Magistrate, secrétaire générale d'Unité-Magistrats-FO, Béatrice Brugère est l'auteure du livre "Justice : la colère qui monte".
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 29 février 2024 avec Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 29 février 2024 avec Yves Calvi.
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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 RTL matin, 7h-9h.
00:05 8h21, bonjour Béatrice Brugère.
00:08 Bonjour.
00:08 Vous êtes magistrate pénaliste, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrat FO.
00:13 Merci de prendre la parole ce matin sur RTL puisque vous publiez "Justice, la colère qui monte" c'est aux éditions de l'Observatoire.
00:19 De quelle colère parlez-vous ? La colère de qui ?
00:21 En réalité c'est multiple la colère si on regarde, il peut y avoir la colère de l'intérieur, vous savez qu'on a eu des mouvements
00:27 des magistrats qui se plaignent régulièrement et à juste titre du manque de moyens, de la pression des chiffres,
00:32 du manque de magistrats, de la complexité de la procédure. C'est aussi la colère de nos partenaires,
00:38 rappelez-vous les policiers qui se plaignent de notre inefficacité.
00:41 Mais moi aussi ce qui m'intéressait plus particulièrement c'est aussi la colère des citoyens, c'est à dire
00:46 d'écouter et d'entendre l'incompréhension de ce que la justice fait et du coup les mises en cause régulières y compris des politiques sur
00:56 le système judiciaire. C'est pour ça que vous décrivez une justice, alors je cite, "maltraitante car maltraitée et marginalisée,
01:02 une fabrique de souffrance, d'intérêts contradictoires, d'enjeux, de pouvoirs internes et de lâcheté".
01:06 Vous avez une minute, expliquez-nous.
01:09 Bah je crois que vous avez un peu tout dit, une minute. Oui en réalité ce que l'on voit c'est que toute façon une justice
01:16 qui n'est pas bien organisée, qui n'est pas performante, ne peut pas produire des choses exceptionnelles si elle n'a pas elle-même
01:22 les moyens, si elle n'a pas une gestion rigoureuse,
01:25 ce que j'appelle une démocratie interne, une gestion des ressources humaines et du coup c'est une justice qui est sous pression, qui aussi ne peut
01:32 pas effectuer de manière
01:34 efficace et de manière
01:37 satisfaisante. Il y a une crise du sens
01:38 qui est ressentie de l'intérieur et qui a des impacts sur l'extérieur. Alors les français ne s'y trompent pas, plus d'un français sur deux ne fait
01:44 pas confiance à sa justice, une enquête du Cevipof.
01:46 70% la trouvent laxiste, c'est peut-être parce qu'aussi 8% des peines ne sont jamais exécutées, nous dites-vous. Ça fait 10 000 peines par an,
01:54 comment l'expliquez-vous ? Oui, alors, de toute façon, la crise de la confiance est au coeur de la réflexion et c'est un petit peu aussi
01:59 la raison de ce livre, c'est-à-dire que vous avez raison de rappeler ces sondages,
02:02 on a eu une loi sur la confiance, elle ne se décrète pas. C'est quoi la crise de la confiance ? C'est le décalage qu'il y a entre
02:08 la promesse de notre efficacité
02:10 et le mensonge qui n'est pas de notre fait, de la réalité. Mais à quoi ça sert
02:15 d'avoir 8% de peines qui ne sont jamais exécutées ? Ça fait 10 000 peines par an, ces chiffres je les ai découverts grâce à vous.
02:20 Oui, merci. Alors, en réalité, j'ai décortiqué
02:24 tout le système de l'exécution des peines pour dire que finalement, je crois qu'on est à contretemps
02:29 parce qu'on exécute beaucoup trop tard et on est à contresens parce que, en fait, les peines sont tout le temps
02:35 modifiées. C'est-à-dire que les gens n'y comprennent plus rien, il y a une complexité,
02:38 il n'y a plus de lisibilité et, en fait, comme on manque de places de prison, comme on est tardif à mettre à exécution,
02:44 en réalité,
02:46 les gens se disent "mais je ne comprends pas, la peine qui est prononcée n'est pas la peine exécutée" et les victimes elles-mêmes n'y comprennent rien.
