100% Sénat - 100% Sénat

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100% Sénat diffuse et décrypte les moments forts de l'examen des textes dans l'Hémicycle, ainsi que des auditions d'experts et de personnalités politiques entendues par les commissions du Sénat. Année de Production :
Transcript
00:00 [Générique]
00:10 Bonjour à tous, je suis ravi de vous retrouver pour cette nouvelle édition 100% Sénat,
00:14 pour une audition consacrée au conflit en cours à Gaza et ses conséquences sur tout le Moyen-Orient.
00:20 La Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées recevait mercredi Jean-Pierre Filliou,
00:25 chercheur au Centre de Recherche Internationale. Il a pu donner son analyse après quatre mois de guerre
00:31 entre Israël et le Hamas et au moment où les violences se concentrent désormais sur le sud de la bande de Gaza,
00:37 la communauté internationale, Etats-Unis en tête, qui multiplie ces jours-ci ses appels pour dissuader Israël
00:44 de lancer une offensive à grande échelle à Rafah où près d'un million et demi de Palestiniens sont pris en as
00:50 à la frontière avec l'Égypte. Direction la salle de la Commission.
00:55 Le conflit israélo-palestinien a ceci de très particulier, c'est qu'il ne peut pas, contrairement à l'idée trop communément répandue,
01:05 être considéré comme un jeu à somme nulle. Concrètement, les pertes infligées aux Palestiniens, aussi lourdes soient-elles,
01:16 ne peuvent pas se traduire mécaniquement en gain pour Israël et on a vu qu'au-delà de l'horreur de la campagne terroriste du Hamas,
01:27 le 7 octobre, les pertes infligées aux Israéliens ne sont naturellement pas traduites en gain pour les Palestiniens d'une façon ou d'une autre.
01:37 Et donc, dans ce conflit, très rapidement, les grandes forces d'Israël, qui fait qu'aujourd'hui le rapport de forces est écrasant en faveur d'Israël,
01:48 puissance nucléaire avec le soutien dont il dispose sur la scène internationale, c'est quelque chose qu'on oublie souvent en France, c'est le sionisme chrétien.
02:00 Et ce sionisme chrétien, on le juge souvent un peu exotique, c'est vrai que ça ne rentre pas du tout dans nos catégories mentales et intellectuelles,
02:10 mais ce sionisme chrétien a précédé le sionisme juif et on voit aujourd'hui, il y a encore eu ce refus de vote par le congrès américain de l'aide à l'Ukraine,
02:21 alors que Mike Johnson, parfait représentant non seulement du trumpisme, mais du sionisme chrétien,
02:28 dès sa prise de fonction à la tête de la Chambre des représentants, a prouvé une aide militaire très importante à l'égard d'Israël de l'ordre d'une quinzaine de milliards de dollars.
02:41 Et ce sionisme chrétien, il est devenu un élément de la politique internationale avec sa transformation en force incontournable sur la scène américaine,
02:57 avec à peu près le quart de la population américaine, le quart, et la moitié de l'électorat républicain est le socle, vraiment la base inconditionnelle de Donald Trump, constitué de sionistes chrétiens.
03:18 Or, pour ces sionistes chrétiens, leur salut individuel et collectif passe par le caractère indivisible de la Terre sainte d'Israël.
03:29 Et donc, ils se disent pro-israéliens, mais en fait, ils sont au moins pro-Likoud, pro-Netanyahou, voire pour certains d'entre eux, assez proches des suprémacistes israéliens.
03:41 Et on a vu, quand le processus de paix suscitait les plus grands espoirs, Isaac Rabin à Washington se plaindre des pressions au Congrès,
03:53 de ces groupes qui faisaient pression sur le gouvernement israélien démocratiquement élu.
03:59 Donc, ce qu'on présente souvent comme le lobby pro-israélien aux États-Unis est en fait un lobby pro-Likoud, un lobby pro-occupation, voire pro-annexion,
04:10 qui peut rentrer en contradiction avec les intérêts mêmes d'Israël et qui, à l'évidence, entre en contradiction avec la perception,
04:20 l'engagement de la communauté juive aux États-Unis, qui est très majoritairement démocrate, qui continue à voter au 3/4, voire au 4/5 pour les démocrates,
04:31 malgré tout ce que Trump prétend avoir fait sur Israël.
04:34 Donc, j'introduis quand même cette distorsion parce que trop souvent, on a des automatismes par rapport à ce que signifie la politique américaine
04:46 et le poids de ses partisans de la ligne la plus dure aux États-Unis et qui sont très clairement identifiés aux trumpistes et aux sionistes chrétiens.
04:58 Et puis, pour être plus rapide dans l'histoire du sionisme, il y a la vitalité démocratique du sionisme qui a été fondamentale pour rétablir justement ce rapport de force,
05:08 d'abord en Palestine, puis entre Israël et ses voisins arabes et la population palestinienne.
05:13 Et on peut constater, et j'y reviendrai en creux, que le mouvement sioniste et la démocratie israélienne ont géré beaucoup mieux que le nationalisme palestinien
05:24 dans leur contradiction interne, avec deux exceptions majeures qui sont l'assassinat de dirigeants travaillistes en 1933,
05:31 donc avant l'État d'Israël, Haïm Harlosoroff, et en 1995, Yitzhak Rabin.
05:38 Je constate que l'examen de conscience qui aurait sans doute dû intervenir après ce choc d'un assassinat par un terroriste juif israélien n'a pas eu lieu
05:50 et que toute la rhétorique qui a conduit, qui a entretenu le climat de haine conduisant à l'assassinat de Rabin a continué de prospérer, voire de s'intensifier.
06:03 Et puis il y a l'absence de définition d'un but final, donc une stratégie de fait accompli.
06:12 Là, on peut constater que Netanyahou, en refusant même d'envisager le jour d'après à Gaza, en se contentant de slogans assez vides de sens,
06:22 "victoire totale", qu'est-ce que ça veut dire la victoire totale ?
06:26 Libération des otages, c'est quelque chose de très concret, bien sûr, mais la victoire totale,
06:31 parce qu'on comprend parfaitement la détermination israélienne à se débarrasser de la menace du Hamas à ses portes,
06:44 mais est-ce que le moyen qui a été suivi depuis plus de quatre mois, qui conduit concrètement à démolir, à détruire la bande de Gaza,
06:56 sans forcément démolir ni détruire le Hamas, est-ce que ce moyen est le plus efficace ?
07:01 Et on voit bien que Netanyahou refuse de définir le jour d'après, malgré l'insistance de Joe Biden pour qu'il aille dans ce sens,
07:11 et qu'il se garde ainsi les mains libres, ce qui permet, ce qui me ramène au point précédent,
07:16 aux suprémacistes d'occuper le terrain médiatique et politique en affirmant haut et fort leur volonté,
07:24 non seulement de réoccupation, mais de recolonisation de la bande de Gaza.
