100% Sénat - 100% Sénat

  • il y a 6 mois
100% Sénat diffuse et décrypte les moments forts de l'examen des textes dans l'Hémicycle, ainsi que des auditions d'experts et de personnalités politiques entendues par les commissions du Sénat.
Année de Production :
Transcript
00:00 [Générique]
00:10 Bonjour à tous et bienvenue dans cette nouvelle édition 100% Sénat pour suivre les travaux d'une nouvelle commission d'enquête sur le groupe Total Énergie.
00:17 Le Sénat qui enquête précisément sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe Total Énergie
00:25 des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, c'est Yannick Jadot qui est le rapporteur écologiste de cette nouvelle commission d'enquête
00:34 et l'ancien ministre Roger Carucci pour les ALR qui préside cette commission d'enquête. Aujourd'hui, on écoute une table ronde sur l'économie du pétrole.
00:42 Cette séance a été préparée par Matin Noutarelli et El Lakoué.
00:46 Un préliminaire sur les liens étroits entre l'État et l'industrie pétrolière en France depuis un siècle maintenant.
00:54 Vous avez sur cette diapositive l'arbre généalogique de Total Énergie, issu principalement de la fusion en 2000 de la compagnie française des pétroles de 1924,
01:04 devenue Total, puis Total Fina, et de Health Aquitaine, qui a regroupé plusieurs sociétés nationales qui avaient été créées depuis 1939.
01:14 Sans parler des filiales algériennes, africaines et nord-américaines de ces sociétés qui se sont rapidement mondialisées pendant les Trente Glorieuses.
01:23 Entre État et pétrole, c'est donc une histoire d'intérêts croisés, puisque Health était une société nationale et la CFP Total, détenue par l'État à 35%.
01:36 Cette histoire d'intérêts croisés commence avec le partage des champs pétroliers de l'Empire ottoman après la Première Guerre mondiale,
01:42 avec les pantouflages récurrents et tout à fait légaux du corps des mines.
01:49 Cette histoire continue sous le gaullisme avec Pierre Guillaumat et la France-Afrique. Elle défraie la chronique dans les années miterrands avec les affaires health.
01:59 Ses intérêts croisés survivent aux privatisations de l'époque baladure. Et elles sont aujourd'hui bien difficiles encore à détricoter pour transitionner hors des énergies fossiles,
02:12 comme le dit la récente COP28. Alors, depuis cinq ans, mes recherches répondent à la fameuse question qui aurait pu prédire la crise climatique.
02:23 Mais la question de recherche que je me suis posée a plutôt été quelle recherche scientifique avait documenté le changement climatique que nous vivons aujourd'hui,
02:33 depuis quand, et comment différents acteurs politiques et industriels, notamment l'industrie du pétrole, se sont saisis de ces connaissances.
02:43 Alors, une actualité toute récente pour commencer. Le Guardian a révélé mardi une découverte faite dans les archives du Californian Institute of Technology,
02:53 qui montre que c'est déjà il y a 70 ans, dès 1954, que l'industrie pétrolière a commencé à financer et à être informée des recherches sur l'effet de serre causé par l'usage des énergies fossiles.
03:08 Alors, en fait, l'effet de serre, c'est une vieille connaissance assez basique du XIXe siècle. On avait déjà calculé à la fin du XIXe siècle que si on double la concentration en CO2 de l'atmosphère,
03:19 ça fait plus 4 degrés de réchauffement global. C'est des publications de 1896. Mais à l'époque, on imaginait ça avec l'usage des machines à vapeur.
03:33 Mais à l'époque, c'était une perspective qui était encore vue comme assez lointaine. C'est seulement au début des années 50, en plein boom du pétrole,
03:41 que l'effet de serre anthropique est requalifié par les spécialistes du climat et de l'atmosphère, par des physiciens nucléaires aussi, comme un problème pour la civilisation,
03:52 comme vous voyez sur la citation, à effiance plus courte, c'est-à-dire le début du XXIe siècle. À cette époque, les scientifiques commencent à reconstruire les températures du passé
04:04 par différentes méthodes, mesurent l'augmentation soutenue de la concentration du carbone dans l'atmosphère. C'est justement le travail de Charles Keeling,
04:12 qui est financé par ce premier programme de 1954. Et on estime la montée potentielle du niveau des océans dès ces années 50 et 60.
04:22 Alors, tout cela n'est évidemment pas aussi solide et détaillé que la science d'aujourd'hui, que le VIe rapport du GIEC.
04:29 Ça ne fait pas non plus la une régulière des journaux et de l'actualité comme aujourd'hui, bien sûr, mais c'est le meilleur de la science d'alors.
04:38 Et ça ne passe pas inaperçu non plus. Vous voyez qu'il y a des échanges de rapports entre laboratoire et multinationales pétrolières.
04:47 Il y a une alerte du grand physicien Edward Teller, qu'on voit dans le film récent sur Oppenheimer. En 1959, devant un gratin mondial de l'industrie pétrolière,
04:57 c'est le centenaire du premier forage d'un puits de pétrole, qui alerte sur le changement climatique et les conséquences humaines d'une montée des océans.
05:08 Il y a un chapitre sur le réchauffement prochain dans un rapport très publicisé à la Maison-Blanche dès 1965.
05:16 Et vous voyez en bas à droite un film de Frank Capra qui montre son pays sous l'eau en 1958 avec ses scénarios climatiques et plusieurs articles de presse à l'époque.
05:30 Alors en France, il y a quelques échos encore rares dans la presse française, comme vous le voyez ici dans Sud-Ouest ou dans Paris Presse.
05:43 Un deuxième moment, c'est il y a 50 ans, disons entre 1967 et 1979. Les savoirs continuent à avancer.
05:54 Le premier modèle climatique en 3D est publié en 1967 et prévoit plus de degrés en cas de doublement du CO2 dans l'atmosphère.
06:02 On prévoit ça pour la première moitié du 21e siècle. Les scénarios de refroidissement initiaux qui pouvaient être causés par les pollutions aérosols
06:12 sont écartés comme beaucoup moins influents que le phénomène majeur de réchauffement induit par l'effet de serre.
06:22 Les espoirs que les océans et les forêts pourraient capturer autant de CO2 que les énergies fossiles en émettent sont douchés par les recherches qui sont publiées dans la décennie des années 70.
06:33 La prise de conscience des décideurs avance aussi dans cette période. C'est le premier sommet de la Terre à Stockholm en 1972.
06:42 Et on sait peu que 2 des 109 recommandations de ce sommet s'inquiètent du réchauffement climatique.
06:52 Et puis en 1979, trois événements importants. Le rapport Charnay, c'est à droite, de l'Académie américaine qui formule un consensus de la communauté scientifique
07:02 qui sera largement repris par le GIEC en 1990. C'est la première conférence mondiale sur le climat de l'ONU.
07:10 Et c'est la première déclaration publique du G7 pour s'engager à réduire les gaz à effet de serre.
07:18 En France aussi, l'alerte climatique est disputée dans les milieux dirigeants et dans la presse à cette époque.
07:27 J'ai retrouvé en 68 un colloque de la DATAR, de Jérôme Monod que certains ont connu, qui pilote l'aménagement du territoire à l'époque
07:38 et qui fait un colloque un peu de prospectif pour le 21e siècle. Et on y voit les PDG d'EDF et d'ELF discuter des problèmes comparés de l'effet de serre et des déchets nucléaires.
07:50 Et vous voyez donc que l'idée que le nucléaire va nous sauver de l'effet de serre est déjà avancée à ce moment-là.
07:58 En 1971, la revue de la DATAR estime, comme vous le voyez dans la citation, en gros, qu'on en sait déjà assez sur le climat pour qu'il soit urgent de commencer la transition.
