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Aujourd'hui, Marie Portolano reçoit Mostafa Salhane, un chauffeur de taxi strasbourgeois. C'est dans son véhicule qu'est monté Chérif Chekatt, l'auteur de l'attentat terroriste du marché de Noël de Strasbourg du 11 décembre 2018. Il raconte son expérience dans le livre « 15 minutes pour sauver ma vie », à paraître le 1er février 2024 chez Plomb. 

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00:00 Il est 8h14 et l'interview d'actualité. Marie, vous recevez ce matin un chauffeur de taxi strasbourgeois qui ne risque pas d'oublier sa course du 11 décembre 2018.
00:08 Ce jour-là, le terroriste du marché de Noël de Strasbourg monte dans sa voiture.
00:12 Mostafa Salam le raconte d'ailleurs dans un livre "15 minutes pour sauver ma vie" qui sortira ce jeudi chez Plon. Bonjour et bienvenue à vous.
00:19 Bonjour Mostafa Salam. Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui. Ce 11 décembre 2018, vous venez de déposer des eurodéputés italiens dans le centre de Strasbourg.
00:28 Il est presque 20h, vous repérez un homme qui monte dans votre taxi. Racontez-nous.
00:33 Donc il était à peu près 19h58 exactement. Donc les parlementaires qui étaient assis à l'arrière, ils ont laissé la porte ouverte.
00:41 Et donc d'un seul coup, je vois un type arriver face à moi. On se fixe les yeux dans les yeux, un regard noir avec une masse en dessous de sa doudoune, la main dissimulée.
00:53 Et je dis celui-là, il est pour moi ce soir. Pourquoi vous dites ça ?
00:57 C'est tout simplement, j'avais une vie avant, j'étais physionomiste, donc j'ai cette fibre de sentir les gens, de voir qui est le bon client, le mauvais client.
01:09 Et il y a ce sentiment dès le départ. Et alors justement, vous vous dites, il est étrange. Pourquoi vous le prenez ? C'est rapide ?
01:17 Ça allait très très vite. Et il s'est installé. Une fois que le client s'installe à l'arrière, on ne peut plus le faire descendre.
01:24 Je me suis dit, bon, je vais l'emmener là où il veut y aller et je verrai plus tard.
01:31 Et finalement, je vois qu'il transpire énormément. Il n'est pas bien. Il cogite, il regarde dans tous les sens.
01:40 Et il m'annonce que sa mère, elle est malade. Il faut que je roule rapidement. Et donc, j'essaye de comprendre parce que je sens qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
01:49 Je vois que comme il transpire beaucoup, je me suis dit, sans doute, il vient de piquer un sac ou bien une agression qui s'est passée.
01:59 Vous comprenez tout de suite que son histoire de mère malade, ce n'est pas vraiment la vérité. Vous comprenez tout de suite qu'il se passe quelque chose d'anormal.
02:05 Il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a quelque chose qui n'est pas normal. Il n'a rien d'un touriste. Je me suis dit, bon, je vais l'emmener plus loin.
02:13 Et à ce moment-là, vous ne savez pas qu'il y a eu l'attentat.
02:15 Pas du tout. Je n'étais pas au courant de ce qui venait de se passer à Strasbourg. Et donc, je décide de l'emmener plus loin.
02:21 Et je me suis dit, moi, j'ai l'habitude avec ce genre de type de m'expliquer s'il y a une difficulté quelconque sur le paiement ou bien il est alcoolisé, etc.
02:33 Et donc, on roule à peu près 100 mètres, 150 mètres et il m'annonce la patate chaude, comme on dit.
02:40 Il vous dit tout de suite ?
02:41 Oui.
02:42 Il vous dit, j'ai commis un attentat ?
02:43 Il me dit, je viens de faire un attentat à Strasbourg. Je viens de tuer 10 personnes. J'ai tiré sur des militaires et je crois que j'en ai tué aussi des militaires.
02:51 Qu'est-ce que vous vous dites, vous, à ce moment-là ?
02:53 Vous croyez ou vous ne croyez pas, parce que vous êtes entre les deux, vous êtes, vous voyez. Et à ce moment-là, on avance encore un peu plus loin.
03:01 Et là, il me dit, bon, à partir de cet instant-là, c'est fini pour toi. Tu as compris ? On va rester ensemble et on va aller mourir ensemble ce soir.
03:09 Et donc, je me retourne et d'un seul coup, je vois son arme pointer vers moi à l'arrière. Et je dis, bon, on se calme, range ton arme et puis, d'accord, je vais faire ce que tu vas me dire.
03:21 Il vous écoute à ce moment-là ? Comment il est, lui, avec vous ?
