Le Cid - 1962 — Réal Roger Iglesis d'après Pierre Corneille

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Il s'agit d'une adaptation cinématographique de la pièce de théâtre "Le Cid" écrite par Pierre Corneille en 1637
Le film est réalisé par Roger Iglesis et sorti en 1962
Transcription
00:00:00 Vous allez dans un instant voir le cidre de Pierre Cornel.
00:00:07 Celui-ci, inspiré du dramaturge espagnol Guillem de Castro, est à la vérité fort
00:00:13 éloigné du héros historique qu'un grand film récent a remis à la mode.
00:00:19 Ce Rodrigue Diaz de Bivar, héros castillan du XIe siècle, héros de la reconquête,
00:00:27 grand pourfendeur de mort, ce Cid Campiodor, passé à la postérité par une ironie du
00:00:34 sort sous un nom arabe.
00:00:37 Le Cid, l'itrée nous le rappelle, venant de Cidi, Cidi Rodrigue.
00:00:43 Si la tragique comédie de Corneille n'a vraiment presque rien de commun avec le héros
00:00:49 qui lui prête le nom, elle est très éloignée aussi de la pièce espagnole de Guillem de
00:00:54 Castro.
00:00:55 Celle-ci était un tableau épique, mélodramatique, plein de drames atroces, alors que le Cid
00:01:02 de Corneille est une tragédie centrée toute entière sur les amours contrariés de Rodrigue
00:01:10 Etchiman.
00:01:11 Le Cid, représenté en 1636, fut l'affirmation hautaine et lyrique de tout l'idéal médéroïsme,
00:01:20 d'indépendance, d'amour précieux, de la génération qui se soulèvera bientôt
00:01:25 contre Mazara, celle des seigneurs et des belles héroïnes de la fronte.
00:01:30 Celle du grand condé Rex, la roche Foucault, Turène, la grande mademoiselle, Anne de Gonzague,
00:01:37 Gelviève de Longueville.
00:01:39 Expression ardente et frémissante, des aspirations d'une génération où l'héroïsme et l'amour
00:01:45 se confondaient.
00:01:46 Génération qui fut joncéniste pour finir avec Saint-Syran et Pascal, après avoir été
00:01:53 précieuse dans l'hôtel de la Martise de Rambouillet.
00:01:57 Est-il vraiment nécessaire de commenter le Cid ? Que tant de lycéens, tant de collégiens,
00:02:04 pour ne pas dire tous les lycéens et tous les collégiens de France depuis quatre siècles,
00:02:09 étudient et apprennent par cœur ? Peut-être quand même.
00:02:13 Car bien des préjugés pèsent sur cette superbe tragique comédie en 14 tableaux,
00:02:21 le seul drame shakespearien de notre théâtre, le plus riche aussi, en vers sublimes, inoubliables.
00:02:29 Préjugés qui obscurcissent la mémoire même de Corneille.
00:02:34 On a tendance à faire de Corneille un moraliste, le vieux Corneille, prêcheur d'héroïsme.
00:02:42 Le vieux Corneille, allons donc.
00:02:44 Il a beaucoup vécu, certes, 78 ans.
00:02:48 Beaucoup écrit aussi 35 pièces de théâtre, dont aucune n'est sans grande beauté, dont
00:02:55 aucune n'est indigne d'être reprise, malgré Boileau.
00:02:59 Son malheur est d'avoir été, à la fin de sa vie, opposé au jeune Racine, qui, lui,
00:03:06 mourut jeune et écrivit relativement peu, et qui aussi se plia spontanément aux règles
00:03:13 de la tragédie classique qui entravertent le génie naturel de Corneille.
00:03:19 Comparaison cependant sans objet.
00:03:21 On ne compare pas un aigle avec une alouette ou un rossignol, et l'aigle, c'est Corneille.
00:03:29 Un aigle auquel on a du reste, si tôt après le succès fulgurant du CIDE, terriblement
00:03:35 reniait les ailes, et qui, laissé à la libre pente de son génie, aurait sans doute donné
00:03:41 à la France une œuvre équivalente à celle de Shakespeare.
00:03:46 Corneille était jeune quand il écrivit le CIDE.
00:03:49 Il avait 30 ans, et le CIDE reste la plus jeune, la plus fougueuse, la plus vibrante
00:03:55 de toutes les pièces de notre répertoire classique.
00:03:58 À 72 ans, Corneille ne se démentait pas et restait fidèle, comme le prouve Surena,
00:04:04 au même idéal de sa jeunesse.
00:04:06 Ses héros sont tous jeunes, et au contraire, les pères et les mères de son répertoire
00:04:11 sont des parents terribles qui chargent lourdement les épaules de leurs enfants.
00:04:16 « Que de mots et de pleurs nous couturons nos pères », peuvent dire Rodrigue et Chimène,
00:04:22 et pourront redire après eux tous les jeunes héros de Corneille.
00:04:26 Et Corneille est avec ses jeunes héros et ses jeunes héroïnes l'amour de la jeunesse,
00:04:33 et son honneur reste chez lui à la première place de son théâtre.
00:04:37 Le CIDE, entre tous, ne l'oublions pas, et vous le verrez tout à l'heure, est un
00:04:42 drame d'amour.
00:04:44 Roger Iglesias a eu bien raison de le souligner dans l'interprétation de ce soir.
00:04:49 L'amour, bien sûr, tel que le concevait un honnête homme la première moitié du
00:04:55 XVIIe siècle, où une dame sortit de l'hôtel de Rambouillet.
00:04:58 Corneille a dû rester pris soin de le définir, cet amour, dans les commentaires de La Place
00:05:04 Royale, une de ses premières comédies qu'il écrivait quand il avait à peine 25 ans.
00:05:09 « L'amour, écrit-il, d'un honnête homme, doit être toujours volontaire.
00:05:14 On ne doit jamais aimer en un point qu'on ne puisse n'aimer pas.
00:05:19 Si on en vient jusque-là, c'est une tyrannie dont il faut secouer le joug.
00:05:24 La personne aimée nous a beaucoup plus d'obligation de notre amour, alors qu'elle est toujours
00:05:29 l'effet de notre choix et de son mérite que quand elle vient d'une inclination aveugle.
00:05:35 Même idée, exprimée et reprise en vers plus tard, est qu'entre-emmes, je veux que
00:05:41 de ma volonté dépendent tous mes voeux.
00:05:45 Un amour assez haut de teint, qui ne va pas sans estime réciproque, autrement exaltant
00:05:53 pourtant que la passion éveugle ou le désir déchaîné des sens.
00:05:58 Un amour qui grandit l'homme.
00:06:01 Et maintenant, à vous de juger. »
00:06:03 (Musique)
00:06:32 Elvire, m'as-tu fait un rapport bien sincère ? Ne déguises-tu rien de ce qu'a dit mon
00:06:50 père ?
00:06:51 Tous mes sens, à moi-même, en sont encore charmés.
00:06:54 Il estime Rodrigue autant que vous l'aimez.
00:06:57 Et si je ne m'abuse à lire dans son âme, il vous commandera de répondre à sa flamme.
00:07:02 Dis-moi donc, je te prie, une seconde fois, ce qui te fait juger qu'il approuve mon choix.
00:07:07 Apprends-moi de nouveau quel espoir j'en dois prendre.
00:07:11 Ainsi, charmant discours, ne se peut trop entendre, tu ne peux trop remettre au feu de notre amour
00:07:16 la douce liberté de se montrer au jour.
00:07:18 Que t'as-tu répondu sur la secrète brigue que font auprès de toi don Sanch et don Rodrigue ?
00:07:25 N'as-tu point trop fait voir quelle inégalité entre ces deux amants me penche d'un côté ?
00:07:31 Non, j'épeins votre cœur dans une indifférence qui n'enfle d'aucun d'eux, ni détruit l'espérance,
00:07:37 et sans les voir d'un œil trop sévère ou trop doux, attend l'ordre d'un père à choisir
00:07:42 un époux.
00:07:43 Ce respect l'a ravi.
00:07:44 Sa bouche et son visage m'en ont donné sur l'heure indigne témoignage.
00:07:48 Et, puisqu'il vous en faut encore faire un récit, voici d'eux et de vous ce qu'en
00:07:55 fait, il m'a dit.
00:07:56 Elle est dans le devoir.
00:07:59 Tous deux sont dignes d'elle, tous deux formés d'un sang noble, vaillant, fidèle,
00:08:05 jeunes, mais qui font l'irrésément dans leurs yeux l'éclatante vertu de leurs braves
00:08:09 aïeux.
00:08:10 Don Rodrigue, surtout, n'a trait en son visage qui d'un homme de cœur ne soit la haute
00:08:17 image, et sort d'une maison si féconde en guerriers qu'ils y prennent naissance
00:08:22 au milieu des lauriers.
00:08:23 La valeur de son père en son temps s'emparait, tant qu'a duré sa force, à passer pour
00:08:29 merveille.
00:08:30 Ses rides sur son front ont gravé ses exploits, et nous disent encore ce qu'il fut autrefois.
00:08:34 Je me promets du fils ce que j'ai vu du père, et ma fille en un mot peut l'aimer,
00:08:42 et me plaire.
00:08:43 Il allait au conseil, dont l'heure qui pressait a tranché ce discours qu'à peine il commençait.
00:08:48 Mais à ce peu de mots, je crois que sa pensée entre vos deux amants n'est pas fort balancée.
00:08:54 Le roi doit à son fils élire un gouverneur, et c'est lui qui regarde un tel degré d'honneur.
00:09:00 Ce choix n'est pas douté, et sa rare vaillance ne peut souffrir qu'on craigne aucune concurrence.
00:09:05 Comme ses hauts exploits le rendent sans égal, dans un espoir si juste, il sera sans rival.
00:09:12 Et puisque don Rodrigue a résolu son père, au sortir du conseil, à proposer l'affaire,
00:09:18 je vous laisse à juger s'il prendra bien son temps, et si tous vos désirs seront
00:09:22 bientôt contents.
00:09:23 Il semble toutefois que mon âme troublée refuse cette joie, et s'en trouve accablée.
00:09:30 Un moment donne au sort des visages divers, et dans ce grand bonheur je crains un grand
00:09:37 revers.
00:09:38 Vous verrez cette crainte heureusement déçue.
00:09:40 Allons, quoi qu'il en soit, en attendre l'issue.
00:09:42 - Page, allez avertir Chimène de ma part qu'aujourd'hui pour me voir elle attend un peu tard, et
00:10:10 que mon amitié se plaint de sa paresse.
00:10:12 - Madame, chaque jour même désire vous presse, et dans son entretien je vous vois chaque
00:10:23 jour demander en quel point se trouve son amour.
00:10:27 - Ce n'est pas que son sujet.
00:10:29 Je l'ai presque forcée à recevoir les traits dont son âme est blessée.
00:10:33 Elle aime Don Roderigue, et le tient de ma main, et par moi Don Roderigue a vaincu son
00:10:40 dédain.
00:10:41 Ainsi, de ses amants ayant formé les chaînes, je dois prendre intérêt à voir finir leur
00:10:46 peine.
00:10:47 - Madame, toutefois, parmi leurs bons succès, vous montrez un chagrin qui va jusqu'à l'excès.
00:10:56 Cet amour qui tous deux les comble d'allégresse, fait-il de ce grand cœur la profonde tristesse?
00:11:03 Et ce grand intérêt que vous prenez pour eux, vous rend-il malheureuse alors qu'ils
00:11:09 sont heureux?
00:11:10 Mais je vais trop avant, et deviens indiscrète.
00:11:14 - Ma tristesse redouble à la tenir secrète.
00:11:17 Écoute, écoute enfin, comme j'ai combattu, écoute quels assauts bravent encore ma vertu.
00:11:25 L'amour est un tyran qui n'épargne personne.
00:11:29 Ce jeune cavalier, cet amant que je donne, je l'aime.
00:11:36 - Vous l'aimez?
00:11:37 - Mets la main sur mon cœur et vois comme il se trouble au nom de son vainqueur, comme
00:11:41 il le reconnaît.
00:11:42 - Pardonnez-moi, madame, si je sors du respect pour blâmer cette flamme.
00:11:47 Une grande princesse, à ce point s'oublier que d'admettre en son cœur un simple cavalier,
00:11:54 et que dirait le roi?
00:11:55 Que dirait la Castille?
00:11:57 - Vous souvient-il encore de qui vous êtes fille?
00:12:00 - Il m'en souvient si bien que j'épandrais mon sang avant que je m'abaisse à démentir
00:12:05 mon rang.
00:12:06 Quand je vis que mon cœur ne se pouvait défendre, moi-même, je donnais ce que je n'osais prendre.
00:12:13 Je mis au lieu de moi chimènes en ces liens, et j'allumais leur feu pour éteindre les
00:12:21 miens.
00:12:22 Je souffre cependant un tourment incroyable, jusque à cet hymène, Rodrigue, Met aimable.
00:12:30 Je travaille à le perdre, et le perds à regret, et de là prend son cours mon déplaisir
00:12:37 secret.
00:12:38 - Madame, après cela, je n'ai rien à vous dire, sinon que de vos mots avec vous je soupire.
00:12:44 Je vous blâmais tantôt, je vous plains à présent.
00:12:48 Mais puisque dans un mal si doux et si cuisant, votre vertu combat et son charme et sa force,
00:12:55 en repousse l'assaut, en rejette la morse, elle rendra le calme à vos esprits flottants.
00:13:02 Espérez donc tout d'elle, et du secours du temps.
00:13:05 Espérez tout du ciel, il a trop de justice pour laisser la vertu dans un si long supplice.
00:13:12 - Ma plus douce espérance est de perdre l'espoir.
00:13:15 - Par vos commandements, Chimène vous vient voir.
00:13:18 - Allez l'entretenir en cette galerie.
00:13:21 - Voulez-vous demeurer dedans la rêverie ?
00:13:23 - Non, je veux seulement, malgré mon déplaisir, remettre mon visage un peu plus à loisir.
00:13:27 Je vous suis.
00:13:28 Juste ciel, dont j'attends mon remède, Mets enfin quelques bornes au mal qui me possède.
00:13:48 Assure mon repos, assure mon honneur.
00:13:51 Dans le bonheur d'autrui, je cherche mon bonheur.
00:13:55 Cet imainé, atroi également importe, rend son effet plus prompt, ou mon âme plus forte.
00:14:04 D'un lien conjugal, joindre ces deux amants, c'est briser tous mes fers et finir mes tourments.
00:14:12 Mais je tarde un peu trop à l'entrouver Chimène, et par son entretien, soulager notre peine.
00:14:20 - Enfin vous l'emportez !
00:14:48 Et la faveur du roi vous élève en un rang qui n'était dû qu'à moi.
00:14:51 Il vous fait gouverneur du prince de Castille.
00:14:54 - Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille montre à tous qu'il est juste, et
00:14:59 fait connaître assez qu'il s'est récompensé les services passés.
00:15:02 - Pour grand que soient les rois, ils sont ce que nous sommes.
00:15:05 Ils peuvent se tromper comme les autres hommes, et ce choix sert de preuve à tous les courtisans
00:15:09 qu'ils savent mal payer les services présents.
00:15:12 - Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite.
