• il y a 10 mois
L’humoriste Florence Mendez a porté la parole de nombreuses femmes qui accusent de violences sexuelles un homme connu du monde du spectacle. Parmi les 22 témoignages qu’elle a reçus à ce jour, six parlent de viol, les autres d’agressions sexuelles ou de comportements problématiques.
Elle revient sur les prémices du #MeToo stand-up et pourquoi elle a décidé de briser la “chape de plomb dans le milieu de l’humour”.
Transcription
00:00 Je pense qu'on est aux prémices du "me too stand up",
00:02 j'imaginais certainement pas mettre à jour un tel violeur en série.
00:05 Il y a une chape de plomb, vraiment, sur le milieu de l'humour.
00:07 Tout le monde a besoin de faire des plateaux,
00:09 bien sûr, tout le monde se tait parce que tout le monde a peur pour son boulot.
00:12 Qu'est-ce qu'on doit faire maintenant ?
00:14 Qu'est-ce qu'il y a à faire pour que vous nous croyez ?
00:16 Comment est-ce que ça a commencé ?
00:18 Ça fait des années que dans le milieu de l'humour,
00:20 il y a des histoires qui tournent.
00:21 Voilà, on sait que certains humoristes sont impliqués dans des agressions sexistes,
00:26 sexuelles à différents degrés.
00:28 Et il y a notamment des histoires très graves de viols qui tournent.
00:32 Et il y a quelques temps, sur "TREADS", il y a une humoriste qui a posté un statut disant
00:36 "Les humoristes, vous êtes tous en train de faire des blagues sur l'affaire Depardieu
00:39 alors qu'on sait que dans notre propre milieu, il y a des dingueries qui se passent."
00:42 J'ai décidé que ça suffisait, qu'il était temps maintenant que les femmes racontent ce qu'elles ont vécu.
00:46 Donc j'ai posté un appel à témoignages.
00:48 Et très vite, j'ai commencé à recevoir des témoignages
00:52 qui concernaient beaucoup un seul humoriste.
00:54 C'est quelqu'un qui a un spectacle régulièrement à Paris.
00:57 Il est connu, on est sur quelqu'un qui est suivi par 165 000 personnes sur Instagram.
01:02 Donc c'est quand même pas rien.
01:03 Et puis ce qui m'a décidé finalement à le dénoncer,
01:05 c'est que j'ai vu qu'il venait le 13 janvier jouer son spectacle à Bruxelles.
01:08 Donc moi je suis bruxelloise.
01:09 Donc je me suis dit, si ça se trouve, c'est des artistes féminines bruxelloises que je connais
01:13 qui vont faire sa première partie.
01:14 J'aurais peut-être des amis à moi dans la salle.
01:16 Et si je sais qu'il s'est passé quelque chose à Bruxelles et que moi j'ai rien dit,
01:21 je ne vais jamais pouvoir me regarder dans une glace.
01:22 Donc j'ai dit, tant pis.
01:23 Mon envie de protéger les femmes, ma colère et ma tristesse
01:25 ont surpassé ma peur des conséquences de parler.
01:29 Et donc j'ai décidé de donner son nom.
01:31 C'est devenu simplement impossible pour moi de garder le silence
01:34 parce qu'au fur et à mesure des témoignages,
01:36 j'ai commencé à repérer qu'il y avait vraiment un pattern,
01:38 il y avait vraiment un mode opératoire.
01:40 Donc je me suis rendu compte qu'on était vraiment sur un prédateur sexuel.
01:43 Et les témoignages décrits sont d'une violence et d'une brutalité
01:47 qui sont vraiment glaçantes.
01:49 J'imaginais certainement pas mettre à jour un tel violeur en série.
01:54 Et si je le dis comme ça, aussi ouvertement,
01:56 alors que je suis quand même quelqu'un de relativement éduqué
01:58 et qui connaît bien ce que je risque au niveau de la diffamation,
02:01 c'est quand même que j'ai des preuves de ce que j'avance.
02:04 Alors il y a toutes sortes d'agressions sexuelles,
02:06 bon bien sûr il y a du harcèlement sexuel,
02:08 des messages hyper insistants.
02:09 Après on monte d'un degré,
02:11 on a des femmes qui ont été plaquées contre des murs,
02:13 embrassées de force, touchées sans leur consentement, etc.
02:16 Et puis on a des femmes où c'est du viol caractérisé.
02:19 On a des sodomies non consenties.
02:21 Il y a des sodomies qui ont été d'une telle violence
02:23 qu'il y a eu des fissures anales qui en ont résulté.
02:25 Sa grande spécialité c'est le retrait du préservatif
02:28 pendant l'acte sans prévenir la partenaire.