07:30 Et du côté des faiblesses palestiniennes, on a d'abord l'illusion arabe, qui là encore apparaît dans toute sa crudité,
07:39 vu qu'au-delà des communiqués de solidarité, des déclarations plus ou moins péremptoires, ni les uns ni les autres,
07:50 n'auront opéré des actions de solidarité concrète avec le peuple palestinien.
08:00 Alors ça peut s'expliquer parce que bien peu de régimes arabes portent le Hamas dans leur cœur,
08:05 mais enfin, ce qui est infligé à la population palestinienne va bien au-delà de la question du Hamas proprement dit.
08:13 Et donc cette illusion arabe, elle continue. Et on voit bien qu'elle avait pu être partagée.
08:21 Et vous le rappelez, monsieur le président, dans votre propos liminaire,
08:25 cette idée que les accords d'Abraham allaient permettre d'oublier une fois pour toutes la question palestinienne.
08:32 C'était une illusion trompeuse. J'avais fait au moment de la signature du traité entre Israël et les Émirats arabes unis
08:41 un débat organisé par la paix maintenant, le mouvement pacifiste israélien, avec entre autres Daniel Sheik,
08:48 l'ancien ambassadeur d'Israël à Paris, qui disait de toute façon, on pourra normaliser jusqu'à la planète Mars.
08:54 À la fin, nous vivrons toujours à côté des Palestiniens. Et si nous n'avons pas un règlement avec eux,
09:00 le conflit perdurera. C'est malheureusement ce qui s'est produit. Et puis on a bien sûr le factionalisme palestinien
09:08 qui aujourd'hui poussait jusqu'à la caricature tragique par cette polarisation entre le Hamas d'une part
09:16 et l'OLP, trop souvent identifiée à l'autorité palestinienne. Il faut bien savoir que l'autorité palestinienne n'est pas –
09:23 mais je ne vous apprends rien, monsieur le président – une entité de droit internationale.
09:27 Elle n'est que le fruit d'un accord entre Israël et l'OLP. Donc c'est cet accord fondateur en 1993
09:36 auquel il faut évidemment revenir. Et puis la dernière faiblesse, c'est évidemment le deux poids, deux mesures
09:43 qui a été – je ne citerai qu'une dirigeante – Ursula von der Leyen venant quelques jours après la monstreuse attaque du Hamas
09:55 assurer, alors qu'elle n'en avait pas la compétence, Israël du soutien total de l'Europe. Il faut savoir qu'au moment où elle disait ça,
10:04 elle qui s'est tellement engagée à juste titre contre l'agression russe en Ukraine, il y avait déjà plus d'enfants palestiniens
10:12 tués dans les bombardements israéliens que dans toute la guerre russe infligée à l'Ukraine. Donc on en est là.
10:21 Donc on voit bien qu'on est à un carrefour historique, un carrefour historique qui a à la fois le mérite et l'horreur d'une violence exacerbée.
10:36 Jamais une telle violence n'a été infligée au peuple d'Israël. Et jamais, malgré une histoire ponctuée de tragédie,
10:46 le peuple palestinien n'a autant souffert. Donc à partir de maintenant, soit on va vers un règlement politique qui devra d'une façon ou d'une autre
10:59 être imposé aux deux partis parce que ni les uns ni les autres n'ont à ce stade de direction, de leader à la hauteur de ce moment historique
11:15 pour aller vers la solution à deux États. Pourquoi la solution à deux États ? Parce que l'État binational est une utopie tragique.
11:24 On ne voit pas, surtout après un tel bain de sang, comment les deux peuples accepteraient de cohabiter sous le même toit.
11:34 La séparation est une exigence, y compris aujourd'hui, de la population israélienne. Et on voit d'ailleurs que dans les sondages,
11:42 l'adhésion, en tout cas la perspective de la solution à deux États, ne serait-ce que pour repousser l'autre, l'ennemi de l'autre côté,
11:52 gagne en popularité. Et du côté palestinien, on voit bien que ce serait une forme de reconnaissance des droits nationaux.
12:01 Mais j'insiste sur une chose qui renvoie donc au sous-titre de mon livre "Pourquoi Israël n'a pas gagné".
12:06 Le processus de paix, même au moment des accords d'Oslo, était concrètement, au-delà des illusions et des émotions qu'on a tous partagées à ce moment-là,
12:17 la négociation des conditions de la défaite palestinienne. Il faut savoir ça. Israël a une position dominante dans ce conflit,
12:28 qui a duré plus d'un siècle. Les Palestiniens ont perdu, mais cette défaite doit être négociée. C'est ça le processus de paix.
12:38 Et donc l'État palestinien démocratique et démilitarisé, s'il voit le jour, ne sera pas un cadeau, un luxe, un acte de charité de la part d'Israël,
12:48 mais la consécration de sa victoire historique. Quant aux Palestiniens, il leur permettra, après tant de décennies de déni,
12:56 d'avoir effectivement une forme de reconnaissance. Je finirai juste par le contexte régional. Mais on voit bien que,
13:03 quelles que soient les tensions au Liban, dans le canal de Suez, autour des troupes américaines en Irak, en Syrie et en Jordanie,
13:16 le conflit ne s'est pas étendu, parce que le conflit est fondamentalement un conflit israélo-palestinien.
13:22 Et donc la bonne nouvelle, c'est qu'il ne s'est pas étendu. La mauvaise nouvelle, ou en tout cas le message très fort,
13:30 c'est que ce conflit doit impérativement être réglé. Il y a une tradition diplomatique française qui est qu'effectivement,
13:38 il faut régler les crises à chaud. Ça, c'est quelque chose qui est presque dans l'ADN de la diplomatie française.
13:45 Il faut profiter des crises comme d'un moment d'opportunité pour aller vers un règlement définitif qui empêche la reproduction de telles crises.
13:54 Les Américains ont une tradition totalement opposée, héritée du Dr Kissinger, qui est de dire, voilà, il faut créer des réalités sur le terrain,
14:08 sur laquelle une fois que la poussière des combats sera retombée, on bâtira un nouveau règlement. Donc on en est là.
14:17 Et on voit bien que les États-Unis, bon, d'abord, je rappelle, ils sont quand même complètement paralysés au Congrès par les sionistes chrétiens.
14:24 Donc je vois mal Joe Biden être beaucoup plus ferme qu'il l'est actuellement. Et c'est largement rhétorique à l'égard d'Israël.
14:36 Donc il faut effectivement que non seulement la France mais aussi la diplomatie européenne se saisissent de ce sujet qui est un sujet fondamental
14:50 non seulement pour la paix au Moyen-Orient mais aussi – et c'est tout à fait légitime – pour beaucoup de nos compatriotes. Merci, M. le Président.
15:01 – Professeur, merci. J'ai quelques questions qui sont soumises. Je commencerai par François Bonneau et on répondra au fur et à mesure.
15:10 Parce que pour l'instant, j'en ai trois. Je ne sais pas s'il y a d'autres. Il y a Guillaume Gantin aussi. François, vas-y, je te laisse là.
