Valentin Senez, écrivain et ancien acteur, témoigne du viol et des agressions sexuelles qu'il a subis de la part d'un agent de cinéma. Une libération de la parole qui s'inscrit dans le mouvement #Metoogarçon, lancé par l'acteur Aurélien Wiik
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00:00 -Vous aviez 21 ans, vous vouliez être comédien, vous quittez votre village du nord de la France et vous arrivez à Paris.
00:08 -C'est ça, en fait j'ai un oncle franco-américain qui me dit "écoute, on va te faire faire des photos, on va te faire un book et on va l'envoyer aux agences parisiennes, directeurs de casting, entre autres".
00:22 Et je me dis "pourquoi pas, ça peut se faire". Et quelques jours plus tard, on reçoit une réponse positive d'une grande agence d'acteurs.
00:34 Donc moi j'y crois pas, à ce moment là je me dis que c'est comme dans un rêve, je me dis que ce qui m'arrive c'est comme un coup du destin.
00:44 Donc mon oncle me dit "bon ben c'est mercredi le rendez-vous".
00:49 -C'est quoi cette agence ?
00:50 -C'est l'agence AAC. Et du fait on a rendez-vous quelques jours plus tard dans le 16ème arrondissement de Paris pour rencontrer cet homme.
01:00 Donc on arrive dans ce que je pensais encore être un bureau d'agence. Le rendez-vous se passe super bien.
01:10 On discute pendant des heures, il nous raconte pourquoi on est là. Des photos lui ont plu. Apparemment j'ai une gueule d'acteur.
01:19 Avec mon oncle ils échangent sur leur expérience. Il nous dit qu'avec lui ça peut se faire, grâce à ses contacts, grâce à son réseau.
01:28 Voilà, il est prêt à me lancer. Ça se passe tellement bien qu'après on part au restaurant. On refait le monde.
01:35 Jusqu'à 23h30, il y a un restaurant en bas de chez lui, le Wacken. Il me souvient comme si c'était hier de ce que j'ai commandé, etc.
01:45 Et voilà, on se dit au revoir. Ils savent que quelques jours plus tard mon oncle décide de lui envoyer un mail.
01:54 Dans ce mail il se permet de lui dire que toute collaboration sera forcément moi, lui, mon oncle Patrice et lui Patrick.
02:05 Sauf qu'en fait il le prend hyper mal. Il me contacte le lendemain.
02:14 "Qu'est-ce que c'est que ce mail que je viens de recevoir de ton oncle ? Moi je te dis un truc, c'est terminé, je veux plus en entendre parler."
02:21 C'est dommage parce que je pensais qu'on pouvait faire quelque chose tous les deux.
02:27 Franchement, c'est très dommage ce qui se passe.
02:30 Moi je lui dis "On peut refaire un rendez-vous, je vais lui dire de s'excuser."
02:35 Et il me dit "Non, moi je veux plus en entendre parler de lui, c'est fini.
02:40 Mais écoute, je t'apprécie et je veux pas que tu restes là. Je vais te faire venir à Paris. Tu ne le diras pas à ton oncle."
02:48 J'ai une chambre au-dessus de mon bureau où tu pourras loger, rencontrer des directeurs de casting, des producteurs.
02:55 Moi à ce moment-là, j'ai peur de rien, je me suis dit "Allez, j'y vais."
03:00 Mais je le dis à mon oncle Patrice qui me dit "Fais attention."
03:04 Mais moi à ce moment-là, ça se sait pas encore, on est en 2015.
03:08 Et donc je me souviens, je crois même qu'à l'époque il m'envoie 200 euros en mandat à la poste pour que je prenne le train.
03:17 Donc je me dis vraiment, l'homme est charitable.
03:21 Et j'arrive le jour suivant, Paris, on est au mois de juin, il fait très beau.
03:28 Il vient me chercher en bas, il me dit "Bon tu feras pas de bruit parce que dans mon bureau là, il y a deux directrices de casting pour un long-métrage unitaire sur France Télévisions.
03:37 Xavier Duranger, Marc Lavoine, gros film quoi, tu feras pas de bruit."
03:41 Et en fait, quand je rentre dans l'appartement, les directrices de casting, elles flashent directement sur moi.
03:48 En me disant "Mais Patrice, comment tu fais pour les trouver ? C'est exactement le rôle qu'on cherche, le physique qu'on cherche.
03:55 Bon écoute, tiens, on imprime le texte, c'est parti, tu viens mercredi, Scarlett Production, ça va bien se passer, t'en fais pas."
04:05 Moi je me dis "Mais c'est trop beau quoi, à peine arrivé que j'ai déjà un rôle."
04:11 Je n'en crois pas les yeux en fait.
04:14 Et il me dit "Mais tu te rends compte, c'est génial, t'as vraiment la chance quoi, t'as une gueule d'acteur, il faut en profiter, t'es jeune, t'as 21 ans."
04:22 Et moi à ce moment là, je me dis que ce mec c'est ma bonne étoile, c'est mon Pygmalion.