00:15:15 La faveur l'a pu faire autant que le mérite, mais on doit se respecter au pouvoir absolu
00:15:21 de n'examiner rien quand un roi l'a voulu.
00:15:24 - À l'honneur qu'il m'a fait, ajoutez-en un autre.
00:15:29 Joignons d'un sacré nœud ma maison et la vôtre.
00:15:32 Vous n'avez qu'une fille, et moi je n'ai qu'un fils.
00:15:36 Leur hymène nous peut rendre à jamais plus qu'amis.
00:15:39 Faites-nous cette grâce, et l'acceptez pour gendre.
00:15:43 À des parties plus hautes, ce beau fils doit prétendre, et le nouvel éclat de votre dignité
00:15:48 lui doit enfler le cœur d'une autre vanité.
00:15:50 Exercez-la, monsieur, et gouvernez le prince.
00:15:55 Montrez-lui comme il faut régir une province, faire trembler partout les peuples sous sa
00:15:58 loi, remplir les bons d'amour et les méchants d'effroi.
00:16:02 Joignez à ses vertus celles d'un capitaine.
00:16:04 Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine, dans les métiers de mars, se rendre
00:16:08 sans égal, passer les jours entiers, et les nuits à cheval, reposer toute armée,
00:16:14 forcer une muraille, et ne devoir qu'à soi le gain d'une bataille.
00:16:18 Instruisez-le d'exemple, et rendez-le parfait, expliquant à ses yeux vos leçons par les
00:16:25 faits.
00:16:26 Pour s'instruire d'exemple, en dépit de l'envie, il lira seulement l'histoire
00:16:33 de ma vie.
00:16:34 Là, dans un long tissu de belles actions, il verra comme il faut dompter les nations,
00:16:39 attaquer une place, ordonner une armée, et, sur de grands exploits, bâtir sa renommée.
00:16:45 Mes exemples vivants sont d'un autre pouvoir.
00:16:48 Un prince, dans un livre, apprend mal son devoir.
00:16:51 Et qu'a fait, après tout, ce grand nombre d'années que ne puisse égaler une de mes
00:16:56 journées ? Si vous fûtes, vaillant, je le suis aujourd'hui, et ce bras du royaume
00:17:01 est le plus ferme appui.
00:17:02 Grenade et Laragon tremblent quand ce fer brille.
00:17:05 Mon nom sert de rempart à toute la Castille.
00:17:07 Sans moi, vous passeriez bientôt sous d'autres lois, et vous auriez bientôt vos ennemis
00:17:11 pour roi.
00:17:12 Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire, mais laurier sur laurier, victoire
00:17:18 sur victoire.
00:17:19 Le prince, à mes côtés, ferait dans les combats laisser son courage à l'ombre de
00:17:23 mon bras.
00:17:24 Il apprendrait à vaincre en me regardant faire.
00:17:27 Et pour répondre en hâte à son grand caractère, il verrait…
00:17:30 Je le sais, vous servez bien le roi.
00:17:34 Je vous ai vu combattre et commander sous moi.
00:17:38 Quand l'âge d'Anménère a fait couler sa glace, votre rare valeur a bien rempli
00:17:42 ma place.
00:17:43 Enfin, pour épargner les discours superfus, vous êtes aujourd'hui ce qu'autrefois
00:17:49 je fus.
00:17:50 Vous voyez toutefois qu'en cette concurrence, un monarque entre nous met quelques différences.
00:17:54 Ce que je méritais, vous l'avez emporté.
00:17:56 Il a gagné sur vous, l'avez mieux mérité.
00:17:58 Qui peut mieux l'exercer ? On est bien le plus digne ?
00:18:00 En être refusé n'en est pas un bon signe.
00:18:02 Vous l'avez eu par Brigues étant vieux courtisan.
00:18:05 L'éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.
00:18:08 Parlons-en mieux.
00:18:09 Le roi fait honneur à votre âge.
00:18:11 Le roi quand il en fait le mesure au courage.
00:18:13 Et par là, cet honneur n'était dû qu'à mon bras.
00:18:15 Qui n'a pu l'obtenir ne le méritait pas.
00:18:17 Ne le méritait pas ? Moi ?
00:18:22 Vous.
00:18:23 Ton impudence téméraire vieillard aura sa récompense.
00:18:27 Achève et prends ma vie à présenter la fonde, le premier dont ma race ait vu rougir
00:18:35 son front.
00:18:36 Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse ?
00:18:54 Oh Dieu ! Force usée en ce besoin me laisse.
00:18:59 Ton épée est à moi.
00:19:01 Mais tu serais trop vain si ce honteux trophée avait chargé ma main.
00:19:05 Adieu.
00:19:06 Fais lire au prince, en dépit de l'envie, pour son instruction l'histoire de ta vie.
00:19:13 D'un insolent discours, ce juste châtiment ne lui servira pas d'un petit ornement.
00:19:18 Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
00:19:32 N'ai-je d'autant vécu que pour cette infamie ?
00:19:37 Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers que pour voir en un jour flétrir tant de
00:19:44 lauriers ?
00:19:45 Mon bras, qu'avec respect toute l'Espagne admire,
00:19:50 Mon bras qui tant de fois sauvé cet empire,
00:19:53 Tant de fois fermit le trône de son roi, Trahis donc ma querelle,
00:19:59 Et ne fais rien pour moi.
00:20:02 Ô cruel souvenir de ma gloire passée !
00:20:12 Œuvre de tant d'oujours en un jour effacé !
00:20:18 Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !
00:20:21 Précipice élevé d'où tombe mon honneur ?
00:20:24 Faut-il de votre éclat voir triompher le comte,
00:20:29 Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?
00:20:37 Comte, sois de mon prince à présent gouverneur !
00:20:43 Ce haut rang n'a de mes points un homme sans honneur,
00:20:49 Et ton jaloux orgueil par cet affront insigne, Malgré le choix du roi, m'en a su rendre
00:20:58 indigne.
00:20:59 Et toi, de mes exploits glorieux instruments, Mais d'un corte ou de glace inutile ornement,
00:21:11 Faire, jadis tant à craindre, et qui dans cette offense
00:21:20 M'a servi de parade et non pas de défense, Quitte désormais le dernier des humains.
00:21:31 Passe pour me venger en de meilleures mains.
00:21:38 Rodrigue, bâti du cœur, tout autre que mon père,
00:21:42 L'éprouverai sur l'oeil.
00:21:43 Agréable colère, digne ressentiment à ma douleur bien doux,
00:21:47 Je reconnais mon sang à ce noble coup, Ma jeunesse revit en cette ardeur si pronte.
00:21:52 Viens, mon fils, viens, mon sang, Viens réparer ma honte, viens me venger.
00:21:58 De quoi ?
00:21:59 D'un affront si cruel qu'à l'honneur de tous deux
00:22:01 Il porte un coût mortel.
00:22:02 D'un soufflet, l'insolent a-nul perdu la vie,
00:22:06 Mais mon âge a trompé ma généreuse envie, Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir,
00:22:12 Je le remets au tien pour venger et punir.
00:22:17 Va contre un arrogant éprouver ton courage, Ce n'est que dans le sang qu'on l'inventait
00:22:22 l'outrage.
00:22:23 Meurs ou tue !
00:22:24 Au-dessus de plus, pour ne te point flatter, Je te donne à combattre un homme à redouter.
00:22:29 Je l'ai vu, tout couvert de sang et de poussière,
00:22:32 Porté par tous les froids dans une armée entière,
00:22:34 J'ai vu par sa valeur cent escadrons rompus, Et pour t'en dire encore quelque chose de
00:22:40 plus, Plus que brave soldat, plus que grand capitaine,
00:22:45 C'est…
00:22:46 De grâce, achevi !
00:22:48 Le père de Chimène !
00:22:51 Ne réplique point, je connais ton amour.
00:22:53 Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour,
00:22:58 Plus l'offenseur est cher, et plus grande est l'offense.
00:23:04 Enfin tu sais l'affront, et tu tiens la vengeance.
00:23:08 Je ne te dis plus rien.
00:23:10 Venge-moi, venge-toi ! Montre-toi digne fils d'un père tel que moi.
00:23:17 Accablé des malheurs où le destin me range, Je vais les déployer.
00:23:20 Va, cours, vole, et nous venge !
00:23:32 Percé jusque au fond du cœur, D'une atteinte imprévue aussi bien que
00:23:41 mortelle, Misérable vengeur d'une juste querelle
00:23:47 Et malheureux objet d'une injuste rigueur, Je demeure immobile, et mon âme abattue
00:23:58 Cède au coup qui me tue.
00:24:04 Si près de voir mon feu récompensé, Ô Dieu, l'étrange peine !
00:24:13 En cet affront, mon père est l'offensé, Et l'offenseur le père de Chimène.
00:24:22 Que je sors de rue de combat ! Contre mon propre honneur, mon amour s'intéresse.
00:24:29 Il faut venger un père et perdre une maîtresse.
00:24:33 L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
00:24:39 Réduis d'autristes choix, ou de trahir ma flamme,
00:24:46 Ou de vivre l'infâme.
00:24:49 Des deux côtés, mon mal est infini.
00:24:52 Ô Dieu, l'étrange peine ! Faut-il laisser un affront impuni ?
00:24:59 Faut-il punir le père de Chimène ?
00:25:06 Père, maîtresse, honneur, amour, Noble et dure contrainte,
00:25:16 Aimable tyrannie, Tous mes plaisirs sont morts,
00:25:22 Où ma gloire éternit.
00:25:23 L'un me rend malheureux, L'autre indigne du jour.
00:25:33 Cher et cruel espoir d'une âme généreuse, Mes ensembles amoureux,
00:25:40 Dignes et nemis de mon plus grand bonheur, Faire qui cause ma peine,
00:25:47 M'es-tu donnée pour venger mon honneur ? M'es-tu donnée pour perdre ma Chimène ?
00:25:56 Ils vont mieux courir au départ.
00:26:00 Je dois à ma maîtresse aussi bien qu'à mon père.
00:26:03 J'attire en me vengeant sa haine et sa colère, J'attire ses mépris en ne me vengeant pas.
00:26:09 À mon plus doux espoir, L'un me rend infidèle,
00:26:12 Et l'autre indigne d'elle.
00:26:14 Mon mal augmente à le vouloir guérir, Tout redouble ma peine.
00:26:18 Allons, mon âme, Et puisqu'il faut mourir,
00:26:21 Mourons du moins sans offenser Chimène.
00:26:27 Mourir, sentirai ma raison.
00:26:33 Rechercher un trépas immortel à ma gloire, Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire
00:26:40 D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison, Respecter un amour dont mon âme égarée
00:26:46 Voit la perte assurée, N'écoutons plus ce pensée suborneur
00:26:51 Qui ne sert qu'à ma peine.
00:26:52 Allons, mon bras, Sauvons du moins l'honneur,
00:26:54 Puisqu'après tout, il faut perdre Chimène.
00:26:56 Oui, mon esprit s'était déçu.
00:26:58 Je dois tout à mon père avant qu'à ma maîtresse,
00:27:01 Que je meure au combat ou meure de tristesse, Je rendrai mon sang pur comme je l'ai reçu.
00:27:06 Je m'accuse déjà de trop de négligence.
00:27:08 Courons à la vengeance.
00:27:10 Et tout honteux d'avoir tant balancé, Ne soyons plus en peine,
00:27:14 Puisqu'aujourd'hui mon père est l'offensé, Si l'offenseur est père de Chimène.
00:27:19 Le jour de la mort
00:27:23 Je l'avoue, entre nous, mon sang un peu trop chaud s'est trop ébu d'un mot,
00:27:34 et la portée trop haut.
00:27:35 Mais puisque c'en est fait, le mal est sans remède.
00:27:37 Qu'aux volontés du roi, ce grand courage cède.
00:27:40 Il y prend grande part, et son cœur irrité agira contre vous de pleine autorité.
00:27:45 Aussi vous n'avez point de valable défense.
00:27:48 Le rang de l'offensé, la grandeur de l'offense,
00:27:52 Demande des devoirs et des submissions qui passent le commun des satisfactions.
00:27:56 Le roi peut à son gré disposer de ma vie.
00:27:59 De trop d'emportement, votre faute est suivie.
00:28:02 Le roi vous aime encore.
00:28:04 Apaisez son courroux.
00:28:05 Il a dit « Je le veux ».
00:28:07 Désobéirez-vous ?
00:28:09 Monsieur, pour conserver tout ce que j'ai d'estime,
00:28:12 Désobéir un peu n'est pas un si grand crime.
00:28:14 Et quelque grand qu'il soit,
00:28:16 Mes services présents pour le faire abolir sont plus que suffisants.
00:28:20 Quoi qu'on fasse d'illustre et de considérable,
00:28:23 Jamais à son sujet un roi n'est redevable.
00:28:26 Vous vous flattez beaucoup.
00:28:28 Et vous devez savoir que qui sert bien son roi ne fait que son devoir.
00:28:32 Vous vous perdrez, monsieur, sur cette confiance.
00:28:34 Je ne vous en croirai qu'après l'expérience.
00:28:36 Vous devez redouter la puissance d'un roi.
00:28:38 Un jour seul ne perd pas un homme tel que moi.
00:28:41 Que toute sa grandeur s'arme pour mon supplice.
00:28:44 Tout l'Etat périra s'il faut que je périsse.
00:28:47 Quoi ? Vous craignez si peu le pouvoir souverain ?
00:28:49 D'un sceptre qui sans moi tomberait de sa main.
00:28:52 Il a trop d'intérêt lui-même en ma personne.
00:28:55 Et ma tête en tombant ferait chouard sa couronne.
00:28:57 Souffrez que la raison remette vos esprits.
00:29:00 Prenez un bon conseil.
00:29:02 Le conseil en est pris.
00:29:03 Que lui dirai-je enfin ?
00:29:05 Je lui dois rendre compte...
00:29:06 Que je ne puis du tout consentir à ma honte.
00:29:09 Vous avez déjà conjugé que les rois veulent être absolus.
00:29:11 Le sort en est jeté, monsieur.
00:29:13 N'en parlons plus.
00:29:16 Adieu donc,
00:29:17 puisqu'en vain je tâche à vous résoudre.
00:29:20 Avec tous vos lauriers, craignez-encore le foudre.
00:29:23 Je l'attendrai sans peur.
00:29:25 Mais non pas sans effet.
00:29:26 Nous verrons donc par là dont Dièque satisfait.
00:29:29 Je ne crains point la mort, ne crains point les menaces.
00:29:37 Je crains l'honneur au-dessus des plus fiers disgraces.
00:29:40 Et l'on peut me réduire à vivre sans bonheur,
00:29:42 mais non pas me résoudre à vivre sans honneur.
00:29:46 À moi compte !
00:29:54 Deux mots !
00:29:56 Barbe, ôte-moi d'un doute.
00:29:59 Connais-tu bien don Dièque ?
00:30:01 Oui.
00:30:02 Parlons bas.
00:30:05 Connais-tu bien Don Dièque ?
00:30:07 Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu,
00:30:10 l'avaiance et l'honneur de son temps ?
00:30:12 Le sais-tu ?
00:30:13 Peut-être.
00:30:14 Cette ardeur que dans les yeux je porte,
00:30:16 sais-tu que c'est son sang ?
