Narcotrafic à Marseille : «Ils utilisent une stratégie de la terreur», confie Denis Trossero

  • il y a 6 mois
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Denis Trossero, journaliste indépendant, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Il publie "Règlements de comptes à Marseille, une histoire de la violence dans la cité phocéenne" aux Éditions Mareuil. Ensemble, ils reviennent sur les auditions des magistrats marseillais lors de la commission d'enquête sur le narcotrafic.

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Transcript
00:00 - Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le journaliste marseillais Denis Trossero.
00:04 - Bonjour Denis Trossero.
00:06 - Bonjour.
00:08 - Bienvenue sur Europe 1, vous êtes journaliste indépendant, vous avez travaillé pendant 36 ans au service PJ et Police Justice du quotidien marseillais à la Provence.
00:16 Vous signez ce livre que je montre à l'image sur europe1.fr, "Règlement de compte à Marseille, une histoire de la violence dans la cité phocéenne".
00:24 C'est paru aux éditions Mareuil, préfacé par Franz-Olivier Gisbert, Marseille, Narcoville, Marseille épicentre du phénomène national du narcotrafic.
00:33 Ce sont les mots coup de poing du président du tribunal judiciaire de Marseille, Olivier Laurent, lorsqu'il était auditionné mardi par la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic.
00:43 Le président de cette commission d'ailleurs était l'invité d'Europe 1 hier matin, Denis Trossero.
00:48 Il est à Marseille en ce moment. Est-ce que vous avez été surpris, Denis Trossero, de cet intérêt soudain pour le trafic de drogue à Marseille ?
00:57 Pas vraiment, parce que ça fait un certain nombre de temps que les autorités policières et judiciaires alertent la presse et les citoyens marseillais sur ce qui se passe ici.
01:14 Ce qui nous a davantage surpris, c'est effectivement cette synthèse qui a été présentée par quatre magistrats d'importance à Marseille,
01:23 dont le procureur de Marseille, dont le président et les divers chefs de section de la section Girs, c'est-à-dire celles qui luttent contre le crime organisé ici,
01:32 avec des mots forts, parce que jusque-là on parlait de "narcomicide".
01:36 L'ancienne procureure de Marseille avait dit que c'était un terme qui entendait remplacer le terme un peu galvaudé de règlement de compte.
01:45 C'est effectivement moi la première fois que j'entends le terme de "narcoville" employé, mais je crois qu'il résume assez bien la situation.
01:52 Pourquoi ? Parce que quand on se plonge dans les archives et dans les statistiques du tribunal judiciaire de Marseille,
02:00 on compte aujourd'hui, hélas, que plus de 20% de l'activité juridictionnelle du tribunal est dédiée aux affaires de lutte contre les trafics de stupe.
02:10 Et dans la droite lignée, si j'ose dire, par ses conséquences tragiques, que sont les règlements de compte, que sont ces homicides, ces assassinats,
02:20 ces tentatives d'assassinats qui ont lieu fréquemment.
02:25 Si on baissait ces deux derniers mois, on était à 49 morts sur l'année 2023, ce qui représentait, c'est là où l'heure est triste, l'heure est tragique,
02:35 on était sur 49 morts en 2023, contre 33 pour l'année 2022, ce qui représente une hausse de 50%.
02:44 - Dans votre livre de Nitro-Zéro, vous citez Albert Londres, qui écrivait en 1926 dans "Marseille, porte du Sud"
02:51 "A Marseille, les procès sont à huis clos et les exécutions à l'air libre. Finalement, on se dit que ça n'a pas beaucoup changé en un siècle."
02:59 - Non, exactement. Albert Londres, le journaliste baroudeur, avait de sacrés accents de vérité quand il écrivait ça, quand on lit "Porte du Sud",
03:12 mais quand on lit aussi Blaise Sandrars, on se rend compte qu'il y a beaucoup de correspondances.
