César - Revoir le discours très attendu et ovationné de Judith Godrèche : "Depuis quelque temps, je parle mais je ne vous entends pas. Où êtes-vous ? Que dites-vous ?" - Vidéo
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00:00 (Applaudissements)
00:28 (...)
00:53 -Merci beaucoup. Merci.
00:55 (...)
01:06 Bonsoir.
01:07 C'est compliqué de me retrouver devant vous tous ce soir.
01:14 Vous êtes si nombreux.
01:16 Mais dans le fond, j'imagine qu'il fallait que ça arrive.
01:19 Nos visages, face à face, les yeux dans les yeux.
01:24 Beaucoup d'autres, vous, m'ont vu grandir.
01:26 C'est impressionnant. Ça marque.
01:28 Dans le fond, moi, j'ai rien connu d'autre que le cinéma.
01:32 Alors, pour me rassurer, en chemin, je me suis inventée une petite berceuse.
01:37 Mes bras serrés, c'est vous.
01:40 Toutes les petites filles dans le silence.
01:43 Mon cou, ma nuque penchée, c'est vous.
01:46 Tous les enfants dans le silence.
01:49 Mes jambes bancales, c'est vous.
01:52 Les jeunes hommes qui n'ont pas pu se défendre.
01:55 Ma bouche tremblante, mais qui sourit aussi.
01:59 C'est vous, mes sœurs inconnues.
02:01 Après tout, moi aussi, je suis une foule.
02:05 Une foule face à vous.
02:08 Une foule qui vous regarde dans les yeux ce soir.
02:12 C'est un drôle de moment pour nous, non ?
02:19 Une revenante des Amériques qui vient donner des coups de pied dans la porte blindée.
02:23 Qui l'a cru ?
02:25 Depuis quelque temps, la parole se délie.
02:27 L'image de nos pères idéalisées s'écorche.
02:30 Le pouvoir semble presque tangué.
02:33 Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face ?
02:36 Prendre nos responsabilités ?
02:39 Être les acteurs, les actrices d'un univers qui se remet en question ?
02:45 Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas.
02:49 Ou à peine ?
02:51 Où êtes-vous ?
02:52 Que dites-vous ?
02:54 Un chuchotement, un demi-mot.
02:57 « Ça serait déjà ça », dit le petit chaperon rouge.
03:00 Je sais que ça fait peur.
03:04 Perdre des subventions, perdre des rôles, perdre son travail.
03:07 Moi aussi, moi aussi j'ai peur.
03:10 J'ai arrêté l'école à 15 ans, j'ai pas le bac, rien.
03:13 Ça serait compliqué d'être blacklisté de tout.
03:15 Ça serait pas drôle.
03:17 Errer dans les rues de Paris dans mon costume de hamster,
03:20 me rêvant une « icon of French cinema ».
03:22 Dans ma rébellion, je pensais à ces termes qu'on utilise sur un plateau.
03:27 « Silence », « moteur demandé ».
03:31 Ça fait maintenant 30 ans que le silence est mon moteur.
03:35 J'imagine pourtant l'incroyable mélodie que nous pourrions composer ensemble,
03:39 faite de vérité.
03:42 Ça ne ferait pas mal, je vous promets.
03:44 Juste une égratignure sur la carcasse de notre curieuse famille.
03:47 C'est tellement rien comparé à un coup de poing dans le nez,
03:51 à une enfant prise d'assaut comme une ville assiégée
03:54 par un adulte tout-puissant sous le regard silencieux d'une équipe,
03:58 à un réalisateur qui, tout en chuchotant,
04:01 m'entraîne sur son lit sous prétexte de devoir comprendre
04:04 qui je suis vraiment.
04:06 C'est tellement rien comparé à 45 prises
04:09 avec deux mains dégueulasses sur mes seins de 15 ans.
04:12 Le cinéma est fait de notre désir de vérité.
04:17 Les films nous regardent autant que nous les regardons.
04:20 Il est également fait de notre besoin d'humanité, non ?
04:24 Alors pourquoi ?
04:26 Pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant,
04:29 cet art qui nous lie, soit utilisé comme une couverture
04:33 pour un trafic illicite de jeunes filles ?
04:35 Parce que vous savez, cette solitude, c'est la mienne,
04:38 mais c'est également celle de milliers dans notre société.
04:41 Et elle est entre vos mains.
04:43 Nous sommes sur le devant de la scène, à l'aube d'un jour nouveau.
04:46 Nous pouvons décider que des hommes accusés de viol
04:49 ne puissent pas faire la puée et le beau temps dans le cinéma.
04:52 Ça, ça donne le ton, comme on dit.
04:54 On ne peut pas ignorer la vérité,
04:57 parce qu'il ne s'agit pas de notre enfant, de notre fils, de notre fille.
05:00 On ne peut pas être à un tel niveau d'impunité,
05:02 de déni et de privilège
05:04 qui fait que la morale nous passe par-dessus la tête.
05:07 Nous devons donner l'exemple, nous aussi.
05:10 Ne croyez pas que je vous parle de mon passé,
05:14 de mon passé qui ne passe pas.
05:16 Mon passé, c'est aussi le présent des 2000 personnes
05:20 qui m'ont envoyé leur témoignage en 4 jours.
05:22 C'est aussi l'avenir de tous ceux
05:25 qui n'ont pas encore eu la force de devenir leurs propres témoins.
05:28 Vous savez, pour se croire, faut-il encore être cru ?
05:34 Le monde nous regarde,
05:36 nous voyageons avec nos films,
05:39 nous avons la chance d'être dans un pays
05:42 où il paraît que la liberté existe.
05:44 Alors, avec la même force morale
05:47 que nous utilisons pour créer,
05:49 ayons le courage de dire tout haut
05:51 ce que nous savons tout bas.
05:53 N'incarnons pas des héroïnes à l'écran
05:56 pour nous retrouver cachés dans les bois, dans la vraie vie.
06:00 N'incarnons pas des héros révolutionnaires ou humanistes
06:03 pour nous veiller le matin en sachant
06:05 qu'un réalisateur a abusé une jeune actrice et ne rien dire.
06:08 Merci de m'avoir donné la possibilité
06:16 de mettre ma cape ce soir et de vous envahir un peu.
06:19 Il faut se méfier des petites filles.
06:23 Elles touchent le fond de la piscine,
06:26 elles se cachent dans le bois, dans la vie.
06:29 Elles touchent le fond de la piscine,
06:31 elles se cognent, elles se blessent, mais elles rebondissent.
06:34 Les petites filles sont des punks
06:38 qui reviennent déguisées en hamsters.
06:40 Et pour rêver à une possible révolution,
06:43 elles aiment se repasser ce dialogue
06:46 de Céline et Julie vont en bateau.
06:49 Céline, il était une fois.
06:53 Julie, il était deux fois.
06:57 Il était trois fois.
06:59 Céline, il était que sept fois.
07:02 Ça ne se passera pas comme ça.
07:04 Pas comme les autres fois.
07:06 Merci.
07:07 (Applaudissements)
07:36 (...)
07:52 Pour remettre le prochain César aux côtés d'Ariane Ascaride,
07:55 merci d'accueillir.