15:14 – Oui, merci, M. le Président. Merci, M. pour la clarté de vos propos.
15:20 Quel que soit le gouvernement israélien qui sortira à la suite de cette crise, il est peu probable qu'il traite d'une façon ou d'une autre avec le Hamas.
15:30 On connaît par ailleurs la proximité du Hamas avec les frères musulmans. Dans ce contexte, quel pourrait être selon vous le rôle de l'Arabie saoudite
15:40 dans un possible règlement ou diminution de l'intensité de ce conflit ?
15:46 – Je vais faire des séries de deux parce que ça s'inscrit beaucoup. Donc je voudrais qu'on puisse tenir dans les nez.
15:53 Donc je laisse la parole à Philippe Foliot et après, je vous laisserai répondre.
15:56 – Merci, M. le Professeur. Indicible, terrible. Hier, avec le Président et quelques collègues,
16:07 nous assistions à la projection du film du massacre tel que les autorités israéliennes l'ont présenté.
16:18 Il n'y a pas de mots par rapport à cette réalité. Et je veux dire, la nature humaine, dans tout ce qu'elle peut avoir de plus vile, de plus terrible,
16:34 on l'a retrouvée au travers de ces images de choc sans commentaire du reste. Et on se dit, effectivement,
16:47 il faut qu'il y ait un règlement politique comme vous l'avez souligné parce qu'il n'y aura pas d'issue militaire
16:55 ou alors ça sera par l'élimination de l'un ou de l'autre, en l'occurrence on voit qui. Et on sait que ce n'est pas une solution.
17:04 On sait aussi, on voit qu'on ne peut pas mettre sur un même plan les éléments relatifs à une agression et avec des interrogations
17:15 au regard d'une frontière qui me semblait être une des plus sécurisées au monde. Et comment autant d'hommes ont pu la franchir
17:26 aussi facilement en si peu de temps pour commettre tous ces actes ? Ce qui veut dire que par rapport à la stratégie de Netanyahou
17:36 en matière sécuritaire telle qu'elle était affirmée depuis longtemps, c'est un échec quand même assez cuisant par rapport à cela.
17:46 Et donc moi, je voulais vous poser une question sur le rôle et l'importance que peut jouer l'Égypte dans la résolution de ce conflit à plusieurs titres.
18:01 Parce que l'Égypte a été le premier pays arabe à négocier une paix avec Israël. Ensuite, l'Égypte est voisine de Gaza.
18:10 Et donc, selon moi, elle doit avoir et elle peut jouer un rôle un peu central pour essayer de résoudre cette crise.
18:20 Quelle est votre analyse par rapport à cela ?
18:23 Oui, alors je vais répondre de la manière la plus concise et j'espère la plus précise possible.
18:34 D'abord, dans la première question, en fait, j'ai entendu deux questions, si je puis me permettre.
18:40 Est-ce qu'Israël pourra négocier avec le Hamas ? Évidemment, non, surtout au vu des atrocités qui ont été commises. C'est totalement exclu.
18:52 Non, la seule négociation possible serait de revenir à l'acte fondateur du processus de paix, c'est-à-dire les accords d'Oslo,
19:02 non pas dans l'accord intérimaire qui a été profondément frustrant pour les deux populations parce qu'elles n'ont pas vu les dividendes de la paix.
19:13 La population israélienne a vu les attentats du Hamas et la population palestinienne a vu la poursuite de la colonisation.
19:19 Mais parce que le premier des deux accords d'Oslo, c'est la reconnaissance mutuelle entre Israël et les Palestiniens.
19:26 C'est donc la reconnaissance mutuelle de la légitimité du nationalisme de l'autre.
19:31 Et donc le Hamas ne négociera pas. Le Hamas ne sera pas invité à la table des négociations. C'est tout à fait normal.
19:40 Mais en revanche, l'OLP peut et devrait retrouver ce rôle de représentation. Mais pour ça, effectivement, il faudrait que Mahmoud Abbas,
19:50 son actuel président et par ailleurs président de l'autorité palestinienne, ait quand même une notion un peu plus active de son rôle de chef du peuple palestinien,
20:04 un peu plus en initiative. Et donc dans ce cadre-là, voilà, excusez-moi, j'ai fait ce détour, mais l'Arabie saoudite, évidemment, a un rôle fondamental.
20:13 C'est probablement aujourd'hui le pays sur qui repose le plus l'avenir de la région. Donc d'abord, parce qu'il y a là aussi,
20:24 c'est l'ancien diplomate qui parle, il y a un bagage diplomatique qui a le plan arabe de paix, qui est d'inspiration saoudienne.
20:31 Donc au sommet de Beyrouth de 2002, pour faire très simple, ce plan arabe, c'est normalisation totale avec tous les pays arabes
20:39 contre retrait total des territoires occupés par Israël où serait établi un État palestinien.
20:46 C'est cela que Mohamed Ben Salman, le prince héritier, l'homme fort d'Arabie, répète aujourd'hui.
20:52 Et donc on voit qu'il y aurait un levier qui pourrait permettre au fond à tout le monde de sortir par le haut.
20:59 Le premier ministre israélien, qui soit Netanyahou ou un autre, pourrait dire voilà, j'ai obtenu vraiment le grand prix,
21:06 la normalisation avec l'Arabie, qui est ce que tous les dirigeants israéliens espèrent depuis des décennies.
21:13 Mais en contrepartie, il y a effectivement cette nécessité d'un horizon politique.
21:18 Apparemment, les Américains misent beaucoup là-dessus, mais d'après les derniers éléments qui me sont venus,
21:25 c'est toujours ce côté un peu terre à terre, je vais vous dire, ils misent surtout sur l'Arabie pour financer la reconstruction de Gaza.
21:33 Alors si on en est encore à, voilà, on va financer la reconstruction des ruines,
21:39 mais sans éviter que des ruines soient perpétrées dans un futur proche, à ce moment-là, effectivement, on n'aura pas avancé beaucoup.
21:47 Donc, et pour ce qui est de l'Égypte, donc évidemment, l'Égypte, tout ce que vous avez rappelé, mais je doute que l'Égypte sera motrice.
21:59 On voit que l'Égypte agite la menace, par exemple, de suspendre les accords de Cannavit, j'y crois vraiment pas trop.
22:08 C'est quand même trop structurant pour la stratégie égyptienne.
22:12 C'est très important en termes de financement qui provient des États-Unis.
22:16 C'est pratiquement un milliard et demi de dollars par an, dont un milliard 300 millions directement pour l'armée égyptienne.
22:25 Ce ne sont pas des choses avec lesquelles on joue en Égypte.
22:29 Mais voilà, l'historien sait aussi que les plus grandes tragédies, elles peuvent intervenir quand on s'y attend le moins.
22:39 Voilà, le 7 octobre 2023, si par malheur, l'offensive annoncée par Netanyahou sur Rafa se développe,
22:47 1,4 million de femmes et hommes qui sont complètement coincés dans le dénuement le plus total,
22:54 la famine, l'absence de soins, l'absence d'abris.
