Jean-Dominique Merchet, journaliste au service international, revient sur la dégradation des relations franco-russes depuis l’invasion de l’Ukraine et sur les raisons derrière le récent durcissement du discours de Paris envers Moscou
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Aujourd'hui, les relations sont au point mort.
00:03 Pour l'instant, on ne voit absolument rien, aucune ouverture,
00:06 aucune ouverture de la part des Russes.
00:07 Avant 2022, la France se voulait dans une position d'intermédiaire
00:17 entre la Russie et l'Ukraine depuis le début de la guerre en 2014.
00:20 François Hollande et Angela Merkel avaient réussi, d'une certaine manière,
00:26 à stopper une partie des combats qui avaient été très durs en 2014-2015,
00:31 d'abord avec l'annexion au Crimée sans combat,
00:33 mais surtout au Donbass, on parle quand même de plus de 10 000 morts à l'époque.
00:36 Et la France et l'Allemagne se voulaient au travers de ce qu'on appelait les accords de Minsk,
00:42 où le format Normandie voulait être des intermédiaires entre la Russie et l'Ukraine
00:48 pour trouver une solution politique à ce conflit.
00:51 Ça n'a pas marché, ça a été un échec diplomatique,
00:54 puisqu'il y a donc deux ans, quasiment aujourd'hui, en février 2022,
00:59 la Russie a envahi encore plus qu'elle ne l'avait fait jusqu'alors l'Ukraine.
01:03 Donc ça, ça contraint plus ou moins progressivement la France et l'Allemagne
01:07 à réviser leur attitude par rapport à la Russie,
01:10 et donc on est passé d'une attitude de relative complaisance
01:14 quand on est en train de discuter qu'on veut être intermédiaire,
01:17 on ne peut pas se fâcher avec les gens, on est obligé de les garder dans la boucle,
01:20 à une hostilité de plus en plus forte, à une rupture de plus en plus forte,
01:25 qui a été encore signalée avec force par le président Macron vendredi dernier,
01:30 lorsqu'il a reçu à l'Élysée son homologue ukrainien Zelensky
01:33 pour signer un accord de sécurité entre nos deux pays.
01:36 Donc ça s'est progressivement durci.
01:39 Au départ, le président Macron espérait encore que des négociations seraient possibles.
01:44 Plus les mois passent, plus on se rend compte que le régime russe est totalement fermé,
01:49 totalement hors contrôle, et que bien au-delà des attaques de la guerre qu'il mène en Ukraine,
01:55 il conduit désormais des attaques contre la France, contre les Occidentaux,
01:59 et donc la tension augmente fortement.
02:02 Elle se manifeste dans plusieurs domaines.
02:10 Elle se manifeste essentiellement, pour l'instant et heureusement d'ailleurs,
02:14 dans le domaine informationnel et informatique.
02:18 Informationnel, ça veut dire qu'il y a des campagnes sur Internet
02:23 avec des créations de sites de désinformation, de fake news.
02:28 Un service gouvernemental qui s'appelle Viginum en a démasqué un.
02:33 Le document qui aurait dû rester, qui en principe ce sont des documents qui ne sont pas rendus publics,
02:37 a été rendu public la semaine dernière par le gouvernement,
02:41 justement pour dire qu'on entre dans une période difficile.
02:44 Mais pour l'instant, on ne peut pas dire que ça touche énormément la France.
02:47 Ces campagnes informationnelles, elles ont joué un rôle très important au Sahel,
02:52 auprès des opinions publiques du Sahel.
02:54 Et là, elles ont été un des facteurs de l'échec de la France
02:59 et du départ forcé de l'armée française du Mali, du Burkina Faso et puis enfin du Niger.
03:05 Donc ce sont des campagnes très actives.
03:07 Précisons tout de suite que ce ne sont pas les campagnes qui créent les problèmes.
03:10 Les problèmes, ils existent.
03:12 Il y a des problèmes au Sahel, il y a des problèmes en France
03:15 avec des problèmes sociaux, des problèmes politiques
03:18 et les campagnes informationnelles russes avec des fake news,
03:22 avec ou pas des fake news d'ailleurs, en insistant sur ce qui ne va pas,
03:26 en caricaturant la situation comme si la France était un pays au bord de la guerre civile
03:31 à cause de l'immigration, etc.
03:33 Ne fait que jeter du sel sur les plaies,
03:36 mais les plaies existent dans nos sociétés, que ce soit en France ou au Sahel.
03:40 Ça, c'est la première chose.
03:41 La deuxième chose, c'est qu'on confond souvent, quand on parle de cyber en général,
03:46 c'est ce qu'on appelle les attaques cyber.