04:26 Et il me dit "J'ai une surprise, on va aller promener mes chiens et le soir on dîne avec quelqu'un de très connu, tu verras."
04:35 Il ne me le dit pas au début.
04:37 Je dis "Ben super, c'est de surprise en surprise, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?"
04:41 Et puis le soir arrive, je rencontre Yves Lecoq, son garde du corps, on passe un super moment.
04:48 Il fait beau, bouteille de rosée entre autres, la vie d'artiste on peut dire.
04:55 Et en fait, quand on rentre du restaurant, c'est juste à côté, donc on est à pied.
05:01 Il me fait comprendre que la chambre où je devais séjourner, elle ne sera pas disponible avant quelques jours.
05:08 Donc là, à ce moment là, on est même dans son bureau en fait.
05:12 Et moi je lui dis "Il n'y a pas de soucis, je dormirai dans les deux canapés."
05:16 Il me dit "Ah non, tu comprends, il y a quelque chose demain très tôt, ça ne va pas être confortable."
05:22 Et là, dans le bureau, il y avait les deux chiens qu'ils aboyaient, donc c'était un peu anxiogène.
05:27 Et il me dit "Regarde, une porte s'ouvre, ça s'ouvre sur une salle de bain, sur un lit, sur une chambre plus que confortable."
05:40 Et il me dit "Bon, écoute, tu te mets là, je me mets là dans le coin, j'allume la télé, de toute façon moi je suis KO."
05:47 Donc je ne savais pas que la télé allait s'éteindre parce que c'est des télés comme ça.
05:52 Et c'est là que dans la nuit, je ressens quelqu'un qui se colle à moi.
05:58 Au début, je croyais qu'il était en train de dormir, de rêver, et je le repousse.
06:03 Je lui dis "Patrick, réveille-toi."
06:07 Et en fait, pour le coup, lui, il n'était pas du tout en train de rêver.
06:11 Il commence avec sa main à me caresser le cou, à descendre dans mon dos.
06:18 J'ai son souffle au niveau du cou, il me dit "Chut, laisse-toi faire. Laisse-toi faire, ça va bien se passer."
06:26 Et moi je suis comme pétrifié en fait, je me dis "Mais dans quelle merde je me suis foutu, en fait c'était bidon depuis le début."
06:33 J'aurais dû écouter mon oncle Patrice, je m'en suis voulu.
06:37 Et cette même main, au fur et à mesure, elle est descendue jusqu'à mon entrejambe.
06:43 Et elle a touché mon sexe en faisant des genres de va-et-vient.
06:48 Ça a dû durer entre 5 et 10 minutes.
06:51 C'est au moment où la chose est arrivée qu'il a descendu son visage pour essayer de me faire une fellation.
07:01 C'est à ce moment-là que j'ai pris le reste de courage que j'avais encore pour le déstabiliser et me sauver directement dans le salon, le bureau.
07:12 Et là il est revenu, il me retouche le dos, il me fait "Ça va, ça va bien se passer mais tu sais ce que j'attends de toi."
07:22 Je m'endors aux alentours du... je sais plus quelle heure il était.
07:28 Je me dis que le lendemain il va s'excuser.
07:31 Et en fait moi je me réveille aux alentours de 11h et il n'y avait pas eu de rendez-vous en fait.
07:36 Puisque quand je me réveille, lui est parti et finalement c'était aussi un mensonge en fait son rendez-vous.
07:43 Voilà, il revient l'après-midi avec du courrier, il se met à son bureau.
07:49 Et je me dis, il va s'excuser, après tout.
07:55 Et je lui dis "Est-ce que tu peux me faire réviser le rôle ?"
08:00 Et là il me regarde, il me fait "Écoute, t'as pas plutôt envie de me sucer là sous le bureau ?"
08:04 Et à ce moment-là j'ai compris que c'était plus le même homme que j'avais vu en face.
08:09 L'homme gentil, l'homme bon, avait totalement disparu.
08:14 C'était un prédateur et j'étais sa proie.
08:17 C'est comme si ses yeux n'avaient plus une once d'humanisme.
08:22 Et vous êtes parti ?
08:23 Je suis resté jusqu'au soir parce qu'on devait rencontrer un couple de producteurs pour TF1, un homme et une femme.
08:29 Et je me suis dit "Le mal est fait, pourquoi pas rester et après je partirai ?"
08:34 Sauf qu'en restant, les agissements étaient encore davantage.
08:38 Il a commencé à me retoucher les fesses, à me dire que j'avais un cul qui lui donnait envie de baiser.
08:45 Et là je me suis dit "Faut que je parte quoi, faut que je me casse de ce trac'nard."
08:51 Donc je vais au restaurant, on dîne avec le couple, très gentil.
08:58 Et là je vois un homme qui raconte ses projets et je me dis "C'est pas le même homme."
09:05 Je me dis "Mais pourquoi ça ?"
09:09 Je me suis senti... à ce moment-là je me sens sale, je me sens honteux.
09:14 Je me dis "Pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?"
09:20 C'était mon rêve.
09:21 Ça m'en a même dégoûté du métier pour tout vous dire.