22:58 Si une offensive dans ces conditions est lancée, là on peut rentrer dans une zone inconnue avec l'Égypte,
23:08 parce que ça se passera immédiatement à sa frontière.
23:11 Et je ne vois pas comment cette offensive pourrait être strictement contenue sur quelques kilomètres à côté de la frontière égyptienne
23:20 sans qu'il y ait des formes de débordements que je garderais bien d'anticiper.
23:27 Merci. Une série de deux questions. Sylvie Guachavant et puis Alain Casabonne.
23:33 Merci, Président. Monsieur, en quelque sorte, ne pensez-vous pas que le Hamas a, depuis de très nombreuses années,
23:41 pris en otage la population de Gaza, population de Gaza qui paye un très très lourd tribut ?
23:48 De ce fait, comment les Gazaouis voient-ils le Hamas ?
23:56 Et comment pouvons-nous qualifier le Hamas aujourd'hui ? Est-ce seulement une force de résistance ?
24:01 Ou est-ce une organisation terroriste avec un risque de débordement vers les pays européens, et notamment la France ?
24:09 Et la deuxième partie de ma question, qui est évidemment un peu liée,
24:14 ce sont les risques d'embrasement dans les pays alentours, et je pense plus particulièrement au Liban.
24:21 Et puis Alain Casabonne. Oui, juste une simple question.
24:25 D'abord une affirmation. Pour faire un accord, il faut être plusieurs à signer. On est bien d'accord.
24:30 Il faut qu'il y ait Israël. Il faut qu'il y ait, on dirait, en face le Hamas, ou en réalité la tête pensante, c'est-à-dire l'Iran.
24:37 A défaut d'un accord entre ces puissances, je dis qu'on est dans le monde des bisonours.
24:42 On a fait souvent la comparaison entre la Seconde Guerre mondiale en disant que si Mussolini était venu proposer aux Alliés un accord avec Hitler d'arrêter tout ça, on aurait dit non.
24:51 Et ça a été Dresd derrière, 200 000 morts, etc. etc. Ça a été Hiroshima.
24:56 Donc pour s'entendre, il faut que vraiment les initiateurs, c'est-à-dire l'Iran et les autres pays, soient d'accord pour signer.
25:00 Israël porte actuellement des responsabilités sur la colonisation inadmissible qui empêche finalement deux États.
25:07 Mais si on veut un accord global, il faut aussi que, encore une fois, l'Iran soit signataire de ça.
25:12 J'ai rédigé dès 2012 une histoire de Gaza, qui est le fruit de longs séjours sur le terrain.
25:26 Et j'étais encore à Gaza il y a un peu moins de deux ans, d'ailleurs pour leur parler de l'Ukraine,
25:32 à l'Institut français qui, comme vous le savez, a été bombardé, sans à ma connaissance que des explications officielles aient été données pour cette agression,
25:41 et face à des femmes et à des hommes dont beaucoup sont morts aujourd'hui, qui étaient des civils, innocents et généralement très critiques du Hamas.
25:52 Donc moi, ça fait longtemps que j'entends mes amis à Gaza me dire "nous vivons le cauchemar dans le cauchemar",
25:59 le cauchemar de la domination islamiste dans le cauchemar des agressions israéliennes.
26:06 Et ce qui s'est passé, c'est qu'en fait, les près de 17 années de blocus de Gaza ont permis au Hamas de complètement, vous dites, prendre en otage.
26:17 C'est un terme que je ne renierai pas, en tout cas d'avoir une mainmise totale sur la population de Gaza.
26:26 Oui, j'ai beaucoup travaillé sur les répressions dans les régimes arabes, les services de police politique et autres,
26:35 et j'ai arrivé à cette conclusion terrible que Gaza était de tout le monde arabe le territoire où la population était soumise
26:43 à la plus forte densité de policiers, d'indicateurs.
26:53 Parce qu'il faut voir que les brigades Kassam, la branche armée du Hamas, qui ont perpétré les horreurs du 7 octobre 2023,
27:03 quand elles n'étaient pas sur le front, elles quadrillaient la population, évidemment,
27:08 avec toujours une focalisation sur la partie féminine de cette population qu'il fallait ramener dans ce qu'ils considèrent l'ordre moral.
27:18 Donc aujourd'hui, le drame absolu de la population de Gaza, c'est qu'elle subit les conséquences d'une agression à laquelle elle n'a pas pris part,
27:32 qui lui a été imposée par cette direction du Hamas, qui, elle, est bien planquée dans ses tunnels avec les provisions, le fuel et tout ce qu'il faut,
27:44 qui était prévu depuis très très longtemps. C'est pour ça que l'idée de frapper l'aide humanitaire pour éviter que la direction du Hamas s'alimente,
27:55 ce sont quand même des gens qui sont capables de faire des prévisions et des projections.
28:01 Donc il faut évidemment redonner une voix qu'on ne peut pas entendre actuellement, tout simplement parce qu'il n'y a pas d'accès à la bande de Gaza.
28:10 Il faut savoir que quand il y aura cet accès à la bande de Gaza, le choc de ce qu'on va découvrir va être inimaginable,
28:20 parce que la réalité, et je connais le terrain, quand je vois les photos, ce sont des endroits où j'étais, mais le monde va être absolument bouleversé.
28:33 Ce qui nous revient actuellement est quand même très très amorti. Et donc à ce moment-là, cette population, il faut qu'elle soit en mesure de s'exprimer.
28:41 Je doute qu'elle soit très reconnaissante au Hamas d'avoir causé une telle tragédie. Et donc il faut évidemment que des élections puissent être organisées au plus tôt,
28:54 dans les territoires palestiniens. Élections que le président Abbas avait annulées en 2021, ce qui a, à mon sens,
29:02 directement contribué à l'engrenage milicien qui a mené à l'horreur du 7 octobre. Quant au Hamas, il a commis toutes les violences que l'on sait,
29:15 mais son terrorisme est territorialisé. Il n'a jamais, depuis sa fondation en 1987, internationalisé la terreur au-delà des frontières d'Israël et des territoires palestiniens.
29:31 Alors il le fera peut-être un jour. Mais en tout cas, c'est frappant de voir que l'OLP, qui est rentrée dans le processus de paix, avait pratiqué la terreur médiatisée
29:41 par les détournements d'avions, par les prises d'otages pendant de longues années, avant de se rallier à la paix avec Israël.
29:49 Ce qui n'a jamais été le cas du Hamas, en dehors bien sûr d'Israël, qui a payé un prix très lourd. Alors qui est en guerre aujourd'hui ?
30:02 Ce sont les Israéliens et les Palestiniens. Ce ne sont pas les Iraniens. Ce ne sont pas les Iraniens. Les Iraniens ont leurs propres ambitions, leurs propres programmes.