03:48 C'est-à-dire là, ce ne sont pas des attaques informationnelles, ce ne sont pas des contenus,
03:52 c'est au contraire des attaques sur les tuyaux, sur les systèmes.
03:55 Et là, il y en a absolument fréquemment.
03:57 Alors c'est très difficile d'en déterminer l'origine.
04:00 On sait qu'une grande part vient de Russie.
04:03 Est-ce que ça relève en partie et même en grande partie de systèmes criminels
04:08 pour obtenir des rançons ?
04:10 C'est notamment ce qui vise des hôpitaux français.
04:12 Mais aussi, ça peut venir de services gouvernementaux
04:16 ou simplement est sous-traité par des groupes, par les services russes,
04:19 à des groupes plus ou moins mafieux, plus ou moins hors la loi,
04:24 pour perturber le système.
04:25 Alors il y a une grande crainte dans tous les services de sécurité français,
04:29 c'est qu'il y ait des attaques importantes au moment des Jeux olympiques
04:34 qui viendraient perturber le déroulement des Jeux olympiques,
04:37 les systèmes de transport, les aéroports, etc.
04:41 Et puis l'année 2024 va être marquée par les Jeux olympiques,
04:45 mais va être marquée aussi par des commémorations importantes,
04:48 notamment celle du 80e anniversaire du débarquement de Normandie le 6 juin.
04:53 Et là, il y aura énormément de chefs d'État étrangers,
04:55 il y aura donc beaucoup de régulations à faire.
04:58 Donc il y a une crainte assez forte d'attaques informatiques à ce moment-là.
05:02 Il y a d'autres postures agressives, notamment dans le spatial,
05:06 dans l'espace, où on voit les satellites russes se rapprocher,
05:10 très très très près parfois, des satellites français.
05:13 Est-ce que c'est pour les menacer ? Est-ce que c'est pour les espionner ?
05:16 Est-ce que c'est pour envoyer un message sur les thèmes
05:19 "on peut vous détruire le jour où on le souhaite" ?
05:21 Voilà, donc il y a des postures agressives.
05:23 Le ministère des Armées parle d'une centaine de cas de postures agressives l'année dernière.
05:29 C'est quand même quasiment une tous les trois jours et c'est du jamais vu.
05:33 La France peut-elle accélérer son soutien à l'Ukraine ?
05:38 Qu'est-ce que la France peut faire face à ça ?
05:40 D'abord, elle confirme et elle accélère son soutien à l'Ukraine.
05:44 Ça c'est la priorité des priorités.
05:46 On ne lâchera pas l'Ukraine.
05:47 Tout ça c'est évidemment fait pour que nous lâchions l'Ukraine.
05:51 Et donc les Européens, dont la France, confirment leur détermination
05:55 à fournir une aide militaire et économique et politique aux Ukrainiens face aux Russes.
06:00 Il y a surtout l'accord de sécurité qui a été signé vendredi à l'Elysée.
06:04 Les Allemands en ont signé avec l'Ukraine le même jour.
06:06 D'autres pays suivront, etc.
06:08 Ensuite, il y a des réponses qu'on ne connaît pas en fait.
06:11 Les services français peuvent répliquer,
06:14 répliquent, arrêtent les agressions informatiques ou informationnelles russes.
06:19 Ça se fait dans une relative discrétion.
06:22 Toute la question est de savoir si cette discrétion, on va la maintenir.
06:25 C'est-à-dire, est-ce que le gouvernement entend maintenir cette discrétion
06:28 ou est-ce qu'il faut la faire, la rendre beaucoup plus publique ?
06:31 Un responsable gouvernemental me disait la semaine dernière
06:34 qu'il faut qu'on s'interroge sur la qualification juridique des attaques russes.
06:38 Pour l'instant, elles sont là, on les voit, on en parle 90%, mais on n'en parle pas.
06:44 Est-ce qu'il ne faut pas franchir un seuil, les qualifier juridiquement
06:47 comme étant des agressions, et agressions qui justifieraient une légitime défense ?
06:52 Et donc dans ce cas-là, effectivement, on monterait dans des options
06:57 plus positives à l'égard de la Russie dans le champ informatique et dans le champ informationnel.
07:01 La troisième réponse est évidemment un durcissement de nos moyens militaires
07:05 parce qu'il y a une menace militaire, non pas sur la France directement,
07:09 mais possiblement sur un certain nombre de pays du flanc est de l'OTAN,
07:13 les pays baltes, les pays nordiques, la Pologne, etc., la Roumanie.
07:16 Donc il y a effectivement un durcissement militaire
07:19 qu'on voit au travers de la loi de programmation militaire,
07:22 mais que ça, ce n'est pas une nouvelle mesure puisqu'elle a été votée l'été dernier.
07:27 [Musique]