie d'indiquer à Poutine que ça ne se passera pas comme
16:57 ça jusqu'au bout.
16:58 Alors les moyens qu'il trouve de le faire franchement et qui j'imagine pour moitié
17:03 entrer à des conversations qui doivent se dérouler sans que vous ni vous ni moi n'en
17:06 sachions rien, ça m'est très difficile d'en parler.
17:11 Mais l'armée, vous la connaissez l'armée ?
17:12 Oui, mais je l'ai connue au cul du camion.
17:16 C'est-à-dire que, et pour autre chose que la géopolitique, c'est-à-dire pour, je crois
17:23 que je suis venu y chercher en dehors du goût de l'histoire se faisant sur un théâtre
17:27 particulier, mais un sentiment de l'égalité des hommes et un sentiment de la fraternité
17:31 qui est quelque chose qui m'avait toujours plu, qui m'avait sorti de mon milieu et à
17:36 quoi je suis resté extrêmement attaché.
17:38 Et c'était sans rapport avec les motifs des conflits.
17:41 Par exemple, j'ai été en Afrique où nous menons depuis 20 ans une politique détestable,
17:44 où la moitié de mes camarades pensaient que nous menions une politique détestable.
17:47 Ça ne nous empêchait pas de faire ce que nous avions à faire.
17:49 J'ai été en Afghanistan qui est un pays que j'ai profondément aimé et nous nous
17:53 sommes partis dans des conditions d'une indignité épouvantable.
17:56 Et aujourd'hui, le fait que l'armée française, par exemple, vous parlez de l'Afrique,
17:59 que l'armée française ait dû partir quasiment de l'Afrique.
18:02 C'est d'une très grande tristesse, mais quand nous étions sur place, nous n'y
18:06 pensions pas.
18:07 Vous savez, c'est laïr, ce que j'aime beaucoup.
18:09 J'ai fait tout ce qu'un soldat a l'habitude de faire et pour le reste j'ai fait ce que
18:12 j'ai pu.
18:13 C'est ce sentiment-là qui me plaît dans les interventions.
18:15 Une question sur l'application de France Inter qui vous est posée par Sylvie, ce réfugié
18:20 dans la littérature d'autres siècles.
18:22 C'est trop facile pour fuir le monde actuel.
18:25 Vous ne vous confrontez pas au grand bouleversement de l'actualité.
18:29 Elle cite la guerre en Ukraine, les horreurs de Gaza.
18:32 Comment recevez-vous cette critique, François Assureau ?
18:35 Je la comprends, bien sûr.
18:37 Je la trouve étonnamment superficielle, si je puis me permettre.
18:40 Pourquoi ? Parce que d'abord, il n'y a pas de grandes œuvres du passé, de grandes
18:43 œuvres du présent.
18:44 Il n'y a que des grandes œuvres.
18:45 Et certes, je ne me suis pas confronté à l'Ukraine ou à Gaza de manière publique,
18:50 mais je crois que je n'aurais pas écrit ce que j'ai écrit sur les libertés publiques,
18:58 sur les libertés politiques, sur le droit des détenus, si je n'avais pas lu Victor
19:01 Hugo, par exemple.
19:02 Je ne l'aurais pas appris en lisant tel ou tel romancier contemporain qui traite de
19:06 questions biographiques et intimes.
19:08 C'est Hugo qui m'a formé.
19:10 Et sous ce rapport, je ne le regrette pas.
19:12 J'en parle beaucoup dans mon livre.
19:13 Donc ce n'est pas qu'un refuge, la littérature ?
19:15 Ça n'est en rien un refuge.
19:17 La littérature est pour moi…
19:19 C'est une simulation.
19:20 C'est une simulation.
19:21 Je n'étais pas absolument fait pour prendre des positions publiques sur toutes sortes
19:24 de questions politiques.
19:25 Et vous l'avez fait.
19:26 Et je l'ai fait.
19:27 Et je l'ai fait pourquoi ? Parce que Hugo me les a soufflés à l'oreille.
19:31 Vous savez, je fais partie des gens qui peuvent encore verser une larme en écoutant deux
19:35 choses.
19:36 Je parle longuement de l'exil de Hugo à Garnsey dans mon livre.
19:38 Je verse une larme en lisant ces deux choses à la fois.
19:41 Honnêtement, et s'il n'en reste qu'un, si quelqu'un a cédé qu'on aurait cru
19:47 plus ferme et puis la fin, le verre de la fin.
19:50 Et s'il n'en reste qu'un, je serais celui-là.
19:52 Mais ce verre me tire encore des larmes quand je le récite.
19:55 Et de l'autre côté, c'est l'homme qui a écrit la plus belle déclaration d'amour
19:58 de langue française dans les Burgraves.
20:00 Régina, disons prêtre qu'il n'aime pas son dieu.
20:03 Disons Toscan, sans maître, qu'il n'aime pas sa ville.
20:05 Au marin sur la mer qu'il n'aime pas l'aurore.
20:08 Après la nuit d'hiver, va trouver sur son banc le forçat là de vivre.
20:13 Dis-lui qu'il n'aime pas la main qui le délivre.
20:14 Mais ne me dis jamais que je n'aime pas.
20:18 C'est ça Hugo, c'est les deux ensemble.
20:21 Et c'est cet afflux amoureux qui détermine sa position politique.
20:27 Non, la littérature est tout sauf un refuge.
20:30 Emmanuel Macron s'est expliqué hier dans une interview à Libération et à la Croix
20:36 sur la fin de vie.
20:37 Un projet de loi sera présenté en Conseil des ministres fin avril qui ouvrira la possibilité
20:42 à certains malades de demander une aide à mourir.
20:45 C'est l'expression sous certaines conditions très strictes.