30:15 Mais on voit bien que Benyamin Netanyahou et d'autres, Donald Trump évidemment, ont voulu focaliser sur, effectivement,
30:25 la politique tout à fait dangereuse et menaçante et agressive de l'Iran pour ne plus parler de la Palestine.
30:37 Donc il faut bien distinguer les deux dossiers. Donc c'est entre Israël et l'OLP, l'OLP, que se fera la paix.
30:48 Et on ne peut qu'espérer qu'elle se fasse le plus tôt possible. L'Iran a ses propres priorités. Et l'Iran a été absolument furieux.
30:58 Que le Hamas le mette devant le fait accompli du 7 octobre 2023, l'Iran a un rapport assez paternaliste aux différents groupes qui lui sont proches dans la région.
31:12 Et l'idée qu'un groupe pouvait prendre une initiative d'une portée aussi considérable sans même consulter l'Iran a provoqué un choc à Téhéran.
31:27 Donc on en est là. C'est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle. Mais ça veut dire que c'est entre les Israéliens et les Palestiniens que la guerre se fait actuellement,
31:38 que la guerre est abominable, impitoyable. Et c'est entre eux que se fera la paix, parce que c'est toujours avec son ennemi qu'on fait la paix.
31:49 — Merci. Une série de deux questions. Guillaume Gontard et puis Roger Karouchi.
31:55 — Oui. Merci, monsieur le Président. Merci, monsieur, pour votre intervention. Et surtout, je pense que c'était important de rappeler que la solution ne sera jamais militaire,
32:08 et qu'en fait, il n'y aura jamais de victoire militaire, et qu'on a besoin justement d'une solution politique. Et c'était d'ailleurs ce qu'on avait justement dans la délégation
32:16 dont j'ai fait partie il y a un an, ce qu'on avait bien vu, quoi, en fait, qu'il y avait cette nécessité justement de travailler sur une solution militaire,
32:24 et qu'en fait, on paye un petit peu se laisser faire, en fait, et cette absence d'action, qu'on ait face évidemment à une tragédie à la fois du peuple israélien et puis du peuple palestinien.
32:36 Il y a quand même plus de 27 000 morts, 60 000 blessés sur la bande de Gaza. Et on se demande où tout ça peut s'arrêter. Et donc sur ce processus, ce que vous avez un petit peu expliqué,
32:50 il y a la question de l'interlocuteur avec qui on va dialoguer, avec qui on va pouvoir avancer. Vous avez parlé de l'OLP. La question de l'autorité palestinienne,
32:59 effectivement, qui est, on va dire, faible, se pose quand même la question notamment de Marwan Barghouti. Est-ce que c'est un élément qui peut être important ? En tout cas, on en parle.
33:09 Est-ce que c'est quelqu'un qui pourrait, en tout cas, être un interlocuteur, en tout cas, permettre cette sortie et enclencher cette discussion ?
33:20 Et puis derrière ça, il me semble aussi, c'est quelque chose qu'on avait pu relever lors de notre délégation il y a un an, sur la question du processus démocratique et des élections.
33:33 Alors, c'est sûr que ce n'est pas le premier temps, mais en tout cas, est-ce qu'il va ne pas falloir aller vers ce processus démocratique pour redonner une légitimité, justement, au peuple palestinien ?
33:45 Une génération, en fait, qui n'a jamais pris part à l'avenir politique de son pays. Et puis sur la position française, c'est vrai qu'on défend, en tout cas, une solution à deux États,
33:59 qui me paraît souhaitable. Mais est-ce qu'on peut défendre une solution à deux États sans reconnaître, du coup, l'État palestinien ?
34:05 Et donc, est-ce que ce n'est pas aussi un élément fort qui pourrait arriver dans le débat et qui pourrait être attendu aujourd'hui ? Merci.
34:13 — Merci, Guillaume Roger.
34:17 — Mon professeur, d'abord, je ne suis pas convaincu, pardon, par vos propos sur la limite ou la limitation du conflit.
34:25 Vous dites, par exemple, que l'Iran n'est pour rien... Pardon, je n'ai pas de certitude en la matière. Et deuxième élément, toujours sur l'Iran,
34:35 même si on peut dire que pour le moment, le conflit est entre les Israéliens et le Hamas, il y a quand même des centaines de missiles quasiment toutes les semaines
34:47 envoyés par le Hezbollah sur le nord d'Israël. Et le Hezbollah, c'est pas exactement autre chose qu'une pure création de l'Iran.
34:55 Donc l'Iran n'a peut-être pas été informé du 7 octobre. Mais l'Iran finance, l'Iran arme, l'Iran alimente, que ce soit le Hezbollah, le Hamas ou les Houthis.
35:06 Donc dire que pour le moment, il faut uniquement faire ça entre les Israéliens et les Palestiniens, le jeu de l'Iran est quand même extrêmement destructeur dans toute cette région du monde. Voilà.
35:18 Deuxième élément, moi je préside le groupe France-Israël, mais je suis très lié, pardon de le dire comme ça, et certains le savent, à bien des dirigeants du monde arabe qu'on dit modérés.
35:30 Je sais pas trop bien ce que ça veut dire modéré, mais bon. C'est compliqué. C'est évident qu'on a certains responsables politiques israéliens extrémistes,
35:44 suprémacistes, qui, c'est le moins qu'on puisse dire, ne vont pas dans le sens de la paix. Mais en sens inverse, on n'arrive pas à avoir de dirigeants palestiniens crédibles,
35:58 reconnus par leur population, qui au niveau international peuvent être dans une vraie négociation. Le Hamas, j'en parle pas, c'est un mouvement terroriste, il n'y a pas de négociation possible.
36:11 Mais même avec l'autorité palestinienne, Mahmoud Abbas a 86 ans, Mahmoud Abbas n'a pas fait d'élection depuis 15 ou 20 ans,
36:20 est-ce qu'il peut y avoir un successeur de Mahmoud Abbas, pardon pour le président Gontard, peut-être pas Barghouti, qui a été dans les prisons israéliennes,
36:30 je suis pas sûr que ce soit le plus apte à négocier, mais il y a des gens autour de Mahmoud Abbas qui peuvent être des successeurs, qui peuvent négocier.
36:39 Est-ce qu'il ne faut pas attendre aussi qu'une nouvelle génération de dirigeants palestiniens, peut-être avec une nouvelle génération de dirigeants israéliens,
36:48 se disent "il faut parvenir à un accord". Difficile pour les deux, parce que ça voudra dire forcément que en Cisjordanie, la colonisation non seulement s'arrête, mais se réduise.
37:02 Et ça voudra dire que du côté palestinien, on arrête la culture anti-israélienne et anti-juive de tous les manuels scolaires.
37:09 Donc tout ça est quand même quelque chose de compliqué à mettre en place. Est-ce que vous pensez vraiment, allez, on va se dire 5 ans, 10 ans,
37:19 est-ce que vous pensez vraiment qu'un processus de ce genre, dans les 5 ou 10 ans, est faisable ?