00:30:17 Le sais-tu ?
00:30:18 Que m'importe !
00:30:19 À quatre pas d'ici, je te le fais savoir.
00:30:21 Je ne présente-tu ?
00:30:22 Parle sans t'émouvoir.
00:30:24 Je suis jeune, il est vrai,
00:30:25 mais aux âmes bien nées,
00:30:26 la valeur n'attend point le nombre des années.
00:30:28 Te mesurer à moi ?
00:30:30 Qui t'a rendu si vain, toi,
00:30:32 qu'on n'a jamais vu les armes à la main ?
00:30:33 Les armes se font point connaître,
00:30:34 et pour leur coup d'essai, volent des coups de maître.
00:30:36 Sais-tu bien qui je suis ?
00:30:37 Oui, tout autre que moi,
00:30:39 où seul le bruit de ton nom pourrait trember les froids.
00:30:41 Les palmes dont joue pas ta tête si couverte
00:30:43 semblent porter écrit le destin de ma perte.
00:30:46 J'attaque en téméraire un bras toujours vainqueur,
00:30:48 mais j'aurai trop de force ayant assez de cœur.
00:30:51 À qui venge son père, il n'est rien d'impossible.
00:30:53 Ton bras est un vaincu, mais non pas invincible.
00:30:58 Ce grand cœur qui paraît au discours que tu tiens,
00:31:01 par tes yeux, chaque jour, se découvrait au mien.
00:31:04 Et croyant voir en toi l'honneur de la Castille,
00:31:06 mon âme, avec plaisir, te destinait, ma fille.
00:31:09 Je sais ta passion,
00:31:11 et suis ravi de voir que tous ces mouvements cèdent à ton devoir,
00:31:15 qu'ils n'ont point affaibli cette ardeur magnanime,
00:31:18 que ta haute vertu répond à mon estime,
00:31:21 et que voulant pourgendre un cavalier parfait,
00:31:23 je ne me trompais point au choix que j'avais fait.
00:31:28 Mais je sens que pour toi, ma pitié s'intéresse.
00:31:32 J'admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
00:31:37 Ne cherche point à faire un coup d'essai fatal.
00:31:40 Dispense ma valeur d'un combat inégal.
00:31:43 Trop peu d'honneur pour moi suivra cette victoire.
00:31:47 À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
00:31:51 On te croirait toujours abattu sans effort,
00:31:53 et j'aurai seulement le regret de ta mort.
00:31:56 Ma digne pitié et ton audace est suivie.
00:31:58 Qui m'ose ôter l'honneur, craint de m'ôter la vie ?
00:32:00 Retire-toi d'ici.
00:32:01 Marchons sans discoursir.
00:32:02 Es-tu si laid de vivre ?
00:32:04 As-tu peur de mourir ?
00:32:07 Viens.
00:32:10 Tu fais ton devoir,
00:32:12 et le fils dégénère qui survit avant moi à l'honneur de son père.
00:32:16 (Musique)
00:32:35 Apaise, ma chimène, apaise ta douleur.
00:32:39 Fais agir ta constance en ce coup de malheur.
00:32:42 Tu n'as dans leur querelle aucun sujet de crainte.
00:32:45 Un moment la fait naître, un moment va l'éteindre.
00:32:48 Elle a fait trop de bruit pour ne pas s'accorder,
00:32:51 puisque déjà le roi les veut accommoder.
00:32:54 Et tu sais que mon âme a tes ennuis sensibles.
00:32:57 Pour entarer la source, il fera l'impossible.
00:33:00 Les accommodements ne font rien en ce point.
00:33:04 Si mortels à fond, on ne serait pas au point.
00:33:07 En vain, on fait agir la force ou la prudence.
00:33:10 Si l'on guérit le mal, ce n'est qu'en apparence.
00:33:13 La haine que les cœurs conservent au-dedans
00:33:16 nourrit des feux cachés, mais d'autant plus ardents.
00:33:20 Le saint nœud qui joindra Don Rodrigue et chimène
00:33:23 des pères ennemis d'ici pourra la haine.
00:33:25 Et nous verrons bientôt votre amour le plus fort
00:33:28 par un heureux hymène étouffer ce discours.
00:33:31 Je le souhaite ainsi plus que je ne l'espère.
00:33:34 Don Diègue est trop altié, et je connais mon père.
00:33:39 Je connais. Je sens couler des pleurs que je veux retenir.
00:33:44 Le passé me tourmente, et je crains l'avenir.
00:33:48 Que crains-tu ? D'un vieillard, l'impuissante faiblesse ?
00:33:51 - Rodrigue a du courage. - Il a trop de jeunesse.
00:33:53 Les hommes valeureux le sont du premier coup.
00:33:55 Tu ne dois pas pourtant le redouter beaucoup.
00:33:58 Il est trop amoureux pour te vouloir déplaire,
00:34:00 et deux mots de ta bouche arrêtent sa colère.
00:34:04 S'il ne m'obéit point, quel comble à mon ennui ?
00:34:06 Et s'il peut m'obéir, que dira-t-on de lui ?
00:34:09 Etant né ce qu'il est, souffrir un tel outrage,
00:34:12 soit qu'il cède ou résiste au feu qui me l'engage,
00:34:14 mon esprit ne peut qu'être ou honteux ou confus
00:34:17 de son trop de respect ou d'un juste refus.
00:34:20 Chimène a l'âme haute, et quoi qu'intéressée,
00:34:23 elle ne peut souffrir une basse pensée.
00:34:26 Mais si, jusque aux jours de l'accommodement,
00:34:29 je fais mon prisonnier de ce parfait amant,
00:34:31 et que j'empêche ainsi l'effet de son courage,
00:34:34 ton esprit amoureux n'aura-t-il point d'ombrage ?
00:34:37 Ah, madame, en ce cas, je n'ai plus de soucis.
00:34:40 Pâle !
00:34:41 Cherchez Rodrigue, et l'amenez ici.
00:34:45 Le comte de Gormaz, c'est lui ?
00:34:47 Bon Dieu, je tremble ! Parlez !
00:34:49 De ce palais, ils sont sortis ensemble.
00:34:51 Seuls ? Seuls.
00:34:52 Et qui semblent tout basse et corrélée.
00:34:54 Sans doute ils sont aux mains, il n'en faut plus parler.
00:34:56 Madame, pardonnez-les à cette prontitude.
00:35:00 Hélas, que dans l'esprit je sens d'inquiétude,
00:35:03 je pleure ces malheurs, son amant me ravit,
00:35:06 mon repos m'abandonne et ma flamme revit.
00:35:09 Ce qui va séparer Rodrigue de Chimène
00:35:11 fait renaître à la fois mon espoir et ma peine,
00:35:15 et leur division, que je vois à regret,
00:35:18 dans mon esprit charmé, jette un plaisir secret.
00:35:22 Cette haute vertu qui règne dans mon cœur,
00:35:25 jette un plaisir secret.
00:35:27 Cette haute vertu qui règne dans votre âme,
00:35:30 se rend-elle si tôt à cette lâche flamme ?
00:35:34 Ne la nomme point lâche.
00:35:36 À présent que chez moi, pompeuse et triomphante,
00:35:38 elle me fait la loi, porte-lui du respect,
00:35:40 puisqu'elle m'est si chère.
00:35:42 Ma vertu la combat, mais malgré moi, j'espère,
00:35:46 et d'un si fol espoir, mon cœur mal défendu,
00:35:49 vole après un amant que Chimène a perdu.
00:35:51 Votre espoir vous séduit, votre mal vous édoue,
00:35:55 mais enfin ce Rodrigue est indigne de vous.
00:35:58 Je ne le sais que trop, mais si ma vertu cède,
00:36:02 apprends comme l'amour flatte un cœur qu'il possède.
00:36:06 Si Rodrigue une fois sort vainqueur du combat,
00:36:09 si dessous sa valeur ce grand guerrier s'abat,
00:36:12 je puis en faire cas, je puis l'aimer sans honte.
00:36:15 Que ne fera-t-il point s'il peut vaincre le comte ?
00:36:18 J'ose m'imaginer qu'à ses moindres exploits,
00:36:22 les royaumes entiers tomberont sous ses lois.
00:36:25 Et mon amour flatteur déjà me persuade
00:36:28 que je le vois assis au trône de Grenade.
00:36:31 Les morts subjugués tremblèrent en l'adorant,
00:36:34 l'Aragon recevoir ce nouveau conquérant,
00:36:37 le Portugal se rendre,
00:36:39 et ces nobles journées portées de la lémère,
00:36:41 ces hautes destinées,
00:36:43 du sang des Africains arroser ses lauriers,
00:36:45 enfin, tout ce qu'on dit des plus fameux guerriers,
00:36:48 je l'attends de Rodrigue après cette victoire,
00:36:51 et fait de son amour un sujet de ma gloire.
00:36:53 Mais, madame, voyez-je vous porter son bras
00:36:58 en suite d'un combat qui peut-être n'est pas...
00:37:01 Rodrigue est offensé, le comte a fait l'outrage,
00:37:03 ils sont sortis ensemble, en faut-il davantage ?
00:37:06 Eh bien, ils se battront puisque vous le voulez,
00:37:09 mais Rodrigue ira-t-il si loin que vous allez ?
00:37:14 Que veux-tu ? Je suis folle, et mon esprit s'égare.
00:37:19 Tu vois par là quel mot cet amour me prépare.
00:37:24 Viens dans mon cabinet consoler mes ennuis,
00:37:26 et ne me quitte point dans le trouble où je suis.
00:37:30 Le comte est donc si vain et si peu raisonnable.
00:37:36 Où se tient-il encore son crime pardonnable ?
00:37:39 Je l'ai de votre part longtemps entretenu.
00:37:42 J'ai fait mon pouvoir, Sire, et n'ai rien obtenu.
00:37:47 Je vous en prie, ne me laissez pas en prison.
00:37:51 Je vous en prie, ne me laissez pas en prison.
00:37:56 Et n'ai rien obtenu.
00:37:59 Juste, Sire, ainsi donc qu'un sujet téméraire
00:38:04 a si peu de respect que de soin de me plaire.
00:38:08 Il offense don Diègue et méprise son roi.
00:38:11 Au milieu de ma cour, il me donne la loi.
00:38:14 Qu'il soit brave guerrier, qu'il soit grand capitaine,
00:38:17 je saurais bien rabattre une humeur si hautaine.
00:38:20 Fût-il la valeur même et le dieu des combats,
00:38:23 il verra ce que c'est que de n'obéir pas.
00:38:26 Quoi qu'il puisse mériter une telle insolence,
00:38:29 je l'ai d'abord voulu traiter sans violence,
00:38:32 mais puisqu'il en abuse, allez, dès aujourd'hui,
00:38:35 soit qu'il résiste ou non, vous assurez de lui.
00:38:39 Peut-être un peu de temps le rendrait moins rebelle.
00:38:47 On l'apprit tout bouillante encore de sa querelle.
00:38:50 - Cire, dans la chaleur d'un premier mouvement,
00:38:53 un coeur si généreux se rend malaisément.
00:38:56 Il voit bien qu'il a tort, mais une âme si haute
00:38:59 n'est pas si tôt réduite à confesser sa faute.
00:39:02 - Dans ce sens, je taisais vous.
00:39:04 Et soyez avertis qu'on sera en criminel à prendre son parti.
00:39:08 - J'obéis et me taire.
00:39:11 Mais de grâce encore, Cire, deux mots en sa défense.
00:39:16 - Et que pouvez-vous dire?
00:39:18 - Qu'une âme accoutumée aux grandes actions
00:39:21 ne se peut abaisser à des submissions.
00:39:23 Elle n'en conçoit point qui s'explique sa honte,
00:39:26 et c'est à ce mot seul qu'a résisté le comte.
00:39:29 Il trouve en son devoir un peu trop de rigueur,
00:39:32 et vous obéirez, s'il avait moins de coeur.
00:39:35 Commander que son bras nourrit dans les alarmes
00:39:38 prépare cet injure à la pointe des armes.
00:39:41 - Il satisfera, Cire, et viennent qui voudra,
00:39:44 et qui ne voudra pas.
00:39:47 Mais je pardonne à l'âge
00:39:49 et j'excuse l'ardeur en un jeune courage.
00:39:52 Un roi, dont la prudence a de meilleurs objets
00:39:56 et meilleur ménager du sang de ses sujets.
00:39:59 Je veille pour les miens.
00:40:01 Mes soucis les conserve,
00:40:03 comme le chef a soin des membres qui le servent.
00:40:06 Ainsi, votre raison n'est pas raison pour moi.
00:40:09 Vous parlez en soldat.
00:40:11 Je dois agir en roi.
00:40:14 Et quoi qu'on veuille dire et quoi qu'il ose croire,
00:40:18 le comte, à m'obéir, ne peut perdre sa gloire.
00:40:21 De plus, la front me touche.
00:40:23 Il a perdu d'honneur celui que de mon fils j'ai fait le gouverneur.
00:40:27 S'attaquer à mon choix, c'est se prendre à moi-même
00:40:30 et faire un attentat sur le pouvoir suprême.
00:40:33 N'en parlons plus.
00:40:35 Au reste, on a vu 10 vaisseaux de nos vieux ennemis
00:40:40 arborer les drapeaux vers la bouche du fleuve.
00:40:43 Les morts ont appris par force à vous connaître.
00:40:46 Et tant de fois vaincus,
00:40:48 ils ont perdu le coeur de ce plus hasardé
00:40:51 contre un si grand vainqueur.
00:40:53 Ils ne verront jamais sans quelque jalousie
00:40:56 mon sceptre en dépit d'eux régir l'Andalousie.
00:40:59 Et ce pays si beau qu'ils ont trop possédé
00:41:02 avec un oeil d'envie est toujours gardé.
00:41:05 C'est l'unique raison qui m'a fait, dans ces villes,
00:41:08 depuis plus de 10 ans,
00:41:10 placer trône Castille.
00:41:13 Pour les voir de plus près
00:41:17 et d'un ordre plus prompt renverser aussitôt
00:41:20 ce qu'ils entreprendront.
00:41:22 Ils savent, au dépent de leur plus digne tête,
00:41:25 combien votre présence assure vos conquêtes.
00:41:28 Vous n'avez rien à craindre.
00:41:30 Et rien à négliger. Le trop de confiance attire le danger.
00:41:33 Et vous n'ignorez pas qu'avec fort peu de peine
00:41:36 la terre jusqu'ici les amène.
00:41:38 Toutefois, j'aurais tort de jeter dans les coeurs
00:41:42 la vie étant mal sûre, de panique terraire.
00:41:45 Les faits qui s'en suivraient d'une alarme inutile
00:41:48 dans la nuit qui survient troubleraient trop la ville.
00:41:51 Faites doubler la garde aux murs et sur le port.
00:41:54 C'est assez pour ce soir.
00:41:56 Sire.
00:41:57 Le comte est mort.
00:42:01 Ton dieu, par son fils, a vengé son offense.
00:42:06 Dès que j'ai su la front, j'ai prévu la vengeance.
00:42:09 Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
00:42:13 Jimène à vos genoux apporte sa douleur.
00:42:16 Elle vient à toute ampleur vous demander justice.