08:13 Et le premier gros programme de recherche climatologique français qui est lancé en 79 commence par une introduction des climatologues français qui dit que dans un délai de 10 à 20 ans,
08:27 donc en 79, il donne un délai de 10 à 20 ans, l'impact des activités humaines atteindra un ordre de grandeur suffisant pour déplacer l'équilibre climatique de la planète.
08:40 Alors je passe rapidement sur cette citation du grand démographe Alfred Sauvy et quelques articles de presse des années 70 qui prédisent un climat tropical à maux beuges
08:54 pour passer à l'industrie pétrolière parfaitement au courant de ses travaux et de ses alertes au plus haut niveau.
09:03 Alors certes, l'effet de serre, ce n'est pas le problème principal de l'industrie pétrolière des années 70.
09:10 Il y a les chocs pétroliers et puis il n'y a pas encore de mesures nationales ou internationales pour réduire les émissions.
09:16 Donc il n'y a pas besoin de faire du contrefeu pour se protéger de ces initiatives potentielles.
09:23 Donc c'est encore un sujet de recherche-développement, mais c'est un sujet de recherche-développement qui est disputé au plus haut niveau dans des notes internes qui sont maintenant à disposition des historiens.
09:36 Le plus gros programme de recherche, c'est à la fin des années 70 chez Exxon.
09:40 Vous voyez en haut à gauche un super tanker qui est affrété pour traverser l'océan Atlantique et prendre des mesures de composition du carbone dans les océans et dans l'atmosphère.
09:52 Et vous voyez à droite, c'est un article qui est paru dans Science l'année dernière, une douzaine de scénarios climatiques qui sont produits en interne dans les années 70-80 par Exxon, par le département de la recherche-développement.
10:08 Et celui qui est en haut à gauche, il est de 1977. C'est un des plus robustes et il prévoit comme scénario central en interne +3 degrés pour 2050.
10:21 Donc cette publication parue dans Science a confronté ces scénarios aux prédictions des scientifiques universitaires à la même époque et montré que les savoirs d'Exxon étaient au moins aussi robustes, aussi solides.
10:36 Ils avaient autant de connaissances scientifiques que la recherche publique.
10:42 Et puis vous avez en bas de la diapositive, en 1971, dans le magazine de Total, un article qui annonce 400 parties par million de CO2 vers 2010 avec un réchauffement de +1 à +1,5 degrés à cette date.
11:00 Donc assez proche de ce qu'on a connu. Il annonce, je cite, "à coup sûr, une montée sensible du niveau marin. Ces conséquences catastrophiques sont faciles à imaginer".
11:11 On est en 1971. C'est un dossier sur l'environnement du magazine de Total qui est préfacé par le PDG. Donc on peut faire l'hypothèse qu'il a été lu au plus haut niveau de l'entreprise en 1971.
11:27 Je passe au troisième et dernier moment clé pour moi, il y a 30 ans, autour de Rio où est adoptée en 1992 la Convention climat, dans le cadre de laquelle s'organisent les fameuses COP.
11:42 Et donc c'est en rouge sur la diapositive. C'est le moment de la création du GIEC et d'un certain nombre de grandes conférences.
11:51 Donc le premier rapport du GIEC, c'est 1990. Et il prédit avec certitude la citation que vous avez, un réchauffement à venir d'environ +0,3 degrés par décennie.
12:04 Et c'est très proche de ce qui est effectivement advenu. C'est aussi l'époque d'un fort volontarisme politique. Il y a vraiment une fenêtre d'opportunité en 88-90.
12:13 C'est la fin du mur de Berlin. C'est un moment de coopération multilatérale. Et en France, on a un fort volontarisme également du gouvernement Rocart avec la Londres à l'environnement.
12:31 Alors A-International, c'est la conférence internationale du PNUE à Toronto en juin 88 du PNUE et de l'OMM, qui conclut qu'il faut un engagement ferme de baisser les émissions mondiales de 20% entre 1990 et 2005.
12:50 La France, les Pays-Bas et la Suède lancent également en 1989 la déclaration de l'AE pour la création d'une autorité mondiale de l'atmosphère avec un pouvoir contraignant sur les États.
13:02 En Europe, la Londres et d'autres ministres de l'Environnement poussent la Commission à élaborer un projet de taxe carbone et énergie.
13:12 En France, encore jusqu'en 1990 – et je m'en suis aperçu en regardant les archives des cabinets ministériels, y compris au ministère de l'Industrie –, on défend l'objectif de -20% de Toronto.
13:24 On crée une mission interministérielle de l'effet de serre. On adopte le plan national pour l'environnement. Et donc, on a au plus haut niveau... On endosse l'objectif de -20% de Toronto.
13:41 C'est une vraie politique climatique qui s'élabore à ce moment-là. Mais malheureusement, en 1991-1992 marque l'abandon de ses ambitions.
13:51 L'objectif de Toronto et les co-taxes sont attaqués par Bercy. Ça sera Bérégovoy et Strauss-Kahn qui vont décider de retirer le soutien de la France au projet des co-taxes de la Commission européenne.
14:02 Ça se passe en mai 1992, 3 semaines avant Rio. C'est un coup de théâtre. Le commissaire européen d'Iméana est tellement furieux qu'il démissionne.
14:11 Et l'Europe qui voulait être leader à Rio se retrouve sans commissaire et sans crédibilité. C'est un épisode qu'on a souvent oublié.
14:20 Dès lors, à Rio, l'accord, la Convention 4 sur le climat va être assez minimaliste, sans autorité mondiale, sans engagement chiffré et daté. Exit les 20%.
14:35 Alors quand on sait qu'en 1992, on avait émis au total depuis la révolution industrielle la moitié des gaz à effet de serre que ce que nous avons émis aujourd'hui en 2024,
14:45 on se dit que c'est vraiment une opportunité qui était ratée à l'époque, parce que ça aurait été beaucoup plus facile de faire une transition en douceur,
14:54 alors que, comme vous l'a dit Valérie Masson-Delmotte il y a quelques jours, là, on est plutôt dans le dur en termes de budget carbone.
15:02 Alors pour comprendre cette opportunité ratée, cette défaite, il faut regarder l'industrie pétrolière.
15:07 Les historiens américains ont bien montré comment Exxon et d'autres ont dépensé des centaines de millions de dollars
15:13 pour peser sur le gouvernement américain, les négociations internationales, pour nier le réchauffement climatique anthropique et financer des pseudo-experts et des think tanks climato-sceptiques.
15:24 Ces actes sont aujourd'hui invoqués dans des dizaines de procès climatiques aux Etats-Unis.
15:30 Alors quel a été le rôle par nos entreprises Health et Total ? J'ai eu la chance de pouvoir travailler dans les archives et croiser avec des témoignages d'anciens cadres de ces entreprises.
15:42 J'aurais bien voulu pouvoir vous dire ici aujourd'hui que nos entreprises françaises ont été plus vertueuses que Bush et Exxon, mais malheureusement ce n'est pas ce qu'on a découvert.
15:53 Donc vous avez ici une citation de Bernard Tramier, qui est le directeur d'environnement de Health de l'époque,
16:00 qui se souvient avoir reçu son premier cours sur le réchauffement climatique lors d'une réunion de l'IPECA, c'est l'Organisation internationale des pétroliers auprès de l'ONU,
16:09 de la part des gens d'Exxon qui, dit-il, nous ont mis au parfum.
16:15 Suite à cela, l'année suivante, le rapport environnement qu'il écrit pour le groupe Health, et qui est discuté en comité exécutif du 4 mars 1986,
16:25 affirme ceci, que vous avez, que je cite, "l'accumulation du CO2 et du CH4 dans l'atmosphère et l'effet de serre qui en résulte vont inévitablement modifier notre environnement.
16:35 Tous les modèles sont unanimes à prédire un réchauffement de la Terre, etc. etc."
16:40 Et malheureusement, il conclut, "l'industrie pétrolière devra une nouvelle fois se préparer à se défendre."