37:24 – S'il vous plaît, je vous laisse répondre. – Oui, alors, il se trouve que les deux questions étaient en écho,
37:34 donc je me permets de répondre ensemble sur la question de la représentation et de la légitimité palestinienne.
37:41 Bon, quelles que soient les failles du mouvement palestinien, je rappelle dans mon livre, j'étudie vraiment ce factionalisme qui a été terrible
37:53 et qui a des racines très anciennes dans la société palestinienne, notamment parce que, voilà, avec l'Anakba, l'exode de 1948,
38:03 et bien en fait, les solidarités de proximité, c'est-à-dire concrètement les solidarités qu'on qualifie de familiales, claniques, tribales,
38:11 ont aussi été exportées comme mécanismes de service qui a profondément affecté la structuration de la scène palestinienne.
38:22 Donc aujourd'hui, si Mahmoud Abbas est discrédité, donc Mahmoud Abbas à la fois comme chef de l'OLP et comme président de l'autorité palestinienne,
38:37 c'est parce qu'il n'a absolument rien à offrir à son peuple, alors qu'il est quand même là depuis 2005.
38:44 Mais s'il n'a rien à offrir à son peuple, c'est parce que les dirigeants israéliens ont choisi de manière assez constante de jamais rien lui offrir.
38:53 En 2005, le retrait de Gaza a été décidé unilatéralement par Ariel Sharon, donc non pas du tout comme un acte de bonne volonté à l'égard des Palestiniens,
39:03 mais pour replier Israël derrière ce que Ariel Sharon, grand général d'Israël, considérait comme les frontières sûres de l'État juif.
39:12 Donc le mur de séparation en Cisjordanie et donc le retrait de Gaza.
39:16 Et à l'époque, tout le monde dans l'establishment politico-militaire israélien a jugé ça assez brillant,
39:23 sans voir que concrètement, si on ancrait le Hamas à Gaza contre l'autorité palestinienne à Ramallah,
39:33 effectivement ça permettait d'enterrer la perspective même d'État palestinien.
39:37 Mais voilà, au bout de deux décennies, ça a produit la catastrophe du 7 octobre.
39:43 Donc Israël ne peut plus s'abstraire d'un partenaire palestinien crédible.
39:51 Dans l'intérêt d'Israël, on n'est pas dans les bisounours, comme s'était évoqué à un moment.
39:58 Non, non, c'est une question de vie ou de mort.
40:01 C'est une question de survie pour l'État juif d'avoir un partenaire crédible.
40:05 Le 7 octobre, Israël ne dépend que de ses forces, de ses services de renseignement, de sa police,
40:13 et tout s'effondre, parce qu'en face, il n'y a que des ennemis qui ont préparé méthodiquement
40:19 une campagne terroriste tout à fait abominable.
40:22 Donc ça veut dire aussi, du point de vue israélien,
40:26 plutôt que d'affaiblir les directions palestiniennes successives en refusant de les créditer de quoi que ce soit,
40:35 être conscient que s'il n'y a pas d'interlocuteur palestinien, c'est aussi une très mauvaise nouvelle pour Israël.
40:42 Ce n'est pas juste le problème des Palestiniens.
40:44 C'est évidemment avant tout la responsabilité des Palestiniens.
40:47 Je ne les excuse en rien. Je ne discute pas en rien.
40:50 La gestion clientéliste, à courte vue, autoritaire de Mahmoud Abbas, je l'ai suffisamment critiqué publiquement.
41:04 Dès 2018, je parlais de la situation crépusculaire qui prévalait au sein de l'autorité palestinienne.
41:15 Mais si Mahmoud Abbas peut tellement être critiqué, c'est parce qu'il a commis une espèce de jeu de bonteau,
41:21 je ne sais pas comment appeler ça, qui est désastreux pour la cause palestinienne.
41:26 Il est président de l'OLP, il est président de l'autorité palestinienne,
41:29 qui est une instance dérivée d'un accord entre Israël et l'OLP,
41:35 même si c'est ça qui lui permet d'avoir un gouvernement des ministres,
41:39 et il est président de l'État de Palestine, qui est quand même reconnu par beaucoup de membres de l'ONU
41:48 et qui a un statut d'État non-membre observateur.
41:51 Sauf qu'il a mélangé tout ça.
41:53 Donc quand vous allez sur le site de l'État de Palestine, vous voyez les réunions du gouvernement de l'autorité palestinienne.
41:59 Mais ce n'est pas ça, l'État de Palestine.
42:01 L'État de Palestine doit être représentatif de l'ensemble des Palestiniens
42:05 pour avoir cette légitimité, qui n'a plus du tout aujourd'hui.
42:09 Et c'est là où, effectivement, Marwan Barhouti peut jouer un rôle majeur.
42:15 Parce que, bon, sortir de prison pour aller à un processus de paix,
42:19 ça s'est quand même fait sous d'autres latitudes, et ça a plutôt marché.
42:25 Mais surtout, il faut voir que Marwan Barhouti est un partisan déclaré de la solution à deux États,
42:34 dont l'ascendant peut s'imposer au Hamas.
42:38 Je ne dis pas du tout qu'il y arrivera, parce qu'il est quand même en prison depuis plus de 20 ans.
42:43 Il cumule cinq peines de perpétuité pour terrorisme.
42:48 Mais voilà, c'est avec les ennemis qu'on fait la paix, si on veut faire la paix.
42:54 En tout cas, aujourd'hui, sur la scène palestinienne,
42:56 il est la seule personnalité qui peut rassembler autour de lui un consensus populaire.
43:03 Donc, si on veut une personnalité représentative, il n'y a pas à aller chercher très loin.
43:09 Elle est littéralement aux mains des Israéliens.
43:12 Or, qu'est-ce qui se passe ?
43:13 En 2011, on a un échange de prisonniers entre Gilad Chalit aux mains du Hamas
43:22 et un peu plus d'un millier de détenus palestiniens.
43:25 Netanyahou refuse la libération de Barhouti.
43:28 En revanche, Netanyahou autorise la libération de Yair Yassinouar,
43:33 l'actuel maître de Gaza et cerveau des attentats du 7 octobre.
43:40 Et là, on voit que le Hamas exige la libération de Barhouti dans le cadre des tractations en cours
43:46 et qu'Israël continue de refuser.
43:48 Donc, on va avoir... Parce qu'à un moment, il sera libéré.
43:52 Le problème, c'est à qui devra-t-il sa libération ?
43:55 S'il devait sa libération à Israël, c'est quand même un bon point dans d'éventuelles négociations de paix.
44:01 S'il doit sa libération au Hamas, ça va tout de suite limiter sa marge de manœuvre.
44:06 Donc, si on pensait un peu politique, au lieu de penser "je démolis ceci, j'envahis cela, je rase, j'explose", etc., etc.,
44:16 c'est quand même une solution à laquelle on pourrait travailler.
44:20 Mais de toute façon, quel que soit ce qui se passe autour d'un tel ou d'un tel,
44:25 on n'a pas le temps d'attendre une génération, avec tout le respect que je vous dois.