00:42:19 Bien qu'à ses déplaisirs mon âme compatisse,
00:42:22 ce que le comte a fait
00:42:25 semble avoir mérité ce digne châtiment de sa témérité.
00:42:29 Quel que juste pourtant que puisse être sa peine,
00:42:34 je ne puis sans regret perdre un tel capitaine.
00:42:37 Après un long service à mon état rendu,
00:42:42 après son sang pour moi mille fois répandu,
00:42:47 à quelques sentiments que son orgueil m'oblige,
00:42:51 sa perte m'affaiblit et son trépas m'afflige.
00:42:55 Sire.
00:42:56 Sire, justice.
00:42:58 Sire, écoutez-nous.
00:42:59 Je me jette à vos pieds.
00:43:00 Aux bras, sur vos genoux.
00:43:01 Je demande justice.
00:43:02 Entendez ma défense.
00:43:03 Un jeune audacieux punissait l'insolence.
00:43:05 Il a, de votre sceptre, abattu le soutien.
00:43:07 Il a tué mon père.
00:43:08 Il a vengé le sien.
00:43:10 Au sang de ces sujets, un roi doit la justice.
00:43:12 Pour la juste vengeance, il n'est point de supplice.
00:43:15 Levez-vous tous les deux, et parlez à le voisin.
00:43:20 Jimène,
00:43:22 je prends part à votre déplaisir.
00:43:25 D'une égale douleur je sens mon âme atteinte.
00:43:29 Vous parlerez après.
00:43:32 Ne troublez pas sa plainte.
00:43:34 Sire, mon père est mort.
00:43:37 Mes yeux ont vu son sang couler à gros bouillons de son généreux flanc.
00:43:41 Ce sang qui tant de fois garantit vos murailles.
00:43:44 Ce sang qui tant de fois vous gagnait des batailles.
00:43:46 Ce sang qui, tout sorti, fumait encore de courroux,
00:43:49 de se voir répandu pour d'autres que pour vous.
00:43:52 Rodrigue, en votre cour,
00:43:54 il y a d'en couvrir la terre.
00:43:56 J'ai couru sur le lieu sans force et sans couleur.
00:43:59 Je l'ai trouvé sans vie.
00:44:01 Excusez ma douleur, sire.
00:44:03 La voix me manque à ce récit funeste.
00:44:06 Mes pleurs et mes soupirs vous diront mieux le reste.
00:44:09 Prends courage, ma fille,
00:44:12 et sache qu'aujourd'hui ton roi veut te tenir
00:44:14 du lieu de père au lieu de lui.
00:44:16 Sire, ne souffrez pas que sous votre puissance
00:44:19 règne devant vos yeux une telle licence.
00:44:21 Que les plus valeureux, avec impunité,
00:44:23 soient exposés aux coups de la témérité.
00:44:25 Qu'un jeune audacieux triomphe de leur gloire,
00:44:27 se baigne dans leur sang, ébrave leur mémoire.
00:44:30 Ainsi, vaillant guerrier, qu'on vient de vous ravir,
00:44:32 éteint, s'il n'est vengé, la radeur de vous servir.
00:44:35 Enfin, mon père est mort.
00:44:38 J'en demande vengeance, plus pour votre intérêt
00:44:41 que pour mon allégeance.
00:44:42 Immolé, non à moi, mais à votre couronne,
00:44:45 mais à votre grandeur, mais à votre personne.
00:44:48 Immolé, dis-je, sire, au bien de tout l'État,
00:44:52 tout ce qu'en orgueille un si haut attentat.
00:44:57 Don Diègue répondait...
00:45:01 Qu'on est digne d'envie, lorsqu'en perdant la force,
00:45:07 on perd aussi la vie, et qu'un long cage
00:45:11 apprête aux hommes généreux, au bout de leur carrière,
00:45:14 un destin malheureux.
00:45:16 Moi, dont les longs travaux ont acquis tant de gloire,
00:45:21 moi, que jadis partout t'as suivi la victoire,
00:45:25 je me vois aujourd'hui, pour avoir trop vécu,
00:45:29 recevoir un affront, et demeurer vaincu.
00:45:34 Ce que n'a pu jamais combat, siège, embuscade,
00:45:39 ce que n'a pu jamais Aragon, ni Grenade,
00:45:41 ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux,
00:45:44 le comte en votre cour l'a fait, presque à vos yeux,
00:45:47 jaloux de votre choix, et fier de l'avantage
00:45:51 que lui donnait sûrement l'impuissance de l'âge.
00:45:55 Sire, ainsi ses cheveux, blanchis sous le harnois,
00:46:01 ce sang, pour vous servir, prodiguait tant de fois,
00:46:06 ce bras, jadis l'effroi d'une armée ennemie,
00:46:09 descendait au tombeau tout chargé d'infamie,
00:46:13 si je n'eusse produit un fils, digne de moi,
00:46:19 digne de son pays, et digne de son roi.
00:46:23 Il m'a prêté sa main, il a tué le comte,
00:46:26 il m'a rendu l'honneur, il a lavé mon honte.
00:46:30 Si montrer du courage et du ressentiment,
00:46:34 si venger en soufflet, mérite un châtiment sur moi seul,
00:46:39 doit tomber l'éclat de la tempête.
00:46:41 Quand le bras a failli, l'on en punit la tête,
00:46:45 qu'on nomme crime ou non ce qui fait nos débats,
00:46:47 Sire, j'en suis la tête, il n'en est que le bras,
00:46:51 si Chimène se plaint qu'il a tué son père,
00:46:53 il ne l'eusse jamais fait, si je l'eusse pu faire.
00:46:56 Immolé donc ce chef que les ans vont ravir,
00:46:59 et conservez pour vous le bras qui peut servir.
00:47:03 Au dépens de mon sang, satisfaite Chimène,
00:47:07 je n'y résiste point, je consens à ma peine,
00:47:11 et loin de murmurer d'un rigoureux décret,
00:47:15 mourant sans déshonneur,
00:47:18 je mourrai sans regret.
00:47:22 L'affaire est d'importance,
00:47:28 et bien considérée mérite en plein conseil d'être délibérée.
00:47:34 D'Aussanches, remettez Chimène en sa maison,
00:47:41 dont Diègue aura ma cour et sa froid pour prison.
00:47:45 Qu'on me cherche son fils, je vous ferai justice.
00:47:52 Il est juste, grand roi, que meurtriers périssent.
00:47:55 Prends du repos, ma fille, et calme tes douleurs.
00:47:58 M'ordonner du repos, c'est croître mes malheurs.
00:48:04 Sous-titrage MFP.
00:48:07 ...
00:48:36 -Rodrigue, qu'as-tu fait ?
00:48:41 Où viens-tu, misérable ?
00:48:45 -Suivre le triste cours de mon sort déplorable.
00:48:49 -Où prends-tu cette audace et ce nouvel orgueil
00:48:51 de paraître en des lieux que tu remplis de deuil ?
00:48:54 Quoi, viens-tu jusqu'ici braver l'ombre du comte ?
00:48:57 Ne l'as-tu pas tué ? -Sa vie était ma honte.
00:49:00 Mon honneur, de ma main, a voulu cet effort.
00:49:02 -Mais chercher ton asile en la maison du mort,
00:49:04 jamais un meurtrier en fit-il son refuge.
00:49:07 -Et je n'y viens aussi que m'offrir à mon juge.
00:49:11 Ne me regarde plus d'un visage étonné.
00:49:15 Je cherche le trépas après l'avoir donné.
00:49:19 Mon juge est mon amour, mon juge est ma chimène.
00:49:23 Je mérite la mort de mériter sa haine.
00:49:26 Et j'en viens recevoir comme un bien souverain
00:49:29 et l'arrêt de sa bouche
00:49:33 et le coup de sa main.
00:49:35 -Fuis plutôt de ses yeux, fuis de sa violence.
00:49:39 À ses premiers transports, dérobe ta présence.
00:49:42 Va, ne t'expose point au premier mouvement
00:49:44 que poussera l'ardeur de ses ressentiments.
00:49:46 -Non, non, ce cher objet à qui j'ai pu déplaire
00:49:48 ne peut pour mon supplice avoir trop de colère,
00:49:51 et j'évite cent morts qui me vont accabler
00:49:53 si pour mourir plus tôt je puis la redoubler.
00:49:56 -Chimène est au palais de pleurs toute baignée,
00:49:58 et n'en reviendra point que bien accompagnée.
00:50:01 -Rodrigue, fuis de grâce, ôte-moi de soucis.
00:50:06 Que ne dira ton poing si l'on te voit ici ?
00:50:09 Veux-tu qu'un médisant, pour comble à sa misère,
00:50:11 l'accuse d'y souffrir l'assassin de son père ?
00:50:15 Elle va revenir, elle vient, je la vois.
00:50:20 Du moins, pour son honneur, Rodrigue, cache-toi.
00:50:29 -Oui, madame, il vous faut de sanglantes victimes.
00:50:32 Votre colère est juste, et vous plairent les victimes,
00:50:35 et je n'entreprends pas à force de parler
00:50:37 ni de vous adoucir, ni de vous consoler.
00:50:40 Mais si de vous servir je puis être capable,
00:50:43 employer mon épée à punir le coupable,
00:50:45 employer mon amour à venger cette mort,
00:50:48 sous vos commandements, mon bras sera trop fort.
00:50:51 -Malheureuse !
00:50:52 -De grâce, acceptez mon service.
00:50:54 -Je foncerai le roi qui m'a promis justice.
00:50:57 -Vous savez qu'elle marche avec tant de languères
00:51:00 qu'assez souvent le crime échappe à sa languère.
00:51:04 Son cours lent et douteux fait trop perdre de larmes.
00:51:09 Souffrez qu'un cavalier vous venge par les armes,
00:51:12 la voie n'est plus sûre et plus pronte à punir.
00:51:15 -C'est le dernier remède, et s'il y faut venir,
00:51:18 et que de mes malheurs cette pitié vous dure,
00:51:21 vous serez libre alors de venger mon injure.
00:51:24 -C'est l'unique bonheur où mon âme prie tant,
00:51:28 et pouvant l'espérer, je m'en vais trop content.
00:51:34 -Enfin je me vois libre, et je puis sans contrainte
00:51:44 de mes vives douleurs te faire voir la tête,
00:51:47 je puis donner passage à mes tristes soupirs,
00:51:50 je puis t'ouvrir mon âme et tous mes déplaisirs.
00:51:54 Mon père est mort, Elvire, et la première épée
00:51:58 dont s'est armée Rodrigue a cette rame coupée.
00:52:02 Pleurez, mes yeux, effondez-vous en eau,
00:52:07 la moitié de ma vie a mis l'autre au tombeau,
00:52:10 et m'oblige à venger après ce coup funeste
00:52:13 celle que je n'ai plus sur celle qui me reste.
00:52:17 -Reposez-vous, madame.
00:52:21 -Que m'a-t-la propos d'un homme alors si grand ?
00:52:23 Tu parles de repos.
00:52:25 Par où sera jamais ma douleur apaisée
00:52:27 si je ne puis haïr la main qui l'a causée ?
00:52:30 Et que dois-je espérer qu'un tourment éternel
00:52:33 si je poursuis un crime, aimant le criminel ?
00:52:38 -Il vous prive d'un père, et vous l'aimez encore.
00:52:41 -C'est peu de dire aimer, Elvire, je l'adore.
00:52:45 Ma passion s'oppose à mon ressentiment.
00:52:48 Dedans mon ennemi, je trouve mon amant,
00:52:51 et je sens qu'en dépit de toute ma colère,
00:52:54 Rodrigue, dans mon cœur, combat encore mon père.
00:52:57 Il l'attaque, il le presse, il cède, il se défend,
00:53:01 tantôt fort, tantôt faible, et tantôt triomphant.
00:53:06 Mais en ce dur combat de colère et de flamme,
00:53:09 il déchire mon cœur sans partager mon âme.
00:53:12 Et quoique mon amour ait sur moi de pouvoir,
00:53:14 je consulte point pour suivre mon devoir.
00:53:16 Je cours sans balancer où mon honneur m'oblige.
00:53:20 Rodrigue m'est bien cher, son intérêt m'afflige,
00:53:24 mon cœur prend son parti,
00:53:26 et malgré son effort, je sais ce que je suis,
00:53:29 et que mon père est mort.
00:53:32 -Pensez-vous le poursuivre ?
00:53:35 -Cruelle pensée, et cruelle poursuite, je me vois forcée.
00:53:39 Je demande sa tête et crains de l'obtenir.
00:53:43 Ma mort suivra la sienne, et je le veux punir.
00:53:47 -Madame, croyez-moi, vous serez excusable
00:53:52 d'avoir moins de chaleur contre un objet témable,
00:53:55 contre un amant si cher, vous avez assez fait.
00:53:58 Vous avez vu le roi, n'en pressez point les faits,
00:54:02 ne vous obstinez point à cette humeur étrange.
00:54:05 -Il y va de ma gloire, il faut que je me venge,
00:54:07 et de quoi que nous flatte un désir amoureux,
00:54:09 tout excusé honteuse aux esprits généreux.
00:54:11 -Mais vous aimez, Rodrigue, il ne vous peut déplaire.
00:54:15 -Je l'avoue.
00:54:17 -Après tout, que pensez-vous donc faire ?
00:54:20 -Pour conserver ma gloire et finir mon ennui,
00:54:24 le poursuivre, le perdre, et mourir après lui.
00:54:31 -Eh bien, sans vous donner la peine de poursuivre,
00:54:34 assurez-vous l'honneur de m'empêcher de vivre.
00:54:36 -Èlevire, où sommes-nous, et qu'est-ce que je vois ?
00:54:38 -Rodrigue, en ma maison, Rodrigue, devant moi.
00:54:41 -N'épargnez-pois mon sang, goûtez sans résistance
00:54:43 la douceur de ma perte et de votre vengeance.
00:54:45 -Hélas ! -Écoute-moi.
00:54:46 -Je me meurs. -Un moment.
00:54:47 -Va, laisse-moi mourir.
00:54:48 -Quatre mots seulement, après ne me réponds qu'avec cette épée.
00:54:51 -Quoi ? Du sang de mon père encore tout trempé ?
00:54:53 -Ma chimène.
00:54:54 -Pôte-moi cet objet odieux qui reproche ton crime
00:54:56 et ta vie à mes yeux.
00:54:57 -Regarde-le plutôt pour exciter ta haine,
00:54:59 pour croître ta colère et pour rater ma peine.
00:55:01 -Il est un de mon sort.
00:55:02 -Plonge-le dans le mien et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien.
00:55:05 -Oh ! Quelle cruauté qui, tout en un jour,
00:55:07 tue le père par le faire, la fille par la vue.
00:55:10 Ode-moi cet objet, je ne le puis souffrir.
00:55:14 Tu veux que je t'écoute et tu me fais mourir.
00:55:19 -Je fais ce que tu veux.
00:55:21 Mais sans quitter l'envie de finir par tes mains ma déplorable vie,
00:55:28 car enfin, n'attends pas de mon affection un lâche repentir,
00:55:31 d'une bonne action.
00:55:32 L'irréparable effet d'une chaleur trop honte
00:55:34 déshonorer mon père et me couvrait de honte.