16:47 Donc l'existence du réchauffement en cours est portée à la connaissance des plus hauts dirigeants du groupe,
16:53 mais la position et la stratégie qui va sortir, c'est une stratégie d'opposition aux premières propositions de régulation du climat.
17:10 Donc en interne, le numéro 2, le chargé de mission qui s'occupait à Health, au département environnement du climat, nous a dit,
17:20 "le doute était levé dès 1990, oui les pétroliers savaient, mais en externe, on assiste à des discours tout à fait climatosceptiques."
17:31 Je ne vous en cite qu'une sur les trois, qui est celle du bas.
17:36 Le directeur environnement de Total, dans le magazine du groupe et dans un dossier qui est distribué à la conférence de Rio en juin 1992, dit,
17:44 "il n'existe aucune certitude sur l'impact des activités humaines, parmi lesquelles la combustion des énergies fossiles."
17:51 C'est en contradiction avec le rapport du GIEC de 1990.
17:55 Alors j'ai aussi trouvé, je passe à d'autres traces de stratégie de lobbying et de fabrique du doute pour faire avorter le projet d'éco-taxes européens,
18:04 que ce soit par des courriers, des rencontres à Bercy ou bien à l'intérieur d'une commission du plan qui était composée de beaucoup d'acteurs d'Health
18:16 et qui était présidée à l'époque par le PDG de la Farge Copé, pour avancer un peu plus et montrer que cette stratégie a été mûrement élaborée
18:30 à l'intérieur de l'entreprise par le numéro d'Elf de l'époque et donc quelques notes trouvées en archive.
18:37 Vous voyez à gauche une note interne au comité de direction générale qui propose d'agiter des doutes et de promouvoir dans l'espace public
18:45 certains scientifiques de renom qui seraient plutôt que d'autres, qui seraient plus proches des positions du groupe.
18:52 Et vous voyez à droite une note peu après Rio et peu après l'abandon de l'éco-taxes par la Commission européenne,
18:59 où ce numéro 2, Francis Giraud, se félicite de ses succès en les expliquant par des contacts directs avec les ministères et avec Bruxelles.
19:11 Alors évidemment, Giraud perrore un peu. Ce n'est pas parce qu'il se félicite que c'est la preuve que l'action d'Elf a été décisive.
19:18 Il y avait d'autres intérêts en Angleterre, en Allemagne, qui pouvaient avoir intérêt à annuler l'éco-taxes.
19:25 Mais en tout cas, c'est une preuve qu'Elf a mis le paquet contre ces premières mesures climatiques.
19:31 Voilà. Alors, je conclue pour vous dire qu'il me semble de ce travail-là de recherche historique, c'est un petit peu ancien,
19:40 mais j'espère que c'est utile malgré tout, il me semble que ça montre à l'usage des politiques publiques,
19:45 premièrement, que la bataille du climat a commencé bien plus tôt qu'on ne le croit, il y a plusieurs décennies,
19:52 que nous avons déjà perdu des premières batailles. Le sociologue et philosophe Bruno Latour, dans une de ses dernières conférences
20:00 avant de décéder, a dit que c'était une défaite. Pour moi, c'est une sorte de défaite de la raison qui doit nous inviter à un sursaut
20:10 et peut-être, France, à mieux comprendre, à identifier, à détricoter tous les enchevêtrements anciens et multiples
20:17 entre les rouages de la Ve République et les intérêts pétroliers. Deuxièmement, il me semble que ce travail de recherche
20:26 montre que les connaissances et les alertes sont anciennes et que les entreprises pétrolières en avaient une connaissance
20:33 bien antérieure aux travaux du GIEC et aux années 90, au moins en 1968 pour le PGDG DELF et au moins en 1971 pour Total.
20:46 Troisièmement, troisième résultat, il me semble que Total et ELF ont participé au moins entre 1988 et 1993 à des formes
20:56 éthiquement critiquables de fabrique stratégique du doute, d'obstruction, pour empêcher les premières politiques climatiques
21:04 naissantes, et cela aussi bien au plan international, européen que français. Alors qu'en est-il aujourd'hui de ce type de pratiques ?
21:13 Je passe la parole à mon collègue.
21:15 Qui malheureusement va avoir beaucoup moins de temps, parce qu'il est déjà bientôt 11h et là, on va être un peu court après pour le débat.
21:26 Je vais faire plus rapidement que mon collègue.
21:37 Juste pour vous parler plus rapidement de ce qui s'est passé ces 20 dernières années, jusqu'en 2002, 2003, 2004, les rapports produits par l'entreprise
21:45 continuent d'utiliser des formulations ambiguës qui minimisent la fiabilité du consensus scientifique sur l'origine humaine du lâchement climatique.
21:52 A partir de 2006, le discours institutionnel devient plus consensuel sur la question du développement durable. Il y a une reconnaissance plus officielle
22:00 de la fiabilité du consensus scientifique. Le travail sur les archives et sur les documents institutionnels, notamment à partir des années 2000,
22:06 il y a la production, la réglementation change, les entreprises cotées en bourse doivent produire un rapport social et environnemental,
22:11 ce qui fournit une source d'informations intéressantes. A partir de 2004, et surtout 2006, plus de traces de climato-scepticisme dans ces documents officiels.
22:23 Toutefois, ce discours plus consensuel ne semble pas avoir d'impact sur la stratégie des investissements dans le pétrole et le gaz,
22:29 qui augmente de façon significative. Il faut y voir un reflet des signaux prix envoyés par le prix du baril.
22:36 C'est assez impressionnant, ça double sur chaque période de 5 ans, 2000 à 2005, 2005 à 2009, 2010 à 2014.
22:45 Je n'ai pas reproduit les 5 dernières années qui suivent, mais ils sont un peu plus faibles du fait de la plongée des prix à partir de 2014.
22:52 Mais en tout cas, il n'y a pas d'inflexion de la stratégie qui serait liée à une prise en compte discursive du réchauffement climatique.
22:57 Certaines ressources déjà perçues comme quasi incompatibles avec les objectifs climatiques sont concernées par ces investissements.
23:03 Vous vous en souvenez peut-être. Je pense aux sables bitumineux, surtout au Canada, un peu au Venezuela, le gaz de schiste en Argentine et ailleurs,
23:10 les projets en Arctique, en Russie, dont on parle plus dernièrement.
23:14 Ce qu'il faut retenir aussi, c'est qu'après l'échec de la COP de Copenhague et l'approche de la COP de Paris,
23:19 l'entreprise n'est plus seulement sur un mode défensif, c'est-à-dire à parler du climat dans quelques petits paragraphes de ces documents institutionnels,
23:26 mais elle commence à construire des éléments de langage spécifiques qui occupent une place de plus en plus importante d'une année sur l'autre.
23:34 Jusqu'à aujourd'hui, où vraiment l'engagement de la société civile et des investisseurs sur le climat est quasiment systématique.
23:40 La question qui est posée à cette commission, c'est quel moyen mobilisé et mobilisable par l'État français ?
23:47 Depuis notre perspective de chercheurs en sciences sociales et en histoire, il y a une perspective qui pour nous est assez évidente.
23:54 C'est que quand on a fait cette enquête et si on souhaite continuer à travailler sur la responsabilité et les agissements de TotalEnergie sur la question climatique,
24:03 il y a un enjeu d'accès aux archives. On pourrait exiger que certaines archives soient versées et rendues disponibles aux chercheurs.
24:10 Par exemple, je vais vous donner trois exemples sur les grandes décisions d'investissement qui ont été prises après 2000.
24:15 Il y a toute une documentation en interne qui est produite et qui n'est pas disponible, alors que l'on sait que certains investissements,
24:21 j'ai pris l'exemple au hasard du Canada, que ces investissements massifs qui ont été faits notamment dans les sables bitumineux,
24:28 se sont faits dans une période, la décennie 2000, durant laquelle on était au courant, comme je vous l'ai reproduit par exemple l'article du devoir,
24:36 que l'Alberta a largement contribué à freiner le Canada sur son positionnement sur le protocole de Kyoto.