02:51 - Alors, page 66, je cite cet autre chiffre,
02:53 "41% des condamnés fermes ne mettent pas réellement les pieds en prison parce que leur peine est généralement courte et aménagée d'emblée".
02:59 - Oui, parce qu'en fait, alors, il y a plusieurs enjeux là-dessus. D'abord, il y a un enjeu idéologique,
03:04 on n'aime pas la prison et on est sur un système qui a toujours pensé qu'il fallait ne pas mettre en prison. D'ailleurs, on est
03:11 le premier pays,
03:12 Yves Calvi, à faire des aménagements de peine contrairement à ce que l'on croit.
03:16 Sauf que nos aménagements de peine, eh bien, on n'en a pas non plus les moyens.
03:19 Donc, en réalité, ce qui est bizarre, c'est que comme on fait beaucoup d'aménagements de peine, on finit quand même par mettre beaucoup de
03:24 personnes en prison. Et on a un système de saturation et de surpopulation
03:28 qui laisse penser qu'on est extrêmement répressif, mais en réalité, c'est parce qu'on manque aussi
03:33 énormément de places de prison. - 75 000 personnes étaient incarcérées pour 61 000
03:39 places, oui, ça y est, je l'ai dit. C'est le nœud du problème quand même. - Tout à fait. Alors, il faut quand même dire quelque chose de
03:45 positif. On a augmenté notre capacité à mise à exécution sur une procédure que vous connaissez bien, qui est la comparution immédiate.
03:51 Parce que comme le système est sur un système d'urgence et de pression, on utilise de plus en plus, et certains le critiquent,
03:58 les comparutions immédiates quand on veut être efficace. Si, par exemple, les émeutes, vous vous rappelez. Mais, a contrario,
04:04 pour exécuter à 100% toutes les peines que l'on prononce, il faut attendre quasiment un délai de cinq ans.
04:09 - Bon, le gouvernement a annoncé 15 000 nouvelles places de prison d'ici 2027.
04:14 Entre temps, on
04:16 précisera quand même que le nombre a baissé entre 2020 et 2023.
04:18 Un autre problème, constamment relevé par les français, les délais de traitement des affaires. En 2022, il fallait 600 jours en moyenne pour,
04:25 entre l'envoi de la requête au greffe et le rendu de la décision. A titre d'exemple, c'est trois fois plus long par rapport à l'Allemagne.
04:33 Quel est le problème ? - Merci Yves. - On manque de bras ? - En fait, on manque, on a un logiciel qui n'est pas
04:38 performant. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a une procédure qui est ultra complexe. On manque de moyens, ça c'est sûr.
04:43 Mais c'est pas que des moyens, c'est aussi une procédure qui est complexe, un système qui en fait est à
04:48 saturation. Et donc, comme la machine est déjà à l'arrêt, même quand on rajoute des moyens, c'est un peu comme
04:56 une machine nucléaire, c'est presque trop tard. Donc c'est le logiciel qu'il faut changer. Bonne nouvelle, bonne nouvelle, il y a des bonnes nouvelles, oui.
05:03 C'est qu'on est en train de mettre en place, et le ministre nous suit là-dessus,
05:07 sur une nouvelle façon de faire, ce que les anglo-saxons font, et c'est pour ça qu'ils n'ont pas les mêmes délais,
05:11 ce sont les modes alternatifs de règlement. Arrêtons la querelle, arrêtons les guerres, trouvons d'autres moyens de règlement des conflits. La médiation
05:19 divise les temps par rapport à certains délais, pas tous, mais va permettre, si vous voulez, d'aller beaucoup plus vite pour éviter des longues procédures.
05:27 Le système est en marche,
05:30 on est en train de le mettre en place,
05:33 et je pense que ça peut être une révolution. Alors les fruits seront peut-être à long terme, mais en tout cas il faut toujours espérer.
05:39 Cette justice dégradée, c'est un problème de moyens, de vision politique, d'organisation.