03:25 Il parle beaucoup. Il développe beaucoup. Moi, je suis concentré sur comment je vais faire pour sortir de cette situation-là. Il est hors de question de rester de cette manière-là.
03:42 Il faut que je trouve une issue échappatoire. Et à ce moment-là, il commence à revendiquer de ce qu'il vient de faire et pourquoi il l'a fait.
03:51 Il dit à cause de ce qui se passe en Irak, en Syrie. Donc, il développe la...
03:58 Il vous explique, voilà.
03:59 Il m'explique. Et puis, moi, ça cogite dans ma tête et je dis, mais c'est fini, j'y suis.
04:06 Vous vous dites, je vais mourir.
04:08 Je suis face à la mort. C'est un face-à-face qui va durer plus de 15 minutes. C'est quelque chose qui va être une confrontation, vous voyez.
04:17 Et lui, donc, il est armé. Pour l'instant, je ne peux pas m'échapper. Je ne peux rien y faire.
04:23 Et je ne peux même pas le maîtriser parce qu'il est assis derrière. Il y a une arme qui est pointée sur moi.
04:28 Il faut que je trouve vraiment une solution pour m'échapper.
04:32 Alors, comment vous vous en sortez, justement ?
04:34 Alors, comment ? Il y a beaucoup de choses. Il y a un vécu. Il y a aussi, je crois, une force divine qui a su me protéger ce soir-là.
04:46 Il y a une force divine qui m'a justement donné cette force pour faire face à cette situation-là.
04:52 Parce que lui, il vous dit, je suis blessé, j'ai besoin d'un coup de main. Et là, il sort de votre voiture.
04:57 Pas tout de suite. Donc, on fait tout un circuit qui va durer plus d'un quart d'heure.
05:04 Et à un moment, il est blessé. Il veut que je le soigne.
05:08 Et il avance son bras gauche devant la côtoir. Donc, il y a beaucoup de sang qui coule de son bras.
05:16 Et j'essaye de lui dire, je vais t'aider, il n'y a pas de problème. Je vais essayer de faire mon maximum pour t'aider, pour te soigner.
05:23 Et donc, on est arrêté pendant deux minutes, plus de deux minutes. Et puis, on échange.
05:29 Donc, il y a cette confrontation. Et j'essaye vraiment de lui dire, je vais te soigner. Je vais pouvoir te laisser là et partir.
05:36 Et là, vous remontez dans votre voiture et lui reste dehors.
05:39 Lui reste à l'extérieur.
05:41 Pourquoi vous pensez qu'il vous a laissé vivant ?
05:43 Alors, il m'a laissé vivant parce que j'ai trouvé, si vous voulez, cette fenêtre échappatoire.
05:49 Parce que lui, il était décidé d'aller finir le travail devant le commissariat, d'aller tuer des policiers.
05:57 Vous pensez qu'il voulait continuer son périple martiaux ?
05:59 Oui, bien sûr. Et puis, moi, j'ai trouvé les mots qu'il fallait.
06:04 Et aussi, trouver la force pour rester, ne pas flancher, ne pas essayer de craquer.
06:12 Parce que ça, c'était ma grande hantise. Et surtout, je me suis dit, si la police arrive, on est morts tous les deux.
06:23 Oui, c'est ça. Parce qu'il va y avoir un échange de tirs.
06:25 Absolument.
06:26 En tout cas, vous trouvez les mots, vous vous en sortez, vous racontez tout ça dans ce récit incroyable, "15 minutes pour sauver ma vie".
06:34 Rapidement, ça va bien aujourd'hui ?
06:36 Ça va. On remédie à ça. D'ailleurs, le livre fait partie de la reconstruction.
06:42 Exactement.
06:43 Donc, j'ai écrit avec Frédéric Ploquin.
06:45 Avec Frédéric Ploquin, exactement.
06:46 Et accompagné par Lise Boël.
06:49 Frédéric Ploquin, exactement. Vous êtes toujours taxi aujourd'hui ?
06:52 Non, c'est fini. Taxi, c'est fini pour moi. Je n'étais pas seulement chauffeur de taxi, j'avais aussi une entreprise.
06:57 D'épices.
06:58 D'épices, que j'ai développée. C'est un concept unique en France.
07:03 Et malheureusement, avec le stress post-traumatique que j'ai traversé, cette turbulence, il y a une dépression qui s'est installée.
07:11 J'ai remédié à l'écriture, l'art-thérapie aussi, les voyages qui m'ont aidé à m'en sortir.
07:19 Merci beaucoup, Mostafa Salam. Je rappelle que vous publiez "15 minutes pour sauver ma vie".
07:23 Ça sort jeudi, c'est chez Plon. C'est co-écrit avec Frédéric Ploquin. Merci beaucoup d'avoir été avec nous.
07:27 Merci.
07:28 Merci.

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