24:44 De façon concomitante, Total a investi dans des combustibles qui étaient très décriés pour leurs propriétés physiques et matérielles,
24:54 puisque ce sont des sables extra lourds dont le processus de raffinage est extrêmement coûtant en énergie.
24:58 On voit qu'ils ont même pensé à installer des centrales nucléaires pour alimenter les unités de raffinage.
25:03 Et en parallèle, on voit que les États hautes contribuent à torpiller la construction d'une politique internationale climatique.
25:12 Donc ce serait intéressant d'avoir accès aux archives pour savoir si dans les délibérations au niveau du comité exécutif,
25:18 les comités d'investissement, ces éléments ont été pris en compte.
25:22 Parce que là, même à la différence des années 90, les connaissances sur le climat étaient encore plus structurées,
25:26 elles l'étaient déjà très fortement après le premier rapport du GIEC, mais de plus on en parlait de plus en plus dans les médias aussi.
25:31 Donc c'est aussi ça à prendre en compte, c'est assez important.
25:34 Ensuite, deuxième point, et j'en aurais juste un dernier après, ça va aller assez vite.
25:38 On pourrait exiger que certaines archives soient versées, notamment sur les données relatives aux politiques de rémunération.
25:44 Ça c'est un travail que j'ai fait en utilisant des données qui étaient rendues disponibles dans les documents financiers produits pour les investisseurs.
25:51 On remarque que plus la part du variable du salaire augmente, et là je parle surtout des cadres dirigeants,
26:02 plus la préférence pour le présent augmente elle aussi.
26:04 Parce qu'en général, le variable constitué soit de stock options, il n'y en a plus depuis 2010, après la crise de 2008,
26:10 ils ont arrêté d'en distribuer, ou des actions de performance qui continuent d'être distribuées,
26:14 qui indexent la part du salaire sur le cours de bourse, avec le risque qu'il y ait un verrouillage dans des stratégies business de court terme
26:22 qui reproduisent des schémas historiques, c'est-à-dire dans le fossile.
26:24 Et on peut même se dire que même des jeunes diplômés de Polytechnique ou des mines qui rentrent aujourd'hui chez Total Energy,
26:30 ce n'est même pas sûr que leurs dirigeants soient tout à fait alignés avec eux en termes d'intérêt,
26:35 parce qu'ils ont intérêt à avoir un travail pendant 20 ans, et ce n'est pas sûr que dans 20 ans,
26:38 le business des fossiles soit encore aussi rentable qu'il l'est aujourd'hui, pour tout un tas de raisons.
26:44 Donc des archives relatives à la masse salariale et aux politiques de rémunération,
26:48 pour mieux comprendre les structures incitatives dans l'entreprise,
26:50 et enfin évidemment que des archives soient versées et rendues publiques aux search services sur tout ce qui concerne la stratégie climat à partir des années 2000,
26:58 puisque comme je vous l'ai dit, je n'ai travaillé que sur des données publiques,
27:00 à savoir des documents d'actionnaires, toutes les prises de parole des CEOs dans la presse,
27:06 une analyse serrée de l'actualité, quelques entretiens,
27:10 mais toutes les archives ne sont pas disponibles et ne permettent pas de qualifier de façon précise
27:15 les agissements de Total Energy dans les années 2000-2010, comme mon collègue Christophe Bonneuil a pu le faire pour les années 90.
27:21 Donc ça c'est aussi des choses sur lesquelles on pourrait travailler,
27:24 et qui permettraient d'y voir plus clair, tout simplement sur ces débats,
27:27 sinon on risque de ne pas avoir assez de matériaux empiriques pour se former un jugement équilibré sur ce dont il est question.
27:33 Voilà. C'était un peu rapide mais...
27:37 - C'est clair. Alors je me permettrai avant de donner la parole au rapporteur,
27:42 deux questions. D'abord une question par rapport à ce que vous venez de dire.
27:46 Je vois bien le transfert d'archives, etc. mais ce sont des sociétés privées,
27:54 ce sont parfois des correspondances privées, juridiquement, ça existe ailleurs,
28:00 enfin il y a des états où des sociétés privées transmettent la totalité des archives, des agendas, des correspondances,
28:10 est-ce qu'on risque pas en France de se retrouver très vite bloqués par l'ensemble de nos instances nationales qui diront "Altofeu,
28:18 ce sont des documents privés, vous n'avez pas accès à ces documents".
28:22 Deuxième question, alors là plus globale.
28:26 On voit bien l'évolution que vous affirmez, qui est très claire, depuis 1970, voire même avant,
28:37 en 1956, on a appris comme ça que les Anglais risquaient de redevenir vignerons, ce qui va leur faire plaisir,
28:43 et que Maubeuge aurait un climat tropical, je ne sais pas si Maubeuge en sera ravi, mais enfin pourquoi pas.
28:48 Mais ce qu'on ne voit pas c'est l'affirmation et le consensus évalué, c'est-à-dire les alertes,
28:59 moi je peux vous en trouver sur un certain nombre d'autres domaines, on va pas revenir là-dessus,
29:04 depuis 50 ans, 60 ans, à quel moment l'ensemble du monde scientifique, technique, dit "c'est vraiment ça".
29:14 Parce qu'il y a les lanceurs d'alerte et puis il y a à un moment le consensus scientifique et tout,
29:20 donc à quel moment est-ce qu'on bascule ? Monsieur le rapporteur.
29:26 Merci monsieur le Président, merci à nos intervenants. La semaine dernière, ou non, début de semaine,
29:38 nous recevions Madame Masson-Delmotte, qui avait écrit dans un article le 8 février dernier,
29:47 avec un certain nombre de scientifiques du GIEC, que Total, évidemment, n'avait pas une trajectoire d'investissement
29:57 et d'activité compatible avec la lutte contre le dérèglement climatique,
30:02 et que l'entreprise Total participait à des opérations de désinformation sur le climat.
30:10 Est-ce que vous, au fond, vous confirmez à la fois ce que disaient Madame Masson-Delmotte et les scientifiques du GIEC ?
30:19 Est-ce que vous pouvez préciser quels sont ces types d'opérations et quel impact ça peut avoir ?
30:24 Une deuxième question. Vous mentionnez évidemment dans l'histoire de Total l'interaction,
30:31 parfois les collusions, entre le groupe Total et l'État.
30:36 Est-ce que dans les grands projets, les grands investissements dont nous allons parler dans les semaines à venir,
30:44 on peut penser à l'Ouganda, au Mozambique, en Papouasie et ailleurs,
30:48 est-ce que vous avez documenté justement ce type de collusions qui font qu'à un moment donné,
30:55 l'État se met au service d'un groupe, au-delà de sa diplomatie économique classique,
31:03 et là, d'un groupe qui est incompatible, encore une fois, avec la stratégie que nous développons ?
31:10 Et enfin, dernière question. Il y a un débat permanent entre l'offre et la demande.
31:15 Au fond, il est totalement légitime et juste de dire que tant qu'on consommerait du pétrole,
31:22 il faudra de la production. Et à la fois, on voit bien qu'à travers tout ce que vous décrivez,
31:29 à la fois les stratégies d'investissement et les stratégies d'intervention sur les politiques publiques,
31:34 l'offre crée la demande. Est-ce que vous pouvez là aussi préciser en quoi l'investissement
31:41 et les stratégies de désinformation participent de créer une demande ?
31:45 [INAUDIBLE]
31:50 ...deux questions, puis ensuite on passera évidemment aux questions de nos collègues.
31:54 [INAUDIBLE]
32:01 Alors sur le consensus, évidemment, on ne peut jamais fixer une date ponctuelle pour le consensus.