03:17 - C'est sans doute lié au fait que Marseille a historiquement toujours été un port, et donc elle a accueilli ici toutes sortes de populations et de trafics,
03:29 quand ce n'était pas la drogue. Il faut se souvenir par exemple qu'en 1971, ce sont les Américains qui vont pousser un coup de sang et alerter le ministre de l'Intérieur,
03:42 M. Raymond Marcellin, pour dire "stop", parce qu'ici, à Marseille, on avait ce qu'on appelait, on s'en vantait un peu, les meilleurs chimistes marseillais,
03:51 ceux qui raffinaient la morphine base qui arrivait de Turquie, qui ensuite étaient transformés en héroïne et qui partaient sur les ports américains et ravageaient la jeunesse américaine.
04:02 - La fameuse "French Connection". Parmi les choses un peu nouvelles qu'on a entendues, tout de même, mardi lors de cette audition au Sénat des autorités judiciaires marseillaises de Nitrocero,
04:13 il y a ce retour de la peur dans le camp judiciaire, avec le spectre du juge Michel, assassiné à Marseille en 1981, qui semble revenir.
04:23 On a les petites mains de la justice, certains magistrats qui disent aussi "oui, on a une peur physique qui s'installe à nouveau".
04:30 Est-ce que le narcotrafic aujourd'hui, selon vous, de Nitrocero, pourrait s'en prendre à nouveau à la justice physiquement,
04:37 ouvrir le feu sur des magistrats comme il l'a fait par le passé, mais ça remonte déjà à quelques décennies ?
04:43 - Oui. L'assassinat du juge Michel à Marseille, c'était le 21 octobre 1981.
04:49 Dès après, les autorités judiciaires avaient, ça a d'ailleurs été l'objet d'un colloque qui s'est tenu pour le 40e anniversaire de la mort du magistrat, il y a trois ans.
05:01 On avait pris des mesures spécifiques, qui étaient par exemple la cossaisine des magistrats dans les affaires d'importance,
05:09 dont celle de crimes organisés, pour éviter qu'il y ait une personnalisation du juge d'instruction et un lien direct entre ces grands voyous et ces magistrats très exposés.
05:22 On a développé la coopération internationale, on a développé la spécialisation.
05:26 Aujourd'hui, effectivement, il y a un certain nombre de magistrats qui me font la confidence qu'ils ne se sentent plus assurés.
05:32 D'abord parce qu'ils n'ont pas de protection policière. Il se dit que les deux principaux magistrats à Marseille, les deux chefs de juridiction,
05:40 pourraient avoir prochainement des protections rapprochées dans ce cadre-là.
05:45 Pourquoi ? Parce qu'en fait, le grand banditisme n'hésite plus, est prêt à tout.
05:51 Il faut savoir par exemple qu'il y a, le mois dernier, il y a eu une équipe qui est arrivée à se procurer les coordonnées d'un expert judiciaire
06:00 et à incendier les locaux d'un labo qui travaille sur ces dossiers-là.
06:05 Heureusement, les scellés n'ont pas été touchés.
06:09 Mais c'est-à-dire qu'ils utilisent une stratégie de la terreur qui, en fait, est, avec la justice, la même stratégie de la terreur que celle qu'ils utilisent quand ils vont sur des points de deal.
06:19 Ils le font certes faire par des petites mains, mais quand ils, comme on dit, ils rafalent à l'aveugle.
06:26 Et c'est là qu'on va souvent avoir des victimes collatérales.
06:30 Mais là, ce sont les magistrats qui sont ciblés en direct.
06:34 C'est doublé d'autres initiatives ou d'autres évolutions qui inquiètent.
06:39 On parle depuis, ce qu'on n'évoquait pas il y a peu de temps, de corruption, c'est-à-dire avec de plus en plus de policiers qui pourraient avoir été approchés,
06:46 d'agents pénitentiaires qui sont très mal payés et qui sont susceptibles de dire oui
06:52 quand on les sollicite pour faire rentrer des téléphones ou pour faire rentrer de la drogue.
06:57 Mais aussi, je crois, deux enquêtes qui ont été ouvertes au tribunal judiciaire de Marseille
07:04 sur des suspicions qui pourraient être liées à des excès de nullité constatées dans certains cabinets d'instruction marseillais
07:11 ou des greffiers ou greffières qui renseigneraient le crime organisé.