00:55:37 Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur.
00:55:39 J'avais par à la front, j'en ai cherché l'auteur, je l'ai vu.
00:55:42 J'ai vengé mon honneur et mon père.
00:55:44 Je le ferai encore si j'avais à le faire.
00:55:47 Ce n'est pas qu'en effet, contre mon père et moi,
00:55:51 ma flamme assez longtemps n'est combattue pour toi.
00:55:54 Juge de son pouvoir, dans une telle offense,
00:55:57 j'ai pu délibérer si j'en prendrais vengeance.
00:56:00 Réduit à te déplaire ou souffrir un affront,
00:56:03 j'ai pensé qu'à son tour mon bras était trop grand.
00:56:06 Je te le dis encore, et quoi que j'en soupire,
00:56:10 jusqu'au dernier soupir, je veux bien le redire,
00:56:13 je t'ai fait une offense,
00:56:14 et j'ai dû m'y porter pour effacer ma honte et pour te mériter.
00:56:18 Mais quitte envers l'honneur et quitte envers mon père,
00:56:20 c'est maintenant à toi que je viens satisfaire.
00:56:23 C'est pour t'offrir mon sang qu'en ce lieu tu me vois.
00:56:25 J'ai fait ce que j'ai dû, je fais ce que je dois.
00:56:28 Je sais qu'un père mort t'arme contre mon crime,
00:56:31 je ne t'ai pas voulu dérober ta victime.
00:56:33 Il molle avec courage au sang qu'il a perdu,
00:56:36 celui qui met sa gloire à l'avoir répandue.
00:56:39 Ah, Rodrigue, il est vrai,
00:56:42 quoi que ton ennemi je ne puis te blâmer d'avoir fui l'infamie,
00:56:45 et de quelque façon qu'éclatent mes douleurs,
00:56:48 je ne t'accuse point.
00:56:50 Je pleure mes malheurs.
00:56:53 Je sais ce que l'honneur a présenté l'outrage
00:56:56 demandait à l'ardeur d'un généreux courage.
00:56:59 Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien,
00:57:01 mais aussi le faisant, tu m'as appris le mien.
00:57:04 Ta funeste valeur m'instruit par ta victoire,
00:57:06 elle a vengé ton père et soutenu ta gloire,
00:57:09 même soin me regarde.
00:57:11 Et j'ai pour m'affliger ma gloire à soutenir,
00:57:16 et mon père à venger.
00:57:18 Hélas, ton intérêt ici me désespère.
00:57:25 Si quelque autre malheur m'avait ravi mon père,
00:57:28 mon âme aurait trouvé dans le bien de te voir
00:57:31 l'unique allègement qu'elle eût pu recevoir.
00:57:34 Et contre ma douleur j'aurais senti des charmes
00:57:37 quand une main si chère eût essuyé mes larmes.
00:57:40 Mais il me faut te perdre après l'avoir perdue,
00:57:43 cet effort sur ma flamme à mon honneur est dû,
00:57:46 et cet affreux devoir dont l'ordre m'assassine
00:57:49 me force à travailler moi-même à ta ruine.
00:57:53 Car enfin, n'attends pas de mon affection,
00:57:56 de lâches sentiments pour ta punition,
00:57:58 de quoi, quand à faveur notre amour m'entretienne,
00:58:00 ma générosité doit répondre à la tienne.
00:58:03 Tu taises en m'offensant, montrer digne de moi,
00:58:06 je me dois par ta mort montrer digne de toi.
00:58:10 Ne diffère donc plus ce que l'honneur t'ordonne,
00:58:12 il demande ma tête, et je te l'abandonne,
00:58:15 faisant un sacrifice à ce noble intérêt,
00:58:17 le coup m'en sera doux aussi bien que l'arrêt.
00:58:20 Attendre après mon crime une lente justice,
00:58:22 c'est reculer ta gloire autant que mon supplice.
00:58:25 Je mourrais trop heureux mourant d'un coup si beau.
00:58:28 Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau.
00:58:32 Si tu m'offres ta tête, est-ce à moi de la prendre ?
00:58:35 Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre,
00:58:38 c'est d'un autre que toi qu'il me faut l'obtenir,
00:58:41 et je dois te poursuivre, et non pas te punir.
00:58:45 De quoi, quand à faveur notre amour t'entretienne,
00:58:48 ta générosité doit répondre à la mienne,
00:58:50 et pour venger un père emprunté d'autres bras,
00:58:53 ma chimène, crois-moi, sait n'y répondre pas.
00:58:56 Ma main seule du mien a su venger l'offense,
00:58:58 ta main seule du tien doit prendre la vengeance.
00:59:01 Cruel ! à quel propos sur ce point t'obstiner ?
00:59:04 Tu t'es vengé sans aide, et tu m'en veux donner.
00:59:07 Je suivrai ton exemple, et j'ai trop de courage
00:59:10 pour souffrir qu'avec toi ma gloire se partage.
00:59:14 Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir
00:59:16 au trait de ton amour, ni de ton désespoir.
00:59:20 Rigoureux point d'honneur !
00:59:23 Hélas ! quoi que je fasse, ne pourrai-je à la fin
00:59:25 obtenir cette grâce ?
00:59:27 Au nom d'un père mort, ou de notre amitié,
00:59:29 punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
00:59:32 Ton malheureux amant aura bien moins de peine
00:59:34 à mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine.
00:59:37 Va, je ne te hais point.
00:59:41 Tu le dois.
00:59:44 Je ne puis.
00:59:47 Crains-tu si peu le blâme et si peu les faux bruits ?
00:59:49 Quand on saura mon crime et que ta flamme dure,
00:59:52 que ne publieront point l'envie et l'imposture,
00:59:54 force-les au silence, et sans plus discourir,
00:59:56 sauve ta renommée en me faisant mourir.
00:59:59 Elle éclate bien mieux en te laissant la vie,
01:00:02 et je veux que la voix de la plus noire en vie
01:00:04 élève au ciel ma gloire, et plaigne mes ennuis,
01:00:07 sachant que je t'adore, et que je te poursuis.
01:00:11 Va-t'en.
01:00:14 Ne montre plus à ma douleur extrême
01:00:15 ce qu'il faut que je perde encore que je l'aime.
01:00:17 Dans l'ombre de la nuit, cache bien ton départ.
01:00:21 Si l'on te voit sortir, mon honneur court hasard.
01:00:25 La seule occasion qu'aura la médisance,
01:00:27 c'est de savoir qu'ici j'ai souffert ta présence.
01:00:30 Ne lui donne point lieu d'attaquer ma vertu.
01:00:32 Que je meure.
01:00:33 Va-t'en.
01:00:39 À quoi te résout-il ?
01:00:42 Malgré des feux aussi beaux qui troublent ma colère,
01:00:45 je ferai mon possible à bien venger mon père.
01:00:49 Mais malgré la rigueur d'un si cruel devoir,
01:00:52 mon unique souhait est de ne rien pouvoir.
01:00:58 Ô miracle d'amour !
01:01:00 Ô comble de misère !
01:01:03 Que de mots et de pleurs nous coûterons nos paires.
01:01:07 Rodrigue, qui l'eût cru ?
01:01:11 Jimène, qui l'eût dit ?
01:01:15 Que notre heure fut si proche, si tôt se perdit.
01:01:19 Et que si près du port, contre toute apparence,
01:01:22 un orage si prompt brisa notre espérance.
01:01:25 Mortelle douleur !
01:01:29 Un regret superflu.
01:01:31 Va-t'en. Encore un coup, je ne t'écoute plus.
01:01:36 Adieu.
01:01:38 Je vais traîner une mourante vie,
01:01:41 tant que par ta poursuite elle me soit ravie.
01:01:45 Si j'en obtiens les faits,
01:01:48 je t'engage, ma foi, de ne respirer pas un moment.
01:01:51 Après toi, adieu.
01:01:55 Sors,
01:01:57 et surtout, garde bien qu'on te voit.
01:02:02 Madame,
01:02:04 quelques mots que le ciel nous envoie.
01:02:06 Ne m'importe une plus, laisse-moi soupirer.
01:02:10 Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.
01:02:15 Madame, je ne peux plus respirer.
01:02:19 Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.
01:02:23 (musique)
01:02:47 Jamais nous ne goûtons de parfaite allégresse.
01:02:51 Nos plus heureux succès sont mêlés de tristesse.
01:02:56 Toujours quelques soucis en ces événements
01:02:59 troublent la pureté de nos contentements.
01:03:03 Au milieu du bonheur, mon âme en sent la teinte.
01:03:07 Je nage dans la joie,
01:03:11 et je tremble de crainte.
01:03:14 J'ai vu, mort,
01:03:18 l'ennemi qui m'avait outragé,
01:03:22 et je ne saurais voir la main qui m'a vengé.
01:03:26 En vain je m'y travaille,
01:03:29 et dans le soin inutile, tout cassé que je suis, je cours toute la ville.
01:03:33 Ce peu que mes vieux angs m'ont laissé de vigueur se consument sans fruits
01:03:37 à chercher ce vainqueur.
01:03:39 À toute heure, en tout lieu, dans une nuit si sombre,
01:03:42 je pense l'embrasser.
01:03:46 Et n'embrasse qu'une ombre.
01:03:49 Et mon amour déçu par cet objet trompeur,
01:03:53 se forme des soupçons qui redoublent ma peur.
01:03:57 Je ne découvre point de marque de sa fuite.
01:04:00 Je crains du comte mort, les amis, et la suite.
01:04:03 Leur nombre m'épouvant et confond ma raison.
01:04:07 Rodrigue ne vit plus,
01:04:11 ou respire en prison.
01:04:16 Juste Dieu,
01:04:19 me trompe-t-il encore à l'apparence, ou si je vois enfin mon unique espérance ?
01:04:23 C'est lui, non d'où non plus mes voeux sont exaucés,
01:04:26 ma crainte est dissipée, mes ennuis cessés.
01:04:30 Rodrigue,
01:04:33 enfin le ciel permet que je te vois.
01:04:36 - Hélas. - Ne mets le point de soupir à ma joie.
01:04:40 Laisse-moi prendre Alaine afin de te louer.
01:04:43 Ma valeur n'a pas lieu de te désavouer.
01:04:46 Tu l'as bien imité, et ton illustre audace
01:04:49 fait bien revivre en toi les héros de ma race.
01:04:52 C'est d'eux que tu descends, c'est de moi que tu viens.
01:04:55 Ton premier coup d'épée égale tous les miens,
01:04:59 et d'une belle ardeur ta jeunesse animée par cette grande épreuve atteint ma renommée.
01:05:04 Appuie de ma vieillesse,
01:05:07 et comble de mon air.
01:05:10 Touche ces cheveux blancs à qui tu rends l'honneur.
01:05:15 Viens baiser cette joue, et reconnais la place
01:05:18 où fut emprunt l'affront que ton courage efface.
01:05:22 L'honneur vous en est dû.
01:05:30 Je ne pouvais pas moins être en sortie de vous et nourri par vos soins.
01:05:35 Je m'en tiens trop heureux,
01:05:38 et mon âme est ravie que mon coup d'essai plaise à qui je dois la vie.
01:05:43 Mais parmi vos plaisirs, ne soyez point jaloux si je m'ose à mon tour satisfaire après vous.
01:05:50 Souffrez qu'en liberté mon désespoir éclate, assez trop longtemps votre discours le flatte.
01:05:55 Je ne me repens point de vous avoir servi,
01:05:57 mais rendez-moi le bien que ce coup m'a ravi.
01:06:00 Mon bras pour vous venger, armé contre ma flamme,
01:06:03 par ce coup glorieux m'a privé de mon âme.
01:06:05 Ne me dites plus rien. Pour vous j'ai tout perdu.
01:06:10 Ce que je vous devais, je vous l'ai bien rendu.
01:06:14 Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire.
01:06:19 Je t'ai donné la vie, et tu me rends ma gloire.
01:06:23 Et d'autant que l'honneur m'est plus cher que le jour, d'autant plus maintenant je te dois de retour.
01:06:29 Mais d'un cœur magnanime éloignent ces faiblesses.
01:06:32 Nous n'avons qu'un honneur. Il est temps de maîtresse.
01:06:35 L'amour n'est qu'un plaisir. L'honneur est un devoir.
01:06:39 Que me dites-vous ? Ce que tu dois savoir.
01:06:41 Mon honneur, foncé sur moi-même, se venge,
01:06:44 et vous m'osez pousser à la honte du change.
01:06:46 L'infamie est pareil, et suit également le guerrier sans courage et le perfide amant.
01:06:51 Et ne pouvant quitter ni posséder Chimène,
01:06:54 le trépas que je cherche est ma plus douce peine.
01:06:57 Il n'est pas temps encore de chercher le trépas.
01:07:00 Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras.
01:07:04 La flotte qu'on craignait dans ce grand fleuve entré croit surprendre la ville et piller la contrée.
01:07:08 Les morts vont descendre.
01:07:10 Et le flux est la nuit. Dans une heure, à nos murs, les amène sans bruit.
01:07:13 La cour est en désordre et le peuple en alarme.
01:07:15 On n'entend que des cris, on ne voit que des larmes.
01:07:18 Dans ce malheur public, mon bonheur a permis que j'aie trouvé chez moi cinq cents de mes amis,
01:07:23 qui, sachant mon affront, poussés d'un même zèle, se venaient tous offrir à venger Macquerel.
01:07:27 Tu les as prévenus.
01:07:29 Mais leurs vaillantes mains se tremperont bien mieux au sang des Africains.
01:07:33 Va marcher à leur tête où l'honneur te demande.
01:07:35 C'est toi que veut pour chef leur généreuse bande.
01:07:38 De ces vieux ennemis, va soutenir la borde.
01:07:41 Là, si tu veux mourir, trouve une belle mort.
01:07:44 Prends-en l'occasion, puisqu'elle t'est offerte.
01:07:47 Fais devoir à ton roi son salut à ta perte.
01:07:51 Mais reviens-en plutôt les palmes sur le front.
01:07:55 Ne borne pas ta gloire à venger un affront.
01:07:58 La plus avant, force par ta vaillance, ce monarque au pardon et chimène au silence.
01:08:06 Si tu l'aimes, apprends que revenir vainqueur, c'est l'unique moyen de regagner son cœur.
01:08:14 Mais le temps est trop cher pour le perdre en parole.
01:08:16 Je t'arrête en discours et je veux que tu voles.
01:08:18 Viens, suis-moi, va combattre et montrera ton roi que ce qu'il perd au compte, il le recouvre en toi.
01:08:26 (Musique)
01:08:55 (Bruit de pas)
01:08:56 De ce point de faux bruit, le sais-tu bien, Elvire ?
01:08:59 Vous ne croiriez jamais comme chacun l'admire et porte jusqu'au ciel d'une comme une voix,
01:09:05 de ce jeune héros les glorieux exploits.
01:09:08 Les morts devant lui n'ont paru qu'à leur honte.
01:09:10 Leur abord fut bien prompt, leur fuite encore plus prompte.
01:09:14 Trois heures de combat laissent à nos guerriers une victoire entière et deux rois prisonniers.
01:09:19 La valeur de leur chef ne trouvait point d'obstacle.
