• il y a 7 mois

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Transcription
00:00 Il ne fallait pas que je fasse de bruit.
00:01 J'ai cru avoir une excellente idée en prenant un saladier
00:05 et en m'en servant comme pot de chambre en cachette.
00:07 Et puis un jour, j'avais mal calculé mon coût et ça a débordé.
00:11 Je me suis dit comment moi, qui ai fait dix ans d'études,
00:14 qui ai jamais manqué de rien, qui travaille, j'étais déjà écrivaine,
00:18 je peux en être à éponger ma pisse parce que j'ai peur d'aller aux toilettes.
00:24 La relation avec le père de ma fille a duré à peu près dix ans
00:28 et j'ai fini par m'enfuir avec mon bébé parce que j'avais peur.
00:33 Ça a commencé par de la violence psychologique,
00:36 ce qu'on appelle du contrôle coercitif où il fallait que je rende des comptes
00:39 sur les endroits où je me déplaçais, les missions de travail que j'acceptais,
00:44 les tenues que je portais, les personnes à qui je répondais au téléphone,
00:48 les retrouvailles avec les amis, donc de quelle heure à quelle heure,
00:52 avec qui, qu'est-ce que vous avez dit,
00:53 il ne fallait pas que je me trompe sur les phrases que je rapportais, etc.
00:57 Ça a évolué vers de la violence, ce qu'on appelle matérielle.
01:01 Quand on plaque quelqu'un contre un mur, qu'on donne un coup de poing dans le mur
01:04 et qu'on fait un trou de 15 cm, on ne frappe pas la personne
01:08 mais on lui laisse penser ce qui peut arriver à sa tête.
01:10 Et puis, ça finit par aboutir aussi à de la violence physique.
01:16 J'ai eu des fractures, en tout cas une à la main droite
01:21 alors que je venais d'avoir mon bébé.
01:23 J'ai eu peur de disparaître parce que je ne me reconnaissais plus moi-même,
01:28 que je ne voyais plus personne.
01:30 Et je me suis dit, il va falloir que je m'apaise.
01:36 Parce que ma vie, ça ne peut pas être que ça, d'avoir tout le temps peur,
01:39 de pleurer tous les jours, de me demander si je dois me tuer ou pas.
01:43 J'ai essayé 700 fois de partir et ça n'a jamais été possible
01:48 parce que les relations toxiques, c'est un élastique en fait.
01:51 Donc on revient toujours.
01:52 Il y a certaines femmes aussi qui n'ont pas accès à leur papier
01:55 donc elles ne peuvent pas partir.
01:57 Puisqu'on ne peut pas aller porter plainte si on n'a pas ce papier,
02:00 on ne peut pas inscrire un enfant dans une nouvelle école,
02:03 on ne peut pas prendre un nouvel appartement.
02:05 Donc tout ça, en fait, ça empêche de partir.
02:09 J'ai commencé à méditer, j'ai commencé à faire du sport pour me renforcer
02:14 et ça a été une sorte d'effet boule de neige où plus finalement je me renforçais
02:19 et je retrouvais une connexion en moi,
02:22 plus en fait ça me donnait envie de vivre autre chose.
02:25 Ma fille a tout changé pour moi.
02:28 J'ai eu l'impression de fabriquer une victime.
02:31 Dans la mesure où déjà je voyais l'impact sur elle des bruits, des mots.
02:37 Quand je recevais des menaces de mort parce qu'il restait trois miettes
02:41 sur une planche à découper, en fait j'avais mon bébé,
02:43 je voyais son regard partir ailleurs et comme si elle était devenue absente.
02:48 Elle ne dormait pas bien, elle ne mangeait pas bien.
02:51 Et puis très vite je me suis dit,
02:53 mais elle est en train d'apprendre que c'est ça la normalité.
02:57 Elle est en train de se dire que comme elle ne connaît pas autre chose,
03:01 ce qu'elle voit c'est acceptable.
03:03 Quand j'ai eu ma fille, j'ai eu cette espèce de troisième oeil
03:06 qui m'obligeait à regarder ce que je vivais de l'extérieur
03:09 et j'ai eu ce choix à faire en fait,
03:12 c'était soit je continue à le sauver lui mais je faisais souffrir mon bébé,
03:16 soit je sauvais mon bébé.
03:17 On culpabilise toujours les femmes en leur disant
03:20 "mais pourquoi tu restes, pourquoi tu pars pas, pourquoi tu n'es pas partie plus tôt ?"
03:23 alors qu'en réalité le moment le plus dangereux c'est celui du départ,
03:28 c'est celui où il devient matériel pour l'agresseur
03:32 qu'il ne possède plus la femme qu'il pensait posséder.
03:36 Le féminicide c'est un crime de possession.
03:39 La moindre confrontation déjà peut aboutir à une dispute dangereuse
03:42 mais en plus ça tire l'élastique de la culpabilité.
03:45 Ce qui fait qu'on reste c'est qu'on sait
03:48 qu'il transforme en violence une souffrance en eux
03:51 mais du coup il y a une souffrance
03:52 et on essaye d'être la sauveuse de cette souffrance.
03:55 On essaye de finalement remplir ce rôle qui nous valorise
03:59 et qui vient combler un problème d'estime de nous-mêmes,
04:02 qui vient combler ce sentiment qu'on ne vaut rien
04:05 puisque pour cette personne on vaut tout.
04:08 Même si les preuves quotidiennes sont totalement disproportionnées,
04:12 agressives etc.
04:13 C'est quand même le signe qu'on vaut quelque chose pour quelqu'un.
04:16 Par porte-plaintes, appel, le numéro d'urgence.
04:20 Sauf que le problème ne se situe pas là.
04:22 Le problème il est qu'est-ce que je vaux moi ?
04:25 Est-ce que je vais retrouver goût à la vie ?
04:27 Est-ce qu'on m'aimera ?
04:29 Plus on raconte finalement, plus on brise le tabou,
04:31 plus on se crée des gardes fous.
04:33 Parce qu'on a honte de ce qu'on a vécu
04:35 mais on a encore plus honte de potentiellement retourner,
04:38 ce qui est un aveu de faiblesse.
04:39 Les femmes, d'autant plus quand elles commencent à vivre de la violence,
04:42 elles sont de plus en plus fragilisées
04:45 et elles ont de moins en moins confiance en elles.
04:47 Surtout, on ne juge pas une femme
04:51 dont on suspecte qu'elle est victime de violence.
04:53 Ou même, quand on le sait,
04:55 jamais critiquer son agresseur
04:58 parce que du coup on renforce ses propos à lui.
05:00 Donc ce qu'il faut c'est au contraire,
05:03 rassurer les femmes sur ce qu'elles veulent,
05:05 calmer cette inquiétude émotionnelle
05:09 pour qu'elle soit capable d'estimer valoir plus que ce qu'elle vive.

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