07:16 - Ça c'est particulièrement inquiétant, on développera ce point-là dans 20 minutes avec notre spécialiste police-justice William Mollinier.
07:22 Dernière question pour vous, Denis Trocero, il y a aussi parmi les choses qu'ont dit les magistrats mardi,
07:28 ils plaident pour que dans la lutte contre le narcotrafic, on s'inspire désormais de ce qui se fait contre le terrorisme
07:35 parce que finalement, les moyens du droit commun sont impuissants face à la puissance du narcotrafic.
07:43 - Oui, tout à fait, le procureur Besson a présenté un certain nombre de mesures qui sont courageuses, il faut le dire.
07:51 Je trouve que ces initiatives sont très courageuses, notamment la création de quelque sorte de juridiction spécialisée
07:59 comme pour le terrorisme, comme vous le dites, c'est-à-dire de ne plus faire juger les affaires de stup par des magistrats traditionnels
08:07 mais par des compositions spéciales. Il prône également le recours à des quartiers disciplinaires
08:18 qui pourraient ressembler aux ex-QHS, aux ex-quartiers de haute sécurité où on enfermait les dangereux, les criminels les plus dangereux.
08:29 Pourquoi ? Pour faire en sorte que ces trafiquants ne soient pas entre eux, ou ne soient pas en présence des équipes rivales
08:36 et continuent, ce qu'on constate au quotidien, à organiser le trafic depuis l'intérieur de la prison.
08:43 C'est pour ça que toutes ces mesures sont intéressantes, de même que la révision qui, à mon avis, est urgente
08:48 de la loi sur les repentis à la française, qu'on appelle pudiquement "collaborateur de justice".
08:55 Il faut savoir qu'en France, il n'y a à ce jour que 42 collaborateurs de justice.
08:59 Le procureur Besson entend les tendres à ceux qui éventuellement auraient aussi du sang sur les mains
09:05 comme l'ont fait l'Italie des années 80 et 90 avec le procès initié par toutes les dénonciations de M. Tomaso Bucetta.
09:16 Mais dans mon livre, je cite une vingtaine de mesures aussi qui pourraient être intéressantes,
09:21 notamment, alors qu'ils vont peut-être faire bondir certains, mais je propose la criminalisation du trafic de drogue
09:26 qui certes existe, mais n'est utilisé à ce jour que dans les affaires d'importation en bande organisée.
09:31 C'est-à-dire qu'on a à peu près une à deux affaires de ce type devant les assises des Bouches du Rhône chaque année.
09:37 Autant dire que c'est relativement dérisoire. Mais aussi un certain nombre d'autres mesures,
09:42 comme la réinstallation des commissariats dans les cités ou l'amélioration de la technicité dans les ports européens.
09:49 Seuls 4% des ports européens sont équipés de scanners dignes de ce nom, capables de détecter dans les containers la présence de cocaïne ou de la chiche.
10:00 Vous voyez, je pense que comme l'a dit le président Le Rond lors de son audition, il est temps de décréter un plan Marshall pour Marseille.
10:09 Et c'est d'autant plus inquiétant, je pense qu'il faut vraiment que pour préserver l'état de droit,
10:15 qu'on mette en place ce que certains appellent ce nouveau cercle vertueux.
10:20 D'autant que si on fait un petit peu d'histoire, on se rappelle qu'en septembre, le mois de septembre 2012,
10:26 l'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait réuni à Paris un comité interministériel et qu'il avait déjà tiré la sonnette d'alarme.
10:33 - Oui, c'était il y a plus de 10 ans. - Qu'a-t-on fait depuis 12 ans, vous voyez ?
10:35 - Merci Denis Trossero. Et on vous lira dans ce livre que je tiens, "Règlement de compte à Marseille. Histoire de la violence dans la cité".
10:41 Fosseyen, paru chez Marué Éditions. Merci de vos lumières en matière marseillaise.
10:46 - Merci à vous, merci. - Bonne journée Denis Trossero.

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