01:09:21 La main de Rodrigue a fait tous ces miracles.
01:09:23 De ses nobles efforts, ses deux rois sont le prix.
01:09:26 Sa main les a vaincus et sa main les a pris.
01:09:29 De qui peux-tu savoir ces nouvelles étranges ?
01:09:32 Du peuple qui partout fait sonner ses louanges.
01:09:35 Le nom de sa joie est l'objet et l'auteur, son ange tutélaire et son libérateur.
01:09:41 Et le roi, de quel œil voit-il tant de vaillance ?
01:09:45 Rodrigue n'ose encore paraître en sa présence,
01:09:48 mais don Diègue, ravi, lui présente enchaînés, au nom de ce vainqueur, ses captifs couronnés,
01:09:54 et demande pour grâce à ce généreux prince qu'il daigne voir la main qui sauve la province.
01:10:00 Mais est-il point blessé ?
01:10:03 Je n'en ai rien appris.
01:10:06 Vous changez de couleur, reprenez vos esprits.
01:10:11 Reprenons donc aussi ma colère affaiblie.
01:10:14 Pour avoir soin de lui, faut-il que je m'oublie ?
01:10:17 On le vante, on le loue, et mon cœur y consent.
01:10:20 Mon honneur est muet, mon devoir impuissant.
01:10:24 Silence, mon amour, laisse agir ma colère.
01:10:28 S'il a vaincu de roi, il a tué mon père.
01:10:31 Ses tristes vêtements, où je lis mon malheur, sont les premiers effets qu'est produit sa valeur.
01:10:35 Et quoi qu'on dit ailleurs d'un cœur si magnanime, ici tous les objets me parlent de son crime.
01:10:41 Vous, qui rendez la force à mes ressentiments,
01:10:45 voiles, crêpes, habits, lugubres ornements,
01:10:49 pompes que me prescrit sa première victoire,
01:10:52 contre ma passion, soutenez bien ma gloire.
01:10:55 Et lorsque mon amour prendra trop de pouvoir,
01:10:57 parlez à mon esprit de mon triste devoir.
01:11:00 Attaquez sans rien craindre une main triomphante.
01:11:03 Modérez ces transports, voici venir l'infante.
01:11:07 Je ne viens pas ici consoler tes douleurs,
01:11:10 je viens plutôt mêler mes soupirs à tes pleurs.
01:11:14 Prenez bien plutôt part à la commune joie,
01:11:16 et goûtez le bonheur que le ciel vous envoie, madame.
01:11:19 Autre que moi n'a droit de soupirer.
01:11:21 Le péril dont Rodrigue a su nous retirer,
01:11:23 et le salut public que vous rendent ses armes,
01:11:25 à moi seule aujourd'hui souffre-t-en encore les larmes.
01:11:29 Il a sauvé la ville, il a servi son roi,
01:11:32 et son bras valeureux n'est funeste qu'à moi.
01:11:34 Ma chémène, il est vrai qu'il a fait des merveilles.
01:11:38 Déjà ce bruit fâcheux a frappé mes oreilles,
01:11:41 cependant mon devoir est toujours le plus fort,
01:11:44 et malgré mon amour va poursuivre sa mort.
01:11:47 Hier ce devoir te mit en une haute estime.
01:11:50 L'effort que tu te fis parut si magnanime,
01:11:53 si digne d'un grand cœur,
01:11:55 que chacun à la cour admirait ton courage,
01:11:57 et plaignait ton amour.
01:12:00 Mais croirais-tu l'avis d'une amitié fidèle ?
01:12:02 Ne vous obéir pas me rendrait criminelle.
01:12:05 Ce qui fut juste alors ne l'est plus aujourd'hui.
01:12:08 Rodrigue maintenant est notre unique appui,
01:12:11 l'espérance et l'amour d'un peuple qui l'adore,
01:12:14 le soutien de Castille et la terreur du mort.
01:12:18 Le roi même est d'accord de cette vérité
01:12:20 que ton père en lui seul se voit ressuscité.
01:12:24 Et si tu veux enfin qu'en deux mots je m'explique,
01:12:26 tu poursuis en sa mort la ruine publique.
01:12:29 Quoi, pour venger un père, est-il jamais permis
01:12:31 de livrer sa patrie aux mains des ennemis ?
01:12:33 Contre nous ta poursuite est-elle légitime,
01:12:36 et pour être punie avons-nous part au crime.
01:12:39 Ce n'est pas qu'après tout tu doives épouser
01:12:42 celui qu'un père mort t'obligeait d'accuser.
01:12:45 Je te voudrais moi-même en arracher l'envie.
01:12:48 Hôte lui ton amour, mais laisse-nous sa vie.
01:12:54 Que le bien du pays t'impose cette loi.
01:12:59 Aussi bien que crois-tu que t'accorde le roi,
01:13:03 il peut me refuser, mais je ne puis me taire.
01:13:08 Pense bien, ma chimène, à ce que tu veux faire.
01:13:13 Adieu, tu pourras seule y penser à loisir.
01:13:19 Après mon père mort, je n'ai point à choisir.
01:13:24 ...
01:13:53 Généreuse héritier d'une illustre famille
01:13:57 qui fut toujours la gloire et l'appui de Castille.
01:14:01 Race de tant d'aïeuses en valeur signalée
01:14:04 que l'essai de la tienne a sitôt t'égalé.
01:14:07 Pour te récompenser, ma force est trop petite
01:14:10 et j'ai moins de pouvoir que tu n'as de mérite.
01:14:14 Le pays délivré d'un si rude ennemi,
01:14:18 mon cèdre dans ma main par la tienne a fermi.
01:14:21 Les morts, des faits, avant quand ces alarmes
01:14:24 eussent pu donner ordre à rompre leurs alarmes,
01:14:27 ne sont pas des exploits qui laissent à ton roi le moyen
01:14:31 ni l'espoir de s'acquitter vers toi.
01:14:35 Mes deux rois, tes captifs, feront ta récompense.
01:14:39 Ils t'ont nommé tous deux leur Cid en ma présence.
01:14:43 Puisque Cid, dans leur langue, est autant que seigneur,
01:14:46 je ne t'enverrai pas ce beau titre d'honneur.
01:14:49 Sois désormais le Cid, qu'à ce grand nom tout cède,
01:14:54 qu'il comble d'épouvante et grenade et talaide,
01:14:58 et qu'il le marque à tous ceux qui vivent sous mes lois
01:15:01 et ce que tu me vaut et ce que je te dois.
01:15:06 Que votre majesté s'y réparne ma honte.
01:15:09 D'un si faible service, elle fait trop de compte
01:15:12 et me force à rougir devant un si grand roi
01:15:14 de mériter si peu l'honneur que j'en reçois.
01:15:17 Je sais trop que je dois au bien de votre empire
01:15:19 et le sang qui m'anime et l'air que je respire.
01:15:22 Et quand je les perdrai pour un si digne objet,
01:15:24 je ferai seulement le devoir des ugès.
01:15:26 Tous ceux que ce devoir à mon service engage
01:15:29 ne s'en acquittent pas avec le même courage.
01:15:31 Et lorsque la valeur ne va point dans l'excès,
01:15:34 elle ne produit point de si rares succès.
01:15:37 Souffre donc, on te loue.
01:15:39 Et de cette victoire, apprends-moi plus au long
01:15:41 la véritable histoire.
01:15:43 Cid, vous avez su qu'en ce danger pressant
01:15:46 que t'a dans la ville un effroi si puissant,
01:15:48 une troupe d'amis chez mon père assemblée
01:15:51 sollicita mon âme encore toute troublée.
01:15:54 Messire, pardonnez-moi ma témérité
01:15:56 si j'osais l'employer sans votre autorité.
01:15:58 Le péril approchait, leur brigade était prête.
01:16:01 Me montrant à la cour, je hasardais ma tête.
01:16:03 Et s'il fallait la perdre,
01:16:05 il m'était bien plus doux de sortir de la vie
01:16:07 en combattant pour vous.
01:16:08 J'excuse ta chaleur avant jeter en offense
01:16:10 et l'Etat défendu me parle en ta défense.
01:16:13 Crois que dorénavant, Chimène a beau parler,
01:16:18 je ne l'écoute plus que pour la consoler.
01:16:20 Mais poursuis.
01:16:22 Sous moi donc, cette troupe s'avance
01:16:24 et porte sur le front une malassurance.
01:16:27 Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort,
01:16:30 nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.
01:16:32 Tant à nous voir marcher avec un tel visage,
01:16:34 les plus épouvantés reprenaient de courage.
01:16:37 J'en cache les deux tiers, aussitôt qu'arrivés,
01:16:40 dans le fond des vaisseaux qui leur furent trouvés.
01:16:43 Le reste, dont le nombre grondait à toute heure,
01:16:46 brûlant d'impatience, autour de moi demeure,
01:16:49 se couche contre terre et sans faire aucun bruit,
01:16:52 passe une bonne part d'une si belle nuit.
01:16:55 Par mon commandement, la garde en fait le même,
01:16:57 et se tenant caché, aide à mon stratagème.
01:17:00 Et je feins ardiment d'avoir reçu de vous
01:17:02 l'ordre qu'on me doit suivre et que je donne à tous.
01:17:08 Cette obscure clarté qui tombe des étoiles,
01:17:11 enfin, avec le flux, nous fait voir
01:17:14 trente voiles, l'onde s'enfle dessous,
01:17:17 et d'un commun effort, les mors et la mer montent jusque au port.
01:17:22 On les laisse passer, tout leur paraît tranquille.
01:17:24 Point de soldats au port, pointons mur de la ville,
01:17:27 notre profond silence abusant leurs esprits,
01:17:29 ils n'osent plus douter de nous avoir surpris.
01:17:31 Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent
01:17:35 et courent se livrer aux mains qui les attendent.
01:17:38 Nous nous levons alors, et tous en même temps,
01:17:40 poussons jusque son ciel, mis le cri éclatant.
01:17:42 Les nôtres à ces cris de nos vaisseaux répondent,
01:17:45 ils paraissent armés, les morts se confondent.
01:17:47 L'épouvante les prend à demi-descendus,
01:17:49 avant que de combattre, ils s'estiment perdus.
01:17:51 Ils couraient au pillage et rangs contre la guerre.
01:17:54 Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre,
01:17:56 et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang
01:17:58 avant qu'aucun résiste ou reprenne son rang.
01:18:00 Mais bientôt, malgré nous, leurs prins se les rallient,
01:18:04 leur courage renaît, leur terreur s'oublie.
01:18:06 La honte de mourir sans avoir combattu
01:18:08 arrête leur désordre et leur rend leur vertu.
01:18:11 Contre nous, de pied ferme, ils tirent leurs alfanges,
01:18:13 de notre sang aux leurs font d'horribles mélanges,
01:18:15 et la terre et le fleuve et leur flotte et le port
01:18:18 sont des champs de carnage où triomphe la mort.
01:18:22 Oh, combien d'actions, combien d'exploits célèbres
01:18:25 sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
01:18:28 où chacun, seul témoin des grands coups qu'ils donnaient,
01:18:31 ne pouvait discerner où le sort inclinait.
01:18:34 J'allais de tous côtés encourager les nôtres,
01:18:36 faire avancer les uns et soutenir les autres,
01:18:38 ranger ce qui venait, les pousser à leur tour,
01:18:40 et ne les puisse avoir jusque au point du jour.
01:18:43 Mais enfin sa clarté montre notre avantage.
01:18:46 Le mort voit sa perte et perçoit d'un courage,
01:18:48 et voyant un renfort qui nous vient secourir,
01:18:50 l'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.
01:18:52 Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,
01:18:55 poussent jusque-là aux cieux des crises épouvantables,
01:18:57 font retraite en tumulte, et sans considérer
01:18:59 si leur roi avec eux peuvent se retirer.
01:19:01 Pour souffrir ce devoir, leur frayeur est trop forte.
01:19:03 Le flux les apporta, le reflux les reporte.
01:19:07 Cependant que leur roi, engagé parmi nous,
01:19:09 est quelque peu dès l'heure, tout percé de nos coups,
01:19:11 dispute vaillamment et vende bien leur vie.
01:19:13 À se rendre, moi-même, en vain, je les convie.
01:19:16 Le cimetaire au point, il ne m'écoute pas.
01:19:18 Mais voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
01:19:20 et que seuls désormais en vain ils se défendent,
01:19:22 ils demandent le chef, je me nomme, ils se rendent.
01:19:26 Je vous les envoyais tous deux en même temps,
01:19:29 et le combat cessa, faute de combattants.
01:19:32 C'est de cette façon que pour votre service...
01:19:34 Zir, Jimène vient vous demander justice.
01:19:38 La fâcheuse nous aide, et l'important devoir.
01:19:46 Bah, je ne la veux pas obliger à te voir.
01:19:51 Pour tous remerciements, il faut que je te chasse.
01:19:55 Mais avant que sortir, viens, que ton roi t'embrasse.
01:20:02 (Musique)
01:20:05 Jimène le poursuit et voudrait le sauver.
01:20:30 On m'a dit qu'elle l'aime et je vais l'éprouver.
01:20:33 Montrez un oeil plus triste.
01:20:36 Eh bien, soyez contente, Jimène.
01:20:54 Le succès répond à votre attente.
01:20:58 Si de nos ennemis, Rodrigue a le dessus,
01:21:00 il est mort à nos yeux des coups qu'il a reçus.
01:21:04 Rendez grâce au ciel qui vous en a vengé.
01:21:08 Voyez comme déjà sa couleur est changée.
01:21:11 Voyez qu'elle pâme.
01:21:12 Et d'un amour parfait dans cette pamoison,
01:21:14 Zir, admirez les faits.
01:21:16 Sa douleur a trahi les secrets de son âme
01:21:18 et ne vous permet plus de douter de sa flamme.
01:21:21 Quoi?
01:21:23 Rodrigue est donc mort?
01:21:25 Non, non, il voit le jour et te conserve encore un immuable amour.
01:21:29 Calme cette douleur qui pour lui s'intéresse.
01:21:32 Zir, on pâme de joie ainsi que de tristesse.
01:21:36 Un excès de plaisir nous rend tout languissant.
01:21:39 Et quand il surprend l'âme, il accable les sangs.
01:21:42 Tu veux qu'en ta faveur, nous croyions l'impossible.
01:21:45 Jimène, ta douleur apparut trop visible.
01:21:49 Bien Zir, ajouter ce comble à mon malheur
01:21:51 ne met même pas moison l'effet de ma douleur.
01:21:53 Un juste déplaisir à ce point m'a réduite.
01:21:56 Son trépas dérobait sa tête à ma poursuite.
01:21:59 S'il meurt des coups reçus pour le bien du pays,
01:22:01 ma vengeance est perdue et mes desseins trahis.
01:22:04 Une si belle femme est trop injurieuse.
01:22:06 Je demande sa mort, mais non pas glorieuse.
01:22:09 Non pas dans un éclat qu'il élève si haut.
01:22:12 Non pas au lit d'honneur, mais sur un échafaud.
01:22:15 Qu'il meure pour mon père et non pour la patrie.
01:22:18 Que son nom soit haché, sa mémoire flétrie.
01:22:21 Mourir pour le pays n'est pas un triste sort.