44:30 Et on n'a sûrement pas le temps d'attendre 5 ans ou 10 ans.
44:33 Soit le processus politique s'enclenche maintenant, avec un calendrier clair de mise en œuvre de la solution à deux États,
44:43 et avec d'emblée des négociations sur le statut final, qui au lieu du marais, des sables mouvants qu'avait englouti le processus de paix de 1993 à 2000,
44:58 se concentrera sur ces questions, notamment les questions les plus difficiles, la colonisation, les frontières, Jérusalem, l'eau, les réfugiés.
45:08 C'est ça qu'il faut trancher. Et c'est ça qu'il faut trancher pour arriver à une paix qui sera définitive.
45:13 Mais j'insiste, cette paix est non seulement la condition de la sécurité pour les deux peuples, mais aussi celle de la victoire pour Israël.
45:23 Il faut sortir vraiment d'une mentalité où la solution militaire pourrait éventuellement s'imposer.
45:33 Il n'y a pas de solution militaire. Voilà. S'il y a une leçon du 7 octobre et de tout ce qui se passe en ce moment à Gaza, c'est qu'il n'y a pas de solution militaire,
45:43 qu'on a besoin de diplomatie, qu'on a besoin de diplomates, qu'on a besoin de faiseurs de paix.
45:48 Et pour ce qui est de l'éventuelle reconnaissance par la France de l'État de Palestine, je suis convaincu qu'elle doit être, elle aussi, négociée,
45:58 qu'elle doit être subordonnée à des gestes importants de la partie palestinienne et notamment à un renouvellement démocratique des institutions palestiniennes
46:08 qui aujourd'hui sont complètement fossilisées. Et effectivement, le fait que cette génération n'ait pas pu participer à la définition de son avenir
46:18 du côté de la population palestinienne est un scandale qui doit cesser. Parce que si processus d'avenir, il doit y avoir,
46:27 il doit se faire justement sur une adhésion par des mécanismes de représentation démocratique, aussi bien d'un côté,
46:34 c'est évidemment acquis du côté d'Israël, je parle des mécanismes d'expression démocratique, je ne parle pas forcément de l'émergence d'une alternative de paix,
46:43 mais ces mécanismes-là doivent opérer de la même façon sur les Palestiniens. Et j'ai dit très tôt, dès la suspension du processus électoral
46:54 par Mahmoud Abbas en 2021, que l'Union européenne aurait dû suspendre immédiatement tout financement à l'autorité palestinienne
47:04 tant qu'un calendrier d'élection n'était pas défini. Ça doit être une condition. Or, là aussi, une vision sécuritaire à très courte vue,
47:13 "Oh là là, bon, au moins, on sait ce qu'on a, on sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on gagnerait",
47:19 ben oui, la démocratie, c'est ça aussi. La démocratie, c'est justement laisser les peuples s'exprimer. En tout cas, pour ce qui est de Gaza,
47:29 ma conviction est faite depuis longtemps, si élection il y avait eu en 2021, le Hamas aurait subi une défaite cinglante à Gaza.
47:37 On ne serait sans doute pas dans la situation absolument tragique où on se trouve aujourd'hui, comme quoi il faut quand même, de temps en temps,
47:45 donner la parole au peuple, y compris au peuple arabe.
47:49 Merci beaucoup. Je laisse la parole à Huksouri et puis à Gisèle Jourdain.
47:55 Merci, Président. Monsieur, j'ai une question dans le prolongement de votre réponse à la question de mon collègue Folio sur l'Egypte,
48:02 qui avait plus trait à la politique extérieure de l'Egypte. Et moi, je voulais évoquer la politique intérieure de l'Egypte.
48:10 Donc aujourd'hui, l'Egypte est un pays qui connaît une crise économique extrêmement importante, sévère.
48:18 L'accès à l'eau est difficile pour une partie des Égyptiens. Il y a une pauvreté grandissante, une démographie galopante et le régime muselle toute contestation.
48:30 Ça, c'est la toile de fond. Et on voit qu'il y a un soutien populaire fort à la Palestine.
48:36 Et en même temps, pour les raisons que vous avez évoquées tout à l'heure, le gouvernement a une position beaucoup plus mesurée.
48:45 Et donc, est-ce que cette situation-là, finalement, ne peut pas représenter le terreau avec le risque d'instrumentalisation,
48:54 le terreau pour une déstabilisation profonde de ce pays, ce qui serait évidemment pour cette région-là extrêmement préjudiciable ?
49:03 Merci, Monsieur le Président. Merci, Monsieur, des points de vue que vous avez évoqués devant nous.
49:19 Moi, je souhaiterais faire référence à quelqu'un à qui on rend hommage aujourd'hui, qui est Robert Maninterre,
49:28 et qui disait que seule l'humanité peut triompher de l'amour. Alors, lorsqu'on a vécu avec ce conflit israélo-palestinien,
49:36 quasiment une grande partie de notre existence, qu'on a vu les dégâts qui ont été commis, parce que vous avez parlé à un moment
49:45 de la personnification et des personnes relées auxquelles on identifie donc un pays. Rappelons-nous qu'à un certain moment,
49:52 même sur la scène internationale, quand on avait les Anwar el-Sadat qui a été donc assassiné, mais qui avait cette voie de l'Égypte
50:00 et qui voulait donc mettre en avant ces processus de paix, quand on avait des Leïla Chahid ou on avait des rabbines
50:09 qui tentaient justement d'ouvrir ce chemin entre guerre et paix, c'est toujours la même chose, c'est les deux moteurs de la réflexion
50:19 qui sont en miroir ou contre-miroir et avec lesquels on est obligé d'évoluer. Moi, je me dis, au-delà et par-delà des analyses
50:30 que nous avons faites ce matin, il y a urgence. Il y a urgence pour la bande de Gaza, parce qu'aujourd'hui, vous parliez de calendrier,
50:38 mais la situation, elle est inextricable et elle demande absolument une action quasiment immédiate, dans le respect des entités.
50:46 Bon, moi, il se trouve que je suis, M. Karouchi, président du groupe, donc, France-Israël d'amitié et moi, celui de France-Palestine,
50:54 mais aujourd'hui, je pense qu'on n'en est plus là et qu'il faut qu'on arrive à additionner donc les forces pour faire,
51:01 et vous l'avez bien montré dans votre exposé, on en revient toujours à la solution sur place, sur le territoire et moi,
51:08 la question que j'ai, qui me hante toujours, comment le 7 octobre, cet acte terroriste a-t-il été possible ?