02:30 Donc on rappelle que c'est une pratique qui s'appelle le "stealthing",
02:32 qui vient de "stealth" qui veut dire "furtif" en anglais.
02:35 Donc on est sur une pratique qui ici est complètement illégale
02:37 et est reconnue comme du viol.
02:39 Et au-delà de ça, dans la description de ces pratiques,
02:41 on est vraiment sur une haine de la femme.
02:44 Je pense qu'on est aux prémices du "me too stand up".
02:46 Je pense que les premières lanceuses d'alerte,
02:48 ça a été les victimes qui ont eu un courage de dingue en se confiant à moi.
02:52 Moi tout ce que j'ai fait c'est porter la parole publiquement.
02:54 Je ne demandais pas à recevoir des témoignages terribles qui m'ont fait du mal,
02:59 mais il n'y a personne qui le fait.
03:01 Il n'y a personne qui fait ce boulot.
03:03 On l'a bien vu au gouvernement avec les paroles de Macron
03:06 qui prend la défense de Depardieu.
03:08 Est-ce que les hommes d'ailleurs se cachent derrière cette excuse de l'humour ?
03:12 Bien sûr, évidemment.
03:13 Les hommes font de l'humour et nous sommes susceptibles.
03:16 C'est une grande excuse.
03:17 Et le fait qu'on envoie des signaux pas clairs aussi.
03:19 Ça c'est une grande excuse qui revient aussi.
03:21 Je pensais que.
03:22 Non, le consentement ce n'est pas une question d'interprétation.
03:24 C'est une question de, on communique, on pose les bonnes questions,
03:27 et sodomiser une fille sans lui demander son avis avant
03:29 et puis dire "ah je pensais que tu étais d'accord parce que tu n'as rien dit"
03:31 alors qu'en fait elle ne dit rien parce qu'elle est terrorisée
03:34 et absolument sidérée par la violence qui lui tombe dessus.
03:36 Non, ce n'est pas un consentement.
03:38 Le consentement, on ne le répétera jamais assez, il est libre,
03:41 il est éclairé, donné par quelqu'un qui est en mesure de le donner,
03:43 donc qui n'est pas drogué, qui n'est pas sous,
03:45 qui n'est pas terrorisé, qui n'est pas sous emprise.
03:47 Et ça, il est temps que les humoristes masculins prennent aussi conscience.
03:51 Dans les témoignages que j'ai reçus,
03:52 j'ai des régisseuses, j'ai des spectatrices, j'ai des humoristes.
03:54 Et pourquoi les femmes ne parlent pas ?
03:56 Parce que chacun, à son niveau, fait en sorte que les femmes soient silenciées.
04:01 En leur envoyant des menaces,
04:02 on en a une seule qui a osé témoigner à visage découvert,
04:05 elle a reçu des menaces.
04:06 On lui a envoyé des messages comme "tu l'as bien chauffée"
04:08 et après "tu te plains que c'est une agression sexuelle" et de ça.
04:11 On reçoit des horreurs.
04:12 Qu'est-ce qu'on doit faire maintenant ?
04:13 Qu'est-ce qu'il y a à faire pour que vous nous croyez ?
04:16 Je reçois énormément de messages de soutien
04:19 et pour ça, vraiment, merci à tout le monde.
04:21 Effectivement, je reçois aussi des messages négatifs.
04:22 Par exemple, pas plus tard que ce matin,
04:24 on m'a dit que j'allais brûler en enfer.
04:25 On m'a dit "t'es une sale menteuse, j'ai hâte de te croiser".
04:28 On me dit qu'il faut me lapider en place publique.
04:31 Je poste ces commentaires et ensuite, je veux montrer
04:34 pourquoi est-ce qu'on ne prend pas la parole en tant que femme ?
04:36 On ne la prend pas parce qu'on s'expose à ce genre de truc de merde quoi.
04:39 Et ça, ça contribue à faire que les femmes ne parlent pas.
04:42 Il y a une chape de plomb, vraiment, sur le milieu de l'humour.
04:45 Tout le monde a besoin de faire des plateaux,
04:46 de faire des chroniques, etc.
04:48 Et donc, bien sûr, tout le monde se tait
04:49 parce que tout le monde a peur pour son boulot.
04:52 Je le sais, il y a des salles qui le programment,
04:53 qui ne me programmeront plus.
04:55 Leur statut d'artiste, le fait qu'ils soient connus, etc.
04:58 leur donne une emprise, qu'ils le veuillent ou non.
05:00 Ils ont un rapport hiérarchique avec certains fans
05:03 et ils doivent en prendre conscience.