20:48 Comment accueillez-vous cette volonté de légiférer sur la fin de vie ?
20:53 Et vous, l'adepte, le défenseur de la liberté, voyez-vous un progrès dans le fait qu'on
20:57 ouvre une telle possibilité d'aider à mourir à certains malades en extrême souffrance ?
21:03 C'est une question extrêmement difficile.
21:05 Elle est extrêmement douloureuse.
21:07 Elle est extrêmement douloureuse pour tous ceux dont vous faites partie, dont je fais
21:11 partie, dont énormément d'auditeurs font partie, ont connu des circonstances de ce
21:15 type.
21:16 Et il faut le dire parce que ce n'est vraiment pas un sujet sur lequel on peut se jeter des
21:19 concepts et des arguments à la tête.
21:21 En fait, cette déclaration m'a rendu prodigieusement inquiet.
21:29 Je pense en réalité qu'il faut se tenir à quelques principes simples si l'on ne
21:35 veut pas, tôt ou tard, basculer dans des choses extrêmement fâcheuses.
21:38 Ce principe de base cumule une tincture à point avec le fait que l'État ne peut être
21:44 mêlé en aucune manière, fût-ce par la production d'un dispositif, à la mort d'une personne.
21:50 C'était la raison qui faisait que Badinter, par exemple, était également opposé à
21:56 la peine de mort et à ce qu'on appelle aujourd'hui le suicide assisté.
21:59 Vous pensez qu'Emmanuel Macron a attendu la mort de Robert Badinter ?
22:04 Cette pensée m'a traversé l'esprit.
22:06 J'avoue que j'ai ressenti une certaine tristesse, là aussi, à voir ce qui était
22:12 chez lui une conviction fondamentale, immédiatement balayée quelques semaines après qu'on
22:20 lui ait fait cette cérémonie dans la cour de la Place Vendôme.
22:24 Ça fait partie des choses qui me laissent littéralement interdit.
22:28 Mais ça n'était pas le principal combat de sa vie.
22:30 Mais ceux qui disent que c'est une souffrance de mourir, qu'on meurt de manière indigne,
22:35 que parfois il faut accélérer les choses, que c'est l'État qui fait des lois, François
22:40 Sirot, vous le savez.
22:41 On ne va pas laisser ça à la responsabilité des médecins.
22:43 La loi Léonetti, ça a été une loi.
22:46 Je n'engage que moi, je n'ai pas vocation de prophète sur ces sujets.
22:52 La vocation d'un principe, c'est qu'on ne peut pas exciper de la difficulté des
22:55 circonstances pratiques, des circonstances de fait, pour s'écarter du principe.
23:00 Bien sûr que c'est difficile.
23:02 Comme on faisait avant.
23:03 Le soldat blessé sur le champ de bataille qui a un camarade agonisant, qu'est-ce qu'il
23:09 fait ? Il l'achève.
23:11 Le médecin, et je viens d'une famille de médecins, le médecin qui a affaire à des
23:15 souffrances de ce type, qu'est-ce qu'il fait ? Il fait le nécessaire.
23:18 L'ami, le fils…
23:21 Pas toujours.
23:23 Qu'est-ce qu'il fait ? Pas toujours, bien sûr.
23:26 Mais c'est ça un principe.
23:28 Il le fait.
23:29 Et il en prend la responsabilité.
23:31 On ne peut pas, à mes yeux du moins, on ne peut pas s'exonérer de ce principe fondamental
23:38 sans risquer de basculer dans un monde où finalement le principe ayant été écarté
23:45 une fois, il le sera ensuite pour d'autres motifs.
23:47 Ma vision n'est pas radicale, vous voyez ce que je veux dire ? Je voulais simplement
23:52 manifester ma très grande inquiétude.
23:54 On l'entend.
23:55 Vous avez cette phrase dans ce livre, et ce sera notre dernière question, "il n'y
24:00 a pas de mot que j'aimerais davantage pouvoir décrasser que le mot de consolation".
24:05 Pourquoi ?
24:06 La consolation, c'est la consolation des affligés, de bohètes, c'est quelque chose,
24:13 la consolation c'est ce qui… Par exemple la vie dans les monastères dont je parle
24:17 à la fin de mon livre.
24:18 Mais c'est pour ça.
24:19 Vous faites la tournée des monastères de Saint-Domingue de la Grande Chartreuse et
24:23 on se demandait avec Nicolas si au fond ce que vous annonciez en nous disant "je m'en
24:28 vais, c'est en allé".
24:29 C'était à un moment un petit lance dans les monastères ?
24:32 Vous n'en serez pas prévenu parce que quand on va à la Chartreuse, en fait, qui est la
24:36 forme de vie, c'est la manière la plus parfaite dans ce registre, on ne peut même
24:40 pas écrire de correspondance.
24:41 La consolation, c'est la consolation de ces endroits où en réalité le départ et
24:47 l'arrivée se mélangent au même point, où il n'est plus nécessaire de s'en
24:50 aller, puisque précisément on est déjà établi dans l'attente de ce qui va advenir.
24:56 Et ça, c'est ce qui correspond peut-être pour moi le plus au sentiment de l'enfance,
25:04 au sentiment profond de l'enfance.
25:05 Pas de l'enfance nostalgique, pas de l'enfance sentimentale, mais de cette enfance où nous
25:09 coïncidions absolument avec nous-mêmes.
25:11 Merci François Surreau.
25:12 C'est ça que vous racontez dans le livre, le retour à l'enfance et aux origines.
25:16 Entre autres, parce qu'il y a beaucoup de choses.
25:18 Merci.
25:19 S'en aller chez Gallimard en librairie ce jeudi.
25:21 Merci encore infiniment.

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