32:10 Disons que ce qui se dégage dans les travaux d'histoire des sciences de ces dix dernières années,
32:17 c'est un consensus qui se consolide entre 1972 et 1990.
32:22 90, c'est le rapport du GIEC, 72, c'est la conférence de Stockholm,
32:27 et entre les deux, il y a peut-être une date qui serait la bonne date équilibrée à prendre,
32:31 qui est 1979, avec la première conférence mondiale du climat et le rapport Charnay de l'Académie des sciences américaines.
32:39 C'est le moment où les scénarios de refroidissement sont totalement disqualifiés,
32:43 et c'est le moment où on sait déjà que les forêts ne vont pas capturer assez de carbone
32:48 et que les océans ne captureront pas assez de carbone par rapport à ce qu'on est en train d'émettre.
32:53 Et les prédictions en termes de degrés de réchauffement sont celles qu'on a observées aujourd'hui dans ce rapport de 79.
33:03 Pour répondre rapidement à la question sur l'implication de Total Energy dans le débat sur la perception du réchauffement climatique aujourd'hui dans la société française,
33:13 je fais mention à ce que vous disiez de Valérie Masson-Delmotte,
33:16 je pense que ce qu'on peut observer, c'est que l'entreprise s'est fait "taper sur les doigts" par des collègues chercheurs du GIEC,
33:24 qui considéraient que Total Energy utilisait les conclusions du GIEC de façon déformée,
33:31 notamment en engageant une discussion un peu technique sur des scénarios qui valideraient leur champ d'investissement
33:41 ou permettraient de donner un cadre à l'intérieur duquel leurs investissements seraient justifiés.
33:45 Et donc c'est face à cette espèce de distorsion assez subtile des travaux du GIEC,
33:50 très technique donc difficilement discutable par des gens qui ne sont pas experts,
33:53 mais qui néanmoins contribuent à présenter la stratégie d'investissement sous un jour plutôt favorable,
33:58 puisque supposément adossée aux objectifs fixés par la communauté internationale.
34:02 Donc c'est ça qu'ont voulu critiquer les collègues du GIEC.
34:05 Et ça je pense que c'est quelque chose d'assez systématique dans toute l'histoire des sciences.
34:10 A chaque fois qu'il y a eu des collisions entre des industries et des questions de santé publique ou d'environnement,
34:15 je pense à l'industrie du tabac où ça a été très bien documenté aux Etats-Unis,
34:18 aussi à l'industrie où on avait eu les mêmes problématiques autour du glyphosate,
34:22 il y a une stratégie de créer du bruit, c'est-à-dire au sens photographique,
34:26 pour que les débats n'émergent pas vraiment, ou que les débats restent extrêmement techniques,
34:31 et donc du coup ça donne l'impression que Total continue à être un interlocuteur raisonnable.
34:36 Alors que sur d'autres sujets qui devraient émerger par exemple,
34:40 cette stratégie d'occupation de l'espace empêche d'autres sujets d'émerger.
34:44 Je sais par exemple qu'on a eu des publications assez fortes sur l'impact carbone,
34:48 enfin l'impact méthane de l'extraction de gaz et de gaz de schiste notamment,
34:52 qui auraient été lourdement sous-estimées depuis une quinzaine d'années,
34:57 qui sont sorties à la fin des années 2010 et début des années 2020,
35:01 avec des sous-estimations de l'ordre de 30 à 40% de l'impact total du gaz.
35:05 Ça fait 15 ans que Total a intégré dans ses trajectoires climat de transitionner du pétrole vers le gaz,
35:11 parce que le gaz aurait eu un impact moindre,
35:14 et donc ce surinvestissement de certaines controverses,
35:19 et le délaissement complet d'autres controverses, par exemple sur l'impact du méthane,
35:23 empêche de discuter concrètement de ce qu'il en est de l'empreinte carbone effective des trajectoires de Total Energy.
35:29 C'est très compliqué parce que ça demande beaucoup d'expertise d'engager ces débats,
35:34 et à l'heure actuelle il y a beaucoup de questions qui seraient légitimes,
35:38 mais qui restent dans l'angle mort, parce que l'entreprise est capable de fixer un peu le tempo,
35:42 discuter de ce dont elle veut discuter, etc.
35:44 Donc ça c'est une vraie difficulté pour faire émerger les questions pertinentes.
35:50 Sur la mise à disposition des moyens par l'État dans les pays que vous avez mentionné,
35:56 ou l'entreprise Total Energy a de nouveaux projets,
36:00 moi personnellement je n'ai pas voyagé dans ces pays, et Christophe Bonneuil non plus,
36:04 donc la seule source dont on dispose ce sont les enquêtes journalistiques qui ont été menées.
36:10 Je ne peux pas vraiment me prononcer à titre d'expert dessus,
36:15 mais évidemment il y a des présomptions de collusion d'intérêts,
36:18 en tout cas de circulation entre les personnels du ministère des Affaires étrangères,
36:23 les ambassades, et puis les cadres de l'entreprise.
36:26 Ce ne serait pas très surprenant, et c'est la diplomatie économique qui se pratique dans d'autres secteurs industriels,
36:31 mais c'est vrai qu'on peut également poser la question de la cohérence de l'action de la France à l'étranger,
36:37 si elle met au service son personnel diplomatique de projets qui contreviennent aux accords de Paris.
36:43 Sur l'offre et la demande, je n'ai pas grand chose à ajouter de plus,
36:52 vous avez une bonne perception, des bonnes intuitions,
36:56 quand une entreprise contribue à faire en sorte que des instruments de politique public
37:02 puissent diminuer à terme la demande,
37:04 c'est sûr que l'offre qu'elle propose a une capacité à faire perdurer ses débouchés.
37:11 Il me semble évident que quand on intervient pour éviter qu'une taxe carbone soit mise en place,
37:17 c'est un peu facile après de dire qu'il y a une demande et qu'il faut y répondre.
37:20 Mais de fait c'est un problème assez insoluble.
37:25 Si vous le voulez bien, on va prendre par vague de deux,
37:31 parce que comme ça vous répondrez chaque fois à deux questionnements.
37:35 J'ai en premier M. Barros.
37:37 Merci M. le Président.
37:41 Merci pour ces propos particulièrement pour les qualifier d'édition.
37:45 Je voudrais vous interroger sur une étude que vous avez publiée en 2021
37:49 consacrée aux diverses actions mises en place par Total et ELF
37:52 pour semer le doute sur les conséquences du rôle des énergies fossiles
37:56 dans le réchauffement climatique qui correspond à votre présentation.
38:01 Vous expliquez comment ces deux entreprises ont nié le consensus scientifique de l'époque
38:05 ou comment elles ont également mis à mal toute tentative européenne ou mondiale
38:10 de taxer les énergies fossiles.
38:12 J'aurais pu mettre au conditionnel, mais vu la présentation,
38:14 on a le sentiment qu'il y a quelque chose de très volontaire de ce côté-là.
38:18 La conséquence de tout cela, et vos travaux le démontrent de manière très efficace,
38:23 c'est que les dommages causés par les entreprises comme Total Energy
38:27 ont été très importants et qu'ils auront des conséquences tout aussi importantes.
38:32 Ces groupes ont contribué à retarder la mise en place de législations
38:35 qui auraient pu nous mettre plutôt sur une autre trajectoire.
38:38 Aujourd'hui, Total est devenu Total Energy, un groupe multi-énergie,
38:42 avec un discours en apparence différent.
38:44 L'entreprise se félicite des avancées de la COP 28
38:47 et d'un accord qui conforte sa stratégie.
38:49 Elle annonce des objectifs ambitieux de neutralité carbone pour 2050
38:53 et elle ambitionne d'être un des acteurs majeurs de la production d'électricité renouvelable.
38:58 Pourtant, en continuant dans le même temps à investir massivement
39:01 dans la production d'énergie fossile d'ici 2030,
39:04 Total Energy fait l'inverse de ce que préconise l'Agence internationale de l'énergie.