05:05 On est sur des mecs qui ont une réputation,
05:07 qui ont un certain pouvoir.
05:08 Tout le monde les trouve super talentueux.
05:10 Ils ont des podcasts, ils ont des plateaux, etc.
05:13 Et en fait, celles qui finissent par être invisibilisées,
05:16 c'est les femmes.
05:17 Parce que les femmes, on ne veut plus jouer sur ces plateaux-là.
05:19 On refuse des cachets
05:21 parce qu'on ne va plus sur les plateaux de ces mecs-là,
05:22 parce qu'on est en danger ou qu'on ne veut pas cautionner.
05:26 Et donc, ça me fait bien rire quand on dit que les femmes
05:28 ont un intérêt financier.
05:30 On me le dit, que j'essaye de faire la promo de mon bouquin,
05:32 de mon spectacle, que j'essaye de me faire de la thune, etc.
05:35 C'est faux.
05:36 Donc, pitié, arrêtez de croire que les femmes deviennent riches
05:39 en dénonçant les violeurs.
05:40 Les salles, quand vous programmez des violeurs,
05:41 vous mettez vos spectatrices et vos collaboratrices en danger.
05:44 Déjà, je tiens à dire, dans l'affaire que moi j'ai dénoncée,
05:47 arrêtez de dire qu'il n'y a personne qui a porté plainte
05:49 parce que vous n'en savez rien.
05:50 Et posez-vous plutôt la question de savoir
05:52 pourquoi ces femmes ne portent pas plainte.
05:54 Elles ne portent pas plainte parce que déjà,
05:55 on a vu qu'il y a une tolérance institutionnelle
05:57 qui est scandaleuse,
05:58 qui fait que les violeurs sont rarement condamnés.
06:00 Je crois qu'on est à 0,6% de violeurs condamnés,
06:03 ce qui est quand même le chiffre le plus révoltant de la Terre, vraiment.
06:06 Donc, elles se disent, de toute façon, ça ne va servir à rien
06:08 parce qu'il ne va pas être condamné.
06:10 Ensuite, effectivement, c'est devoir redonner son témoignage,
06:12 revivre des choses très éprouvantes,
06:14 ne pas être cru, être humilié.
06:15 Mais je le dis quand même, les filles, s'il vous plaît,
06:17 portez plainte, ne fussent que pour les chiffres,
06:20 ne fussent que pour prouver que la justice est inefficace
06:22 et qu'il faut changer.
06:24 On a eu par exemple beaucoup de salles de spectacle
06:25 qui nous ont répondu, nous, tant qu'il n'y a pas une plainte officielle
06:28 qui est déposée, on ne le déprogramme pas.
06:30 Donc, votre plainte, elle a quand même tout de même de l'importance.
06:33 Et surtout, je vous encourage vraiment, vraiment,
06:35 si vous avez été victime de violences sexistes et sexuelles
06:37 commises par quelqu'un dans le milieu du spectacle vivant,
06:40 dont l'humour, contactez l'association Derrière le rideau,
06:43 qui va vous fournir une aide juridique et une aide psychologique.
06:46 Vous n'êtes pas seuls dans ce combat, vraiment.
06:48 On a des avocates, on a des psychologues qui sont là pour vous aider,
06:51 pour montrer que votre parole, elle est légitime.
06:53 La dernière chose que je voudrais dire, c'est juste à toutes les victimes
06:55 de violences sexistes et sexuelles qui regardent cette vidéo.
06:58 Il y a un truc qui m'a profondément touchée,
06:59 c'est que dans tous les témoignages que j'ai reçus,
07:02 absolument toutes parlent de culpabilité,
07:04 se demandent si elles ont envoyé des mauvais signaux,
07:06 se demandent ce qu'elles ont bien pu faire pour que ça, ça leur arrive.
07:10 Je tiens à le répéter parce que, voilà, on le dit souvent,
07:13 mais ce n'est pas de votre faute.
07:15 Vous n'êtes pas fait violer, vous avez été violé.
07:18 Et ça, c'est une différence qui est primordiale.
07:20 La responsabilité de votre viol, c'est à votre violeur de l'apporter,
07:24 et pas à vous.
07:25 Et ça, c'est vraiment hyper important.
07:27 Peu importe le stade de la relation, votre nom, il a de la valeur,
07:31 votre consentement, il a de la valeur,
07:33 et votre consentement, il est révocable à tout moment de la relation.
07:36 Et ça, c'est important.
07:37 Donc, ce n'est pas de votre faute.
07:38 Ce n'est pas à vous d'avoir honte, ce n'est pas à vous de vous sentir sale.
07:41 C'est à votre violeur, vraiment.
07:43 [Musique]
07:48 [BIP]

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