05:43 Vous avez choisi ce métier, il vous passionne, sinon vous n'auriez pas publié ce livre.
05:47 Donc comment expliquez-vous en fait la situation ? La crise elle est budgétaire, elle est politique, elle est
05:53 intellectuelle, elle est la crise du modèle, elle est la crise de l'organisation, on n'est pas du tout moderne.
05:58 Donc si vous voulez, en fait le problème c'est une crise des valeurs aussi. Qu'est-ce qu'on veut défendre ? Qu'est-ce qu'on veut protéger ?
06:03 C'est une crise de la souveraineté, est-ce qu'on a encore la main sur la norme ? Vous voyez tous les jours les débats qu'il y a,
06:08 y compris jusqu'au Conseil constitutionnel, qui a le dernier mot. Donc en fait, moi ce que je dis c'est arrêtons de réformer,
06:13 refondons un système qui soit performant, en adéquation avec les attentes de nos concitoyens,
06:19 mettons de côté les idéologies, la politisation,
06:22 mettons les moyens aussi réels,
06:26 financiers, mais si vous n'avez pas un projet, si vous n'avez pas une vision, les moyens ne serviront à rien.
06:31 - Bon alors, on a un garde des Sceaux très critiqué, mais qui est une personnalité,
06:34 et qui, sur le papier, devrait faire du bien à ce ministère au sens large du terme.
06:38 C'est pas un jugement que j'émets. En 2023, le ministère de la Justice a été doté de 9,6 milliards d'euros.
06:44 C'est un budget qui est en constante augmentation ces dernières années. La question c'est comment l'utiliser ?
06:48 - Alors la question c'est surtout, est-ce que le budget correspond aux attentes ? Il est trop en bas encore, mais c'est beaucoup mieux.
06:53 La deuxième chose, c'est que, attention, vous avez entendu comme tout le monde, le rabot budgétaire, l'inflation, qu'est-ce qui va vraiment rester ?
07:00 C'est un ministère qui a besoin sans doute d'investissements encore plus importants. Moi je salue, parce que c'est le premier à avoir fait,
07:06 si vous voulez, avec son poids politique, ce saut en avant sur le plan budgétaire.
07:10 Mais les questions budgétaires ne régleront que des problèmes budgétaires.
07:13 La vraie question, c'est une question de vision, de sens, de cap, de boussole, de cohérence.
07:17 - Je termine avec une curiosité française que vous exposez dans votre livre,
07:21 l'une des grandes brisarreries finalement de notre système judiciaire. Le Conseil constitutionnel, nommez-vous,
07:25 alors on rappelle son rôle, expliquer pourquoi l'impartialité de ses membres.
07:29 Vous dites, il y a un problème sur l'impartialité de ceux qui participent au Conseil constitutionnel.
07:34 Toi, ils ne sont pas honnêtes ? - Alors, ce n'est pas que le Conseil constitutionnel.
07:37 - Il y a tous nos anciens premiers ministres.
07:39 - En réalité, la question n'est pas que sur le Conseil constitutionnel. La question, c'est la légitimité, et c'est ce que les
07:44 constituanciens ressentent, c'est-à-dire notre crédibilité, notre autorité.
07:49 C'est-à-dire que toute la façon dont on nomme tous ces juges, que ce soit du Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de justice,
07:55 le Conseil d'état, tous les jours, on remet en cause notre légitimité. Moi, je dis simplement, il faut qu'il y ait un choc de transparence, de probabilité.
08:02 Et en effet, il faudrait faire comme le modèle allemand, qu'est la Cour de Karlsruhe,
08:08 mettre des grands juristes qui ne soient pas remis en cause, pour que les Français
08:12 retrouvent une forme de confiance. Ça ne veut pas dire que ceux qui sont nommés ne sont pas bons. Je dis, c'est une question d'apparence et de confiance.
08:19 - Les juristes indépendants, nous dites-vous. Merci beaucoup, Béatrice Brugère. Votre livre "Justice, la colère qui monte" est publié aux éditions
08:25 de l'homme.