39:08 On note donc un double discours qui semble assez au moins troublant.
39:13 Je passe donc à la question, est-ce là une nouvelle phase de la stratégie du doute
39:18 que vous avez pointée dans votre article ?
39:20 Et on parle bien des actions d'aujourd'hui de Total.
39:23 Pourriez-vous nous apporter votre éclairage sur cette nouvelle stratégie,
39:26 enfin, si c'en est une,
39:28 et enfin, comment l'État peut-il lutter contre ce qui s'apparente
39:31 à une nouvelle forme sophistiquée de fabrique du déni climatique ?
39:35 Merci, M. Tissot.
39:38 Merci, M. le Président.
39:41 D'abord, je vous remercie également pour les propos,
39:44 vos présentations très claires que vous nous avez faites
39:47 et l'avantage d'une commission d'enquête,
39:49 c'est aussi de pouvoir mettre en exergue et de mettre en lien
39:51 les différents intervenants qu'on a la chance d'auditionner.
39:55 Et donc, je voulais justement avoir votre avis sur les quelques propos
39:58 tenus devant notre commission par le docteur en relations internationales,
40:01 Philippe Coppincy.
40:03 Je ne sais pas si je le prononce correctement.
40:05 Ce dernier nous a notamment interpellés en indiquant que la seule solution
40:09 pour baisser l'utilisation du pétrole était de jouer sur la demande,
40:12 qu'à Total Energy, il se contente d'y répondre.
40:15 Ce sont ses propres mots.
40:17 Et dans le même temps, il nous a indiqué que 20 milliards de dollars investis
40:19 par Total Energy, sur 20 milliards, 16 milliards d'euros sont consacrés
40:24 au pétrole et au gaz, contre 4 milliards d'euros aux solutions bas carbone.
40:28 Quelle lecture faites-vous de ces constats ?
40:31 Est-ce une simple question d'une demande qui ne peut pas évoluer
40:34 ou alors d'une offre qui continue d'investir massivement
40:38 dans ces énergies fossiles pour contraindre le marché de l'énergie ?
40:41 Alors, on veut bien le comprendre.
40:42 Il nous a expliqué que le baril à 75 dollars pour un coût de 10 dollars d'extraction
40:47 est très rentable et n'a donc aucun intérêt à changer.
40:50 Et lors de nos auditions, il a également été question de la malédiction du pétrole
40:53 avec cette approche.
40:55 Plus l'économie, si j'étais subjugué, on va dire, plus l'économie d'un pays
41:00 dépend de ses matières premières, moins elle est développée.
41:02 Et j'entends bien, sur la question du développement au sens large,
41:04 démocratique, social, est-ce une grille de lecture que vous partagez ?
41:08 Et pour revenir sur le groupe Total Energy, on a également pu comprendre
41:11 que les plantations et l'installation de grandes infrastructures,
41:14 comme le projet, et on en parlera, j'espère, bientôt, comme le projet
41:17 Thilanga en Ouganda, sont facilités par l'absence ou la faiblesse de normes
41:21 sociales, environnementales ou de sécurité dans certains pays.
41:24 Partagez-vous ce constat ?
41:25 Est-ce qu'une corrélation est envisageable, selon vous ?
41:29 Bon, ben, vous avez trois minutes.
41:34 Ou cinq.
41:35 Oui, allez-y.
41:37 Pour répondre rapidement à cette dernière question,
41:40 c'est non seulement, ce n'est pas qu'une conviction,
41:43 mais c'est en fait aussi ce que documente largement la littérature
41:46 scientifique sur la malédiction des ressources.
41:48 Il y a beaucoup de pays qui sont très riches en ressources
41:50 et dont la population est notoirement pauvre.
41:52 Total Energy ne fait pas beaucoup mieux.
41:54 On prend un pays comme la République du Congo,
41:56 le Congo-Brazzaville, où moi, j'ai fait du terrain.
41:59 C'est un pays très pauvre, qui est un pays quasiment uniquement
42:03 exportateur de produits pétroliers depuis 50 ans.
42:06 On pourrait noter le Nigeria, le Mozambique, un tas de pays
42:09 où la découverte de ressources, et l'Ouganda aussi,
42:12 ne se traduit pas forcément par une hausse du développement.
42:15 Sur la question de la demande, je suis assez d'accord,
42:19 c'est ce qu'on veut dire avec Yannick Jadot.
42:21 C'est-à-dire que si la seule façon, Total Dino,
42:25 on n'est pas responsable, il faut faire baisser la demande.
42:27 Mais quand on a des véléités de diminuer la demande
42:29 en mettant des taxes, même si elles sont réparties
42:32 de façon juste, on pourrait imaginer taxer le kérosène, par exemple.
42:35 Je ne pense pas que les personnes qui sont en difficulté matérielle
42:38 en France prennent souvent l'avion, donc on pourrait imaginer
42:40 ce genre de choses. Si à partir du moment où on essaie
42:42 de diminuer la demande, les groupes d'intérêt industriel
42:45 sont là pour dire que ce n'est pas raisonnable, etc.
42:48 C'est-à-dire qu'ils ne sont pas extérieurs à cette construction
42:51 de la demande. C'est ça surtout qu'il faut faire en sorte,
42:54 essayer de diminuer tous les lieux où ils essayent de défendre
42:58 leurs intérêts, notamment sur le prix du carburant.
43:01 Et enfin, par rapport à la question que vous souleviez,
43:04 je vais laisser mon collègue complémenter.
43:07 Je pense qu'on pourrait exiger par exemple que soit créée
43:10 une autorité, alors il faut voir de qui elle dépendrait,
43:13 est-ce que c'est de l'ADEME, du Haut Conseil pour le Climat,
43:16 même de l'Autorité des marchés financiers, pour auditer le travail
43:19 des scénarios de totale, de façon experte, des personnes
43:22 qui soient rémunérées, d'une manière ou d'une autre à ce titre.
43:25 Parce qu'aujourd'hui, l'une des stratégies majeures dans la construction
43:28 du doute, c'est comme je vous le disais, peut-être pas encore
43:31 tout à fait clairement, c'est des stratégies dilatoires.
43:34 On va expertiser, rendre de plus en plus experts les controverses
43:37 pour que le temps d'entrée sur les dossiers soit très élevé,
43:42 que ça devienne très compliqué de discuter sur le fond des scénarios
43:47 de totale. Et puis souvent, ce qui se passe, c'est que quand vous
43:50 avez fini par vous acclimater un peu à tout ce langage technique,
43:54 les rapports sont produits tous les ans, et donc on peut toujours dire
43:58 "ah oui, 2021, c'était..." Vous faites des objections à leur rapport
44:01 de 2021, on vous dit "ah oui, 2023, on a intégré de nouvelles choses",
44:04 et vous avez sans cesse à vous... à reprendre toute la discussion, etc.
44:09 Donc ça, c'est une stratégie dilatoire, c'est assez difficile de lutter contre.
44:13 Après, on pourrait exiger, de façon assez simple, d'exiger de l'entreprise
44:18 qu'elle ne communique plus uniquement, alors ça, j'ai un petit graphique
44:21 pour vous expliquer, sur la trajectoire net zéro, parce qu'ils disent tous
44:24 qu'ils vont arriver à... la plupart des pétroliers, et Total Energy en particulier,
44:27 qu'ils vont arriver à net zéro d'émissions en 2050, mais ils disent pas
44:30 forcément le budget carbone, c'est-à-dire l'air, le volume total des émissions
44:34 qui va être fait sur ce chemin. Donc là, en bleu, on a une stratégie
44:37 de réduction rapide à partir de maintenant, pour arriver à net zéro en 2050,
44:41 et puis là, une stratégie de réduction beaucoup plus lente.