01:22:24 C'est s'immortaliser par une belle mort.
01:22:26 Ma fille, ces transports ont trop de violence.
01:22:30 Quand on rend la justice, on met tout en balance.
01:22:34 On a tué ton père, il était l'agresseur.
01:22:38 Et la même équité m'ordonne la douceur.
01:22:41 Avant que d'accuser ce que j'en fais paraître,
01:22:44 consulte bien ton cœur.
01:22:46 Rodrigue en est le maître et ta flamme en secrère
01:22:49 en grâce à ton roi dont la faveur conserve un tel amant pour toi.
01:22:53 Pour moi, mon ennemi, l'objet de ma colère,
01:22:57 l'auteur de mes malheurs, l'assassin de mon père.
01:23:00 De ma juste poursuite, on fait si peu de cas
01:23:02 qu'on me croit obligée en ne m'écoutant pas.
01:23:05 Puisque vous revisez la justice à mes larmes, Sire,
01:23:07 permettez-moi de recourir aux armes.
01:23:09 C'est par là seulement qu'il assume outragé.
01:23:12 Et c'est aussi par là que je me dois venger.
01:23:15 A tous vos cavaliers, je demande sa tête.
01:23:18 Oui, qu'un d'eux me la porte.
01:23:21 Et je suis à conquête.
01:23:23 Qu'ils le combattent, Sire.
01:23:26 Et le combat fini, j'épouse le vainqueur si Rodrigue est puni.
01:23:30 Sous votre autorité, souffrez qu'on le publie.
01:23:33 Cette vieille coutume en ces lieux établis,
01:23:37 sous couleur de punir en injuste attentat
01:23:40 des meilleurs combattants affaiblis en état.
01:23:43 Souvent, de cet abus de succès déplorable,
01:23:45 opprime l'innocent et soutient le coupable.
01:23:47 J'en dispense, Rodrigue.
01:23:50 Il m'est trop précieux pour l'exposer au coup d'un sort capricieux.
01:23:54 Et quoi qu'il puisse commettre un cœur si magnanime,
01:23:57 les morts, en fuyant, ont emporté son crime.
01:24:00 Quoi, Sire ?
01:24:02 Pour lui seul, vous renversez des lois
01:24:04 qu'a vue toute la cour observer tant de fois ?
01:24:07 Que croira votre peuple ?
01:24:09 Et que dira l'envie si sous votre défense il ménage sa vie ?
01:24:12 Il s'en fait un prétexte à ne paraître pas
01:24:14 où tous les gens d'honneur cherchent un beau trépas
01:24:16 et que de pareilles faveurs terniraient trop sa gloire.
01:24:20 Qu'il goûte sans rougir les fruits de sa victoire.
01:24:23 Le comte eut de l'audace, il n'en a su punir.
01:24:26 Il l'a fait en brave homme et le doit maintenir.
01:24:30 Puisque vous le voulez, j'accorde qu'il le fasse.
01:24:36 Mais d'un guerrier vaincu,
01:24:40 mille prendraient la place.
01:24:43 Et le prix que Chimène, au vainqueur, a promis
01:24:45 à tous ses cavaliers, ferait ses ennemis.
01:24:47 L'opposer, seul à tous, serait trop d'injustice.
01:24:50 Il suffit qu'une fois il entre dans l'Alice.
01:24:53 Choisis qui tu voudras, Chimène.
01:24:57 Et choisis bien.
01:25:00 Mais après ce combat, ne demande plus rien.
01:25:03 N'excusez point par là ceux que son bras étonne.
01:25:06 Laissez un champ ouvert, où n'entrera personne.
01:25:10 Après ce que Rodrigue a fait voir aujourd'hui,
01:25:12 si le courage assez vain s'oserait prendre à lui,
01:25:15 qui se hasarderait contre un tel adversaire ?
01:25:18 Qui serait ce vaillant ou bien ce téméraire ?
01:25:21 Faites ouvrir le champ !
01:25:24 Vous voyez l'assaillant.
01:25:30 Je suis ce téméraire, ou plutôt ce vaillant.
01:25:34 Accordez cette grâce à l'ardeur qui me presse, madame.
01:25:40 Vous savez quelle est votre promesse.
01:25:43 Chimène, remets-tu ta querelle en sa main ?
01:25:48 Sire, je l'ai promis.
01:25:53 Soyez prête à demain.
01:25:54 Non, Sire, il ne faut pas différer davantage.
01:25:57 On est toujours trop prêts quand on a du courage.
01:25:59 Sortir d'une bataille et combattre l'instant...
01:26:02 Rodrigue a pris Hélène en vous la racontant.
01:26:05 Du moins une heure ou deux, je veux qu'il se délace.
01:26:09 Mais de peur qu'en exemple...
01:26:12 un tel combat ne passe.
01:26:15 Pour témoigner à tous qu'à regret...
01:26:18 je permets un sanglant procédé qui ne me plusse jamais...
01:26:22 de moi ni de ma cour, il n'aura la présence.
01:26:25 Vous seuls, les combattants, jugerez la veillance.
01:26:29 Ayez soin que tous deux fassent en gens de coeur...
01:26:31 et le combat fini m'amener le vainqueur.
01:26:34 Qui qu'il soit, même prise est offerte à sa peine.
01:26:39 Je le veux de ma main présenter à Chimène...
01:26:42 et que pour récompense il reçoive sa foi.
01:26:44 Quoi, Sire, m'imposer une si dure loi?
01:26:48 Tu t'en plains?
01:26:51 Mais ton feu, loin d'avouer ta plainte...
01:26:55 si Rodrigue est vainqueur, l'accepte sans contrainte.
01:26:58 Cesse de murmurer contre un arrêt si doux.
01:27:02 Quitte que ce soit des deux, j'en ferai ton époux.
01:27:08 Sous-titrage MFP.
01:27:14 Sous-titrage MFP.
01:27:19 ...
01:27:39 - Rodrigue, en plein jour, tout te vient, cette audace.
01:27:44 Va, tu me perds d'honneur. Retire-toi de grâce.
01:27:48 - Je vais mourir, Madame.
01:27:51 Et vous viens en ce lieu, avant le coup mortel, dire un dernier adieu.
01:27:56 Cet immuable amour qui sous vos lois m'engage...
01:27:59 n'ose accepter ma mort sans vous en faire hommage.
01:28:02 - Tu vas mourir?
01:28:04 - Je cours à ces heureux moments qui vont livrer ma vie à vos ressentiments.
01:28:07 - Tu vas mourir?
01:28:09 Ton sang, ch'est-il si redoutable...
01:28:11 qu'il donne l'épouvante à ce coeur indomptable?
01:28:13 Qui t'a rendu si faible? Ou qui le rend si fort?
01:28:16 Rodrigue va combattre et se croit déjà mort.
01:28:19 Celui qui n'a pas craint les morts, ni mon père,
01:28:21 va combattre d'on sange et déjà désespère.
01:28:24 Ainsi, dont au besoin, ton courage s'abat.
01:28:27 - Je cours à mon supplice et non pas au combat.
01:28:30 Et ma fidèle ardeur sait bien monter l'envie,
01:28:32 quand vous cherchez ma mort, de défendre ma vie.
01:28:34 J'ai toujours même coeur,
01:28:36 mais je n'ai point de bras quand il faut conserver ce qui ne vous plaît pas.
01:28:40 Et déjà, cet ennemi m'aurait été mortel,
01:28:42 si j'eus se combattu pour ma seule querelle.
01:28:44 Mais, défendant mon roi, son peuple et mon pays,
01:28:47 à me défendre mal, je les aurais trahis.
01:28:49 Mon esprit généreux ne veut point tant la vie
01:28:51 qu'il en veuille sortir par une perfidie.
01:28:54 Maintenant qu'il s'agit de mon seul intérêt,
01:28:57 vous demandez ma mort, j'en accepte l'arrêt.
01:29:00 Votre ressentiment choisit la main d'un autre.
01:29:03 Je ne méritais pas de mourir de la vôtre.
01:29:06 On ne me verra point en repousser les coups.
01:29:08 Je dois plus de respect à qui combat pour vous.
01:29:11 Et, ravi de penser que c'est de vous qu'il vienne,
01:29:14 puisque c'est votre honneur que ses armes soutiennent,
01:29:16 je vais lui présenter mon estomac ouvert,
01:29:18 adorant en sa main la vôtre qui me perd.
01:29:22 Si, d'un triste devoir, la juste violence
01:29:25 qui me fait, malgré moi, poursuivre ta vaillance,
01:29:28 prescrit à ton amour une si forte loi
01:29:30 qu'il te rend sans défense à qui combat pour moi,
01:29:33 oh ! cet aveuglement ne perd pas la mémoire,
01:29:35 qu'ainsi que de ta vie, il y va de ta gloire,
01:29:38 et que dans quelque éclat que Rodrigue ait vécu,
01:29:40 quand on le saura mort, on le croira vaincu.
01:29:44 Ton honneur t'est plus cher que je ne te suis cher,
01:29:47 puisqu'il trempe tes mains dans le sang de mon père,
01:29:49 et te fait renoncer, malgré ta passion,
01:29:51 à l'espoir le plus doux de ma possession.
01:29:54 T'en vois cependant faire aussi peu de comptes
01:29:57 que sans rendre combat tu veux qu'on te surmonte.
01:30:00 Quelle inégalité ravale ta vertu ?
01:30:02 Pourquoi ne l'as-tu plus ?
01:30:04 Ou pourquoi l'avais-tu ?
01:30:06 Quoi ! n'es-tu généreux que pour me faire outrage ?
01:30:09 S'il ne faut m'offenser, n'as-tu point de courage ?
01:30:12 Et traites-tu mon père avec tant de rigueur
01:30:14 qu'a part l'avoir vaincu, tu souffres un vainqueur ?
01:30:18 Va, sans vouloir mourir, laisse-moi te poursuivre,
01:30:25 et défends ton honneur, si tu ne veux plus vivre.
01:30:29 Après la mort du comte et les morts des faits,
01:30:32 faudrait-il à ma gloire encore d'autres effets ?
01:30:34 Elle peut dédaigner le soin de me défendre.
01:30:37 Je sais que mon courage ose tout entreprendre,
01:30:39 que ma valeur peut tout,
01:30:41 et que dessous les cieux, auprès de mon honneur,
01:30:43 rien ne m'est précieux.
01:30:45 Non, non, en ce combat, quoi que vous veuillez croire,
01:30:48 Rodrigue peut mourir sans hasarder sa gloire,
01:30:51 sans qu'on l'ose accuser d'avoir manqué le cœur,
01:30:53 sans passer pour vaincu, sans souffrir un vainqueur.
01:30:57 On dira seulement, il adorait Schimel.
01:31:02 Il n'a pas voulu vivre et mériter sa haine.
01:31:06 Il a cédé lui-même à la rigueur du sort
01:31:08 qui forçait sa maîtresse à poursuivre sa mort.
01:31:12 Elle voulait sa tête et son cœur magnanime,
01:31:15 s'il en eut refusé, eut pensé faire un crime.
01:31:19 Pour venger son honneur, il perdit son amour.
01:31:24 Pour venger sa maîtresse, il a quitté le jour.
01:31:28 Préférant quelque espoir qu'eut son âme asservie,
01:31:32 son honneur à Schimel et Schimel à sa vie.
01:31:39 Ainsi donc, vous verrez ma mort en ce combat,
01:31:42 loin d'obscurcir ma gloire, en rehausser les clats.
01:31:45 Et cet honneur suivra mon trépas volontaire
01:31:47 que tout autre que moi n'eût pu vous satisfaire.
01:31:50 Puisque, pour t'empêcher de courir au trépas,
01:31:53 ta vie et ton honneur sont de faibles appâts,
01:31:57 si jamais je t'aimais, cher Rodrigue,
01:32:00 me venche, défends-toi maintenant pour monter à ton sanche.
01:32:04 Combat pour m'affranchir d'une condition
01:32:07 qui me donne à l'objet de mon aversion.
01:32:11 Te dirai-je encore plus ?
01:32:14 Va, sauge à ta défense, pour forcer mon devoir,
01:32:20 pour m'imposer silence.
01:32:22 Et si tu sens pour moi ton cœur encore épris,
01:32:25 sors vainqueur d'un combat dont Chimène, il le prie.
01:32:31 Adieu.
01:32:35 Ce mot lâché me fait rougir de honte.
01:32:40 Aidez-vous, quelques ennemis qu'à présent je ne donte.
01:32:49 Paressez, navarrais, morts et castillans,
01:32:52 et tous ceux que l'Espagne a nourris de vaillants,
01:32:54 unissez-vous ensemble et faites une armée
01:32:57 pour combattre une main de la sorte animée.
01:32:59 Joignez tous vos efforts contre un espoir si doux,
01:33:02 pour en venir à bout ces trop peu que de vous.
01:33:06 Adieu.
01:33:10 T'écouterai-je encore,
01:33:32 respect de ma naissance qui fait un crime de mes voeux ?
01:33:37 T'écouterai-je, amour,
01:33:40 dont la douce puissance contre ce fier tyran fait révolter mes voeux ?
01:33:45 Pauvre princesse,
01:33:47 auquel des deux dois-tu prêter obéissance ?
01:33:51 Rodrigue, ta valeur te rend digne de moi,
01:33:55 mais pour être vaillant tu n'es pas fils de roi.
01:34:00 Impitoyable sort,
01:34:02 dont la rigueur sépare ma gloire d'avec mes désirs,
01:34:05 est-il dit que le choix d'une vertu si rare
01:34:08 coûte à ma passion de si grand déplaisir ?
01:34:11 Ô cieux !
01:34:13 À combien de soupirs faut-il que mon cœur se prépare,
01:34:17 si jamais il n'obtient sur un si long tourment
01:34:21 ni d'éteindre l'amour,
01:34:24 ni d'accepter l'amant ?
01:34:29 Mais c'est trop de scrupules,
01:34:31 et ma raison s'étonne du mépris d'un si digne choix.
01:34:36 Bien qu'au monarque seul ma naissance me donne,
01:34:39 Rodrigue, avec honneur je vivrai sous tes lois.
01:34:43 Après avoir vaincu deux rois,
01:34:46 pourrais-tu manquer de couronne ?
01:34:48 Et ce grand nom de Cid que tu viens de gagner,
01:34:51 ne fait-il pas te revoir sur qui tu dois régner ?
01:34:56 Il est digne de moi,
01:35:00 mais il est achimel.
01:35:03 Ce don que j'en ai fait me nuit
01:35:07 entre la mort d'un père à si peu mis de haine
01:35:10 que le devoir du sang à regret le poursuit,
01:35:14 ainsi n'espérant aucun fruit de son crime ni de ma peine,
01:35:19 puisque pour me punir le destin a permis
01:35:22 que l'amour dure même entre deux ennemis.
01:35:27 Où viens-tu, Léonor ?
01:35:31 Vous applaudir, madame,
01:35:33 sur le repos qu'a enfin retrouvé votre âme.
01:35:36 Où viendrait ce repos dans un comble d'ennui ?
01:35:38 Si l'amour vit d'espoir et s'il meurt avec lui,
01:35:41 Rodrigue ne peut plus charmer votre courage.