51:15 Comment se fait-il qu'Israël ait été pris comme ça ? Donc, c'est quand même une stupéfaction, on passe rapidement dessus,
51:23 mais moi, c'est quand même un questionnement sur lequel j'aimerais avoir donc votre éclairage et ensuite, je reviendrai,
51:31 je converge sur les... c'est toujours un peu difficile de clôturer donc ou d'être en fin de question, mais sur l'Égypte aujourd'hui,
51:40 comment vont-ils résister à la pression donc des Palestiniens par rapport à la cause donc humanitaire,
51:50 puisque ça se passe donc en Égypte pour tout cela, mais il y a quand même une pression qui va se faire démographique
51:56 et si on voit, si Israël donc persiste dans l'idée de vouloir revenir avant 2005 quasiment, pour reconquérir ce type de territoire,
52:07 c'est quand même un questionnement fondamental et cruel et qui mérite, je pense, d'être lu à l'aune donc d'autres analyses,
52:20 parce qu'il est vrai qu'Israël-Palestine, bon, pour avoir été aux Émirats Arabes Unis il n'y a pas très longtemps et donc sur le sultanat d'Oman,
52:29 malgré les accords d'Abraham et tout ce qu'on ne pourra donc expliquer, bon, ce n'est pas quand même leur sujet réel.
52:36 Le sujet, il est vraiment sur place. Voilà, monsieur, les questionnements qui étaient les miens.
52:43 Merci beaucoup. Alors je me rends compte que j'avais omis de répondre à une partie de votre question sur l'Iran, loin de moi l'idée de minorer la menace iranienne,
52:55 mais trop souvent on en fait une espèce de grand manipulateur de toutes les tensions moyenne orientales.
53:02 Quand il s'agit d'Hizbollah, des milices en Irak, des Houthis, c'est tout à fait juste, mais pour le Hamas, c'est toujours une dynamique palestinienne qui prime.
53:12 Pour le djihad islamique, c'est différent, mais pour le Hamas, c'est une dynamique palestinienne.
53:17 Mais vraiment, loin de moi l'idée de dire que l'Iran serait un acteur marginal dans la région, mais en tout cas, il n'est pas un acteur direct dans le conflit en cours à Gaza aujourd'hui.
53:29 Alors j'entends justement le double questionnement sur l'Égypte. Alors d'abord, il faut voir, ça c'est le privilège de l'historien,
53:39 qu'on a une tradition française depuis près de deux siècles, il y a toute une littérature qui dit que l'effondrement de l'Égypte est pour demain.
53:47 Déjà au moment de l'expédition de Bonaparte, Volnay, la ruine, et l'Égypte est toujours là.
53:56 L'Égypte avait trois millions d'habitants à l'époque, l'Égypte en a plus de cent millions aujourd'hui.
54:01 Déjà à l'époque, les Français étaient effarés par la densité démographique.
54:05 Donc voilà, il faut relativiser. Bon, l'Égypte, comme vous le savez, a quand même une histoire assez longue et a toujours échappé à ses destins définitifs.
54:16 Ça n'enlève rien aux contraintes que vous énoncez, mais qui, à mon avis, au niveau du régime d'Abdel Fattah el-Sisi,
54:24 l'encouragerait plutôt à préserver l'essentiel, c'est-à-dire la relation avec les États-Unis, donc le traité de paix avec Israël,
54:34 pour ne pas compromettre justement ce régime qui est complètement centré autour d'une hiérarchie militaire
54:41 qui est, on va dire pudiquement, très soucieuse de la préservation de ses privilèges.
54:47 Or, il se trouve qu'il y a eu un retournement qui a mal été, je crois, perçu en Europe, ou en tout cas, voire pas perçu du tout.
54:56 C'est que jusqu'à présent, il y avait des bailleurs de fond du Golfe qui faisaient des chèques en blanc au régime égyptien,
55:02 et maintenant, ce n'est plus du tout le cas. C'est-à-dire que maintenant, ils rachètent dans le cadre d'une privatisation un peu sauvage de l'économie égyptienne,
55:10 et que du coup, il y a des contradictions très directes, très vives, entre des généraux à la retraite, avec leurs différents intérêts,
55:21 et ces nouveaux entrepreneurs capitalistes venus du Golfe. Le Hamas ne misait pas sur un embrasement régional via l'Iran.
55:33 Ce n'était pas du tout son pari, d'après ce que j'ai pu comprendre. En revanche, il était convaincu qu'il y aurait des troubles
55:42 qui pourraient prendre une nature révolutionnaire, aussi bien en Égypte qu'en Jordanie.
55:46 Or, je constate que dans les deux pays, même s'il y a eu des manifestations qui n'étaient pas si importantes que ça,
55:53 quand on parle quand même de 10 000 manifestants au Caire, à l'échelle d'un pays comme l'Égypte, ce n'est quand même pas grand-chose.
56:02 Et je connais bien la Jordanie. Les photographies des cortèges au centre-ville d'Aman sont toujours prises du même angle
56:07 pour donner l'impression qu'il y a une foule, alors que les manifestants ne sont pas forcément aussi nombreux.
56:14 Donc ce pari, qui était en fait un peu lié à la matrice frère musulman du Hamas, n'a pas opéré ni en Égypte ni en Jordanie.
56:25 Mais en revanche, on voit que ces deux pays, signataires de traités de paix avec Israël, ont été particulièrement virulents
56:33 de leur dénonciation de l'offensive israélienne à Gaza. Je pense entre autres au roi Abdallah de Jordanie,
56:42 qui avait quand même refusé la visite de Biden avant de se rendre à Washington ces jours-ci.
56:52 Alors effectivement, on en est là. Donc oui, l'Égypte, les personnalités de paix, comment sortir de ce cycle infernal ?
57:04 Je crois qu'il faut penser à la fois dynamique, et puis ce que j'ai dit en introduction, mais ça me permettra d'avoir une note d'espoir en conclusion,
57:15 sortir du jeu à somme nulle. C'est très tentant quand on a été agressé, quand on a des victimes, y compris parmi ses proches,
57:27 c'est vraiment très tentant de penser uniquement à la riposte militaire, et c'est assez compréhensible.
57:35 Mais on voit bien que si on veut justement éviter la répétition de telles tragédies, si on veut garantir la sécurité non seulement aujourd'hui,
57:45 mais demain, donc la sécurité des enfants, des petits-enfants, il faut faire quelque chose qui est beaucoup plus douloureux que faire la guerre.
57:53 C'est faire confiance à l'ennemi. Pas seulement lui tendre la main, lui faire confiance. Et pas seulement lui faire confiance maintenant,
58:01 mais lui faire confiance pour demain, pour après-demain. Donc ça, on voit très bien qu'il y aura un moment délicat, très douloureux, très pénible,
58:13 pendant lequel Israéliens et Palestiniens auront besoin de tous leurs amis, et entre autres de tous leurs amis en France,
58:20 et celui où les avantages à moyen et à long terme de la paix seront un peu obscurcis par les désagréments, voire les violences à court terme de la négociation de la paix.
58:35 Voilà pour cette audition consacrée à la situation en cours à Gaza et aussi à toutes les conséquences de ce conflit sur le Moyen-Orient.
58:42 N'hésitez pas à lire les décryptages, les analyses de nos journalistes, c'est sur notre site publicsena.fr.
58:48 Très belle suite des programmes sur Public Sénat.
58:50 (Générique)

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