44:43 Donc on pourrait exiger, par exemple, des nouveaux indicateurs,
44:45 des nouvelles métriques, mais ça va continuer d'expertiser cette controverse.
44:50 Donc ça, c'est une difficulté à laquelle il faut essayer de manœuvrer,
44:53 et il faut des moyens pour ça, en fait. Il faut se donner les moyens.
44:58 Sur l'offre et la demande, je suis assez d'accord avec ce que le collègue
45:02 économiste a dit devant vous il y a quelques jours, mais si on prend
45:07 des exemples historiques, les politiques publiques qui ont marché
45:12 ont souvent joué sur les deux. Je pense au tabac, à l'alcool et à la miante.
45:18 Oui, on a joué sur la demande avec la taxation, mais on a aussi fait
45:24 des interdictions. La miante a été interdite, la vente d'alcool
45:29 au moins de 18 ans, etc. C'est-à-dire qu'on limite également
45:34 par des interdictions. Il y a eu un contrôle extrêmement strict
45:39 sur les questions de conflits d'intérêts, suite au scandale de la miante,
45:43 le comité permanent de la miante, etc. Maintenant, lorsqu'on est expert
45:47 sur des dossiers de médicaments ou des dossiers d'expertise sanitaire,
45:53 il faut bien déclarer ces conflits d'intérêts. Or, aujourd'hui,
45:57 malheureusement, on est encore en 2024 et on retrouve des situations
46:02 de potentiels conflits d'intérêts. Ce sont des situations potentielles.
46:08 Je considère que ces collègues climatologues sont des gens merveilleux
46:12 et qu'ils ne sont pas en conflit d'intérêts à titre personnel,
46:15 mais en termes de situation, en 2024, on a encore des financements
46:20 totals de bourses de recherche, de chiffres et de chaires d'excellence
46:25 totales dans les meilleurs labos français de climatologie,
46:28 les labos du LSE, etc., où on trouve nos experts français au GIEC.
46:34 Là, on a vraiment un problème de non-séparation clinique entre
46:40 les besoins d'une expertise publique indépendante et la présence
46:44 de cette grande multinationale dans nos laboratoires.
46:50 L'université de Pau dépend pour une grande partie de ses revenus propres
46:55 de financement de total. Il y a une vigilance à avoir sur l'indépendance
47:00 de la recherche sur ces questions-là. Deuxième exemple, c'est un peu ancien,
47:05 mais c'est l'esclavage. L'esclavage, fin XVIIIe siècle, tout le monde pensait
47:10 que ce n'était pas un problème et que de toute façon, on ne pouvait rien changer.
47:14 Les deux tiers du commerce extérieur de la France et de l'Angleterre,
47:17 fin XVIIIe, dépendent des Antilles, des plantations sucrières, de l'esclavage.
47:21 75 ans plus tard, l'esclavage et la traite transatlantique sont abolies.
47:26 C'est en partie du fait de boycott, de pétitions, mais c'est aussi
47:33 des décisions d'abolition. C'est aussi l'Angleterre qui, après la convention
47:38 de Vienne de 1815, construit une flotte spécifique pour aller bloquer
47:44 les navires négriers. Il y a eu des actions pour empêcher les nuisances
47:49 à la source. Il faut à la fois penser du côté de la régulation de la demande
47:53 et aussi la régulation de l'offre. C'est quoi l'équivalent des bateaux négriers
47:57 pour le climat aujourd'hui ? C'est les bombes climatiques. On sait où elles sont,
48:01 on sait quelles conséquences elles ont. Et donc, à un moment donné,
48:05 il faudra qu'il y ait des décisions, probablement internationales,
48:10 pour contrôler ces sites d'extraction et faire rentrer dans le concret
48:16 les demandes de l'Agence internationale de l'énergie qui dit qu'il ne faut plus
48:20 de nouveaux projets d'extraction. Comment on va se donner les moyens
48:23 de faire ça ? Je pense que c'est un défi politique qui est devant nous.
48:26 C'est vrai que c'est compliqué. C'est plus facile d'interdire l'amiante
48:30 ou d'interdire les CFC qui sont un produit qui n'a pas le même rôle de moteur
48:35 de toute notre économie que les énergies fossiles. Mais c'est malheureusement
48:40 le défi de notre civilisation d'être capable de se priver, de réduire
48:46 une ressource clé. C'est assez rare dans l'histoire d'avoir diminué
48:52 une consommation matérielle. Par exemple, on n'est pas passé du charbon au pétrole.
48:59 On n'a jamais consommé autant de charbon qu'aujourd'hui.
49:02 Donc on n'a pas eu de transition du charbon vers le pétrole.
49:05 Et même le bois fin 19e, c'est le travail de Jean-Baptiste Fressoz,
49:08 mon collègue au CRH, il montre que fin 19e, l'Angleterre consomme plus de bois
49:13 rien que pour étayer ses mines de charbon que tout ce qu'elle consommait fin 18e.
49:17 Donc on a une situation où il y a des phénomènes d'accumulation
49:20 de nos flux matériels et on est devant le défi politique de savoir contrôler
49:25 cette dynamique folle qu'on a enclenchée depuis deux siècles.
49:28 C'est notre responsabilité, c'est la responsabilité de notre génération.
49:32 Et voilà, je n'ai pas de solution, évidemment.
49:36 - Très bien. Permettez-moi juste, mais là en tant qu'historien,
49:40 je ne suis pas tout à fait d'accord sur votre analyse sur l'abolition de l'esclavage.
49:43 Je pense que c'est plus lié à l'industrialisation et à la révolution démographique.
49:48 Au 18e siècle, les populations peu nombreuses utilisent beaucoup d'esclaves.
49:53 Au 19e siècle, l'explosion démographique fait que dans les sociétés modernes,
49:58 on a beaucoup moins besoin d'esclaves que par le passé.
50:02 Mais bon, allez, deux questions suivantes.
50:05 - ...montré que la machine à vapeur n'a pas du tout fait disparaître l'esclavage
50:09 et que dans des zones où on utilise beaucoup, l'esclavage se maintient.
50:13 - En toute état de cause, voilà un débat d'historien qui est sûrement passionnant,
50:17 mais je ne suis pas sûr que ça ait un lien direct avec Total.
50:20 Allez, donc je vais prendre deux questions suivantes.
50:23 D'abord, monsieur Vézous-Fort, puis madame Prima.
50:27 - Oui, merci, monsieur le Président.
50:29 Monsieur Choquet, j'aimerais que vous reveniez sur une question que vous avez évoquée,
50:34 mais très, très rapidement.
50:36 C'est la question de la politique ressources humaines du groupe Total.
50:40 Sur la question d'abord des rémunérations et de la capacité aussi de pouvoir progresser dans l'entreprise,
50:45 vous avez dans un article de 2017 indiqué, je vous cite,
50:50 que pour les cadres dirigeants de Total Énergie,
50:52 la perspective d'atteindre des postes à responsabilité est alléchante,
50:55 mais elle implique de remplir des objectifs de performance bien précis
50:59 qui ont eux-mêmes des répercussions environnementales directes.
51:03 Et puis, Total a plusieurs fois communiqué sur cette volonté d'enclencher une diversification énergétique.
51:11 Est-ce que ça s'est accompagné d'une véritable réflexion en matière de transition des métiers
51:18 et des compétences des salariés vers les énergies renouvelables ?
51:22 Notamment, je crois que vous aviez étudié le projet d'entreprise One Total.
51:27 Est-ce qu'il y a eu des évolutions positives ces derniers temps ?
51:32 - Madame Prima.
51:34 - Merci, monsieur le Président.
51:37 Merci pour vos informations.
51:40 Je me tourne vers mon collègue Tissot.
51:42 On n'a pas besoin d'une commission d'enquête pour voir les publications, monsieur Bonneuil.
51:46 Elles sont effectivement publiques.