01:35:44 Vous savez le combat où Chimène l'engage,
01:35:46 puisqu'il faut qu'il y meure ou qu'il soit son mari.
01:35:49 Votre espérance est morte et votre esprit guéri.
01:35:52 Aucun s'en faut encore.
01:35:54 Que pouvez-vous prétendre ?
01:35:55 Mais plutôt, quel espoir me pourrais-tu défendre
01:35:58 si Rodrigue combat sous ces conditions ?
01:36:00 Pour en rompre les faits, j'ai trop d'inventions.
01:36:03 L'amour, ce doux auteur de mes cruelles supplices,
01:36:06 aux esprits des amants apprend trop d'artifice.
01:36:08 Pourrez-vous quelque chose,
01:36:10 après qu'un père mort
01:36:12 n'a plus dans leurs esprits allumé de discours ?
01:36:15 Car Chimène aisément montre par sa conduite
01:36:18 que la haine aujourd'hui ne fait pas sa poursuite.
01:36:21 Elle obtient un combat,
01:36:23 et pour son combattant, c'est le premier offert
01:36:26 qu'elle accepte à l'instant.
01:36:27 Elle n'a point recours à ses mains généreuses,
01:36:29 que tant d'exploits fameux rendent si glorieuses.
01:36:32 Dont s'ange lui suffit et mérite son choix,
01:36:36 parce qu'il va s'armer pour la première fois.
01:36:38 Elle aime en ce duel son peu d'expérience.
01:36:41 Comme il est sans renom, elle est sans défiance.
01:36:44 Et sa facilité vous doit bien faire voir
01:36:46 qu'elle cherche un combat qui force son devoir,
01:36:49 qui livre à son Rodrigue une victoire aisée,
01:36:52 et l'autorise enfin à paraître apaisée.
01:36:55 Je le remarque assez,
01:36:57 et toutefois mon cœur,
01:37:00 à l'envie de Chimène, adore ce vainqueur.
01:37:04 À quoi me résoudrai-je, amante infortunée ?
01:37:08 À vous mieux souvenir de qui vous êtes née.
01:37:12 Le ciel vous doit un roi,
01:37:15 vous aimez un sujet.
01:37:17 Mon inclination a bien changé d'objet.
01:37:20 Je n'aime plus Rodrigue, un simple gentilhomme.
01:37:23 Non, ce n'est plus ainsi que mon amour le nomme.
01:37:26 Si j'aime, c'est l'auteur de tant de beaux exploits.
01:37:30 C'est le valeureux Cid, le maître de deux rois.
01:37:35 Je me vaincrai pourtant,
01:37:39 non de peur d'aucun blâme,
01:37:41 mais pour ne troubler pas une si belle flamme.
01:37:45 Et quand pour m'obliger on l'aurait couronnée,
01:37:47 je ne veux point reprendre un bien que j'ai donné.
01:37:51 Puisqu'en un tel combat sa victoire est certaine,
01:37:54 allons encore un coup le donner à Chimène.
01:37:59 Et toi qui vois les traits dont mon cœur est percé,
01:38:03 viens me voir achever comme j'ai commencé.
01:38:08 (musique)
01:38:25 -Pélvire, que je souffre, que je suis à plaindre.
01:38:30 Je ne sais qu'espérer et je vois tout à craindre.
01:38:34 Aucun vœu ne m'échappe, ou j'ose consentir.
01:38:37 Je ne souhaite rien sans un pont repentir.
01:38:40 -D'un et d'autre côté je vous vois soulagée.
01:38:44 Où vous avez Rodrigue, où vous êtes vengée,
01:38:48 et quoi que le destin puisse ordonner de vous,
01:38:51 il soutient votre gloire et vous donne un époux.
01:38:55 -Quand il sera vainqueur, crois-tu que je me rende ?
01:38:58 Mon devoir est trop fort et ma perte trop grande,
01:39:01 et ce n'est pas assez pour leur faire la loi
01:39:03 que celle du combat ou le vouloir du roi.
01:39:06 -Il peut vaincre dont s'ange avec fort peu de peine,
01:39:10 mais n'ont pas avec lui la gloire de Chimène.
01:39:13 Et quoi qu'à sa victoire un monarque ait promis,
01:39:16 mon honneur lui fera mille autres ennemis.
01:39:18 -Gardez pour vous punir de cet orgueil étrange
01:39:21 que le ciel à la fin ne souffre qu'on vous venge.
01:39:24 Quoi, vous voulez encore refuser le bonheur
01:39:26 de pouvoir maintenant vous taire avec honneur ?
01:39:29 Que prétend ce devoir ? Et qu'est-ce qu'il espère ?
01:39:34 La mort de votre amant vous rendra-t-elle un père ?
01:39:37 Est-ce trop peu pour vous que d'un coup de malheur
01:39:40 faut-il perte sur perte et douleur sur douleur ?
01:39:44 Allez, dans le caprice où votre humeur s'obstine,
01:39:47 vous ne méritez pas l'amant qu'on vous destine,
01:39:50 et nous verrons du ciel l'équitable courroux
01:39:52 vous laisser par sa mort dont s'ange pour époux.
01:39:55 -Elvire, c'est assez des peines que j'endure,
01:39:58 ne les redouble point de ce funeste augure.
01:40:01 Je veux, si je le puis, les éviter tous deux.
01:40:04 Sinon, en ce combat, Rodrigue, à tous mes voeux,
01:40:07 non qu'une folle ardeur de son côté me penche,
01:40:10 mais s'il était vaincu, je serais à dons s'ange.
01:40:13 Cet appréhension fait naître mon souhait.
01:40:16 Que vois-je, malheureuse, Elvire, son effet ?
01:40:22 -Obligez d'apporter à vos pieds cette épée.
01:40:25 -Quoi ? Du sang de Rodrigue encore tout tromper ?
01:40:28 Perfide ! Oses-tu bien te montrer à mes yeux,
01:40:31 après m'avoir ôté ce que j'aimais le mieux ?
01:40:34 Éclate, mon amour, tu n'as plus rien à craindre.
01:40:37 Mon père est satisfait, cesse de te contraindre.
01:40:40 Un même coup a mis ma gloire en sûreté.
01:40:43 -Ce n'est pas le temps de me faire croire.
01:40:46 -Ce n'est pas le temps de me faire croire.
01:40:49 Un même coup a mis ma gloire en sûreté,
01:40:52 mon âme au désespoir, ma flamme en liberté.
01:40:55 -De l'esprit plus râsi.
01:40:57 -Tu me parles encore,
01:40:59 exécrable assassin d'un héros que j'adore.
01:41:02 Va, tu l'as prise en traître.
01:41:04 Un guerrier si vaillant n'eût jamais succombé sous un tel assaillant.
01:41:07 N'espère rien de moi. Tu ne m'as point servi.
01:41:10 En croyant me venger, tu m'as ôté la vie.
01:41:13 -Étrange impression qui, loin de m'écouter...
01:41:16 -Veux-tu que de sa mort je t'écoute vanter,
01:41:18 sans ta loisir, avec quelle insolence tu peindras son malheur,
01:41:22 mon crime et ta vaillance ?
01:41:25 -Cyr.
01:41:28 -Il n'est plus besoin de vous dissimuler
01:41:32 ce que tous mes efforts ne vous ont pu seler.
01:41:35 J'aimais, vous l'avez su,
01:41:38 et pour venger un père, j'ai bien voulu proscrire une tête si chère.
01:41:42 Votre Majesté, Cyr, elle-même a pu voir
01:41:45 comme j'ai fait céder mon amour au devoir.
01:41:48 Enfin, Rodrigue est mort,
01:41:51 et sa mort m'a changé d'implacable ennemi en amant affligé.
01:41:55 J'ai dû cette vengeance à qui m'a mise au jour,
01:41:59 et je dois maintenant ses pleurs à mon amour,
01:42:03 dont sang je m'a perdu en prenant ma défense,
01:42:06 et du bras qui me perd, je suis la récompense.
01:42:09 Cyr, si la pitié peut émouvoir un roi,
01:42:12 de grâce révoquez une si dure loi.
01:42:15 Pourpris d'une victoire où je perds ce que j'aime,
01:42:20 je lui laisse mon bien, qu'il me laisse à moi-même.
01:42:25 Qu'en un cloître sacré, je pleure incessamment
01:42:29 jusqu'au dernier soupir, mon père et mon amant.
01:42:34 -Enfin, elle aime, Cyr,
01:42:37 et ne croit plus un crime d'avouer par sa bouche un amour légitime.
01:42:42 -Si même, sort des règles, ton amant n'est pas mort,
01:42:49 et dont sang je vincu, t'as fait un faux rapport?
01:42:54 -Cyr, un peu trop d'ardeur malgré moi l'a déçu,
01:42:59 je venais du combat lui raconter l'issue.
01:43:01 Ce généreux guerrier dont son coeur est charmé
01:43:04 ne craint rien, m'a-t-il dit, quand il m'a désarmé.
01:43:07 Je laisserai plutôt la victoire incertaine
01:43:09 que de répandre un sang hasardé pour Chimène.
01:43:12 Mais, puisque mon devoir m'appelle auprès du roi,
01:43:15 va, de notre combat, l'entretenir pour moi,
01:43:18 de la part du vainqueur, lui porter ton épée.
01:43:21 Cyr, j'y suis venu, cet objet l'a trompé.
01:43:25 Elle m'a cru vainqueur, me voyant de retour,
01:43:27 et soudain, sa colère a trahi son amour
01:43:30 avec tant de transport et tant d'impatience
01:43:32 que je n'ai pu gagner un moment d'audience.
01:43:37 Pour moi, bien que vaincu,
01:43:42 je me répute heureux,
01:43:45 et malgré l'intérêt de mon coeur amoureux,
01:43:48 perdant infiniment,
01:43:51 j'aime encore ma défaite
01:43:53 qui fait le beau succès d'une amour si parfaite.
01:43:56 Ma fille, il ne faut point rougir d'un si beau feu,
01:44:01 ni chercher les moyens d'en faire un désaveu,
01:44:05 une louable honte en vain t'en sollicite,
01:44:09 ta gloire est dégagée, ton honneur est quitte,
01:44:12 ton père est satisfait,
01:44:14 et c'est elle, vengée,
01:44:16 que mettre tant de fois ton Rodrigue en danger.
01:44:19 Tu vois comme le ciel autrement t'en dispose,
01:44:23 ayant tant fait pour lui, fait pour toi quelque chose,
01:44:28 et ne sois pas rebelle à mon commandement
01:44:30 qui te donne un époux aimé si chèrement.
01:44:34 - Sèche tes pleurs, Chimèle,
01:44:38 et reçois sans tristesse
01:44:40 ce généreux vainqueur des mains de ta princesse.
01:44:44 - Ne vous offensez point, Cyre,
01:44:47 si devant vous un respect amoureux me jette à ses genoux.
01:44:51 Je ne viens point ici demander ma conquête,
01:44:54 je viens tout de nouveau vous apporter ma tête, Madame.
01:44:57 Mon amour n'emploiera point pour moi
01:44:59 ni la loi du combat, ni le vouloir du roi.
01:45:03 Si tout ce qui s'est fait est trop peu pour un père,
01:45:06 dites par quels moyens il vous faut satisfaire,
01:45:09 faut-il combattre encore mille et mille rivaux,
01:45:11 au debout de la terre étendre mes travaux,
01:45:14 forcer moi seul un camp, mettre en fuite une armée,
01:45:17 des héros fabuleux passer la renommée ?
01:45:20 Si mon crime par là se peut enfin laver,
01:45:23 j'ose tout entreprendre et puis tout achever.
01:45:26 Mais si ce fier honneur toujours inexorable
01:45:29 ne se peut apaiser sans la mort du coupable,
01:45:31 n'armez plus contre moi le pouvoir des humains,
01:45:34 ma tête est à vos pieds, vengez-vous par vos mains.
01:45:37 Vos mains seules ont droit de vaincre l'invincible,
01:45:39 prenez une vengeance à tout autre impossible.
01:45:42 Mais du moins que ma mort suffise à me punir,
01:45:45 ne me bannissez point de votre souvenir.
01:45:48 Et puisque mon trépas conserve votre gloire
01:45:51 pour vous en revancher, conservez ma mémoire
01:45:54 et dites quelquefois en déplorant mon sort,
01:45:58 s'il ne m'avait aimé, il ne serait pas mort.
01:46:03 Relève-toi, Rodrigue.
01:46:07 Il faut l'avouer, Sire, je vous en ai trop dit
01:46:11 pour m'en pouvoir dédire.
01:46:13 Rodrigue a des vertus que je ne puis haïr,
01:46:17 et quand un roi commande, on lui doit obéir.
01:46:20 Mais à quoi que déjà vous m'ayez condamné,
01:46:23 pourrez-vous à vos yeux souffrir cette hyménée ?
01:46:26 Et quand de mon devoir vous voulez cet effort,
01:46:28 toute votre justice en est-elle d'accord ?
01:46:31 Si Rodrigue à l'État devient si nécessaire,
01:46:34 de ce qu'il fait pour vous, dois-je être le salaire
01:46:37 et me livrer moi-même aux reproches éternelles
01:46:40 d'avoir trempé les mains dans le sang paternel ?
01:46:43 Le temps assez souvent t'a rendu légitime
01:46:46 ce qui semblait d'abord ne se pouvoir sans crime.
01:46:51 Rodrigue t'a gagné, et tu dois être à lui.
01:46:56 Mais bien que sa valeur t'aie conquise aujourd'hui,
01:46:58 il faudrait que je fusse ennemi de ta gloire
01:47:00 pour lui donner sitôt le prix de sa victoire.
01:47:04 Cette hymène différée ne rompoint une loi
01:47:08 qui, sans marquer de temps, lui destine ta foi.
01:47:12 Prends un an, si tu veux, pour essuyer tes larmes.
01:47:17 Rodrigue, cependant, il faut prendre les armes.
01:47:21 Après avoir vaincu les morts sur nos bords,
01:47:24 renverser leurs desseins, repousser leurs efforts,
01:47:27 va jusqu'en leur pays, leur reporter la guerre,
01:47:29 commander mon armée et ravager leurs terres.
01:47:31 À ce seul nom de Cid, ils trembleront d'effroi.
01:47:34 Ils t'ont nommé seigneur et te voudront pour roi.
01:47:38 Mais parmi ces hauts faits, sois-lui toujours fidèle.
01:47:43 Reviens-en, s'il se peut, encore plus digne d'elle.
01:47:47 Et par tes grands exploits, fais-toi si bien priser
01:47:50 qu'il lui soit glorieux, alors, de t'épouser.
01:47:53 Pour posséder Chimène et pour votre service,
01:47:57 que peut-on m'ordonner que mon bras n'accomplisse ?
01:48:00 Quoiqu'absent de ses yeux, il me faille endurer, Sire.
01:48:03 Ce n'est trop d'heure de pouvoir espérer.
01:48:06 Espère en ton courage, espère en ma promesse.
01:48:11 Et possédant déjà le cœur de ta maîtresse,
01:48:14 pour vaincre un point d'honneur qui combat contre toi,
01:48:18 laisse faire le temps.
01:48:21 Ta vaillance est ton roi.
01:48:26 Sous-titrage MFP.
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