51:50 Je voulais savoir, messieurs, vous nous avez fait cette présentation axée sur Total,
51:57 puisque c'est l'objet de notre commission d'enquête.
52:00 Finalement, je voulais savoir si, dans les autres compagnies pétrolières mondiales,
52:06 qu'elles soient européennes ou non-européennes, on observe les mêmes choses ?
52:12 Est-ce qu'on observe le même rôle dans la désinformation mondiale sur le réchauffement climatique depuis toutes ces années ?
52:20 En gros, je vous pose la question, est-ce que Total est pire ou mieux que les autres, pour être plus simple ?
52:26 Je voudrais savoir aussi, en relation directe avec notre commission d'enquête,
52:31 est-ce qu'il existe aujourd'hui des États, à titre individuel, qui ont mis en place des nouveaux moyens de contrôle,
52:39 ou de nouveaux moyens, puisque c'est l'objet mobilisé qui pourrait être exemplaire,
52:44 ou en tout cas éclairant, ou en tout cas qui ouvre la voie dans ce que vous nous recommandez ?
52:50 Et puis, peut-être vous demander d'être un petit peu plus précis sur ce que vous recommandez, vous, comme moyen mobilisable,
52:57 parce qu'on voit bien, moi j'étais au banc à l'époque, quand Nicolas Hulot nous a indiqué qu'il ne fallait plus faire de forage et d'exploitation pétrolière en France.
53:06 Je crains que ce n'ait eu pas beaucoup d'impact au niveau mondial pour le climat.
53:12 Pardon ?
53:14 Ni en Gironde, ni en Seine-Maritime, ni nulle part d'ailleurs.
53:18 Vous parliez tout à l'heure des émissions de méthane sur les gaz de schiste.
53:22 Nous, il y a plusieurs années, on a interdit l'exploration et l'exploitation de gaz de schiste.
53:27 Je crains que ce soit... Voilà.
53:29 Donc je cherche comment est-ce que les moyens de l'État français pourraient être mobilisés et mobilisables,
53:34 pour avoir un impact, que ce ne soit pas un impact de communication, mais un impact sur le climat.
53:40 Deux mots sur la comparaison avec d'autres entreprises.
53:47 En gros, on a le même profil de comportement jusqu'à la fin des années 90.
53:52 Et parce que Exxon est leader, et parce qu'il y a beaucoup de circulation,
53:58 on s'échange des stratégies entre les multinationales pétrolières,
54:01 à l'intérieur de la Chambre de commerce internationale, à l'intérieur de l'IP&K, etc.
54:05 Donc les Français vont finalement copier la stratégie d'Exxon.
54:10 Et ça, ça diverge seulement à partir de la première COP en 1995.
54:16 Et l'approche de Kyoto, les compagnies européennes, ELF, Total, BP et Shell,
54:23 qui sont confrontées à une opinion publique européenne qui est différente de l'opinion publique américaine,
54:30 où le climatoscepticisme est beaucoup moins financé en Europe qu'aux États-Unis,
54:34 vont être capables de se désolidariser de la ligne dure et antiscientifique de Exxon.
54:39 Exxon va continuer quasiment jusqu'à aujourd'hui à être sur une ligne climatosceptique dure.
54:45 Alors que du côté des multinationales pétrolières européennes,
54:50 on a une stratégie d'obstruction et de procrastination,
54:55 mais beaucoup plus sophistiquée, comme l'a montré Pierre-Louis Schuchet,
54:58 sous la forme de promesses technologiques, de lobbying,
55:03 tout en restant dans une certaine différence par rapport au conçu scientifique.
55:09 Différence que Exxon ne commence à avoir que ces tout derniers temps.
55:15 Peut-être pour répondre à votre question sur les ressources humaines.
55:21 Alors évidemment, c'est des terrains, pour un sociologue, qui ne sont pas faciles d'accès.
55:25 Donc moi, j'ai fait des entretiens chez Total, surtout entre 2014 et 2018.
55:31 Ce qui est sûr, c'est que pour cette période-là, peut-être que ça a changé depuis,
55:36 la voie "royale" pour faire carrière, c'était plutôt de rentrer à l'exploration-production.
55:40 Parce que c'est la vache à l'aile de l'entreprise, ça l'était encore quand j'y étais,
55:45 pour les raisons que vous évoquiez, c'est-à-dire qu'il y a une grosse distorsion entre le prix du baril et son coût de revient,
55:50 qui permet de faire des marges importantes, et que du coup, quand on a un jeune cadre prometteur,
55:54 l'objectif, ou en tout cas on est encouragé à enchaîner plusieurs expatriations,
55:59 et c'est sûr que là, si on devient directeur d'unité sur une plateforme offshore par exemple,
56:04 et puis ensuite directeur de filiale, etc., les incitations sont sur un nombre de barils,
56:09 sur éventuellement un nombre d'accidents, pas du tout sur des objectifs climatiques.
56:13 Ça semble complètement hétérogène par rapport à l'activité opérationnelle du groupe,
56:17 c'est-à-dire que ça ne cascade pas jusque au niveau des opérations.
56:21 C'est pour ça qu'il y a aussi une forme de... c'est très antithétique,
56:25 on ne peut pas à la fois produire du pétrole et avoir des incitations pour des objectifs de gaz à effet de serre,
56:30 sauf sur quelque chose qui n'est pas négligeable, mais qui n'est pas non plus extrêmement central,
56:35 c'est les émissions de torchage. En général, quand on extrait, il y a des gaz résiduels qu'on brûle et qui ont un impact,
56:40 donc on essaye de réduire le torchage, mais ça fait vraiment 40 ans, on n'a pas trop parlé de ça dans notre article,
56:45 mais ça fait 40 ans que l'industrie n'arrête pas de dire qu'elle va faire des efforts sur le torchage, etc.,
56:50 en disant avec des objectifs de -50% d'ici à 20 ans.
56:54 On se demande quel était le niveau de départ, tellement ils arrivent toujours à réduire de 50% les volumes.
57:00 Donc, je dirais qu'il y a quand même aujourd'hui symboliquement construire des parcours de carrière chez TotalEnergie,
57:06 dans le solaire et l'éolien. Alors peut-être que ça a changé, ça a évolué assez vite, mais c'est quand même assez difficile,
57:11 surtout que si on regarde les investissements relatifs dans les renouvelables, ils sont très faibles, ils sont toujours inférieurs à 10%.
57:17 Évidemment, si on enlève le gaz, parce que pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure,
57:21 on ne peut pas considérer que le gaz est une énergie autre que fossile.
57:25 Ce serait quand même un sacré torsion du langage que de dire que le gaz est autre chose qu'une énergie fossile.
57:31 Par rapport à votre question sur la façon...
57:34 Est-ce qu'il y a une mobilisation des équipes sur les énergies renouvelables ?
57:37 À ma connaissance, il y a eu quelques grincements dedans de la part de la CFDT,
57:41 quand Total a décidé d'investir dans les sables bitumineux, mais c'était des individus isolés.
57:45 Je n'ai pas eu connaissance de quoi que ce soit puisse ressembler à une objection à l'intérieur de la branche exploration-production.
57:55 Au contraire, il y a eu plutôt un alignement avec les objectifs de la direction,
57:59 et on va dire une valorisation en interne de cette culture du pétrole et du gaz,
58:04 parce que les salariés considèrent qu'il y a une méconnaissance par la population de la difficulté de ces métiers,
58:11 et d'aller chercher ces ressources.
58:13 Et de fait, la plupart des concitoyens français ne savent pas vraiment ce que ça implique
58:16 d'aller chercher cette essence qu'on met dans leur réservoir.
58:21 Voilà pour cette table ronde dans le cadre de cette commission d'enquête sur le groupe Total Energy.
58:26 N'hésitez pas à lire les décryptages, à voir les replays sur publicsenat.fr.
58:30 Très belle suite des programmes sur Public Sénat.
58:33 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]

Recommandée